Ce numéro d’Études françaises est consacré à Thierno Saïdou Diallo, né en Guinée en 1947, dont l’oeuvre, publiée sous le nom de plume Tierno Monénembo, a été récompensée par de nombreux prix littéraires : le Grand Prix littéraire d’Afrique noire en 1986 pour Les écailles du ciel ; le prix Renaudot en 2008 pour Le roi de Kahel ; le prix Tropiques en 2000 pour L’aîné des orphelins ; le prix Erckmann-Chatrian et le Grand Prix du Roman Métis pour Le terroriste noir en 2012 ; le Grand Prix Palatine du roman historique et le prix Ahmadou-Kourouma pour le même roman en 2013 ; le Grand Prix de la francophonie pour l’ensemble de son oeuvre en 2017 ; le prix Moussa Konaté pour Saharienne Indigo en 2022. Ce dossier prend acte de l’importance de cet écrivain de stature internationale dans la littérature africaine francophone, et veut rendre compte du dynamisme critique que les prouesses narratives et discursives – que l’on peut aussi observer chez les écrivains de sa génération – de son oeuvre ne cessent de susciter depuis Les crapauds-brousse (1979). Au regard de l’histoire de la littérature africaine francophone, Tierno Monénembo appartient à la génération qui a pris la plume au milieu des années 1970, celle de Williams Sassine, de Sony Labou Tansi et de Boubacar Boris Diop notamment, qui ont marqué cette littérature, dans le sillage du renouveau esthétique apporté par Ahmadou Kourouma et Yambo Ouologuem une décennie plus tôt. Depuis la publication de son premier roman, Les crapauds-brousse, l’écriture novatrice de Monénembo témoigne de son engagement humaniste dans le contexte politique de la dictature postcoloniale à laquelle son pays a été soumis, comme beaucoup d’autres dans les mêmes années. Diouldé, le personnage principal de ce roman, symbolisé par un crapaud, incarne l’intellectuel perçu comme la promesse d’une Afrique indépendante, mais bloqué dans son incapacité à faire évoluer une société engluée dans des régimes dictatoriaux. Dans une écriture complexe éloignée de la simple dénonciation politique se superposent les pratiques symboliques traditionnelles et les attributs du pouvoir à l’européenne. Ce renouveau esthétique est encore plus évident dans le deuxième roman de l’auteur, Les écailles du ciel (1986), qui mobilise une langue riche et polyphonique, et s’attaque aux clichés politiques et sociaux en maniant ironie et parodie. Ce roman procède du principe transculturel de la mémoire entretenue par des récits oraux transmis de génération en génération par de nombreux narrateurs autour d’un personnage principal, Samba. Il s’agit de l’épopée acerbe des régimes africains qui, par l’irresponsabilité de leurs dirigeants et de leurs élites, se comportent à l’égard des populations d’aujourd’hui comme les colonisateurs d’hier. La violence politique s’y exprime dans la fragmentation d’un récit qui décrit un monde pervers et inhumain caractérisé, entre autres, par les mots et le langage de l’absurde, par un temps déréglé, par le télescopage d’époques se manifestant aléatoirement, celle de l’Afrique ancienne, celle de la colonie et celle de la postcolonie, sans qu’émerge un sens définitif. Ce mélange de récits issus de la tradition orale et des formes du roman moderne constitue une poétique transculturelle qui s’affirme de plus en plus au fil de l’oeuvre de Monénembo. En témoigne la narration d’Un rêveutile (1991), monologue d’un jeune homme exilé en France, qui rapporte plusieurs histoires de vieux immigrés lyonnais, dont l’oralité irrigue le récit à la manière des épopées et des contes de l’Afrique traditionnelle. Dans ce mélange des formes, la figure de l’Afrique, nommée « Ifrikya » dans le roman, paraît ironisée, car le continent « a un sens inné de l’attrape : si elle divertit l’étranger, elle se moque …
Présentation. Tierno Monénembo. « De vent, de salive et d’encre »[Record]
Les sigles utilisés dans cet article : Liste des sigles utilisés dans ce dossier