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Proie, acteur et signe ?

Les peuples des régions circumpolaires vivent depuis toujours au contact des animaux et ces derniers sont, sans aucun doute, les principaux responsables des différentes vagues migratoires humaines qui s’y sont succédées. Dans le Nord canadien, contrairement aux régions arctiques eurasiatiques, les chasseurs-cueilleurs prédominent. À la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, des Occidentaux ont investi ces espaces et tenté d’y implanter des élevages de rennes en faisant venir des Sami de Scandinavie, notamment en Alaska, dans le Nord-Ouest du Canada et en Terre de Baffin (Laugrand et Oosten 2015). Parfois, pour faire face à la pénurie des caribous et aux besoins vestimentaires des Inuit, le gouvernement canadien a importé des peaux de rennes d’élevage, comme ce fut le cas au Nunavik en 1956, selon un souvenir de l’anthropologue Bernard Saladin d’Anglure (2015). Mais ces initiatives ont remporté relativement peu de succès en ce sens qu’elles n’ont jamais convaincu les Inuit de se lancer dans l’élevage qui, aujourd’hui encore, demeure marginal dans ces régions, se limitant à quelques entreprises d’élevage de rennes et de boeufs musqués. Les peuples de l’Arctique ont cependant très tôt domestiqué le chien qui, avec le temps, est devenu un compagnon indispensable pour la chasse, le transport des biens et la protection. En raison de cette proximité de l’humain et de l’animal depuis des temps très anciens, le bestiaire des Inuit nous paraissait un thème incontournable. Il l’est d’autant plus qu’à l’heure de l’anthropocène et de la préservation des milieux, les animaux figurent au centre des préoccupations.

À une époque où la vaste zone de l’Arctique est considérée comme l’un des derniers espaces « naturels » avec un environnement fragile et changeant, les animaux ne sont plus seulement des proies mais des témoins importants susceptibles de révéler bien des phénomènes et des évolutions. Des micro-organismes comme le plancton seraient des indicateurs exceptionnels. Parmi les grands mammifères, l’ours polaire est devenu une véritable icône du réchauffement climatique. Non sans paradoxe, il est le grand absent de ce numéro, ce qui s’explique aussi par la littérature abondante auquel il a donné lieu depuis la belle monographie de Vladimir Randa (1986). L’émergence de nouvelles espèces d’ours – des hybrides entre le grizzly et l’ours polaire (Rohner 2016a) – n’est du reste pas encore prouvée car dans le cas relevé, il s’agissait en fait d’un simple grizzly à la fourrure blonde (Rohner 2016b). Difficile donc de voir ici un autre signe des transformations importantes que connaissent les régions nordiques. Dans tous les cas, le Grand Nord reste un espace où l’humain ne saurait vivre sans l’animal, ce qui montre bien à quel point il est essentiel de ne pas séparer trop vite les règnes pour privilégier plutôt une approche interspécifique susceptible de mettre en lumière cette interdépendance des êtres. Pour la plupart des peuples arctiques, la question paraît évidente mais les Occidentaux ne s’en rendent pas toujours compte. Les Inuit, par exemple, se battent depuis longtemps pour faire valoir leurs droits de chasse, quitte à interpeller les groupes écologistes en leur rappelant combien l’animal leur est indispensable. On connaît l’ouvrage majeur que George Wenzel (1991) a publié en plein conflit sur la chasse au phoque entre les Inuit de l’île de Baffin et les écologistes de Greenpeace et dont le titre, Animal rights, human rights résume bien cette interdépendance des êtres, les humains n’existant pas sans les animaux. Rappelons que certains mythes inuit expliquent l’inverse, le besoin des animaux à voir leur enveloppe corporelle se renouveler par l’action du chasseur. Ainsi, comme les humains renaissent par les noms qu’ils se transmettent, les animaux renaissent par le recyclage des chairs. Depuis 20 ans, les écologistes ont néanmoins beaucoup progressé dans leur compréhension des réalités nordiques et plusieurs associations travaillent aujourd’hui de concert avec des chasseurs pour défendre la protection des environnements terrestres et marins. C’est le cas, par exemple, de Greenpeace qui a fait amande honorable et s’est associé aux Inuit de Clyde River pour mener une action en justice dans le but de faire cesser les essais sismiques dans les eaux côtières de l’île de Baffin. De tels regroupements paraissaient impensables il y a une décennie à peine, mais devant l’explosion des activités minières et pétrolières, et face aux menaces grandissantes, des alliances sont devenues possibles.

Partout dans l’Arctique, les peuples continuent toutefois de faire valoir leurs droits de chasse. Au Canada, les Inuit ont à peine célébré la naissance du Nunavut, en 1999, qu’ils ont immédiatement emboité le pas aux peuples de l’Alaska et repris la chasse à la baleine, augmentant chaque année les quotas de chasse (Saladin d’Anglure 2013). À cet égard, il semble bien que les biologistes se soient trompés dans leurs savants calculs, et pas seulement avec les bélugas, mais aussi avec les baleines et les ours polaires (Dowsley et Wenzel 2008). Certains biologistes reconnaissent maintenant que les points de vue des chasseurs inuit étaient plus justes que leurs statistiques et leurs estimations chiffrées. Mais au-delà de ces calculs, les peuples du Grand Nord restent attachés plus que jamais à la prédation (Fienup-Riordan 1983 ; 2000 ; Laugrand et Oosten 2014). Dans plusieurs régions du Nunavut et du Nunavik, des baleines sont chassées annuellement et leur épiderme partagé entre les villageois de plusieurs communautés (Fréchette 2013). Ailleurs, les animaux sont exploités, parfois de façon industrielle. En Alaska, où l’extraction pétrolière a repris, l’animal est depuis longtemps considéré comme une ressource tout aussi stratégique, comme l’illustre l’exploitation du crabe et du saumon, par exemple. Il en va de même au Groenland, où le poisson et d’autres ressources halieutiques sont exploités depuis longtemps à une échelle industrielle et exportés dans le monde. On le constate, dans l’Arctique comme ailleurs sur la planète, le développement économique et, il faut ajouter maritime – puisqu’il faut bien extraire et exporter ces ressources –, exerce de nouvelles pressions sur les écosystèmes. De ce point de vue, les pires scenari ne sont pas exclus car ce qu’il est convenu de nommer les « stocks » animaux qui ne tiendront peut-être pas longtemps face à l’augmentation continuelle des prélèvements et à la destruction des environnements. Globalement, les territoires sanctuaires où les animaux sont protégés et peu ou pas chassés sont en recul, et la pression des humains sur l’environnement ne fait que s’accroître.

