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Introduction

Les communautés nordiques sont profondément marquées par la prévalence du suicide des jeunes. Au Nunavut particulièrement, on note une augmentation importante des suicides à travers les années, soit de 10 à 110 pour 100 000 habitants entre 1972 et 2014, comparativement au reste des Canadiens qui ont conservé un taux similaire sur cette même période de temps (Hicks 2015). Les jeunes hommes de 15 à 24 ans sont les plus touchés (ibid.). Les facteurs de risques psychosociaux associés aux comportements suicidaires sont les mêmes que dans la population générale et comportent les expériences d’adversité durant l’enfance (Hicks 2007) ; la dépression et l’anxiété ; l’exposition à la violence, incluant la violence familiale, par les pairs, et l’abus sexuel ; la consommation d’alcool et de drogues (Borowsky et al. 1999 ; Chachamovich et al. 2015 ; Howard-Pitney et al. 1992 ; Kirmayer et al. 1998 ; LeMaster et al. 2004 ; Yoder et al. 2006). La prévalence plus élevée de ces facteurs dans une majorité des communautés autochtones est souvent liée dans la littérature scientifique aux effets de la colonisation. Les politiques d’assimilation ont bouleversé les modes de vie inuit à une vitesse fulgurante dans les pratiques entourant la subsistance, le logement, l’éducation et les soins médicaux (Ives et al. 2012), provoquant des transformations profondes des relations entre les générations (Kral et al. 2011) et ébranlant le sentiment d’identité culturelle et collective (Taylor 1997).

Le taux de suicide élevé et l’exposition fréquente à la violence chez les jeunes Inuit peuvent être compris comme des symptômes d’un mal-être plus profond, lequel porte inévitablement les traces de l’héritage de la colonisation. L’étendue de la souffrance, mais également la dynamique fort complexe dans laquelle elle s’inscrit historiquement et culturellement, peuvent nous laisser impuissants en tant qu’intervenants, chercheurs et citoyens allochtones. L’indignation face aux injustices passées et la crainte de recristalliser une dynamique oppressive sont aussi susceptibles de restreindre, voire d’inhiber notre capacité à agir, à intervenir et même à penser la question de la santé et du mieux-être des jeunes Inuit.

En tant que chercheuses et intervenantes[1], c’est en discutant de nos horizons à la fois divers et complémentaires (psychologie humaniste, arts plastiques, santé inuit, art-thérapie) que nous avons commencé une réflexion sur l’intervention en santé mentale[2] auprès des jeunes Inuit en puisant à même les forces créatives présentes au sein de leurs communautés. Nous désirons ainsi explorer des espaces qui se distinguent de l’intervention « conventionnelle », c’est-à-dire qui se situent hors des services gouvernementaux s’inscrivant dans un modèle biomédical et institutionnalisé. Notre démarche s’inscrit dans un mouvement qui valorise la « réhabilitation, la recontextualisation et l’élargissement des concepts « traditionnels  » pour inclure de nouveaux champs d’expérience [autochtones] » [3] (Diamond et al. 2012: 2 in Artiss 2014: 37). De plus, nous visons la mise en dialogue de multiples altérités comme espace réflexif et créatif pour penser autrement l’impasse souvent ressentie lors d’interventions auprès de jeunes Inuit.

Nous proposons ici de nous pencher sur des projets qui utilisent l’art comme médium d’intervention. Plus précisément, nous cherchons à comprendre comment ce type d’initiatives pourrait contribuer de façon pertinente à prévenir le suicide dans les populations nordiques. Notre réflexion s’articulera à partir d’une élaboration théorique quant aux notions de culture, de tradition et de créativité. De plus, nous illustrerons nos propos à partir d’observations recueillies à Igloolik, au Nunavut. Depuis 1998, cette communauté inuit d’environ 1700 habitants héberge Artcirq, une association qui, par le biais des arts du cirque, mêle traditions inuit et contemporaines dans une optique de prévention du suicide et de revalorisation de la culture inuit. Artcirq se veut donc une association locale, dans un esprit de collaboration entre Inuit et occidentaux, qui utilise les arts et des médiums non conventionnels[4] pour cultiver un espace de mieux-être chez les jeunes de la communauté. Le projet initial d’Artcirq est d’ailleurs né en réponse au taux élevé de suicide chez les jeunes Inuit. Artcirq a été fondé par Guillaume Saladin en collaboration avec cinq autres étudiants de l’École nationale du cirque de Montréal ainsi que six membres de la communauté d’Igloolik[5] ; il offre aux jeunes Iglulingmiut[6] l’opportunité de développer des connaissances circassiennes et de faire rayonner ces apprentissages hors de leur communauté. La présence de la troupe d’Artcirq aux Jeux olympiques d’hiver de 2010 à Vancouver en témoigne (Artcirq n.d.).

