Lorsque nous évoquons la vie des Inuit dans l’Arctique, nous pensons souvent à des gens qui s’adaptent à des conditions extrêmes en utilisant des technologies solides et durables — objets durs ou mous, objets inertes faits de pierre, d’os, de métal, de bois, de peau, de fourrure, de neige ou de glace. Nous pensons également aux outils, à l’équipement, aux instruments ou aux dispositifs qu’utilisent les Inuit pour procurer de la nourriture et un abri à leurs familles. Mais les technologies doivent-elles toujours être relatives à des objets matériels, que l’on tient fermement dans la paume de main ou sous le pied? Autrefois, les peuples chasseurs nomades du nord voyageaient léger. Ils n’emportaient que quelques outils, le reste était fabriqué sur place. La technologie n’était pas forcément portée sur le dos d’une personne, étroitement ficelée sur un traîneau ou placée au fond d’un bateau; elle pouvait également être une pensée dans la tête de quelqu’un. La technologie ne se composait pas que d’objets, mais aussi de la connaissance et des savoir-faire nécessaires pour fabriquer ces outils, qui pouvaient être rejetés ou irrémédiablement perdus, avant d’être re-fabriqués, encore et encore, en improvisant avec les matériaux que l’on trouvait à portée de la main. Avec les épisodes de contacts culturels, les technologies de chasse en sont venues à inclure les matériaux, outils, savoir-faire, systèmes de connaissances et relations sociales que l’on reconnaît généralement pour faire partie — voire pour être le lot — de la société industrielle occidentale. Savoir manier les fusils, les radios, les véhicules tout-terrain et les motoneiges est devenu aujourd’hui aussi nécessaire à la subsistance et à la survie des Inuit que l’était autrefois le fait d’apprendre à utiliser un harpon ou conduire un équipage de chiens de traîneau. Mais comment pourrions-nous qualifier ces instruments et pratiques sociales emblématiques des modes de vie sédentaires (plutôt que nomades), ou celles qui se concentrent sur le bien-être de la communauté, ou celles qui permettent la communication et l’interaction, au niveau local et à un niveau plus global? Comment envisager ces pratiques qui combinent les médias imprimés traditionnels et les nouveaux réseaux sociaux électroniques? De telles réévaluations et reconfigurations de nos idées reçues au sujet de la technologie devraient-elles inclure les pratiques créatives, relationnelles, idéologiques et souvent immatérielles? En quoi l’extension de notre manière d’envisager la «pratique technologique» pourrait-elle modifier l’envergure et l’orientation des études empiriques à l’avenir, et ainsi permettre de nouveaux points de vue sur les formes contemporaines de l’adaptation culturelle en Arctique? Avant d’atteindre un objectif si ambitieux, nous devons d’abord revenir sur l’histoire du traitement réservé par les chercheurs à la culture matérielle des Inuit. Les outils inuit ont une place prééminente dans les représentations ethnographiques d’êtres humains vivant et s’adaptant à des environnements locaux particuliers. Les parkas de peau, les kayaks, les outils de chasse et le matériel de couture fabriqué à partir de matériaux organiques furent recueillis par les explorateurs et naturalistes de l’Arctique puis montrés au public dans les expositions ethnographiques des musées du 19e siècle. La pensée du temps plaçait les peuples chasseurs au bas de l’échelle de l’évolution culturelle; les expositions décrivaient donc les Inuit comme étant plus proches de la nature et moins «civilisés» que les groupes d’agriculteurs plus «sophistiqués» sur le plan technologique et plus «avantagés» sur le plan matériel (Bravo 2002; de Laguna 1994; Stocking 1988). Au début du 20e siècle, les perspectives relativistes ont largement supplanté ces hiérarchies évolutionnistes des cultures. De nouveaux intérêts, alimentés par les théories de l’adaptation culturelle et du particularisme historique, ont amené la production de collections ethnographiques, d’inventaires et de catalogues d’outils inuit spécialisés, …
Appendices
Bibliographie
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