Depuis longtemps, les questions animales sont épineuses et complexes. Rappelons que s’il est un terme difficile à traduire en langue inuit, c’est bien celui d’animal. Les Inuit distinguent, comme le rappelle Randa (1994), les animaux de la terre, soit « ceux qui marchent » (pisuktiit), les mammifères marins, « ceux qui respirent » (puijiit), les oiseaux ou ceux qui volent (tingmiat), les poissons (imarmiutait), les petites bestioles (qupirruit) et les animaux domestiques, ceux que les Blancs élèvent et parmi lesquels les Inuit classent leur chien (qimmiq). Les termes uumajuit et nirjutiit désignent les animaux qui sont consommés, mais ils sont en aucun cas un équivalent du terme générique d’animal. Les Inuit utilisent plutôt des catégories spécifiques et leurs relations à ces animaux varient selon ces catégories. Ils pensent également les bêtes les unes en rapport aux autres, conscients plus que quiconque de la chaîne trophique et des liens qui existent entre les espèces : le lichen permet la vie du caribou et ce dernier l’existence des loups. De ce point de vue, la présence d’un animal en annonce souvent un autre ou inversement. Fins observateurs d’un univers en constante transformation, les chasseurs ont ainsi développé des savoirs remarquables sur les animaux.

Consommé ou utilisé, l’animal arctique est, en effet, un partenaire indispensable pour les humains. Acteur central, il ne saurait être maltraité. Emile Imaruittuq, originaire d’Igloolik, a donné des exemples précis de punitions que les animaux peuvent infliger aux humains qui manquent de respect à leur égard :

You are not allowed to abuse animals or toy with them. Not too long ago, there was a hunter who tried to tire out a caribou with his snowmobile, to a point where the caribou was having a hard time breathing. Later in life he developed breathing problems.

If you legitimately hunt wildlife and don’t cause them to suffer, if you respect them, then it is fine. There will be suffering on occasion but you have to try and minimize this out of respect for the animal. We should not even make nasty comments about wildlife. We shouldn’t quarrel about them amongst ourselves. Wildlife has been placed on this Earth for us to use, but we must treat them with respect. When we started dealing with land claims we had to talk a lot about wildlife. This created a lot of fear amongst the elders. They used to tell us not to quarrel about wildlife because this was a very dangerous thing to do. We explained to them that we had to quarrel about the wildlife because we were negotiating with the qallunaat and this was a qallunaat process. We explained that we were legitimately negotiating over the wildlife. This is a piqujaq (a rule) that we must adhere to. We should not quarrel about wildlife or it will take revenge on us.

Oosten et Laugrand 1999, 38

Si les animaux sont ainsi à la disposition des humains, ces derniers doivent redoubler de prudence et les respecter au risque d’en payer le prix. Par exemple, plusieurs aînés inuit affirment que les tueries massives de chiens qui se déroulèrent dans les années 1950 et 1960 au Nunavik et sur l’île de Baffin ont provoqué des traumatismes pérennes parce que les chiens ont été éliminés sans égards aux conditions dans lesquelles ils peuvent être normalement tués (Lévesque 2008, 2018).

Toutes les bêtes n’occupent évidemment pas la même place dans l’échelle des valeurs ou dans les usages. Au Canada, les animaux les plus importants pour la vie quotidienne sont les phoques, les caribous, les poissons, les oies, les lagopèdes et les lapins. La baleine, le morse et l’ours sont des gibiers de choix, tout comme le boeuf musqué, mais ces viandes ne sont pas disponibles partout.

Le cas du phoque est emblématique car les Inuit en exploitent toutes les parties depuis longtemps comme l’illustre les films magnifiques de Myna Ishulutaq (Tajarnit en 2008 et Qipisa en 2016) ou Inuk en colère de Alethea Arnaquq-Baril (2016). Comme l’écrivait jadis un groupe d’étudiantes du Nunavut Arctic College dans cette même revue, le phoque figure en effet au coeur de l’identité et de l’être inuit (Peter et al. 2002). Aînés, chasseurs, femmes inuit s’accordent à reconnaître la centralité de cet animal dans la culture, un point de vue qu’a relevé jadis Kristen Borré (1991, 54 ; 1994) qui rapporte que des femmes inuit de Clyde River lui ont confié que le sang de phoque est à l’origine du sang des humains, d’où ses propriétés régénératrices et fortifiantes.

Mais c’est aussi du gibier marin, notamment de la baleine, si l’on en croit les propos rapportés jadis par Milton Freeman et al. (1998). Quant au caribou, sa présence est capitale pour tous les peuples nordiques qui le chassent ou l’élèvent mais le consomment depuis des millénaires. Les techniques de chasse ont, certes, beaucoup changé avec les armes à feu, mais le caribou demeure un gibier de choix. L’animal, sujet à des cycles et à d’importantes variations, reste difficile à anticiper, et de ce point de vue, les biologistes et les chasseurs contemporains en sont au même point. Quant aux poissons, ils sont péchés en grand nombre dans tout l’Arctique où les fishing derby sont des activités très populaires dans certaines communautés. À l’exception des Ahiarmiut, tous les Inuit consomment enfin du gibier marin, comme le morse dont les mythes rappellent ses liens avec le caribou.

À l’autre extrémité du spectre, corbeaux, petites bestioles, carcajous et loups ne sont pas consommés, mais leur rôle est tout aussi important. Plusieurs articles de ce numéro le montrent.

L’animal, sujet de discorde ?

De nos jours, l’animal arctique est devenu un sérieux sujet de discorde. Plusieurs conflits se sont construits au fil des décennies et les solutions semblent difficiles à imaginer. Rappelons quelques-unes de ces controverses entre Inuit et non Inuit.

Une première série de désaccords portent sur les prélèvements que font les chasseurs alors qu’un grand nombre d’animaux sont jugés en danger ou en voie de disparition. Or, pour les Inuit, pas question de cesser la prédation. Un exemple récent provient de l’Alaska où des chasseurs ont été violemment stigmatisés. Évoquons ici le cas de Chriss Apassingok, cet adolescent de 16 ans de Gambell (île Saint-Lawrence) qui a été humilié sur les réseaux sociaux et a reçu des menaces de mort des adeptes de la Deep ecology parce qu’il avait harponné une gigantesque baleine de 17 mètres et âgée de 200 ans pour son village (Smith 2017). Ou encore, le cas de la chanteuse de gorge Tanya Tagaq de Cambridge Bay qui s’est faite humilier et même menacer sur les réseaux sociaux après avoir publié une photo montrant sa fille couchée près d’un phoque qu’elle venait tout juste de chasser (Dean 2014).