Artcirq nous intéresse en tant qu’initiative locale, pour sa mise en valeur de l’art et sa façon non conventionnelle d’aborder le mieux-être. À notre connaissance, seule l’étude ethnographique de Van Eeckhout (2010, 2012) s’est penchée sur Artcirq, sous l’angle du cirque comme espace de parole. Le travail ethnographique sur lequel repose notre article a été réalisé par la première auteure à Igloolik, de juin à août 2014, pendant une durée de deux mois et demi. Le matériel présenté ici est issu d’entrevues et de notes de terrain rapportant des entretiens informels et des observations. Il a été traité, analysé et discuté par toutes les co-auteures. Nous utiliserons cette expérience de terrain non pas pour fournir une représentation exhaustive des activités d’Artcirq et de ses impacts, mais plutôt pour illustrer et enrichir une nouvelle façon de penser l’intervention en santé mentale auprès des jeunes Inuit.

Dans un premier temps, nous tenterons de comprendre la problématique du suicide chez les jeunes Inuit à la lumière des notions d’identité, de rupture et de continuité. Ensuite, nous questionnerons la possibilité d’envisager autrement les services dans le domaine de la santé et des services sociaux. Nous poursuivrons notre réflexion en élaborant davantage le concept central de la tradition en tant que mouvance et hybridité. Nous illustrerons d’ailleurs cette idée en utilisant l’image du Black Box, lieu d’entraînement des membres d’Artcirq. Cela nous permettra de penser l’art en tant que vecteur de continuité culturelle. Finalement, les implications thérapeutiques de notre réflexion seront élaborées à l’aide du concept théorique de « l’espace potentiel » de Winnicott (1975). Nos propos seront mis en dialogue avec ceux de membres d’Artcirq qui nous paraissent éclairants pour illustrer les propositions avancées. Nous conclurons en discutant des implications potentielles de penser autrement l’intervention auprès des jeunes Inuit en nous inspirant de l’initiative d’Artcirq.

Être jeune et Inuit aujourd’hui : entre ruptures et continuités

Être jeune et Inuk aujourd’hui comprend bien des défis au plan identitaire, particulièrement pour savoir naviguer entre des valeurs et modes de vie modernes qui entrent en conflit avec les croyances et pratiques valorisées par les aînés (Kral et al. 2011 ; Kral 2012). Alors que cette construction de l’identité culturelle s’avère une tâche complexe pour bien des Inuit, le défi est d’autant plus grand à l’adolescence, période caractéristique de construction identitaire qui peut occasionner plusieurs stress (Cloutier et Drapeau 2008). Il semble en effet que sans cohérence, clarté et intégration identitaire, le bien-être des adolescents autochtones puisse être affecté négativement et leur estime de soi amoindrie (de la Sablonnière et al. 2011) ; c’est précisément lors de cette période de transition que le risque suicidaire est le plus élevé (Hicks 2015). Cela dit, un bémol doit être apporté à l’équation de l’influence colonisatrice qui mènerait automatiquement à une détresse liée à la perte de la culture. La transformation des modes de vie inuit et l’adoption de pratiques culturelles associées au peuple colonisateur n’est pas forcément néfaste ; on peut de fait observer une continuité du « mode d’être au monde » inuit à travers certains changements et appropriations de pratiques qui sont maintenant reconnues par les Inuit eux-mêmes comme faisant partie intégrante de leur culture (Artiss 2014)[7]. Cette idée de « continuité » de la culture inuit malgré le changement nous paraît potentiellement éclairante en ce qui a trait à la prévention du suicide chez les jeunes Inuit. En effet, la relation entre continuité et suicide a été observée au plan culturel et politique parmi les jeunes Autochtones d’Amérique du Nord (Chandler et al. 2003). Au niveau individuel, la difficulté de développer un sentiment de continuité personnelle dans le temps a été liée au risque suicidaire chez les jeunes Autochtones du Canada (Chandler et Lalonde 1998)[8].

Repenser les services de santé mentale

La prévalence du suicide chez les jeunes Inuit nous amène à nous questionner sur les services de santé mentale. Il a été souligné que la faible utilisation des services de soins en santé mentale par les Inuit (Lessard 2015 ; Santé Canada 2013) pourrait être en lien avec des problèmes d’accessibilité tels que le manque de psychologues (Lessard et al. 2008) mais aussi le manque d’adéquation des services avec les besoins locaux, ainsi qu’une méfiance quant à leur efficacité (Ives et al. 2012 ; Lessard et al. 2008). Comme alternative aux services officiels, certains auteurs suggèrent de considérer le potentiel des ressources communautaires et des initiatives non incluses dans les « meilleures pratiques », telles que des espaces de loisirs pour les jeunes, sur l’incidence du suicide et du bien-être des communautés (Kirmayer et al. 2009 ; Kral 2012 ; Masecar 2007). Valoriser les savoirs autochtones et aborder les problèmes de santé mentale dans un cadre social qui comprend la question du bien-être non seulement au niveau individuel mais également familial, communautaire et culturel est effectivement une approche à favoriser pour des services adaptés aux besoins locaux (Kirmayer et al. 2003).

