Volume 37, Number 1, Fall 2005 Dérives de l’essai Guest-edited by René Audet
Table of contents (13 articles)
Études
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Une lettre ouverte pour causer
David Christoffel
pp. 15–32
AbstractFR:
Les affiliations génériques des causeries d’Erik Satie, dépendent de la provenance des brouillons. Mais, par la variété des supports éditoriaux investis par le compositeur, on s’aperçoit que la taxinomie de ses textes doit prendre en compte les innovations poétiques de son époque. Par exemple, l’abondance de points de suspension n’est pas la marque d’une démarcation entre un fil conducteur et quelques formules d’accompagnement. Dans cet article, l’auteur cherche à saisir comment un agencement de diversions parvient à faire passer une lettre ouverte dans le champ de la causerie. Pour cela, il envisage ce qu’il peut y avoir de plus formellement rigoureux là où le compositeur paraît le plus fantasque.
EN:
The origin of Satie’s drafts of the causeries determine their generic affiliations. By considering the variety of the editorial supports used by the composer, one comes to realize that the taxonomy of his texts must take the poetic innovations of his time into account. For example, the frequent ellipsis points do not mark a distinction between a main theme and formulae of accompaniment. We will attempt to understand how a series of diversions succeeds in creating an open letter within the structure of the causerie. To that end, we shall seek to discover the formal rigor that characterizes passages where the composer appears the most unpredictable.
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Figures de savoir et tempo de l’essai
Marielle Macé
pp. 33–48
AbstractFR:
Atelier de « lieux communs », l’essai littéraire s’écrit à partir de fragments culturels critiqués, réorganisés, remis en mouvement, et son écriture à intensités variables engendre à son tour des idées mémorables, arguments frappés en images, objets citables offerts à l’avenir de la lecture. Cette circulation topique décide de l’échelle où s’élabore le savoir de l’essai, du tempo de sa prose, mais éclaire également un moment de son histoire : le XXe siècle français qui, de Remy de Gourmont à Roland Barthes, a constamment superposé la réflexion sur le genre à la question de l’écriture intellectuelle et de ses rapports à la rhétorique.
EN:
A fabric of “common places”, the essay is built with cultural fragments that are deconstructed, reorganized and put into motion; its variable prose creates in return ideas worth remembering, arguments turned into images, citable objects offered for future readings. This circulation of topics explains how the essay builds its knowledge and creates the rhythm of its prose; it also describes a moment of its modern French history : the 20th century which, from Gourmont to Barthes, has constantly integrated a meditation on the essay as a genre, and an interrogation on intellectual writing in its relations to rhetoric.
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L’essai, point aveugle de la critique?
Jérôme Roger
pp. 49–65
AbstractFR:
Une réflexion sur l’essai critique contemporain ne peut faire l’économie de la perspective historique, tant le terme d’« essai » est porteur de malentendus. Quoi de commun en effet entre l’entreprise téméraire de Michel de Montaigne et l’institutionnalisation progressive de l’essai comme discours de maîtrise du savoir ? L’article se propose de comparer tout d’abord le début des XXe et XXIe siècles, en interrogeant les oeuvres parallèles de Proust et de Péguy, qui s’approprient la forme de l’essai critique pour se démarquer du positivisme et inventer un nouveau mode de relation avec le lecteur. La situation est à la fois plus trouble et plus tendue aujourd’hui, alors que l’écrivain ne peut faire oeuvre critique, au plein sens du terme, que sous des formes indécidables, comme c’est le cas de Pascal Quignard et de Richard Millet, ou bien, à l’instar de Nancy Huston et de Florence Delay, en mettant en valeur ce qui résiste au concept : la force de répulsion ou de séduction des oeuvres. Ces voix dissidentes, que les stratégies éditoriales hésitent à légitimer, permettent pourtant de comprendre la façon dont la littérature nous donne à penser, autrement que dans le champ des savoirs cautionnés par l’institution.