Dans l’Arctique canadien, les chasseurs inuit se battent continuellement contre les quotas que les gouvernements et les biologistes entendent leur imposer. Quatre exemples qui défraient régulièrement la chronique sont le cas de l’ours polaire, du narval, du béluga et de la baleine boréale. Les chasseurs du Nord contestent les quotas de chasse qui leur sont imposés face à des scientifiques et des biologistes qui, de leur côté, craignent la disparition prochaine de ces animaux.

D’autres conflits récurrents portent sur les expériences que mènent les biologistes. L’usage de substances chimiques destinées à tranquilliser les animaux lorsqu’ils sont immobilisés ou capturés à des fins d’étude heurte les chasseurs. Pour les Inuit, ces substances altèrent la viande et affectent la sensibilité des animaux. Inversement, les biologistes ne voient pas les incidences de ces pratiques. Ces derniers continuent allègrement à poser des colliers-caméras aux caribous ou aux renards, ces objets n’ayant à leurs yeux que des effets minimes sur les animaux. Derrière toutes ces controverses, comment ne pas voir la lutte que se livrent deux univers cosmologiques, le naturalisme d’une part et l’animisme d’autre part, pour reprendre les catégories de Philippe Descola (2005) ?

Plus généralement parlant, la fiabilité des savoirs autochtones est souvent mise en doute. Les biologistes ignorent ces savoirs millénaires et minimisent leur portée. Il faut admettre que la science moderne demeure inflexible sur ses propres méthodes et ses conceptions. Pour les chasseurs inuit, par exemple, les animaux arctiques sont mobiles, ils se déplacent en permanence et réagissent aux actions des humains qui peuvent communiquer avec eux, comme l’illustre le cas de l’ours polaire considéré comme étant doté d’isuma, d’une capacité de pensée. Pour les biologistes, les animaux sont appréhendés de manière beaucoup plus statique, avec des découpages régionaux et toute communication interspécifique est exclue. Chasseurs et biologistes ne s’entendent ainsi quasiment jamais sur ce qu’il est convenu de nommer « les stocks ». L’exemple des narvals et des ours polaires est significatif, les chasseurs avançant qu’ils sont beaucoup plus nombreux que ne le prétendent les scientifiques. Aussi, même si les cosmologies se sont transformées avec la christianisation, l’irruption de la modernité et la sédentarisation, de nombreux chasseurs considèrent encore que plus on chasse les animaux, plus ces derniers se reproduisent et se présentent aux chasseurs (Borré 1991 ; Laugrand et Oosten 2014). De telles conceptions paraissent inconcevables pour des scientifiques, si bien qu’on peut se demander si l’idée de « co-management » qui est mise de l’avant par les biologistes et qui est même intégrée à la Loi sur la Faune et la Flore du Nunavut n’est, en effet, pas une duperie de plus, une manière subtile pour les Occidentaux d’imposer leur savoir et leurs méthodes, dans le contexte d’une bureaucratisation des communautés nordiques (Nadasdy 2003, 2005 ; Stevenson 2006).

Quelques témoignages recueillis auprès d’aînés du Nunavut montrent la profondeur de ces conflits. Lors d’un atelier de transmission des savoirs organisé à Rankin Inlet, Peter Suvaksiuq, originaire d’Arviat, a trouvé traumatisante l’expérience de poursuivre des caribous en hélicoptère pour les capturer avec un filet.

I used to work with wildlife officers. When we were dealing with caribou, we would go out by helicopter and put collars on them. The door of the helicopter would be removed and we would tranquilize them. I was using a 440 snow machine and I would go all over the place at full speed. There was a basket dangling from the helicopter. There were four caribou. One had been shot with a tranquilizer and had been netted. When the helicopter landed, the wildlife officer and I went to the caribou and released it. There was a small hill nearby. The weather was extremely clear. After this caribou disappeared, I was afraid. You could see where the caribou had gone, but its footprints disappeared at the hill. There were no footprints at all. They say that caribou can become ijirait. That caribou just disappeared. We went after more caribou. When you are collaring caribou and you cover their eyes, they become totally docile. When you remove the cover from their eyes, they start moving around again. There was one caribou that we were putting a collar on whose eyes had been covered that started walking on its hind legs.

Oosten et Laugrand 1999, 110

Suvaksiuq indique ici que les caribous capturés se sont transformés en ijirait, ces esprits invisibles connus dans toutes les communautés inuit comme des non-humains qui peuvent infliger de mauvais traitements aux humains, les capturer ou les violenter à leur tour.

Mariano Aupilaarjuk a, pour sa part, souligné que, même morts, les caribous ne sauraient être maltraités. Les ossements de caribou doivent au contraire faire l’objet d’un traitement spécifique :

There are times you would come across bones. For instance, bones from a caribou that had been killed by wolves. We were told if we came across bones on the ground we were to turn them around and then leave them. I still follow this practice today. I’ll explain the reason for turning the bones. If I am in bed sleeping, I would become very tired if I just slept on one side. I would feel better if I were to move. In the same way, bones become tired from just lying in one way. It is in order for them to feel better that we have to turn them the other way. That is the maligaq concerning bones. I still follow this because I want to take away their tiredness.

Oosten, Laugrand et Rasing 1999, 33

Dans leur article, Max Friesen et Andrew Stewart reviennent sur ces injonctions qui, visiblement, datent d’une époque ancienne. Quoiqu’il en soit, pour les Inuit, le caribou est plus qu’une ressource à préserver, à comptabiliser ou à gérer, et ses ossements demandent de l’attention. Les chasseurs vivent au contact des caribous depuis des siècles, sinon des millénaires, et interagissent avec eux sur d’autres bases que les Blancs qui les étudient et ne réduisent bien souvent ces usages à des superstitions.

De nos jours, une multitude de questions demeurent sans réponse. Les biologistes se demandent ainsi comment expliquer la surabondance des oies des neiges dans le Kivalliq et ailleurs dans le Nord canadien. Inversement, d’autres s’interrogent sur le déclin du caribou dans plusieurs régions, comme la harde de la rivière George et celle de Rivière aux Feuilles au Nunavik. En fait, la plupart des chercheurs qui s’attachent à saisir l’évolution des hardes de caribous ne peuvent se prononcer avec certitude, multipliant les hypothèses dont on ne saurait dire si elles sont réalistes ou pas. Eu égard aux caribous, certains évoquent la prédation des loups, d’autres l’épuisement de ressources comme le lichen ce qui pose la question de la compétition animale, certaines espèces se nourrissant des mêmes plantes comme le caribou et le boeuf musqué (George 2018). Une fois de plus, les chasseurs inuit n’y sont pour rien car la réintroduction de boeuf musqué dans certaines régions est bien une initiative des Occidentaux…

En somme, les savoirs inuit sont très pragmatiques et basés sur des millénaires de vie commune avec les animaux (voir par exemple, Nakashima 1991 et Henri 2012). Contrairement aux Blancs qui imaginent que l’animal se gère, de nombreux chasseurs estiment que l’animal dispose de sa propre agencéité ou qu’il appartient à Dieu, et donc qu’il échappe à la main de l’homme. Pour les Inuit, les initiatives les plus souhaitables restent celles qui consistent à mieux protéger les espèces, en particulier leurs aires de reproduction.

