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Cette publication rend compte de plusieurs saisons de reconnaissances archéologiques dans une région relativement limitée du milieu de la côte orientale du Groenland, mais qui s’étend sur quelques centaines de kilomètres. Cette région était restée jusque-là en grande partie ignorée des archéologues, mais non des ethnologues. Les recherches dont rend compte cette publication sont d’ailleurs le fruit de la persévérance d’un couple d’ethnologues danois qui s’est intéressé à l’archéologie après s’être intégré, à partir de 1971, à la vie quotidienne d’une communauté de chasseurs dans la région de Scoresbysund pour en étudier l’organisation sociale et les conditons de chasse. Dès 1980, les deux ethnologues se font déposer en hélicoptère avec deux mois de vivres aux endroits d’où ils entreprennent pendant l’été, parfois à leurs frais, des reconnaissances archéologiques systématiques en canot, pagayant autour de la Terre de Jameson, dans les fjords et le long des côtes de part et d’autre de Scoresby Sund. La Terre de Jameson est délimitée au sud et à l’ouest par Scoresby Sund et son prolongement vers le nord, et à l’est par la mer qui la pénètre par de nombreux fjords. C’est une région peu habitée aujourd’hui, particulièrement sauvage, accidentée et austère, mais qui ne manque pas d’attraits pour ceux qui aiment ce genre d’environnement. Les conditons atmosphériques y sont instables en raison du foehn qui peut subitement élever la température en hiver et causer des dommages à la faune. Par contre les polynies, surtout la plus grande qui se maintient tout l’hiver à l’embouchure de Scoresby Sund, rendent cette région attirante pour les chasseurs.
Les reconnaissances, entreprises au départ dans le prolongement d’un inventaire archéologique préalable à l’exploration pétrolière de Scoresby Sund, révélèrent surtout d’abondants vestiges de l’occupation néoesquimaude, les plus visibles. Ceux qui témoignent du Paléoesquimau, période encore mal attestée jusqu’alors dans la moitié sud de la côte orientale, n’apparurent ou ne furent reconnus qu’après plusieurs années de reconnaissances. Comme ils contribuent à combler une lacune des connaissances sur la préhistoire du Groenland, et par extension de l’Arctique oriental, c’est à eux qu’est consacré le rapport de Hanne Tuborg et Birger Sandell.
Le rapport s’ouvre par une courte, mais suffisante, introduction géographique qui présente au lecteur le paysage, le climat, les ressources en faune, en bois flotté et en minéraux de la région étudiée. Elle est suivie d’un bref historique des recherches archéologiques, qui est l’occasion de résumer le cadre des connaissances à l’échelle du Groenland et de situer les problèmes. Ensuite, dans la partie principale (III), viennent les descriptions des reconnaissances et des sites identifiés ainsi que de leur contenu. Le lecteur est d’abord emmené le long de la côte, au sud de l’embouchure de Scoresby Sund, ensuite dans trois fjords qui s’ouvrent à plus de 100 km au nord de cette embouchure, puis au fond de Scoresby Sund, à l’embouchure des fjords secondaires qui débouchent dans celui-ci, et le long de la partie intérieure, ouest et sud, de la Terre de Jameson, enfin autour de l’extrémité nord de l’embouchure de Scoresby Sund. Ce système de fjords couvre une superficie de 38 000 km2, ce qui donne une idée de l’ampleur de ces reconnaissances, qui n’en sont pas moins intensives, même si elles laissent des régions inexplorées, surtout à l’intérieur des fjords.
Chaque région et souvent les sous-régions font l’objet de cartes schématiques qui accompagnent la présentation du milieu et permettent de localiser les sites. Les sites importants font également l’objet de schémas qui en indiquent la topographie et la localisation des vestiges. Pour chaque site nous est livrée, sans détail inutile, une description de son environnement, de sa géomorphologie, de ses structures et vestiges anthropiques, enfin des sondages ou des ramassages de surface effectués. De nombreuses structures font l’objet de plans. La description, site par site, des objets recueillis par la fouille ou les ramassages de surface est présentée après celle des sites et accompagnée de nombreux dessins, mais d’une qualité moyenne. La même présentation des données est suivie pour chaque région. Certains éléments des description d’outils, souvent fastidieuses à lire, auraient pu être regroupés dans des tableaux, en particulier les dimensions des objets, qui sont indiquées entre parenthèses.
