Les remarques formulées par François-Emmanuël Boucher soulèvent l’une des difficultés majeures éprouvées lors de l’élaboration de mon travail : la délimitation du corpus. Ce livre, reposant sur les principes de la confrontation et de la synthèse, ne pouvait en effet être significatif que s’il s’appuyait sur un volume important, mais aussi homogène et bien défini, de textes. Mon parti a donc été de m’appuyer sur des documents produits par des auteurs qui sont aussi des créateurs de fiction. Sans dénier tout l’intérêt que présenterait une étude à caractère plus historique, je peux affirmer que le choix de documents à visée essentiellement esthétique m’a permis d’analyser un mythe littéraire d’autant plus riche qu’il prend sa source et se déploie en grande partie dans des oeuvres fictives, et laisse donc la part belle à l’interprétation et à la création. Cet aspect esthétique et littéraire des discours analysés permet ainsi de découvrir un XVIIIe siècle au moins autant imaginé et rêvé que dépeint et représenté, et dont l’authenticité importe moins, finalement, que la valeur poétique et compensatoire. Je n’ai donc pas prétendu analyser l’ensemble des imaginaires que l’époque déploie autour du passé, mais j’ai voulu saisir l’élaboration d’un mythe qui s’appuie sur des réminiscences romanesques et picturales, mêlées de ressentiments idéologiques, pour générer des images parfois contradictoires. Pour n’être pas représentatif de la totalité des écrits du deuxième tiers du XIXe siècle — le projet eût été bien ambitieux —, ce mythe dépasse peut-être bien les limites dans lesquelles François-Emmanuël Boucher semble vouloir le restreindre à la fin de son compte rendu ; le corpus choisi me paraît en effet d’autant plus significatif que, loin de ne représenter qu’une trentaine d’artistes, il est le reflet de tout un discours et de tout un climat qui imprègne non seulement le monde des artistes mais aussi la société dans les années 1830-1860. Même s’il est exact qu’une trentaine d’écrivains surtout se dégagent de cette étude, l’importance de leurs noms peut suffire à montrer que ce phénomène touche une grande partie du paysage littéraire français durant ces trente années. L’ampleur du corpus montre d’autre part que l’imaginaire véhiculé par ces grands noms de la littérature est relayé par de multiples auteurs moins connus qui contribuent à l’imprégnation de ce discours dans la société du temps. Je partage cependant entièrement le point de vue de François-Emmanuël Boucher lorsqu’il précise qu’« entre 1830 et 1860, lorsqu’il est question du XVIIIe siècle, on ne traite pas seulement d’esthétique rococo ». Même si l’on s’en tient aux auteurs de fiction, force est de remarquer que la Révolution et les philosophes des Lumières occupaient alors bien des esprits, et le mythe du passé se présente comme une superposition d’images, parfois fort éloignées les unes des autres, permettant de rendre au XVIIIe siècle toute sa complexité. Or la première image que les écrivains se font du passé est tout imprégnée de considérations politiques. Loin de ne percevoir le XVIIIe siècle que par son esthétique ou ses manières de vivre, les écrivains l’ont d’abord vu comme le siècle des Lumières et, par là, comme un siècle lourd d’enjeux idéologiques, dangereux, redoutable, voire terrifiant. Ainsi, la partie de mon livre portant sur la peur, voire la haine, que suscite la Révolution chez un bon nombre d’écrivains, s’appuie sur les traces qu’ont laissées les discours de Joseph de Maistre ou de Bonald dans les récits romantiques évoquant le passé proche. Si l’oeuvre des célèbres idéologues n’apparaît, dans les textes analysés, qu’à l’état de traces, ce n’est certes pas que leurs thèses auraient disparu des écrits du XIXe siècle ; …
Appendices
Référence
- Maistre, Joseph Marie de, Considérations sur la France, Genève, Slatkine, 1980 (éd. de J.-L. Darcel).