En dépit de ces conflits, Inuit et biologistes trouvent parfois des terrains d’entente, comme c’est le cas autour du morse dont la viande est aujourd’hui systématiquement testée avant d’être consommée, le but étant de déceler la présence ou non du parasite Trichinella. Inuit et biologistes s’entendent également sur la volonté de demeurer à l’écoute de la faune et de la flore. Grâce à des botanistes et des entomologues, il est ainsi maintenant admis que plus de 32 espèces de papillons existent au Nunavut mais que de nouvelles espèces sont en train d’arriver. Au Nunavik, par exemple, une nouvelle espèce de papillon, le Papaipema inquaesita, dont on n’avait jamais vu la trace au nord de l’Abitibi, a été observé.

Les rapports entre humains et animaux au coeur de ce numéro

On le constate, les thèmes relatifs aux animaux sont nombreux et le présent numéro n’entend pas épuiser le sujet. Bien au contraire, il s’agit de relancer les recherches sur les animaux et ce, sous des angles différents et complémentaires. Une part substantielle du numéro porte certes sur la dimension symbolique et cosmologique des animaux, sur les mythes et les rituels, sur la chasse et ses techniques, de même que sur les savoirs relatifs aux animaux, mais l’appel initial avait été ouvert de manière beaucoup plus large. Au regard des contributions reçues, le présent volume aborde donc surtout les questions ontologiques entourant les animaux, les récits qui les concernent et les pratiques cynégétiques.

Birgitte Sonne ouvre le numéro par une analyse de la symbolique du phoque, un des animaux les plus importants du bestiaire inuit et ce, tant au Groenland qu’en Alaska ou dans l’Arctique canadien. Son approche est cosmologique en ce sens qu’elle interroge la place de cet animal dans les mythes et les rituels des Inuit et des Yupiit. Grande spécialiste des mythes, elle livre ici les résultats d’une enquête magistrale qu’elle a menée pendant plusieurs décennies.

Pionnier de la recherche sur les questions animales auxquelles il a consacré sa thèse (voir Randa 1993, 1994), l’anthropologue Vladimir Randa, quant à lui, se concentre sur la pensée associative des Inuit du Canada, en particulier ceux d’Igloolik avec lesquels il travaille depuis plus de 30 ans. Randa fait ressortir les modalités d’association dans ce qu’il nomme l’imaginaire inuit. Son analyse est exemplaire, en ce sens qu’elle montre bien comment les Inuit pensent les animaux qui les font vivre depuis des millénaires (voir aussi Randa 2002).

Les quatre articles suivants ont une composante à la fois archéologique, ethnohistorique et actuelle. D’une part, ils se nourrissent de la collecte d’artefacts, de données tirées de l’ethnographie classique mais aussi de documents provenant de fonds d’archives. D’autre part, ils mobilisent un cadre théorique largement inspiré des réflexions contemporaines produites par des anthropologues sous d’autres latitudes comme Descola, Latour et Viveiros de Castro.

Erica Hill s’intéresse à la chasse au morse et à son rôle dans les croyances et les pratiques rituelles chez les Tchouktches et les Yupiget des îles du détroit de Béring et des côtes de Sibérie. Sa contribution est fort intéressante car elle révèle et interroge la présence de nombreux ossements de morses dans les cimetières, ce qui indique la centralité de cet animal dans la vie sociale et cérémonielle des peuples de ces régions maritimes.

Sean Desjardins, lui, se saisit des théories d’Eduardo Viveiros de Castro pour traiter des relations interspécifiques à l’époque où les Inuit n’avaient pas encore fait la rencontre des Euro-Américains. L’auteur revient sur les notions de multinaturalisme, de perspectivisme et de cosmopolitique et de transformation, autant de concepts fondamentaux dans les traditions chamaniques. Desjardins base sa recherche sur le site de Pingirqqalik, près d’Igloolik, mettant en perspective des objets et des mythes.

Thea Olsthoorn examine des différentes techniques de chasse qu’emploient les Inuit pour le phoque et le caribou, mais cette fois au Labrador, en particulier dans la région de Nain. Pour ce faire, Olsthoorn a fouillé d’importants fonds d’archives des Frères moraves qui, au XVIIIe siècle, ont évangélisé les Inuit de cette région. Elle fait ressortir les variations saisonnières mais également la dimension spirituelle de la chasse.

Max Friesen et Andrew Stewart abordent, eux aussi, le rôle des esprits maitres des animaux, des inuat, en particulier pour la chasse au caribou. Leur étude porte sur des artefacts archéologiques et des données ethnographiques recueillis dans la vaste région de la rivière Kazan, près de Qamanittuaq (Baker Lake), située dans le Kivalliq actuel (Nunavut). Les deux auteurs relèvent un paradoxe : alors que la littérature ethnographique laisse entendre que le respect des animaux était essentiel pour que les chasseurs puissent faire de bonnes chasses, les données archéologiques semblent contenir très peu d’indications à cet effet. Pourtant, les deux chercheurs ont identifié de nombreux sites où des os de caribous ont été placés sous des pierres pour éviter que les grands prédateurs comme les loups ou les carcajous ne les mangent, des gestes qui permettent de protéger les humains de la colère des inuat, les grands esprits maîtres des animaux.

Les quatre derniers articles portent surtout sur la période contemporaine même si des données historiques sont mobilisées. Les auteurs traitent d’autres animaux du bestiaire arctique, la plupart ne sont pas consommables –, notamment des oiseaux et des corbeaux, mais également des carcajous, des chiens et des loups.

Igor Krupnik analyse tout d’abord la taxonomie et les noms d’oiseaux chez les Yupiit de Sibérie. C’est ici, à partir des faits de langue qu’il interroge la symbolique et les savoirs des Yupiit sur les oiseaux. La recherche est très originale car relativement peu d’informations existent sur ce thème. Krupnik soulève enfin un paradoxe : alors que les biologistes multiplient leurs observations et documentent la présence de nombreuses espèces d’oiseaux, les savoirs autochtones semblent décliner en raison du recul des langues et de la culture. Classifications, terminologies et taxons deviennent des données complexes à analyser avec une multitude de mélanges et d’emprunts.