La question de la préservation de la culture et des traditions inuit pour le bien-être des communautés, soulignée dans de nombreux rapports gouvernementaux et autres au sujet de la prévention du suicide chez les Inuit et Premières Nations (p. ex., CCPS 2002 ; Government of Nunavut et al. 2010 ; ITK 2014, 2016 ; Kirmayer et al. 2009 ; Santé Canada 2013), est plus complexe qu’il n’y paraît. Dans le contexte actuel, où plusieurs jeunes Inuit expriment vivre entre « deux mondes » sans avoir la possibilité d’exister pleinement dans aucun de ceux-ci (Kral et al. 2011), il importe de se questionner sur la façon de favoriser la transmission des traditions et de promouvoir la culture inuit de manière à ce qu’elles fassent sens pour ces jeunes. Nous devons aussi réfléchir aux conditions qui peuvent faciliter le développement d’une continuité culturelle à travers le temps, d’un espace entre tradition et contemporanéité où les Inuit se reconnaissent. L’utilisation des arts comme « modes d’expression et de transformation créative » (Kirmayer et al. 2009: 67) fait partie des cinq suggestions concernant les interventions culturellement appropriées pour les jeunes Inuit émises dans le rapport National Inuit Youth Suicide Prevention Strategy (ITK 2016, voir aussi Stevenson et Ellsworth n.d.). S’inscrivant dans les approches alternatives aux services officiels en santé mentale, l’art représente un vecteur potentiel de remaniement créatif de la tradition en tant qu’espace d’expression attirant pour les jeunes.

Le concept de tradition : aperçus d’hybridité

La tradition, du latin traditio, « action de transmettre », est définie comme un « ensemble de légendes, de faits, de doctrines, d’opinions, de coutumes, d’usages, etc., transmis oralement sur un long espace de temps » mais aussi comme une « manière d’agir ou de penser transmise depuis des générations à l’intérieur d’un groupe »[9]. Cette idée de transmission rattachée au concept de tradition représente ce qui est généralement véhiculé comme acception commune du terme. Une remise en question de cette vision de la tradition a toutefois émergé au cours des trois dernières décennies : « loin d’être une “chose” intemporelle héritée du passé, la tradition apparaît davantage comme un “point de vue” que les hommes du présent développent sur ce qui les a précédés, un recours au passé conduit en fonction de critères rigoureusement contemporains » (Bonniol 2004: 149). S’inscrivant dans ce paradigme de pensée, Gadamer (1996) souligne l’importance de se rappeler que l’homme, incluant sa pensée, son action et sa présence dans le monde, s’inscrit d’abord dans une tradition. L’enfant naît dans un certain environnement, une certaine culture, qui façonne à la fois ses processus perceptifs, affectifs, et la mise en sens de l’environnement dans une structure de pensée cohérente. La tradition, toutefois, n’est pas à comprendre comme une entité objective, mais plutôt comme orientée vers le futur, existant au sens ontologique, sujette à se transformer, sous peine de tomber dans un traditionalisme figé dans le temps : « Si la tradition ne faisait que conserver et reproduire les transmissions culturelles sans actualisations ou modifications, elle se réduirait aux clichés et stéréotypes : la tradition ne serait qu’une Nature morte, symbole du conservatisme du traditionalisme » (De Visscher 2008: 41). Ces réflexions font écho aux termes utilisés pour désigner la tradition chez les Inuit. La distinction entre piusivinitut (« nos coutumes anciennes » – d’un passé révolu) et piusituqavut (« nos vieilles habitudes » – mais toujours d’actualité) introduisent effectivement dans le deuxième terme l’idée de transition, de coutumes du passé qui sont vécues, pratiquées aujourd’hui et donc nécessairement transformées (Van Eeckhout 2010).

Ces divers propos rejoignent ceux de nombre de penseurs qui s’opposent à une conceptualisation de la tradition en termes de ruptures, ce qui revient à nier son caractère adaptatif dans le temps et l’espace et renforce l’image de « l’Indien authentique » placé en opposition à son contemporain (Jérôme 2005). Ces réflexions autour du concept de tradition nous permettent de sortir des représentations stéréotypées qui présentent la tradition comme un élément figé et statique, enfermé dans des pratiques culturelles spécifiques. En effet, elles mènent plutôt à penser la tradition comme se déployant par l’existence, ce qui souligne l’importance d’explorer le rapport particulier que l’individu peut établir face à celle-ci.

La pluralité des contextes d’interaction explique le caractère pluriel et instable de toute culture et aussi les comportements apparemment contradictoires d’un même individu, qui n’est pas nécessairement en contradiction (psychologique) avec lui-même pour autant. Par cette approche, il devient possible de penser l’hétérogénéité d’une culture au lieu de s’évertuer à trouver une homogénéité illusoire.

