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Lorsque je parle de la création littéraire, j’essaie d’éviter certains mots et expressions qui me rendent mal à l’aise, parce qu’ils me semblent peu précis. « Créer un personnage », par exemple, ne décrit pas du tout ce que je fais en tant que romancier et nouvelliste. Créer un personnage suggère que je fabrique un personnage en choisissant certains traits physiques ou psychologiques que je veux lui donner – ce qui n’est pas du tout le cas. Un personnage fabriqué – je veux qu’il soit grand. Non, non, je vais le faire petit. Et quelle couleur de cheveux est-ce que je lui donne ? Et psychologiquement ? Ah oui – il a couché avec sa mère ! Non, avec sa soeur… ce serait plus… et pourquoi pas avec les deux ? – donne un personnage fabriqué, un être peu convaincant, aussi crédible qu’un chien de bois bricolé par un enfant : Maman et Papa vont l’adorer parce qu’ils adorent tout ce que fait leur petit, mais il faut avouer que chercher des compliments chez les voisins est un peu risqué…
L’écrivain que je suis ne crée donc pas de personnages. Il attend plutôt que les personnages se créent dans une région mystérieuse de son imagination et qu’ils décident à un moment donné, sans que l’auteur sache pourquoi, de se manifester. Lorsqu’ils arrivent, ils ont les traits physiques et psychologiques qu’ils ont et si l’auteur essaie de leur imposer des gestes et des actions qui lui semblent intéressants pour l’intrigue, mais qu’ils n’ont pas posés, ils vont se taire et se réfugier dans un endroit inaccessible. L’auteur que je suis doit, donc, savoir écouter ses voix intérieures, ces voix qui semblent venir de nulle part, mais qui émergent avec tout leur bagage du fond de son imagination comme un bébé émerge de sa mère – des êtres distincts qui exigent notre disponibilité et notre respect. Ils ont une histoire à raconter à l’auteur.
Dans cette nouvelle, c’est la voix d’un général qui a trahi son pays qui s’est manifestée. Voulant à tout prix éviter une guerre entre son pays guerrier et le pays voisin, il traverse la frontière et livre à l’ennemi les secrets militaires de son pays. Toutefois, en quittant son pays, il a abandonné sa famille – et ce sont ses parents, sa soeur et ses neveux et nièces qui deviennent des pions dans le jeu politique qui s’ensuit. Son pays exige son retour. Le général doit faire un choix : sa liberté à lui ou la liberté de sa famille ?
Ce texte, comme toute nouvelle, est une fiction mais l’intrigue a été inspirée par des faits vécus. D’où viennent-ils, le général et les autres personnes qui peuplent cette histoire ? De cette région intérieure mystérieuse où naissent les voix.
Appendices
Note biographique
Neil Bissoondath
Né à Trinidad en 1955, Neil Bissoondath vit au Canada depuis 1973. Après seize ans à Toronto et sept ans à Montréal, il a choisi de s’établir dans la ville de Québec. Auteur de cinq romans (dont Retour à Casaquemada, Tous ces mondes en elle, Un baume pour le coeur, La clameur des ténèbres), deux recueils de nouvelles et un essai sur le multiculturalisme, il a également oeuvré dans le domaine de la télévison, notamment comme animateur de deux séries pour Vision TV. Il a aussi été écrivain en résidence à l’Université d’Ottawa, l’Université Concordia et l’Université de Toronto (summer writing program).
Neil Bissoondath a reçu le Prix du magazine canadien (or, fiction, 1985), le Canadian Authors Association Fiction Award (1993), le Gordon Montador Award (1995), le Prix Spirale de l’essai (1995), le Prix littéraire de l’Amérique insulaire (2000), le Hugh MacLennan Prize for Fiction (2002, 2005) et a été finaliste pour plusieurs autres prix, dont le Guardian Fiction Award (Royaume-Uni), le Prix du Gouverneur Général (Canada) et le Prix Femina / étranger (France). Ses livres sont traduits en français, allemand et néerlandais. En 1999, le Collège Glendon, Université York, lui a conféré un doctorat ès lettres (honoris causa). En 2008, l’Université de Moncton lui a décerné un doctorat en littérature (honoris causa). Depuis 2000, Neil Bissoondath est professeur agrégé en création littéraire au Département des littératures de l’Université Laval, à Québec.