Volume 35, Number 2-3, Summer–Fall 2003 George Sand et ses personnages, 1804-2004 Guest-edited by Dominique Laporte and David A. Powell
Table of contents (13 articles)
Études
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Écrire la lecture expérimentale : du Secrétaire intime au Marquis de Villemer
Anne E. McCall-Saint-Saëns
pp. 13–28
AbstractFR:
L’oeuvre de George Sand montre une volonté exceptionnelle et encore peu explorée de penser la lecture et, à partir d’elle, de réfléchir sur les structures qui fondent notre vie en société. Deux romans, publiés à des tournants importants de sa carrière — Le secrétaire intime de 1834 et Le marquis de Villemer de 1860 —, explorent le pouvoir de la lecture et des lecteurs. Considérés en lien avec l’autobiographie de la mi-siècle, ces romans mettent en scène des protagonistes qui sont payés à lire et à écrire pour le compte de quelqu’un d’autre et dont le travail plus ou moins bien accompli détermine la conclusion de l’intrigue. S’y lit l’intérêt croissant de Sand pour la lecture comme activité créatrice et comme acte fondateur d’une société à venir ; s’y lit également son désir de penser l’individu et la communauté de manière simultanée, au-delà des antinomies fondatrices de la société moderne.
EN:
George Sand’s novels demonstrate an exceptional and relatively unexplored desire to think through the act of reading and to use it to reflect on broader relational structures. Two novels — Le secrétaire intime (1834) and Le marquis de Villemer (1860)—, published at critical moments in her career, explore the power of reading and of readers. Protagonists who are paid to read and to write for a third party and whose success determines the outcome of the plot attest to Sand’s increasing interest in reading as both a creative activity and a founding act in a growing society of readers. In addition, the novels reflect Sand’s attempt to conceptualize the individual and the community simultaneously, beyond the founding oppositions of modernity.
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Construction et déconstruction du personnage dans Valvèdre
Françoise Massardier-Kenney
pp. 29–38
AbstractFR:
Cette étude des appellatifs dans le roman Valvèdre (1861) démontre la complexité de la construction sandienne du personnage qui reprend au niveau lexical le thème central du roman, à savoir que les différences de genre et de race sont construites par certaines pratiques socioculturelles et par une histoire plutôt qu’elles ne sont l’expression d’une nature essentielle. Les noms propres permettent de découvrir les structures profondes qui régissent les rapports entre les personnages et remettent en question les frontières qui délimitent l’identité individuelles de ceux-ci. Enfin cette étude souligne que Valvèdre appelle la participation du lecteur à la construction et à la déconstruction des personnages plutôt qu’à un processus traditionnel d’identification.
EN:
This study of appelatives in the novel Valvèdre (1831) analyzes the complex construction of Sandian characters. Sand uses the lexical level to reinforce the central theme of her novel, which is that gender and race differences are constructed through specific historical, socio-cultural practices rather than through the expression of an essential nature. Sand’s manipulation of proper names allows us to discover the deep structures affecting the characters’ relationships and to question notions of stable individual identity. Finally, this study brings to light the modernity of Sand insofar as she requires the readers to participate in the construction and deconstruction of her characters rather than to fall into a traditional process of identification.
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Le personnage de sang-froid
Yvette Bozon-Scalzitti
pp. 39–60
AbstractFR:
La prédilection de Sand pour le personnage de sang-froid remonte à son choix, non seulement d’un pseudonyme masculin, mais aussi d’une identité masculine. Maîtriser ses passions, vertu virile à ses yeux, permet de dominer l’autre, et le personnage sandien, surtout s’il est femme, aspire avant tout à dominer. La théorie du désir mimétique élaborée par René Girard s’avère particulièrement appropriée à l’étude de cette figure hautaine, obsédée par l’imitation du modèle aristocratique que lui offre le héros cornélien, jusqu’à ce que la romancière découvre, avec Lélia, que cette rivalité mimétique ne mène qu’à la folie et à la mort. La conversion de Sand au socialisme évangélique l’engage alors à créer, avec Consuelo, un nouveau type de personnage, le personnage bon, au coeur maternel, inspiré par l’imitation du Christ. Mais ce nouveau personnage ne parvient pas à abjurer la volonté de puissance de son prédécesseur, de sorte que le personnage de sang-froid qui, de son côté, refuse de disparaître, pourrait bien être en fin de compte le personnage sandien par excellence, d’autant qu’il incarne les caractéristiques majeures du roman sandien, notamment son intellectualisme et sa facticité.