Ann Fienup-Riordan, nous conduit ensuite chez les Yupiit de l’Alaska où elle travaille depuis de nombreuses années avec des aînés. L’anthropologue analyse ici avec beaucoup de talent les récits oraux relatifs au corbeau et elle fait ressortir la richesse de ces traditions narratives. Le corbeau a visiblement conservé ses caractéristiques de trickster si bien qu’il peut à l’occasion disparaître une fois tué. Mais l’oiseau est aussi étroitement associé à la terre, une caractéristique que l’on retrouve dans l’Arctique de l’Est canadien.

À partir d’informations éparses recueillies dans l’ethnographie classique et de quelques témoignages d’aînés du Nunavut, Frédéric Laugrand a pour sa part choisi de s’intéresser à un autre trickster, le carcajou ou glouton. L’animal a été très peu étudié jusqu’ici et il semble occuper une place singulière dans l’univers cosmologique des Inuit. Laugrand observe que le carcajou a été déclassé avec la christianisation et la transformation des traditions chamaniques. Avec la christianisation, il ne joue plus un rôle majeur dans le chamanisme et semble presque devenir une sorte de nuisible, de prédateur qu’on accuse avec le loup, de dévorer les hardes de caribous.

Patricia Brunet et Francis Lévesque, eux, consacrent leur article aux chiens des Inuit, un animal qui, en raison de son nom (atiq), est probablement celui qui avec son cousin l’ours, est le plus proche des humains, selon la pensée inuit. Les auteurs mettent en relief les dynamiques culturelles et les représentations sociales du chien dans la communauté inuit de Kuujjuaq, au Nunavik, dressant un portrait général de la place du chien dans cette communauté. Ils montrent que les chiens y occupent une place qui oscille entre appréciation et répulsion, leurs fonctions pouvant varier considérablement selon les maisonnées.

L’approche que Patricia Brunet et Francis Lévesque déploient avec le chien contraste avec celle qu’Aiko Cappe adopte avec les loups de l’Arctique yukonnais. Ici, l’auteure ne cherche plus des représentations sociales et ne s’intéresse pas à la place du loup chez les autochtones, en l’occurrence les Gwichin. Elle privilégie plutôt une approche interspécifique centrée sur l’animal lui-même. Parler des loups revient pour elle à documenter des rencontres avec « des personnes singulières ». L’analyse est innovante et prometteuse mais difficile à mettre en place, car comment réaliser une véritable ethnographie animale sans mobiliser des informations humainement et culturellement marquées? S’il faut voir là tout un défi pour les chercheurs à venir, ce type d’approche ne remet pas en cause celles centrées sur les humains et sur la manière dont ces derniers perçoivent et interagissent avec les animaux.

Le tout dernier article est signé par une équipe de quatre chercheurs Audrey Simon, Johanne Saint-Charles, Francis Lévesque et André Ravel, et rédigé dans une perspective interdisciplinaire. Les auteurs s’interrogent à l’effet de savoir si une approche en éco-santé peut résoudre les problématiques liées aux chiens à Kuujjuaq où les Inuit cohabitent maintenant avec de nombreux Qallunaat. Les auteurs rappellent à juste titre qu’au Nunavik, les politiques publiques entourant les chiens sont calquées sur celles du sud du Québec et ne tiennent pas compte des normes et pratiques culturelles des Inuit. Or, ces derniers montrent que plusieurs problèmes pourraient être résolus avec un meilleur dialogue entre les partenaires locaux.

En somme, ce numéro sur le bestiaire inuit est loin d’épuiser un sujet complexe mais il montre au moins que si l’animal est souvent une proie et un sujet de discorde, il est aussi un acteur et un signe susceptible de faire dialoguer des intervenants de plusieurs horizons.


Prey, actor, and symbol?

The people of the circumpolar regions have always had a close connection to animals, and the movements of those animals are no stranger to the waves of human migration that occurred there over the ages. Northern Canada, unlike the Eurasian Arctic, is dominated by hunter-gatherers. In the late nineteenth and early twentieth centuries, Westerners began to move into these regions, where they attempted to raise reindeer herds by bringing Sami people from Scandinavia to Alaska, northwest Canada, and Baffin Island (Laugrand and Oosten 2015). On occasion, when there was a shortage of caribou, as was the case in Nunavik in 1956, the Canadian government would import farmed reindeer skins to meet the clothing needs of the Inuit, according to anthropologist Bernard Saladin d’Anglure (2015). However, these initiatives failed to convince the Inuit of the need to raise animals, and, even today, animal husbandry is rare in these regions, aside from a handful of reindeer and muskox breeders. The peoples of the Arctic were, however, early domesticators of the dog, which, over time, became an essential companion for hunting, protection, and the transportation of goods. Given the close connection between humans and animals since very early times, we felt the Inuit bestiary was an important theme to explore, especially since in this epoch of the Anthropocene and environmental conservation, animals are a key concern.

At a time when the vast Arctic zone is considered one of the last remaining “natural” spaces with a fragile and changing environment, animals are no longer simply prey; rather, they are important witnesses that can reveal all kinds of phenomena and changes. Microorganisms such as plankton are considered extraordinary indicators. Among large mammals, the polar bear has become something of a poster child for global warming. Paradoxically, it is noticeably absent from this issue, perhaps due to the considerable literature written about the polar bear since the impressive monograph by Vladimir Randa (1986) came out. The emergence of a reported new bear species—a grizzly/polar bear hybrid (Rohner 2016a)—has yet to be proven; as it turns out, the bear in question was in fact simply a grizzly with blonde fur (Rohner 2016b) and therefore not another manifestation of the major changes happening in the North. The fact remains that the Far North is a place where humans could not live without animals, an observation that highlights how essential it is to avoid rushing to separate the kingdoms instead of taking an interspecific approach that is more likely to shed light on this interdependence of beings. For most Arctic peoples, this seems pretty self-evident, but it is not always so cut and dry for Westerners. The Inuit, for example, have been fighting for years to have their hunting rights recognized, even having to prove to environmental groups how indispensable animals are to them. George Wenzel’s (1991) vital work, Animal Rights, Human Rights, which was published in the midst of the seal hunting conflict between the Baffin Island Inuit and Greenpeace activists, aptly illustrates this interdependence in which humans do not exist without animals. It is worth pointing out that some Inuit myths depict the opposite—namely, the animals’ need to have their physical being reborn through the actions of the hunter. In other words, in the same way humans are reborn through the names they hand down, so too are animals reborn when their flesh is “recycled.” Over the past twenty years, however, environmentalists have come a long way in their understanding of the North and, today, a number of associations work together with hunters to advocate for land and marine environment protection. Take, for instance, the case of Greenpeace, which made amends by teaming up with the Clyde River Inuit to undertake legal proceedings to put a stop to seismic blasting in the waters off Baffin Island. While this kind of partnership would have been unthinkable a mere decade ago, with the increase in mining and oil operations, and the growing threat they represent, such alliances are not so unusual today.