EN:
Any reflection on the contemporary critical essay — a generic term which often carries misconceptions — needs to adopt an historical perspective. What does Montaigne’s bold undertaking have in common with the progressive institutionalisation of the essay as an authoritative discourse? This article will present a comparison between the beginnings of the 20th and the 21st centuries by examining the works of Proust and Péguy who adopted the genre of the critical essay in order to dissociate themselves from positivism and to invent a new type of relationship with the reader. Today the situation is blurred and strained, since the author can only produce critical works, in the true sense of the term, by using indecisive forms, as can be seen in the works of Pascal Quignard and Richard Millet, as well as in those of Nancy Huston and Florence Delay who focus on literature’s force of repulsion or seduction. These dissenting voices, that publishing strategies hesitate to legitimize, allow us to understand how literature conveys ways of thinking different from the fields of knowledge accepted by the institution.
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De L’ère du soupçon à Pour un nouveau roman. De la rhétorique des profondeurs à la rhétorique des surfaces
Galia Yanoshevsky
pp. 67–80
AbstractFR:
Malgré les similitudes dans le recours à des notions clés comme la mort du héros et la disparition de l’intrigue, les deux principaux recueils d’essais du nouveau roman, à savoir L’ère du soupçon (1956) de Nathalie Sarraute et Pour un nouveau roman (1963) d’Alain Robbe-Grillet, se trouvent aux antipodes stylistiques. Tandis qu’une première hypothèse suggère que les variations relèvent du type d’auditoire auquel ils font appel (spécialistes, lecteurs des revues savantes ou amateurs de la presse écrite), une deuxième hypothèse explique les différences rhétoriques en fonction du style personnel typique de chaque écrivain : l’introspection de Sarraute et la polémique incessante de Robbe-Grillet avec les critiques de son oeuvre romanesque et théorique.
EN:
Despite similarities in key terms, such as the death of the hero and the disappearance of the plot, the two main essay collections of the New Novel movement in France, namely Nathalie Sarraute’s The Age of Suspicion (1956) and Robbe-Grillet’s Towards a New Novel (1963), are strikingly different in style. While a first hypothesis explains the variations in terms of appeal to a different public (from experts to amateur readers in the press), a second hypothesis confirms that differences in rhetoric can be accounted for by the personal style of each writer: Sarraute’s self ponderation and Robbe-Grillet’s incessant polemic with the critics of his novels and essays.
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Méthodes de la littérature dans La génération lyrique
Thomas Vauterin
pp. 81–90
AbstractFR:
Cette étude explore les rapports qu’entretiennent l’essai et la critique littéraire au sens large ainsi que les rivalités entretenues par ceux-ci avec les diverses disciplines des sciences humaines. En prenant pour exemple La génération lyrique de François Ricard, l’auteur montre comment l’essayiste construit son objet, c’est-à-dire sa génération, dans les interstices des discours démographique, sociologique ou institutionnel. Il constate ensuite que l’essayiste utilise les concepts de l’analyse littéraire pour la considérer comme un objet esthétique.
EN:
This study explores the relations between the essay and literary criticism and the tensions between the two genres and the various disciplines of the humanities. Analysis of François Ricard’s La génération lyrique shows how the essayist constructs the object of his text, globally his generation, by playing off demographic, sociological and institutional discourses. At the same time, the essayist’s use of concepts from literary criticism participates in the creation of an aesthetic object.
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La rencontre du savoir et du soi dans l’essai
Pascal Riendeau
pp. 91–103
AbstractFR:
L’auteur de cet article cherche à proposer quelques nouvelles réflexions théoriques autour de l’argumentation et de la subjectivité dans l’essai. En partant d’un certain nombre de recherches antérieures, il vise à montrer que l’originalité de l’essai repose souvent sur le lien étroit qui s’établit entre le savoir et le soi. La subjectivité à l’oeuvre dans l’essai permet de créer une fiction de soi, non sans rappeler celles qu’on retrouve dans l’autofiction. Quant à la spécificité de l’argumentation, elle paraît en partie tributaire de la façon dont l’essayiste se situe par rapport au savoir. Pour bien illustrer la diversité de la pratique essayistique, l’auteur fait appel à des essayistes aussi différents que Jacques Brault, Roland Barthes, Milan Kundera, Pascal Quignard et Michel Houellebecq.
EN:
The author of this article offers some new theoretical perspectives on argumentation and subjectivity in the essay. Starting with a discussion of previous research, he aims to demonstrate how the originality of the essay is often based on the close link between knowledge and the self. Subjectivity in the essay allows for the creation of a “fiction of the self”, which is akin to that of autofiction. Argumentation in the essay seems in part dependent on the way in which the essayist situates himself in relation to knowledge. In order to illustrate the diversity of essayistic practices, the author discusses a varied corpus including the works of Brault, Barthes, Kundera, Quignard, and Houellebecq.
