Volume 24, Number 1, Summer 1991 Vérités à la Marivaux Guest-edited by Raymond Joly and Marie-Josée Perron
Table of contents (12 articles)
Études
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Du "Jeu de l'amour et du hasard" aux "Fausses confidences" : remarques sur l'évolution du théâtre de Marivaux
Michel Gilot
pp. 9–18
AbstractFR:
La crise de pessimisme social que Marivaux a connue autour de 1733 se manifeste très fortement dans son théâtre : dans le Petit-Maître corrigé , la Mère confidente et le Legs , les murs de l'époque apparaissent sous un jour de plus en plus sinistre. On pourrait considérer chacune de ces comédies comme une forme dégradée des systèmes dramatiques qu'il avait mis en uvre au cours de la décennie précédente et dont les Fausses Confidences devaient représenter l'aboutissement. Mais avec ces pièces Marivaux a commencé d'en inventer un nouveau, qui occupera une place importante dans son dernier théâtre : l'épreuve organisée.
EN:
Towards 1733 Marivaux underwent a crisis of social pessimism which appears markedly in his drama : in le Petit-Maître corrigé, la Mère confidente and le Legs, the manners of the age are shown in an increasingly sinister light. Each of these comedies can be viewed as a degraded form of the dramatic systems Marivaux had used during the preceding decade and of which les Fausses Confidences are the outcome. But in these plays Marivaux is experimenting with a new dramatic system which will loom prominently in his last plays : the arranged trial.
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Marivaux et la vie théâtrale de 1730 à 1737
David Trott
pp. 19–29
AbstractFR:
La méconnaissance du théâtre de Marivaux entre 1730 et 1737 pose le problème de la relation entre ce corpus abondant et le contexte originel de sa production/réception. Le théâtre marivaudien se distingue du théâtre classique en ce qu'il met en valeur le jeu de rôles et l'autoreprésentation. Il sera relégué à des scènes non officielles - où il prospérera - pour avoir voulu trop tôt, avant Diderot et son Paradoxe , entreprendre une première description et systématisation de l'art de feindre.
EN:
The underestimation of Marivaux' theatre from 1730 to 1737 raises issues such as the connection between its relative volume and the context in which it was first produced and received. It stands apart from classical theatre by virtue of a highlighting of role-playing and self-representation. It will be relegated to private stages-where it will flourish-for having attempted prematurely, prior to Diderot's Paradoxe, a notation and systematisation of the art of acting
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Trois "philosophes" de 1734 : Marivaux, Prévost et Voltaire
Jean Sgard
pp. 31–38
AbstractFR:
En 1734 se développe un débat sur la notion de philosophie. Prévost avait opposé, dans Cleveland et dans le Pour et contre , la philosophie « anglaise » à une « française », d'inspiration chrétienne. Dans le Cabinet du philosophe , Marivaux prend parti pour la seconde; il fonde la morale et la religion sur des « lumières naturelles » innées; il reprend l'apologétique pascalienne dans un vocabulaire moderne (raison, sociabilité, vertu), mais il donne pour mission au philosophe d'approfondir les vérités religieuses. À l'opposé, Voltaire, dans les Lettres philosophiques , limite l'usage du mot philosophie à l'empirisme anglais, donnant ainsi à ce qu'on appelait la « philosophie païenne ou naturelle » une assise théorique.
EN:
The year 1734 saw the emergence of a debate concerning the notion of philosophy. In Cleveland and le Pour et contre, Prévost had contrasted "English" philosophy with "French", the latter being Christian in inspiration. In le Cabinet du philosophe Marivaux took up the cause of "French" philosophy, ascribing morality and religion to the innate "light of nature" (lumières naturelles), and reaffirming Pascal's apologetics in modern terms (reason, sociability, virtue). For Marivaux, the philosopher's mission, however, remains that of giving greater depth to the truths of religion. By contrast, Voltaire, in Lettres philosophiques, restricts the application of the word philosophy to English empiricism, thereby placing what was known as "pagan or natural philosophy" on a theoretical foundation.