Nevertheless, people throughout the Arctic continue to fight to have their hunting rights recognized. In Canada, soon after celebrating the founding of Nunavut in 1999, the Inuit immediately followed the lead of the peoples of Alaska by relaunching the whale hunt and increasing hunting quotas from year to year (Saladin d’Anglure 2013). It appears that biologists were off the mark with their population counts, not only of the beluga but also whales and polar bears (Dowsley and Wenzel 2008). Some biologists now admit that the figures put forth by Inuit hunters were actually more accurate than their own statistics and estimates. However, over and above these population calculations, the peoples in the Far North remain more attached than ever to predation (Fienup-Riordan 1983, 2000; Laugrand and Oosten 2014). In a number of regions of Nunavut and Nunavik, whales are hunted on an annual basis, and their blubber is shared among the villagers of several communities (Fréchette 2013). Elsewhere, animals are harvested, sometimes on an industrial level. In Alaska, where oil extraction has started up again, animals have long been considered an equally strategic resource, as demonstrated by the crab and salmon fishing industries, for example. The same is true in Greenland, where fish and other fishery resources have been exploited for years on an industrial level and exported worldwide. In the Arctic and elsewhere around the planet, economic development (and maritime development too, since the resources need to be extracted and exported) is exerting new pressure on ecosystems.

In this context, the worst-case scenarios cannot be ruled out as animal “stocks,” as they are commonly known, may not hold out for long against the steady increase in harvests and the destruction of their environments. Globally, wilderness sanctuaries, where animals are protected and are either hunted on a very small scale or not at all, have been declining in recent years, while human pressure on the environment continues to grow.

The whole animal debate has long been a complex and tricky one. If there’s one word that is particularly difficult to translate into the Inuit language, it is “animal.” As Randa (1994) points out, the Inuit distinguish between land animals, those that walk (pisuktiit); marine mammals, those that breathe (puijiit); birds, those that fly (tingmiat), fish (imarmiutait), insects, worms, and the like (qupirruit), and domesticated animals—namely, Inuit dogs and those raised by the Whites (qimmiq). The terms uumajuit and nirjutiit refer to animals that are eaten, but they are by no means equivalent to the generic term “animal.” Rather, the Inuit use specific categories, and their relationship to these animals differs according to the category. They also consider animals in the context of their relationship to other animals, and they are keenly aware of the trophic chain and the links that exist between species: lichen provides sustenance for the caribou, while the caribou allows for the survival of the wolf. From this standpoint, the presence of one animal often indicates that of another, and vice versa. Hunters are frontline observers of a world in constant flux, and have developed considerable knowledge about animals.

Arctic animals, whether they are consumed or used for a particular purpose, are an essential partner for humans. They play a central role and must not be mistreated. Emile Imaruittuq from Igloolik cites specific examples of punishments animals can inflict on humans who fail to respect them:

You are not allowed to abuse animals or toy with them. Not too long ago, there was a hunter who tried to tire out a caribou with his snowmobile, to a point where the caribou was having a hard time breathing. Later in life he developed breathing problems.

If you legitimately hunt wildlife and don’t cause them to suffer, if you respect them, then it is fine. There will be suffering on occasion but you have to try and minimize this out of respect for the animal. We should not even make nasty comments about wildlife. We shouldn’t quarrel about them amongst ourselves. Wildlife has been placed on this Earth for us to use, but we must treat them with respect. When we started dealing with land claims we had to talk a lot about wildlife. This created a lot of fear amongst the elders. They used to tell us not to quarrel about wildlife because this was a very dangerous thing to do. We explained to them that we had to quarrel about the wildlife because we were negotiating with the qallunaat and this was a qallunaat process. We explained that we were legitimately negotiating over the wildlife. This is a piqujaq (a rule) that we must adhere to. We should not quarrel about wildlife or it will take revenge on us.

Oosten and Laugrand 1999, 38

When animals are at the disposal of humans, the latter must be doubly careful and respect those animals, at the risk of paying a heavy price. For example, a number of Inuit Elders mentioned that the wide-scale slaughter of dogs that occurred in the 1950s and 1960s in Nunavik and on Baffin Island triggered lasting trauma because the dogs were eliminated with no regard for the conditions under which they can normally be put down (Lévesque 2008, 2018).

Of course, not every animal holds the same importance in terms of value or use. In Canada, the most valued animals for everyday life are seals, caribou, fish, geese, ptarmigan, and hares. Whales, walrus, and bears are big-game animals of choice, as are the muskox; however, they are not necessarily present throughout the country.

The case of the seal is emblematic because, for years, the Inuit have used every part of the animal, as illustrated in the wonderful films of Myna Ishulutaq (Tajarnit 2008; Qipisa 2016) and in Angry Inuk by Alethea Arnaquq-Baril (2016). As explained by a group of Nunavut Arctic College students in an earlier issue of this journal, the seal is an integral part of Inuit identity and culture (Peter et al. 2002). Inuit Elders, hunters, and women all recognize the central role this animal plays in their culture, a point of view documented by Kristen Borré (1991, 54; 1994), who notes that Clyde River Inuit women told her that seal blood is in all Inuit, in whom it has fortifying and regenerative properties.

But it is also a marine game animal, like the whale, according to Milton Freeman et al. (1998). Caribou, for its part, is crucial for all northern peoples who hunt or raise the animal, and who have been eating its meat for millennia. While hunting techniques have changed dramatically with the introduction of firearms, the caribou remains a sought-after game animal. Because the caribou are subject to cycles and significant fluctuations, biologists and today’s hunters alike agree it is difficult to predict the animal’s outlook. As for fish, they are harvested in large numbers across the Arctic, where fishing derbies are very popular in some communities. With the exception of the Ahiarmiut, all the Inuit peoples eat marine game, including walrus. Many myths highlight the ties between the walrus and the caribou.

At the other end of the spectrum, while ravens, wolverines, wolves, insects, and worms and the like are not eaten, their role is nevertheless just as important, as shown in several articles in this issue.

Animals: A subject of discord?

Nowadays, Arctic animals have become a major subject of discord. Numerous conflicts have arisen over the decades, with no solutions in sight. It is worth revisiting some of those controversies between Inuit and non-Inuit.