Cuche 2010: 54

Dans la communauté d’Igloolik, on peut constater l’inter-influence des mondes « inuit » et « occidental » qui s’entremêlent en un tout complexe de façon singulière. Nous pensons ici aux membres d’Artcirq et à leurs diverses façons d’exprimer ces influences par leurs façons de se projeter dans le futur. Ainsi, un jeune homme profondément convaincu de l’importance pour sa communauté de retrouver la fierté d’être Inuit, de connaître son histoire et ses traditions, nous surprend un jour par la confidence qu’il nous fait d’un rêve qu’il caresse : créer un jour une ferme où il élèvera des porcs, ici dans cette contrée nordique. Autre exemple, le paradoxe apparent qui ressort du discours d’une jeune fille qui projette d’aller faire des études supérieures dans le Sud comme son frère et d’y rester pour y faire sa vie, mais qui par ailleurs confie l’importance pour elle d’apprendre comment survivre on the land (« dans le territoire » ; de savoir comment construire un igloo, chasser, préparer les peaux, etc.) pour ne pas être prise au dépourvu si elle s’y retrouvait seule en hiver. Nous pensons aussi à la Hukki dance et à la fierté des Iglulingmiut qui dansent ce type de quadrille (set carré) qui est considérée à Igloolik comme une danse « traditionnelle », sur des airs de musique folk et d’accordéon, en parallèle avec les danses des vendredis et samedis soir pour les jeunes, où des chansons comme Get lucky se juxtaposent à de la techno. Enfin nous pensons à ces maisons d’Igloolik où l’on trouve un carton déposé par terre avec de la viande de chasse crue, des gens qui vont et viennent, se coupent un morceau de viande à l’aide d’un ulu, se parlent en inuktitut, un jeune qui s’amuse avec son DS (console de jeu portable), avec en arrière-plan la télévision qui passe en continu des émissions américaines.

Les mouvements d’appropriation et de distanciation auxquels l’individu peut se livrer concernant son identité culturelle[10] permettent de penser le rapport à la tradition dans son caractère dynamique et complexe. Les choix peuvent, toutefois, se présenter dans une liberté relative. Ainsi, dans le cas des Autochtones, à qui des ruptures au niveau de la transmission culturelle furent imposées majoritairement par le contexte sociopolitique, on constate que la distanciation s’est produite malgré eux. On peut alors comprendre les tentatives de certaines communautés de déterrer des traditions oubliées, parfois en allant puiser dans celles de nations autochtones éloignées (comme par exemple la tente de sudation ou la tente tremblante). De l’extérieur, ce qui peut sembler constituer des substrats stéréotypés de la culture autochtone traduirait en fait un besoin vital de renouer avec le passé pour mieux aller de l’avant. Les traces qui demeurent des cultures autochtones ne sont pas nécessairement liées à une continuité de la vie culturelle telle qu’elle était ; il s’agirait plutôt d’une tentative de la reconstruire (Cowlishaw 2012). Ces façons de concevoir le rapport à la tradition soulignent l’importance de prendre en compte la fonction et le sens que revêt le retour aux pratiques traditionnelles dans un groupe culturel particulier, sans oublier que l’expérience peut se déployer de manière différente pour chaque individu de ce même groupe. Ceci sous peine de « ré-imposer » une culture : « Ramener les individus à leur tradition originelle est certainement bénéfique dans plusieurs cas, mais cela peut aussi porter sa propre violence pour les individus qui se retrouvent entre différentes cultures. C’est, peut-être, d’une importance aussi grande de les supporter dans leurs mouvements d’aller-retour entre tradition et modernité » (Corin 1997: 357).

L’exposition grandissante des jeunes Inuit à un climat culturel et économique éloigné de celui qu’ont connus leurs aînés (p. ex., Duhaime 2008) peut les confronter à des réalités difficiles à concilier, comme en témoignent ces paroles d’une jeune femme Inuk : « C’est difficile d’être quelque chose que tu n’es pas, et que tout le monde veut être – Qallunaat[11] » (Ives et al. 2012: 9). Il apparaît souhaitable pour les familles et les communautés d’arriver à intégrer ces mondes, soit l’ancien et le nouveau, l’inuit et le qallunaat, de telle sorte qu’ils ne soient plus vécus de façon opposée mais comme une seule identité complexe, unique et mouvante (Ives et al. 2012 ; Kral et al. 2011).

