Écrit par Frédéric Laugrand, professeur au département d’anthropologie de l’Université Laval, cet ouvrage est la version remaniée de sa thèse de doctorat. Bien que l’analyse soit destinée aux chercheurs, le propos et sa présentation sauront plaire à un lectorat non universitaire. L’accès à un large public est d’ailleurs un des objectifs de la collection Religions, cultures et sociétés dans lequel le livre est publié. Laugrand énonce clairement l’objectif de l’ouvrage dans l’introduction. Avec cette étude ethnohistorique axée sur la conversion et la christianisation, l’auteur souhaite «caractériser plus adéquatement les facettes [du] processus de réception du christianisme» (p. 4) par les Inuit de la Terre de Baffin entre 1890 et 1940. Il déborde toutefois quelque peu du cadre géographique annoncé puisque le nomadisme inuit entraîne inévitablement l’analyse vers le Nunavik et certaines régions du Keewatin. Laugrand s’interroge sur ce qui a bien pu se passer entre 1890 et 1934 pour que les Inuit, jugés «inconvertissables» par des missionnaires qui se rendirent dans le Nord en 1865 et 1890, se convertissent aussi rapidement. Ces sociétés nomades qui pratiquaient le chamanisme ont, en effet, adhéré à une nouvelle religion en l’espace d’un demi-siècle seulement. La problématique de la conversion est récente pour l’Arctique canadien et l’angle d’analyse privilégié par Laugrand est particulièrement innovateur. Jusqu’à date, les premiers temps de l’évangélisation ont surtout été envisagés sous «l’angle de la chronologie de l’installation des missions» (p. 9). Cette approche, jugée par l’auteur bien trop statique, ignorait complètement les traditions orales et le nomadisme des Inuit. Bien que les perspectives courantes concernant la conversion ouvrent des pistes de recherche intéressantes, l’auteur les trouve néanmoins inadéquates. La richesse de son analyse nous prouve qu’il avait raison. Laugrand situe les premières conversions (individuelles et collectives) inuit dans leur contexte socio-économique et culturel. En abordant le sujet en terme de réception, il analyse les transformations qui se sont opérées à différents niveaux grâce à l’action filtrante des schèmes culturels préexistants. Ainsi, deux dynamiques fondamentales émergent: les acteurs et le travail des schèmes à travers lesquels se sont effectuées les restructurations des représentations et des pratiques. L’analyse de Laugrand s’articule autour de deux types de configurations historiques concernant les zones de contacts. Les conversions découlent de diverses logiques et motivations de la part de tous les acteurs en place et leurs résultats ont été influencés selon que les Inuit aient été en présence de missionnaires dans des zones de contacts directs ou dans des régions sans missionnaires, c’est-à-dire les zones de contacts indirects. Les zones de contacts directs sont celles où les premières missions chrétiennes se sont implantées. La première mission anglicane à Uummanarjuaq sur la Terre de Baffin a été ouverte en 1894 et la première mission catholique à Igluligaarjuk (nord-ouest de la baie d’Hudson) en 1912. Bien que ces deux exemples s’inscrivent dans des contextes socio-économiques et religieux différents, ils partagent des traits similaires. Pour ces deux missions, Laugrand identifie trois périodes de réception du christianisme. La première fut marquée par des contacts difficiles puisque les chamanes et les missionnaires rivalisaient pour la maîtrise des pouvoirs spirituels. Petit à petit, au cours de la deuxième période, les personnes marginalisées ont commencé à sentir les avantages du nouveau système. La guérison des maladies par les missionnaires a contribué à les convaincre de l’efficacité des esprits chrétiens. Cependant, ce sont surtout les solidarités lignagères qui furent responsables du nombre grandissant de conversions durant cette période «d’accueil marginal» du christianisme. Durant la dernière période, celle de «l’engagement rituel», les chamanes se convertirent car ils voyaient qu’ils pouvaient profiter eux aussi des nouvelles alliances avec ces nouveaux esprits. Une frénésie dans l’évangélisation …
LAUGRAND, Frédéric, 2002 Mourir et renaître. La réception du christianisme par les Inuit de l’Arctique de l’Est canadien(1890-1940), Québec, Les Presses de l’Université Laval, Collection Religions, cultures et sociétés, 560 pages.[Record]
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Nathalie Ouellette
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