One series of disagreements deals with hunting at a time when a large number of animal species are considered endangered. But for the Inuit, ceasing predation is not an option. A recent example in Alaska brought the conflict to the fore when hunters were aggressively stigmatized. Chriss Apassingok, a sixteen-year-old from Gambell, on St. Lawrence Island, was humiliated on social media and received death threats from

deep ecology activists for harpooning a huge, seventeen-metre, two-hundred-year-old whale for his village (Smith 2017). Another case involved throat singer Tanya Tagaq of Cambridge Bay, who was ridiculed and threatened on social media for posting a photo of her baby next to a freshly hunted seal (Dean 2014).

In the Canadian Arctic, Inuit hunters are in a constant battle with government and biologists about the quotas imposed on them. Four cases that regularly make the headlines are the polar bear, narwhal, beluga, and bowhead whale. Northern hunters dispute the hunting quotas while scientists and biologists fear the imminent disappearance of these animals.

Other recurring conflicts have arisen with regard to the experiments conducted by biologists. The use of chemical substances to tranquilize animals when they are captured or immobilized by researchers has angered Inuit hunters, who are concerned the drugs will alter the meat and affect the animals’ sensitivity. Meanwhile, biologists don’t see these impacts, and continue to go about fitting caribou and foxes with camera collars as they believe their practices have only a minimal effect on the animals. It is difficult not to interpret the cause of all these controversies as a conflict pitting two opposing cosmological viewpoints—naturalism vs. animism, as categorized by Philippe Descola (2005).

In a more general sense, the reliability of Indigenous knowledge is often questioned. Biologists are unfamiliar with this age-old knowledge and tend to minimize its scope. Modern science, it must be said, tends to be inflexible when it comes to its own methods and conceptions. Meanwhile, Inuit hunters believe Arctic animals are mobile, are in constant movement, and react to the actions of humans who can communicate with them, as illustrated by the case of the polar bear, which is considered endowed with isuma, the capacity for thought. But as far as biologists are concerned, animals must be viewed in a much more static fashion and studied according to regional breakdown, with no consideration for communication between species. As a result, hunters and biologists rarely agree on animal “stocks.” The narwhal and polar bear are two classic examples, with hunters insisting that animal population estimates are much higher than those put forth by scientists. And while the cosmologies have been transformed by Christianization, modernity, and sedentarization, many hunters still believe that the more they hunt, the more the animals reproduce and present themselves to the hunters (Borré 1991; Laugrand and Oosten 2014). Such conceptions are so inconceivable to scientists that one has to wonder whether the idea of co-management proposed by biologists, and incorporated into Nunavut’s Wildlife Act, is in fact just another deception, another subtle way for Westerners to impose their knowledge and methods in a context of the bureaucratization of northern communities (Nadasdy 2003, 2005; Stevenson 2006).

Some of the stories told by Nunavut Elders illustrate how deep these conflicts run. At a knowledge transfer workshop in Rankin Inlet, Peter Suvaksiuq, who hails from Arviat, recounts the traumatic experience of chasing caribou by helicopter to capture them with a net:

I used to work with wildlife officers. When we were dealing with caribou, we would go out by helicopter and put collars on them. The door of the helicopter would be removed and we would tranquilize them. I was using a 440 snow machine and I would go all over the place at full speed. There was a basket dangling from the helicopter. There were four caribou. One had been shot with a tranquilizer and had been netted. When the helicopter landed, the wildlife officer and I went to the caribou and released it. There was a small hill nearby. The weather was extremely clear. After this caribou disappeared, I was afraid. You could see where the caribou had gone, but its footprints disappeared at the hill. There were no footprints at all. They say that caribou can become ijirait. That caribou just disappeared. We went after more caribou. When you are collaring caribou and you cover their eyes, they become totally docile. When you remove the cover from their eyes, they start moving around again. There was one caribou that we were putting a collar on whose eyes had been covered that started walking on its hind legs.

Oosten and Laugrand 1999, 110

Suvaksiuq suggests that the captured caribou were transformed into ijirait, the invisible spirits known in every Inuit community as nonhumans that can inflict torment on humans, capture them, or mistreat them in turn.

Mariano Aupilaarjuk recounts how, even when they’re dead, the caribou must not be mistreated, and their bones must be handled with great care:

There are times you would come across bones. For instance, bones from a caribou that had been killed by wolves. We were told if we came across bones on the ground we were to turn them around and then leave them. I still follow this practice today. I’ll explain the reason for turning the bones. If I am in bed sleeping, I would become very tired if I just slept on one side. I would feel better if I were to move. In the same way, bones become tired from just lying in one way. It is in order for them to feel better that we have to turn them the other way. That is the maligaq concerning bones. I still follow this because I want to take away their tiredness.

Oosten, Laugrand, and Rasing 1999, 33

In their article, Max Friesen and Andrew Stewart discuss these practices, which clearly date from a much earlier time. The Inuit believe the caribou is more than just a resource that needs to be protected, inventoried, and managed, and that its bones require special treatment. Hunters have lived side by side with the caribou for centuries, even millennia, and interact with the animal on a different level than the white people who study them and who often dismiss such practices as mere superstition.

There are still many unanswered questions today. Some biologists struggle to explain the overabundance of snow geese in Kivalliq and elsewhere in the Canadian North, while others ponder the decline in caribou populations in several regions, including the George River herd and the Leaf River herd in Nunavik. In fact, most researchers studying the evolution of caribou herds are unable to pinpoint the exact cause with any certainty, instead proposing any number of hypotheses that may or may not be realistic. Some point to wolf predation, while others blame the decline on the depletion of resources such as lichen, which raises the question of competition with other wildlife, as some species—including the caribou and muskox—feed on the same plants (George 2018). Once again, it is through no fault of the Inuit hunters, as the reintroduction of the muskox in certain regions was a Western initiative.

Inuit knowledge tends to be highly pragmatic and based on thousands of years of shared life with animals (see Nakashima 1991 and Henri 2012). Unlike white people, who are convinced that animals should be managed, many hunters believe that animals possess their own agency or belong to God, and therefore cannot be controlled by Man. As far as the Inuit are concerned, the best initiatives are those that seek to better protect animal species, notably by protecting their breeding grounds.

In spite of these conflicts, the Inuit and biologists sometimes find common ground, as with the case of the walrus, whose meat is now systematically tested before being eaten, to check for the presence of the Trichinella parasite. They also agree on the need to remain attentive to changes in the flora and fauna. Thanks to the work of botanists and entomologists, it has now been confirmed that Nunavut is home to over thirty-two butterfly species, and that new species are appearing too. In Nunavik, for example, a new species of butterfly—Papaipema inquaesita—which had never before been spotted north of the Abitibi region, has been observed.