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Marivaux dans les jardins de Socrate ou l'anti-"Banquet"
Robert Tomlinson
pp. 39–49
AbstractFR:
On ne s'est jamais interrogé sur la portée de la philosophie d'Hermocrate, le reclus du Triomphe de l'amour , philosophie qui sera remise en cause par l'arrivée d'une jeune princesse dans sa retraite. Nous proposons un rapprochement avec le Banquet de Platon et nous relevons des ressemblances éclairantes entre les deux textes; elles résident essentiellement dans les schémas dramatiques et dans le narcissisme des projets pédagogiques des philosophes, Socrate et Hermocrate. Au contraire d'Alcibiade, dont l'intervention reste inefficace dans le dialogue de Platon, Léonide-Phocion, chez Marivaux, réussit à séduire l'élève du philosophe et rend celui-ci à un monde imparfait marqué des cicatrices du désir.
EN:
Despite the fact that le Triomphe de l'amour presents a reclusive philosopher whose philosophy is challenged by the arrival of a young princess in his secluded retreat, the intellectual significance of his theories has never been examined. Through a reflection on Plato's Symposium, this article attempts to explore the significant resemblances between the two texts. These lie essentially in their dramatic schemas and in the narcissistic character of the pedagogical projects of the two philosophers in question, Socrates and Hermocrate. In contrast to the ineffectual intervention of Alcibiades in the Symposium, that of Léonide-Phocion in le Triomphe de l'amour succeeds in seducing the pupil of the philosopher and introduces him to a world marred by the fact of desire.
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La haine du philosophe : notes pour une lecture psychanalytique du "Triomphe de l'amour"
Raymond Joly
pp. 51–62
AbstractFR:
L'auteur narcisse dans les Lettres sur les habitants de Paris et le philosophe vaincu par un narcisse androgyne dans le Triomphe de l'amour et de la perversion.
EN:
The writer as Narcissus in the Letters on the People of Paris, and the philosopher defeated by an androgynous Narcissus in The Triumph of Love and perversion.
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Le prince, le philosophe et la femme-statue : une lecture de "La dispute"
Walter Moser
pp. 63–80
AbstractFR:
Cette lecture insère le texte de Marivaux dans une série de réappropriations du mythe de Pygmalion par divers auteurs des Lumières. Il s'agit chaque fois d'une mise en discours expérimentale de la question de l'origine, du passage de la nature à la culture. La version théâtrale de Marivaux a ceci de particulier que sa fictionalité déclarée et sa structure du double registre dramatique nous permettent de lire les enjeux de pouvoir sous-jacents et le statut problématique des concepts fondateurs de l'expérimentation. On fait appel à la notion derridienne de supplémentarité pour déplacer la question de la naïveté de l'auteur à l'égard de la valeur expérimentale de l'intrigue dramatisée vers une question de lucidité du texte.
EN:
This reading examines Marivaux's work in the context of a series of adaptations of the Pygmalion myth by various Enlightenment authors. Each features the embodiment in experimental discourse of the question of origin, the transition from nature to culture. What sets Marivaux's dramatic version apart is its declared fictionality and its two-tiered dramatic structure, which enable us to come to grips both with the underlying issues of power and with the problematic status of the concepts governing the experiment. The article invokes Derrida's notion of supplementarity to displace the question of the author's naïveté as regards the experimental value of the dramatized intrigue for that of the lucidity of the text.
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Le problème Marivaux : le faux dans "Les fausses confidences"
Christoph Miething
pp. 81–94
AbstractFR:
Où est le faux dans les Fausses Confidences ? Chez le lecteur, le spectateur ou le metteur en scène - ou chez Marivaux. Il est chez l'amateur ou l'exégète lorsqu'ils veulent goûter ou expliquer allègrement la comédie sans mettre de côté aussi radicalement que ce projet l'exigerait le sérieux de la vie et leur volonté de connaissance. Il est chez l'auteur, si l'on ne refuse pas de reconnaître dans cette pièce le problème de l'existence de Marivaux, qui réside dans l'inadéquation entre son talent esthétique et sa raison analytique.