Dans le Black Box d’Artcirq, nous avons observé comment ce lieu, entre tradition et modernité, peut permettre à ses membres d’habiter un espace de métissage créatif, inspiré tant des traditions à leur portée que des multiples influences culturelles contemporaines. En effet, le Black Box est une sorte de « boîte noire » (le local est littéralement peint en noir) où les membres d’Artcirq se retrouvent pour s’entraîner. Durant l’été 2014, ils étaient rassemblés autour d’un projet de spectacle que la troupe allait présenter dans le cadre du Festival des arts Alianait, à Iqaluit (capitale du Nunavut). Le spectacle était Asiu (« Perdu »), inspiré de la légende inuit Amaqup Nunaat (« La Terre des Loups ») qui raconte l’histoire de deux frères perdus dans le monde mystérieux des Taqriaqsuit (« Les gens de l’Ombre »[12]). Les artistes pratiquaient le spectacle du début à la fin, avec leurs enfants qui s’amusaient autour, qui jouaient avec la peau d’ours polaire utilisée comme costume dans le spectacle. Le groupe cherchait une idée de final. L’idée d’un des musiciens fut retenue : il proposait qu’un riff d’accordéon soit repris du spectacle Timber ! du cirque Alfonse, dont Guillaume Saladin[13] a fait partie et qui avait été présenté à Igloolik deux ans auparavant. Cette musique entraînante, inspirée de la musique traditionnelle québécoise, nous fait penser à la musique associée à la Hukki dance, qui, bien que considérée comme une danse traditionnelle d’Igloolik, est en fait teintée de l’influence des rencontres avec des gens venus d’ailleurs, principalement des baleiniers écossais et irlandais du XIXe siècle.

L’art, vecteur de continuité malgré le changement ?

Les différentes interprétations de la tradition proposées ci-haut nous amènent à repenser l’aspect de continuité qu’on attache à ce concept, en y incluant la capacité des jeunes Inuit à recréer leur rapport à une culture ébranlée et les conditions pouvant favoriser l’intégration de la tradition. En ce sens, l’art semble être utilisé par plusieurs Autochtones comme un espace pour penser et symboliser leur rapport à la tradition à partir de la réalité actuelle. L’exposition Beat Nation au Musée d’Art contemporain de Montréal en est un bon exemple : « […] les artistes tissent l’ancien avec le nouveau, le rural avec l’urbain et le traditionnel avec le contemporain de façon à redécouvrir, réinterpréter et affirmer la culture autochtone dans le terrain mouvant de la norme » (Ritter et Willard 2013: 5). Pour plusieurs artistes de cette exposition, l’art est utilisé comme lieu politique pour ouvrir une réflexion critique sur l’image de l’Autochtone telle que construite par les médias occidentaux, et sous-tend une volonté de sortir de cette vision réductrice. Notamment, les artistes Jackson 2Bears, Bear Witness et madeskimo utilisent de nouveaux médias, incorporant le hip hop, la culture du graffiti, le design ou la performance, pour remanier les portraits stéréotypés des Autochtones véhiculés par la culture populaire et souligner l’ironie et le caractère subversif de ces images (ibid.).

Dans la même veine, l’exposition RezErect - Native Erotica, présentée à la Bill Reig Gallery de Vancouver, explore les questions de sexualité et de sensualité par des oeuvres d’artistes autochtones (CBC 2013). Dans cette exposition, l’art est non seulement un lieu pour ré-explorer les symboles traditionnels à travers la modernité, mais aussi pour susciter une réflexion sur ce que sont les Autochtones aujourd’hui : « Je veux juste que les gens entrent et repensent à ce qu’ils pensent à propos des Premières Nations et de leur culture » (Kwiaahwah Jones in CBC 2013).

Les exemples sont nombreux, également, de l’appropriation de la littérature comme moyen de perpétuer les traditions orales autochtones, tout en les ancrant dans de nouveaux moyens de communication (St-Amand 2010). La poétesse innue Joséphine Bacon, avec son recueil Bâtons à message, trace par ailleurs une continuité entre les récits des aînés et sa propre expression, qui implique aussi une certaine transformation. De l’oralité traditionnelle, elle passe en effet à l’écriture poétique pour transmettre des échos d’hier.

Les aînés se sont tus, nous laissant l’écho de leur murmure […]. Leurs atanukan nous ont appris à vivre. Mon grand-père a joué du teueikan à l’âge de quatre-vingt-huit ans, trop jeune, disait-il, pour en jouer. Mon père Pierrish a rêvé de Papakassik, le Maître du caribou. J’ai rêvé deux fois au tambour. Nous sommes un peuple de tradition orale. Aujourd’hui, nous connaissons l’écriture. La poésie nous permet de faire revivre la langue du nutshimit, notre terre, et à travers les mots, le son du tambour continue de résonner.

Bacon 2009 : 7-8

Dans l’ensemble, l’art semble être un moyen privilégié par plusieurs Autochtones pour repenser, recréer, réutiliser des symboles traditionnels et les rendre dans leur vivacité et leur actualité. Les modèles de guérison souvent associés aux sociétés autochtones incluent d’ailleurs l’art, la musique, la danse et les contes et récits dans une perspective de santé qui englobe les dimensions physique/matérielle, émotionnelle, intellectuelle et spirituelle (Archibald et al. 2012 ; Dufrene 1990). Si le rôle de l’art pour le bien-être apparaît cohérent avec les divers modèles culturels autochtones, et qu’il semble permettre un mouvement entre tradition et modernité, on peut s’interroger sur la façon de l’intégrer dans des espaces qui se veulent thérapeutiques.