L’intérêt de cette partie descriptive est la richesse des observations qui ne négligent aucun type de structure. Ainsi, nombre d’entre elles, interprétées comme des abris et des caches, sont soigneusement décrites dans la diversité de leur construction. Souvent, dans l’Arctique, de telles structures secondaires sont négligées par les archéologues. Leur mode de construction est peu élaboré et elles contiennent rarement des objets ou une couche d’occupation permettant de les attribuer à une culture ou à une période particulière. Or, dans la région de Scoresby Sund, de nombreuses structures de ce genre, édifiées en pierres, se trouvent dans des secteurs où seuls des habitats paléoesquimaux ont été répertoriés. Certaines d’entre elles sont construites en encorbellement et semblent identiques à celles que j’ai pu observer dans des régions de l’Arctique québécois où Néoesquimaux et Paléoesquimaux coexistèrent ou se succédèrent. Bien que j’aie fouillé certaines d’entre elles dans l’île du Diana, il ne m’a pas été possible d’établir leur appartenance à une période plutôt qu’à une autre, même si je soupçonnais qu’elles pouvaient être dorsétiennes alors qu’elles sont généralement attribuées au Néoesquimau.
Au total, les 27 sites paléoesquimaux répertoriés surtout à l’embouchure des fjords au cours de ces reconnaissances, nous apprennent beaucoup sur les habitats et les structures de cette période, ce qui devrait inspirer les archéologues travaillant dans d’autres régions de l’Arctique. Ces sites nous permettent aussi de combler des lacunes dans la compréhension du début du peuplement du Groenland et de l’occupation paléoesquimaude. Même si les Thuléens ont exploité ces régions, ils se seraient en partie installés à d’autres sites que les Paléoequimaux. Les sites dorsétiens reflètent, par leur localisation, une exploitation des morses. Les auteurs proposent un modèle du mode d’établissement et d’exploitation de la région par les Paléoesquimaux, qui y auraient maintenu des établissements relativement importants et peut-être permanents, au moins pendant la période hivernale, même si la présence d’habitation spécialisée pour l’hiver n’a pu être identifiée avec certitude (des habitations semi-souterraines sans doute).
L’outillage recueilli, le plus souvent en surface, atteste une occupation autour de Scoresby Sund dès le tout début du Paléoesquimau inférieur, vers 4500 BP. De longues armatures distales bifaciales, finement denticulées, sont associées au plus ancien site et n’ont aucun équivalent actuel dans les collections paléoesquimaudes du Groenland. Par contre, elles ont leur équivalent à Trail Creek, en Alaska. Le début du Saqqaquien (4300-4000 BP) est abondamment représenté, ainsi que le Dorsétien ancien entre 2400 et 2000 BP. Une seule date indiquerait aussi le Dorsétien récent, voire terminal (vers 1300-1400 AD). L’ensemble du matériel et des datations conduit à poser la question de la pertinence des distinctions entre Saqqaquien, Indépendancien I et Prédorsétien, question qui, à mon avis, ne manquera pas de prendre une ampleur croissante à mesure que les données de terrain seront plus abondantes. Cette intéressante publication apporte donc de nouvelles données qui éclairent quelque peu le peuplement de la côte est du Groenland, mais soulèvent aussi de nouvelles interrogations concernant les relations avec l’extrême nord-est de la grande île, où l’occupation n’est pas plus ancienne, mais aussi avec la région d’Ammasssalik, où la fin du Dorsétien semble se mêler au début du Thuléen.
Cet ouvrage concis et riche en informations mérite de figurer dans la bibliothèque de tous les archéologues travaillant dans l’Arctique. Puisse-t-il les inciter à publier de la même manière et avec autant de précision leurs propres données de reconnaissances.