EN:
The predilection Sand shows for self-possessed characters goes back to her decision to adopt a male identity as a writer. Self-control, according to her a masculine attribute, means power, and power is what the sandian character wants most, especially if it is a woman. René Girard’s theory of mimetic desire proves to be remarkably relevant to the understanding of these masterful characters, who are obsessed with the aristocratic, Cornelian, heroic model, until the novelist discovers, with Lélia, that such mimetic rivalry leads only to madness and death. Sand’s conversion to a religious socialism prompts her to switch to a new type, the kind-hearted, motherly character, inspired by Christ as a new model. This new type however does not succeed in eliminating the domineering propensity of its predecessor, nor the self-possessed character itself which, therefore, may be the typical sandian character after all, since it embodies the main characteristics of the sandian novel, most notably its intellectualism, and its artificiality.
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Un enjeu scriptural chez George Sand : le personnel romanesque dans le (re)positionnement générique d’Indiana (1832-1833)
Dominique Laporte
pp. 61–70
AbstractFR:
Envisagées jusqu’ici comme discours sur la dualité de l’horizon d’attente en 1830 (roman de moeurs vs roman frénétique), ou comme digressions d’auteur dans le style de Jacques le fataliste, les suppressions que fit George Sand dans l’édition originale d’Indiana (1832) pour une réédition du roman en 1833 (éd. Gosselin) résolvent a priori un paradoxe que cherche à repousser le travail de réécriture : l’ambivalence générique de tout roman sur le Réel, où la mimesis vise à gommer la fabula. Ni l’édition Gosselin d’Indiana ni les rééditions ultérieures ne font par contre l’économie d’autres discours surcodés où les topoi et les clichés romanesques trahissent la fictionnalité du roman, fragilisant ipso facto l’illusion référentielle mise en oeuvre dans le récit.
EN:
Seen until now as a reflexive discourse on the duality of literary expectations in 1830 (novel of manners vs roman frénétique), or as an author’s digressions in the style of Jacques le fataliste, the passages present in the original edition of Indiana (1832), but eliminated from the subsequent edition (Gosselin, 1833), were apparently written out of the text in order to resolve a paradox : the generic ambivalence of all the novels on Reality, in which mimesis seeks to obliterate fabula. However, neither the Gosselin edition of Indiana nor later editions delete any of the other excessively coded discourses in which novelistic topoï and clichés betray the fictionality of the novel and, by the same gesture, weaken the illusion of referentiality fashioned in the story.
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Espace colonial et vérité historique dans Indiana
Pratima Prasad
pp. 71–85
AbstractFR:
La description impressionniste des réalités difficiles de la colonisation et de l’esclavage dans Indiana de George Sand a porté plusieurs critiques à considérer l’espace colonial de l’île Bourbon dans le roman comme mythique et symbolique, hors du domaine du réel. De telles appréciations de l’île Bourbon nous ramènent aussi à Paul et Virginie, le roman pastoral de Bernardin de Saint-Pierre qui inspira Sand, et qui se déroule lui aussi dans les îles de l’Océan Indien. Pourtant, un nouvel examen de l’intertexte de Paul et Virginie dans Indiana en termes de différence plutôt que de similitude, en tant que réécriture plutôt qu’en tant qu’emprunt, fait apparaître dans le roman de Sand une connaissance latente de l’histoire de l’expansion coloniale et des bouleversements culturels qu’elle a provoqués. Une fois considéré dans la perspective du métissage culturel inhérent au processus de la colonisation et de la nature fluctuante de l’identité coloniale, le roman de Sand révèle de nombreux exemples de la confrontation de différents peuples dans des relations de pouvoir inégales, de l’émergence d’un discours sur la créolité et de nouvelles catégories raciales.
EN:
The impressionistic and mostly figurative depiction of the difficult realities of settlement, colonization and slavery in George Sand’s Indiana has led critics to account for the space of the colonial île Bourbon in the text as mythic and symbolic, outside the realm of the real. Such assignations of l’île Bourbon also hark back to Bernardin de Saint-Pierre’s pastoral novel Paul et Virginie, which came to bear upon Sand’s writing of Indiana, and which was also set in the Indian Ocean islands. However, a reexamination of the intertext of Paul et Virginie in Indiana in terms of difference rather than similarity, as a rewriting rather than just a borrowing, reveals in Sand’s novel an otherwise obscured consciousness of the history of imperial expansion and the forms of cultural change that it engendered. When viewed through the lens of the cultural métissage inherent in the process of colonization, and the indeterminate and evolving nature of colonial identities, it becomes clear that Sand’s Indiana carries intimations of the intermingling of diverse peoples in unequal relationships of power, of the emergence of a discourse on creolization, and of newly emerging racial taxonomies.