Au-delà de l’art, l’espace potentiel

L’espace potentiel ou aire transitionnelle, concepts proposés par Winnicott (1975), nous semblent inspirants pour ce qui est de l’art utilisé comme espace intermédiaire entre tradition et contemporanéité, dans une visée thérapeutique. Cet espace potentiel est celui où l’individu peut retrouver et développer son potentiel créateur (Bernèche et Plante 2009) : la créativité est vue non pas comme un talent réservé à des individus particuliers, mais bien comme un processus, une attitude qui permet l’approche de la réalité extérieure (Winnicott 1975), caractérisée par des qualités telles que fluidité et flexibilité. C’est par le jeu que l’individu peut se permettre d’être créatif, mais la capacité ou la possibilité de jouer est limitée par certaines conditions. Afin qu’un espace potentiel soit créé, où l’individu puisse faire émerger sa créativité dans l’entremêlement de sa réalité intérieure du monde et le monde « objectivement » observable, il doit y avoir un autre espace qui puisse l’accueillir dans ce qu’il est, réfléchir « en miroir » sa créativité afin qu’elle s’intègre à sa personnalité. Celui-ci lui fournit l’étayage nécessaire pour le développement d’un sentiment de confiance et de fiabilité. Le Black Box d’Artcirq se veut un « espace de liberté » où la confiance qui s’établit permet aux membres de l’utiliser pour réaliser leurs projets[14]. Dans les paragraphes suivants, des observations de terrain et des extraits d’entrevues avec les membres d’Artcirq permettront d’illustrer le concept d’espace potentiel qu’incarne le Black Box.

Les rencontres d’entraînement qui ont lieu au Black Box sont définitivement caractérisées par un aspect ludique. Le jeu prime dans les périodes d’échauffement, où les exercices deviennent rapidement un lieu où l’on se taquine, où le rire et les clowneries sont encouragées. On se retrouve ainsi, réchauffés de corps et de coeur, prêts à commencer la prochaine partie, plus sérieuse, où l’on prend des risques dans des acrobaties périlleuses, où donc la confiance est de mise. Plusieurs membres d’Artcirq ont souligné, lors d’entrevues ou de conversations informelles, l’importance d’avoir du plaisir dans ce qui les motive à venir aux entraînements ; Artcirq est entre autres un espace pour se divertir, particulièrement pour des jeunes qui mentionnent que l’ennui est prédominant dans leur vécu. Mais, au-delà du simple divertissement, cette possibilité d’être accueilli par des visages souriants devient déterminante pour une jeune fille décrivant la façon dont Artcirq l’a aidée à guérir alors qu’elle était en deuil :

C’est vraiment important pour moi parce que ça me calme si j’ai eu une journée vraiment difficile et je veux juste exploser. Et là quand je vais à la pratique de cirque, parce que tout le monde est heureux là-bas, ça me rend heureuse aussi. Alors là, au lieu de me fâcher, je deviens heureuse parce qu’ils sont heureux aussi .

Tangerine[15] in Lemaire 2014a: 2

Cette capacité d’être heureux et de blaguer malgré des conditions difficiles pourrait être vue comme une continuité des modes de vie ancestraux. C’est ce qui semble ressortir des paroles d’un membre d’Artcirq, qui parle de l’importance du spectacle pour lui :

Ça me donne le goût d’aller de l’avant dans la vie […]. Juste d’apprécier la vie quand on peut. Parce que nos ancêtres ont traversé des temps vraiment, vraiment plus difficiles. [Ils] avaient beaucoup de mal parfois à attraper certains animaux. Mais [ils] avaient quand même des blagues et des histoires qu’ils partageaient. C’est comme ça aujourd’hui, excepté que nous avons plus […] plus de choses, plus de modes de vie du Sud. Mais nous connaissons encore des histoires de nos ancêtres. Nous chassons encore. Mais nous avons juste […] plus de choses auxquelles nous devons faire face. Et nous avons plus besoin […] de choses du Sud. Mais […] nous pouvons encore apprendre comment être heureux et blaguer.

Terry Uyarak in Lemaire 2014b: 9

Artcirq est un espace où l’on se retrouve à vivre une expérience ensemble. Où, au-delà des mots, c’est toute une gamme d’émotions qui sont vécues et partagées : on retient son souffle devant une acrobatie risquée, on attend anxieusement ensemble le début du spectacle, on éprouve la fierté et la joie de l’avoir présenté devant tout un auditoire. C’est un espace où les émotions peuvent être vécues sans être dangereuses, où le jeu devient une façon d’accéder à quelque chose de réel, de vibrant, de profondément humain. L’extrait suivant d’une entrevue d’Andréanne Lemaire (A.L.) avec Terry Uyarak (T.U.) illustre bien comment la participation aux activités d’Artcirq peut devenir une stratégie qui en remplace d’autres.