This issue’s focus: The relationship between humans and animals

This issue did not set out to make an exhaustive examination of the many themes relating to animals. Rather, it seeks to spur research on animals from a range of complementary viewpoints. While a substantial part of the issue deals with animal-related symbolic and cosmological aspects, myths and rituals, hunting techniques, and knowledge, the initial call for papers was much broader. Given the response we received, this issue looks primarily at the ontological questions surrounding animals, the tales that are told about animals, and hunting practices.

The first paper, by Birgitte Sonne, deals with the symbolism of the seal, one of the most important animals in the Inuit bestiary, in Greenland, Alaska, and the Canadian Arctic. She takes a cosmological approach in the sense that she examines the role of the seal in Inuit and Yup’ik myths and rituals. A renowned specialist in myths, Sonne discusses the findings of an extraordinary decades-long study she conducted.

Anthropologist Vladimir Randa, a pioneer in research on animal issues who wrote his thesis on the subject (see Randa 1993, 1994), is especially interested in the associative thinking of Canadian Inuit, particularly those in Igloolik with whom he has worked for over thirty years. Randa highlights the forms of association in what he refers to as the Inuit imaginary. His analysis is exemplary in that it shines a spotlight on how the Inuit think about the animals that have ensured their survival for thousands of years (see also Randa 2002).

The following four articles each have an archeological, ethnohistorical, and contemporary element. On one hand, they draw on the collection of artifacts and data taken from classical ethnography as well as documents from archival sources. On the other hand, they rely on a theoretical framework inspired in large part by the contemporary reflections of anthropologists from other parts of the world, including Descola, Latour, and Viveiros de Castro.

Erica Hill examines the walrus hunt and its role in the beliefs and ritual practices among the Chukchi and Yupiget peoples in the Bering Strait islands and along the coast of Siberia. Her fascinating paper reveals and discusses the presence of numerous walrus bones in the cemeteries there, indicating the essential role of the animal in the social and ceremonial lives of the peoples in these maritime regions.

Sean Desjardins, in his article, refers to the theories of Eduardo Viveiros de Castro to explore interspecific relationships prior to contact between the Inuit and European Americans. The author discusses the notions of multinaturalism, perspectivism, cosmopolitics, and transformation—all fundamental concepts in shamanistic tradition. Desjardins’s research, which focuses on the Pingirqqalik site near Igloolik, puts objects and myths into perspective.

Thea Olsthoorn looks at the different hunting techniques the Inuit have developed to hunt seal and caribou in Labrador, specifically in the region of Nain. In conducting her research, Olsthoorn combed through the extensive archives of the Moravian Brothers, who evangelized the Inuit there in the eighteenth century. She discusses the seasonal variations as well as the spiritual aspect of the hunt.

Max Friesen and Andrew Stewart also examine the role of inuat—the master spirits of animals—specifically related to the caribou hunt. Their study looks at archeological artifacts and ethnographic data collected in the vast Kazan River region near Qamanittuaq (Baker Lake), in current-day Kivalliq (Nunavut). The two authors highlight a paradox: the ethnographic literature suggests that respect for animals was essential in order for hunters to experience a successful hunt, while the archeological data contains very little indication to this effect. And yet the authors identified numerous sites where caribou bones had been placed beneath rocks to prevent predators like wolves or wolverines from eating them, a practice aimed at protecting humans from the anger of the inuat.

The last four articles deal primarily with the contemporary period, although they do make reference to historical data. The authors discuss other animals in the Arctic bestiary, most of them not for human consumption, such as birds and ravens, as well as wolverines, dogs, and wolves.

In his article, Igor Krupnik analyzes bird taxonomy and names among the Siberian Yupik. Using a language-based approach, he explores the symbolism and knowledge of the Yupik with regard to birds. His research is highly original since relatively little information exists about the topic. Krupnik also brings to light a paradox in that, while more and more biologists are observing and documenting the presence of many bird species, Indigenous knowledge appears to be diminishing with the decline of languages and culture. Classifications, terminology, and taxa are becoming increasingly complex to analyze, given the abundance of linguistic mixing and borrowed terms.

Anthropologist Ann Fienup-Riordan transports us among the Yupiit in Alaska, where she has worked for years with the Elders. Fienup-Riordan expertly analyzes the oral histories relating to the raven, revealing a rich narrative tradition. The raven, ever the trickster, can even sometimes disappear altogether when it is killed. But the bird is also closely linked to the land, a characteristic common in the east Canadian Arctic.

Based on sparse information gathered in the classical ethnography as well as the testimonies of a number of Elders in Nunavut, Frédéric Laugrand’s paper examines another trickster—the wolverine. Very little research has been done on the animal to date, despite the fact it occupies a singular place in Inuit cosmology. Laugrand notes that, with Christianization and the transformation of shamanic traditions, the status of the wolverine has waned. Since Christianization, it no longer plays a major role in shamanism, and has instead become something of a nuisance, a predator blamed, along with the wolf, for ravaging caribou herds.

The article submitted by Patricia Brunet and Francis Lévesque deals with the Inuit dog, an animal that, given its name (atiq), is, together with its cousin the bear, probably the closest to humans, according to Inuit belief. The authors highlight the cultural dynamics and social representations of the dog and the role it plays in the Inuit community of Kuujjuaq, in Nunavik. They explain how, depending on the household, dogs are treated differently, ranging from appreciation to revulsion.

The approach taken by Brunet and Lévesque in their article about Inuit dogs is in stark contrast to that of Aiko Cappe, who studies wolves in the Yukon Arctic. Cappe examines neither the social representations nor the role of the wolf among Indigenous Peoples, in this instance the Gwichin. Rather, she adopts an interspecific approach centred on the animal itself. She explores the topic of wolves by documenting her encounters with “singular individuals.” Her analysis, while innovative and promising, is difficult to implement. How does one truly engage in animal ethnography without drawing on human and culturally marked information? This type of approach, while posing a challenge to future researchers, does not call into question the approach focused on humans and on the way they perceive and interact with animals.

The final article was written by a team of four researchers—Audrey Simon, Johanne Saint-Charles, Francis Lévesque, and André Ravel—from an interdisciplinary perspective. The authors question whether an ecohealth approach can resolve the issues associated with dogs in Kuujjuaq, where the Inuit now live side by side with many Qallunaat. The four researchers rightly point out that in Nunavik, government policies regarding dogs are based on those in effect in the South, and do not take into account the cultural norms and practices of the Inuit. They suggest that many problems could be resolved through better dialogue among local partners.

To sum up, while this issue on the Inuit bestiary barely scratches the surface of a complex topic, at the very least it illustrates that, although animals are often seen as prey and a subject of discord, they are also important actors and symbols with the power to foster dialogue between stakeholders from all walks of life.