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Lélia, ou l’héroïne impossible
Isabelle Hoog Naginski
pp. 87–106
AbstractFR:
Lélia est un personnage dont l’existence, selon George Sand, était « tout à fait impossible… à force de vouloir être abstraite et symbolique », mais qui s’est néanmoins avéré être une figure riche par la polyvalence de son destin littéraire. Violemment attaquée par certains critiques, tout aussi ardemment adulée par des lectrices enthousiastes, elle n’a cessé d’exercer une fascination dans la sphère culturelle de son temps. Barbey d’Aurevilly lui rendra hommage dans sa nouvelle de 1840, « L’amour impossible ». Et Balzac s’en inspirera pour créer « le plus grand écrivain de la Comédie humaine », Camille Maupin.
EN:
Lélia is a character whose existence, according to George Sand, was « tout à fait impossible… à force de vouloir être abstraite et symbolique », but who nonetheless proved to be a figure with a rich literary destiny. Violently attacked by certain critics, just as ardently admired by enthusiastic female readers, she exerted a great fascination in the cultural sphere of her time. Barbey d’Aurevilly will pay tribute to her in his short story of 1840, « L’amour impossible ». And Balzac will be inspired by her as he creates « the greatest writer of the Comédie humaine », Camille Maupin.
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Tableau et coup de théâtre : le pathétique dans Adriani
Shira Malkin
pp. 107–122
AbstractFR:
Alors qu’elle écrit de front pour le roman et pour le théâtre dans le but de créer des fictions atten-drissantes, George Sand emploie dans son roman Adriani (1853) les techniques du tableau et du coup de théâtre qu’elle emprunte au drame bourgeois inventé par Diderot et perfectionné par Sedaine. Marquée pour un temps par l’esthétique du pathétique que prisait le public du Second Empire, Sand en problématise les enjeux idéologiques, surtout en ce qui concerne le personnage féminin en état de crise. Alliant plusieurs modes de représentations dans l’espace même du roman, Sand en reproduit les codes pour ensuite proposer une autre finalité romanesque pour le sujet éploré.
EN:
At a time when she was writing simultaneously for the novel and for the theatre in order to create melodramatic stories, George Sand used in her novel Adriani (1853) the techniques of the tableau and the coup de théâtre, which she borrowed from the genre of serious drama invented by Diderot and perfected by Sedaine. Influenced for a time by the aesthetic of pathos which was popular with the audiences of the Second Empire, Sand problematized its ideological implications, especially with regard to the character of the female mourner. Juxtaposing several modes of representation within the novel’s framework, Sand reproduced their own distinctive codes before proposing another type of fictional outcome for the female sufferer.
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Le mentir narratif : personnages et narrateurs mensongers chez Sand
David A. Powell
pp. 123–141
AbstractFR:
Qui dit conter une histoire, dit mentir. Dans tout récit le(s) narrateur(s) présente(nt) une composition fictive, inventée, imaginée — bref : un mensonge, comme nous l’assurent entre autres Vargas Llosa, Nietzsche et Proust. Plus intéressant encore sont les personnages qui (se) mentent. Telle est la contribution de Sand. Dans deux romans en particulier, Jacques et Ma soeur Jeanne, Sand met en jeu des personnages qui mentent, qui se mentent les uns aux autres et qui se mentent à eux-mêmes. Il y a évidemment des narrateurs qui mentent, mais au-delà du mensonge qu’est l’écriture narrative, ces narrateurs malmènent le lecteur avec leurs menteries. Le mensonge narratif tient chez Sand une place considérable à la fois pour la structure narrative et pour la thématique.
EN:
To tell a story is to lie. Narrators of all stories put forward a fictional, invented, and imagined paradigm — in short, a lie. Many writers, including Vargas Llosa, Nietzsche and Proust, guarantee the central position of lying in telling stories. Even more interesting is the phenomenon of lying characters. Herein lies Sand’s contribution. In two novels especially, Jacques and Ma soeur Jeanne, Sand puts unreliable characters into play, characters that lie, that lie to each other, and that lie to themselves. And while there are narrators who lie, their lies go beyond the falsehood that is narrative fiction to deceive the reader. Fictional lying occupies a crucial rank in Sand’s works that is just as central to the narrative as to the thematic structure.