EN:
Wherein lies "le faux" of les Fausses Confidences ? In the reader, the spectator or the director, or, alternatively, in Marivaux? It lies in the Marivaux lover or exegete, if he is unable to lay aside as he must his own high seriousness and will to knowledge in enjoying or interpreting les Fausses Confidences as pure unencumbered comedy. It lies in Marivaux, if one is prepared to recognize the problem of Marivaux's existence-le problème Marivaux-in the play. This problem consists in Marivaux's inability to raise his analytical powers to the level of his aesthetic gifts.
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Les lieux communs romanesques dans "La vie de Marianne"
Henri Coulet
pp. 95–104
AbstractFR:
Emplois très divers des topoi romanesques dans les premiers romans de Marivaux : dans leur registre héroïco-sentimental d'origine, dans la parodie, sur le mode comique à des fins de peinture du monde réel. Le jeu avec la topique dans la Vie de Marianne : reprise, variation, recombinaison, changement d'éclairage, etc. Considérations générales sur l'indépendance des topoi par rapport aux thèmes et aux styles, sur leur fonction et sur leur devenir.
EN:
Marivaux's early novels show a highly diverse use of novelistic toposes in the heroico-sentimental range of their genesis and in parody, as well as in the comic mode of their depiction of the real world . La Vie de Mariannerings all the changes on the topic: repetition, variation, recombination, changes in lighting, etc. This article provides some general reflections on the independence of the toposes with regard to themes and styles, as well as their function and realization.
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Effets accessoires : de la parure dans "La vie de Marianne"
Elisabeth Haghebaert
pp. 105–119
AbstractFR:
Apporter un point de vue éclectique sur un aspect discrètement provocateur de la Vie de Marianne - la parcimonie du détail relatif à la parure -, tel est le propos. Par le biais du « bricolage », c'est-à-dire en recourant aussi bien à la dimension métatextuelle du texte qu'à diverses instances critiques externes, on observe l'aspect fonctionnel de l'accessoire dans l'économie générale du roman. Il est question de la place du vêtement et, ponctuellement, des dessous du langage; bref, de l'effet des effets; autrement dit : de la signifiance du détail insignifiant.
EN:
The purpose of this article is to bring an eclectic point of view to bear on a lightly provocative aspect in la Vie de Marianne : scarcity of detail in the description of clothing and its relation to scriptural metaphor. By a collage of varied approaches, that is to say, by referring to the metatext as well as by using other critical resources and in light of selected citations or facts, this essay examines the functional aspect of the accessory in the general economy of the novel. It especially concerns the role of clothing and its relation to the doubles ententes of language, in short, it underlines the importance of the unimportant.
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L'inceste évité : identification et objet chez Marivaux entre 1731 et 1737
René Démoris
pp. 121–135
AbstractFR:
La curieuse récurrence de certains noms ou fragments de noms propres chez Molière, Marivaux ou Laclos n'est peut-être pas sans rapport avec ce qui, de significations latentes, habite leurs textes; en cette affaire les cadets n'oublient pas leurs aînés, les fils ne parviennent pas à oublier les pères. À partir du nom de Marian(n)e, on a donc tenté d'interroger la configuration affective et libidinale du roman de Marivaux, à l'aide notamment des concepts freudiens d'identification et de choix d'objet; ce qui conduit à analyser les aspects régressifs de cette aventure néo-familiale et la manière dont le siècle - et non Marivaux seul - tente de se tirer de l'inquiétante proximité du libidinal et de l'affectif. L'inceste évité, mais à quel prix?
EN:
The odd recurrence of certain names or fragments of proper names in the works of Molière, Marivaux or Laclos may not be unrelated to latent meanings in their texts; in this regard, the young do not forget their elders, the offspring never manage to cast off their fathers. Starting with the name of Marian(n)e, this article seeks to explore the affective and libidinal configuration of Marivaux's novel with the help of the Freudian concepts of identification and object fixation. This leads us to an analysis of the regressive aspects of Marivaux's novel and of the way in which the age-and not just Marivaux-tried to extricate itself from the disquieting proximity of the libidinal and the affective. Incest is avoided, but at what cost?