Présenté comme une réalisation conjointe de l’équipe Igloolik Isuma Productions et de l’anthropologue Saladin d’Anglure, cet ouvrage entend apporter un éclairage complémentaire sur le film réalisé par Zacharias Kunuk, Atanarjuat, qui a connu un succès retentissant au Canada et en Europe. Au-delà du statut de fiction revendiqué par les auteurs de ce film , l’oeuvre cinématographique est analysée ici comme porteuse d’une réelle valeur documentaire, assimilable à un témoignage sur un mode de vie passé, marqué par le chamanisme, dans la région d’Igloolik au Nunavut. Pour le réalisateur, il s’agissait en effet de le système chamanique, en mettant en scène un récit propre à la tradition orale iglulingmiut, l’épopée des frères Amaarjuaq et Atanaarjuat, dont on retrouve quelques traces dans le journal du capitaine Lyon (1824: 361). Après quelques grands repères chronologiques bienvenus — situant les faits du récit environ 500 ans avant nos jours —, le livre commence par retracer la genèse du film, en précisant les modalités de recueil et d’adaptation de ce mythe qui connaît différentes versions pour la région même d’Igloolik (et plusieurs variantes dans l’Arctique canadien). Saladin d’Anglure met en perspective l’important travail de reconstitution de l’univers matériel, social et surtout idéologique qu’a impliqué l’écriture scénaristique, que l’on doit en grande partie à Paul Apak Angilirq. Évoquant en filigrane la participation de certains aînés à ce projet et les recherches menées à partir de la littérature ethnographique du dix-neuvième siècle, l’anthropologue fait valoir la notion de pour le film, qui intègre des valeurs héritées de la christianisation. On pourrait rappeler à cet égard que les versions du récit recueillies auprès des aînés d’Igloolik mentionnent une vengeance beaucoup plus radicale que celle mise en scène à la fin du film. Ce premier chapitre se clôt sur un bref historique référant tant au cheminement politique des Inuit depuis les années 1970, qu’aux premiers contacts avec des Occidentaux et les processus de colonisation et d’évangélisation dans toute l’aire circumpolaire. Ce rapide récapitulatif vise à situer les réalisations d’Isuma Productions dans le cadre d’un intérêt renouvelé, à Igloolik tout particulièrement, pour des pratiques et des savoirs antérieurs à la christianisation. Les films précédemment produits par cette jeune société inuit (courts et moyens métrages de Zacharias Kunuk, tels Qaggiq, Nunaqpa et Saputi, moins médiatisés), auraient sans doute mérité d’être mentionnés, d’autant qu’ils évoquaient déjà les rapports avec des non-humains et avec le gibier. La plus grande partie de l’ouvrage (chapitre 2) est consacrée à une présentation thématique du film, découpé en cinq séquences narratives. Saladin d’Anglure propose ici une version littéraire des situations mises en scène, dont il entend préciser surtout les références chamaniques, en s’appuyant sur des informations recueillies auprès d’aînés d’Igloolik ces 30 dernières années. Le récit comprend des dialogues au style direct (traduits en français) et une narration indirecte, relevant moins de commentaires ethnographiques stricto sensu, que d’une explicitation du non-dit, une interprétation des expressions corporelles des personnages, qui éclaire les tensions émotionnelles et permet de mieux saisir la portée symbolique de certains événements. C’est à travers des descriptions précises des actes et des ressorts psychologiques prêtés aux personnages, que l’auteur analyse les dimensions chamaniques exprimées dans le film. Fidèle au déroulement chronologique, il aborde dans un premier temps la compétition qui oppose le chamane d’Igloolik à son visiteur d’Aivilik, et qui prend la forme d’un affrontement entre esprits auxiliaires (ours polaire et morse), puis entre les âmes mêmes (tarniit) de chacun. La disparition du chamane iglulingmiuq qui en résulte, ainsi que la de ses descendants directs par l’esprit malveillant associé au chamane aivilingmiuq, constituent les clefs de l’interprétation des événements …
Appendices
Références
- Fienup-riordan, Ann, 1987 Robert Redford, Apanuugpak, and the Invention of Tradition, Études/Inuit/Studies, 11(1): 135-148.
- Lyon, George, 1824 The Private Journal of Captain G. F. Lyon of H.M.S. Hecla, during the Recent Voyage of Discovery under Captain Parry, London, John Murray.