T.U. : Beaucoup de gens fument du pot aujourd’hui parce qu’ils veulent chasser certaines émotions ou reporter […] quelque chose. Ils ont traversé des choses très difficiles dans leurs vies quand ils étaient jeunes et ils essaient de laisser s’en aller certaines émotions. Ils essaient de travailler ça […] avec des substances. Et […] utiliser […] Pour moi, utiliser Artcirq était très, très, très, très bon pour moi. Parce que je fumais du pot aussi avant. C’était vraiment […] ma façon de […] ressentir quelque chose, tu sais. Mon « high », mon […] je ne sais pas. Mais, […] j’ai appris que je n’en ai pas besoin. Je n’ai vraiment pas besoin d’être drogué avec la marijuana pour me sentir bien, tu sais.

A.L. : Oh. Qu’est-ce qui t’as aidé à apprendre ça ?

T.U. : Artcirq. Faire des spectacles, et […] toucher tous ces gens en utilisant des choses réelles, des vraies choses, des sentiments. Ça me fait vraiment me sentir bien aujourd’hui et je peux dire à tout le monde qu’ils peuvent le faire aussi. Qu’ils n’ont pas besoin de dépenser 30 dollars à chaque trois heures sur le pot pour ressentir quelque chose.

Terry Uyarak in Lemaire 2014b: 8-9

Ces paroles des membres d’Artcirq soulignent le rôle protecteur que joue ce dernier dans leur expérience face à des évènements de vie difficiles, tant par l’accueil du groupe que par la possibilité de vivre des émotions positives. Nous pouvons relier ces éléments à des aspects centraux de l’approche d’intervention auprès des personnes suicidaires préconisée par le ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec (Lane et al. 2010). En effet, selon cette approche, amener la personne suicidaire à focaliser son attention sur le positif dans sa vie est une tangente utilisée pour lui permettre de reprendre le sentiment de contrôle sur sa vie, sentiment souvent perdu pour un individu en crise (ibid.).

Artcirq, un lieu à la rencontre de soi et de l’autre

« Il n’y a pas d’identité en soi, ni même uniquement pour soi. L’identité est toujours un rapport à l’autre. Autrement dit, identité et altérité ont partie liée, et sont dans une relation dialectique » (Cuche 2010: 101). On ne peut séparer le rapport que l’individu établit avec sa culture d’appartenance de l’influence de son environnement. Dans son livre Choosing Ethnic Identity, Song (2003) décrit la complexité des processus de négociation de l’identité individuelle avec celle du groupe, en fonction de l’ouverture de celui-ci aux adaptations singulières des membres du groupe. Winnicott (1975) situe le champ culturel dans l’espace potentiel entre l’individu et son environnement ; c’est-à-dire que l’individu peut utiliser le jeu, plus ou moins aisément, dans sa propre culture, en fonction des conditions de son environnement. Comment un espace qui se veut thérapeutique peut-il ainsi favoriser ce jeu, ce mouvement entre tradition et modernité ?

Pour répondre à cette question, revenons à la multiplicité des influences culturelles qui se déploient au Black Box d’Igloolik. L’espace d’Artcirq donne accès à des éléments qui peuvent agir comme symboles et référents culturels (comme par exemple la légende dont s’inspire le spectacle Asiu), mais il confère aussi la liberté de choisir entre ces éléments et d’autres, plus contemporains. La notion d’accueil, centrale dans l’élaboration de l’espace potentiel par Winnicott, peut ici être développée dans un contexte transculturel, où être accueilli signifie se faire donner la possibilité d’exister entièrement, d’expérimenter différents modes d’être, qu’ils soient « traditionnellement inuit » ou « occidentaux », ou encore singulièrement autres. Un espace transculturel est aussi un espace entre deux mondes d’où peut émerger une nouvelle version, collaborative, de ces multiples influences. Comme nous l’avons vu, Corin (1997: 357) souligne l’importance de « soutenir » les individus dans leurs mouvements entre tradition et modernité ; nous pouvons penser ce soutien comme nécessitant la reconnaissance de l’appartenance de chacun, tout autant que l’offre d’un espace de liberté, de choix, d’expérimentation pour laisser libre cours à une façon d’être singulière.

Les auteurs que nous venons de mentionner mettent tous en lumière l’importance du regard de l’autre dans la façon d’expérimenter sa propre culture. Comme intervenant, soignant ou chercheur, il est nécessaire de se questionner sur le type de regard que l’on pose sur les gens avec qui l’on travaille, sur notre capacité à créer un espace qui permette l’expression de leur unicité. Comme le fait remarquer Maalouf (1998: 29) dans son essai sur « les identités meurtrières », « […] c’est notre regard qui enferme souvent les autres dans leurs plus étroites appartenances, et c’est notre regard aussi qui peut les libérer ». Un espace qui utilise la créativité et l’art semble aussi permettre une reprise de pouvoir sur l’image de soi que l’on renvoie aux autres. Nous en avons donné précédemment un exemple éloquent avec ces artistes qui utilisent l’art comme moyen de faire éclater les stéréotypes qui figent l’image de « l’Autochtone » dans une représentation qui ne leur convient pas. L’art devient donc également un médium de communication et de transmission de son identité pour prendre le pouvoir sur la façon dont on existe dans le regard de l’autre. Ces mots d’un membre d’Artcirq parlent du spectacle comme moyen de transmettre sa culture, de permettre une rencontre avec le spectateur, de se rejoindre dans l’imaginaire :