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La science à l’essai
Jean-François Chassay
pp. 105–117
AbstractFR:
Traditionnellement, on insiste dans les domaines scientifiques sur l’écart qui sépare le sujet de son objet. Si c’est vrai de la pratique des sciences, on peut dire la même chose des textes qui en traitent. La vulgarisation, par exemple, est un genre où le sujet cherche généralement à s’effacer pour que l’intérêt du lecteur puisse entièrement se porter sur la compréhension d’une théorie souvent complexe. Cet article examine deux ouvrages (Aux contraires de Jean-Marc Lévy-Leblond et La passion du réel de Laurent-Michel Vacher) où la volonté d’expliquer la science et de discourir sur les différentes disciplines qui la composent est au contraire indissociable d’une présence forte du sujet qui les défend.
EN:
In scientific fields, strong emphasis is placed on the distance which separates the subject from its object. The same can be said about texts that deal with science. In scientific popularization, for example, the subject is often downplayed so that the reader’s focus may remain on the comprehension of often complex theories. This article examines two works (Aux contraires by Jean-Marc Lévy-Leblond and La passion du réel by Laurent-Michel Vacher) in which, to the contrary, the desire to explain the science and discuss its different disciplines is inseparable from a strong presence of the subject defending them.
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Tectonique essayistique. Raconter le lieu dans l’essai contemporain
René Audet
pp. 119–131
AbstractFR:
Partant du conflit théorique possible entre le discours de type narratif et la poétique essayistique, cet article explore les modalités de présence de la narrativité dans l’essai à partir d’un recueil récent de Pierre Nepveu, Lectures des lieux. L’ajout d’un paramètre, celui du lieu, problématise sous un autre angle la poétique essayistique chez Nepveu, conjuguant la spatialité à la temporalité du récit. Il émerge de cette analyse l’idée que le lieu apparaît comme un prisme à travers lequel l’essayiste peut lire la culture (l’essai créant un déplacement) et que l’exploration des lieux, sur le mode narratif, le conduit à envisager les objets culturels dans une continuité historique ou selon le récit de leur lecture.
EN:
Exploring the possible theoretical conflict between narrative discourse and the poetics of the essay, this article examines the narrative dimensions of Pierre Nepveu’s recent Lectures des lieux. Consideration of another parameter, the large presence of places, problematizes essayistic poetics by conjugating spatiality with the temporality of narrative. This study shows that place functions as a prism through which the essay writer can read culture (the essay creates a gap, a displacement) and that the exploration of the places, in the narrative mode, brings him to apprehend cultural objects in a historical continuity or according to their narrative reading.
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Contours de l’essai. Repères bibliographiques (1995-2005)
Analyse
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Les florilèges du quotidien de Philippe Delerm
Claude Cavallero
pp. 145–156
AbstractFR:
Dans ses recueils de textes brefs, Philippe Delerm dévoile une phénoménologie cachée de la vie ordinaire où s’exalte sans fausse honte une saisie épicurienne de l’instant. En peu de mots, le lecteur se trouve intimement associé à ces florilèges du quotidien selon un paradoxe singulier, qui pose la question des moyens rhétoriques et du régime fictionnel mis à contribution par l’écrivain. Prenant appui sur de nombreux exemples, l’analyse met au jour une stratégie discursive du fragment fondée sur une suspension tacite du récit et sur l’implication subreptice du lecteur appelé à faire sienne l’appréciation donnée en guise de conclusion. La problématique du temps structure cette écriture du bonheur simple comme pour mieux en souligner l’évanescente magie.
EN:
Philippe Delerm’s short texts are subtly suffused with a sort of phenomenology of the everyday, in which moments of time are apprehended from an openly Epicurean point of view. The fact that the reader quickly finds himself caught up in these florilegia of the everyday raises the question of the rhetorical and fictional devices used by the author to draw the reader in. This analysis, based on many examples, highlights Delerm’s aesthetics of fragmentation : narration is suspended and the reader is surreptitiously driven to espouse the point of view expressed at the close. The problem of time plays a central role in Delerm’s creations, as if to highlight the evanescence of happiness.