Artcirq est génial. Ça touche beaucoup de gens pas juste à Igloolik mais au Nunavut et […] d’autres endroits, d’autres Inuit dans le monde et même des non-Inuit, d’inspirer et de pouvoir enseigner notre culture un peu. De ce que nous faisons dans nos vies. Et […] c’est un très, très bon moyen, un outil pour comprendre, pour partager avec d’autres personnes sur cette planète

Terry Uyarak in Lemaire 2014b: 11

Dans un contexte où les représentations véhiculées par les médias sur les Autochtones sont majoritairement négatives, avoir l’opportunité, pour un jeune Inuk, de transmettre sa culture de façon inspirante peut avoir une portée non négligeable. Comme le souligne de façon très juste Adrienne Keene (2015), auteure du blogue Native Appropriations : « Lorsque vous êtes invisible dans la société […], toute représentation est cruciale ».

Conclusion

Cet article visait à explorer le rôle potentiel de l’art comme moyen d’intervention alternatif aux stratégies « conventionnelles » de prévention du suicide chez les jeunes Inuit. Outre les multiples facteurs en cause et la complexité de cette réalité, la possibilité d’établir une continuité au niveau personnel et culturel comme facteur protecteur a particulièrement retenu notre attention. Dans le contexte d’un large mouvement de revitalisation de la « culture inuit » par divers programmes dans les communautés nordiques, nous remettons en question une conception de la tradition restreinte à des pratiques spécifiques qui a pour effet pernicieux d’évacuer la pluralité des façons d’être Inuit (Searles 2006). Pour des jeunes pris entre des mondes difficiles à concilier, l’art apparaît, dans l’espace potentiel qu’il ouvre, comme un moyen d’expression et de remaniement créatif de cultures parfois vécues comme opposées et figées, pour la création d’une identité complexe, intégrée et fluide. Il a été suggéré qu’au-delà de l’importance d’une revalorisation de la culture inuit, la possibilité d’un mouvement entre les cultures et les identités est souhaitable, ainsi que la notion d’appropriation par les communautés et les individus de leur propre démarche. Les caractéristiques qui ressortent d’un espace qui cherche à favoriser ce mouvement relèvent à la fois du fait de rendre accessible la culture d’appartenance de l’individu par des éléments qui agissent en tant que référents culturels, et d’une liberté de choix et d’expression. Les paroles des membres d’Artcirq évoquent des modalités thérapeutiques de l’espace qu’est le Black Box, ce qui nous amène à faire des liens avec l’approche orientée vers les solutions préconisée dans les bonnes pratiques de l’intervention auprès des personnes suicidaires. La capacité d’amener la personne en crise à reprendre contact avec des émotions positives afin de la détourner momentanément de ses préoccupations, et la capacité de générer de l’espoir seraient des éléments à approfondir pour une prochaine analyse du potentiel thérapeutique de l’espace d’Artcirq. Au-delà du potentiel de l’art, ces processus soulignés par les membres d’Artcirq nous ramènent à des modalités thérapeutiques auxquelles il faudrait réfléchir pour toute intervention.

En plus de sa réflexion théorique, cet article se voulait également une invitation aux bâtisseurs de programmes, intervenants et chercheurs impliqués dans les communautés inuit à repenser les modes conventionnels d’intervention en santé mentale qui y sont implantés. Face à l’urgence d’agir concernant un sujet aussi sensible que le suicide chez les jeunes Inuit, il peut être tentant d’opter pour des stratégies qui vont droit au but. Cependant, des effets négatifs peuvent découler d’une approche orientée vers les déficits, allant de la dépossession du potentiel aidant des individus de la communauté (Masecar 2007), à une amplification des dynamiques colonisatrices (Schwan et Lightman 2013 ; Stevenson 2012). Considérant le peu d’utilisation ou la faible accessibilité des ressources en santé mentale, il importe de réévaluer la pertinence d’initiatives qui agissent en « périphérie » sur la santé et le bien-être des communautés inuit. En matière de solutions créatives, on dit souvent « penser à l’extérieur de la boîte », mais qu’en est-il de penser autrement, « dans la boîte » ? En s’intéressant aux ressources, aux forces, aux compétences déjà présentes dans une communauté, le projet d’Artcirq peut-il inspirer d’autres espaces permettant une intégration créative et unique d’identités par ailleurs vécues comme irréconciliables ? Quel pourrait être notre apport comme soignant ou chercheur pour permettre ces espaces d’hybridité et de rencontre entre soi et l’autre ?