Abstracts
Résumé
Jean Genet a toujours fait oeuvre de la lumière et de l’ombre, il a toujours joué de son apparition et de sa disparition. Il s’agit toujours, pour lui, de se libérer des regards, de ne pas être captif, de se savoir insaisissable. Cependant, pour être efficace, il faut que la manoeuvre – nécessairement poétique – soit en partie paradoxale. Dans Journal du voleur (1949), Genet nous permet d’en saisir tous les ressorts. Il annonce une position poétique et politique qui s’est maintenue jusque dans les dernières années de sa vie.
Abstract
Jean Genet has always worked with light and shadow, he always played with his own appearing and disappearing. His goal is always to escape the gaze, not to be captive, to know himself elusive. However, to be effective, this ploy—necessarily poetical—must be partly paradoxical. In Journal du voleur (1949), Genet allows us to grasp its inner workings. He declares a poetical and political position which he will maintain until the end of his life.
Article body
Dans les valises que Jean Genet devait confier à son avocat Roland Dumas se trouve un texte intitulé « La lumière et l’ombre », écrit vers 1978[1]. Ce texte d’à peine dix-sept feuillets annonce beaucoup les pages lumineuses de son roman autobiographique, Un captif amoureux, à la fois livre de souvenirs et mémoires des années politiques, mais aussi dernière apparition d’un écrivain pour qui l’exposition de sa personne (sa vie en pleine lumière) n’a cessé de contraster avec la recherche de l’ombre ; une ombre qui était aussi celle du déserteur et celle de l’enfant criminel qu’il n’a jamais cessé d’être[2]. Dans « La lumière et l’ombre », on retrouve l’expression de cette sorte de vérité intime que Genet a souvent identifiée. Soit la reconnaissance très exacte du non-être, la séparation existentielle du sujet qui, d’être retranché du reste du monde, fait coïncider une « étrange séparation » et le sentiment de « ne pas être » :
Parfaitement noyée dans mon espèce et mon règne, mon existence individuelle avait de moins en moins de surface. Mais depuis quelques années, je me reconnaissais un moi, et non un autre. Et autour de moi, à nouveau le monde et les autres pullulaient, séparés. Séparés donc capables d’entrer en relation. L’« étrange séparation » […] signifiait que confondu dans la continuité vivante, j’étais séparé des autres puisque je n’étais rien[3].
En 1978, Genet se sait au bout d’une entreprise qui aura consisté à toujours chercher des portes de sortie pour s’éclipser de la scène, disparaître, n’être rien, mais sous une forme étonnante et paradoxale : faire de soi-même une sorte de miracle de l’insaisissabilité. Cette idée s’impose au terme d’une longue courbe interprétative dans une oeuvre qui lui donne une portée exemplaire durant plus de quarante ans. Plus que quiconque, Genet aura voulu s’éclipser ; plus que quiconque il aura cherché des manières d’effacement pour n’être rien. Non pas dans le sens de la modestie (après tout je ne suis rien), mais dans celui réellement néantisant de l’absence d’être (rien je suis).
Entre 1968 et 1986, alors que Genet s’intéresse de près à différents mouvements révolutionnaires, Palestiniens au Moyen-Orient, Panthères Noires aux États-Unis, parti à la recherche d’un regard, écrit Hadrien Laroche[4], mais faisant aussi spectacle de sa liberté, écrit Éric Marty[5], l’écrivain n’est ni anonyme ni invisible. Il parle, il se laisse voir : plus de vingt-cinq mille personnes assistèrent à son allocution du 1er mai 1970, prononcée en faveur des Panthères Noires[6]. Durant tout ce temps, l’écrivain n’est pas dupe de cette visibilité. Il sait que cette image qu’il expose au regard du monde n’est jamais qu’un leurre ou une simulation : « [M]a vie visible ne fut que feintes bien masquées », écrit-il dans Un captif amoureux[7]. Il demeure que si quelque chose de lui-même doit rester dans l’ombre – entre « la lumière et l’ombre » –, si l’être visible n’est jamais tout à fait à plat, mais en relief, si être exposé sur la scène mondiale des révolutions, c’est aussi se dissimuler dans les creux volcaniques d’une existence qui se dit ailleurs, on peut se demander ce qu’on expose tout de même au regard. Quelle échine du monstre, quelle « autre monstruosité », faut-il laisser voir pour qu’en même temps quelque chose puisse apparaître sans être vu ?
Dans le cadre de cet article, j’aimerais faire apparaître le ressort en partie paradoxal de cette monstruosité exhibée, alors même que la figure du « spontané simulateur » implique, en même temps, une manière de s’éclipser, de vider la scène ; quand le spectacle de soi-même est tout de suite retourné sur une absence ; ou encore quand le passage en pleine lumière n’est jamais aussi trompeur qu’au moment où l’écrivain passe dans l’ombre. Or cette stratégie partiellement politique n’est pas nouvelle. Dans Journal du voleur, publié en 1949, Genet annonçait bien avant l’heure la position étrange et ambiguë du « spontané simulateur », s’attribuant le pouvoir ou l’efficace du prestige, du trompe-l’oeil ou de l’illusion.
Exhibition forcée et perversion de l’apparition
Il faut cependant nous donner un cadre théorique pour ressaisir, ne serait-ce que provisoirement, tout le problème du regard, qui est loin d’avoir été épuisé en ce qui concerne Genet. Car c’est bien du regard qu’il s’agit, en tant qu’un regard peut être toujours un regard renvoyé, retourné, voire capturé ou détourné. On sait qu’à plusieurs reprises Lacan aimait rappeler la fameuse composition spéculaire que propose Sartre dans L’être et le néant, et qui tourne autour du regard du voyeur vu qui non seulement s’éprouve être vu, mais, dit Lacan, se voit se voir [8]. Chez Sartre, la scène (il s’agit d’une fiction phénoménologique) illustrait la situation suivante : « Imaginons que j’en sois venu, par jalousie, par intérêt, par vice, à coller mon oreille contre une porte, à regarder par le trou d’une serrure. […] / Or, voici que j’ai entendu des pas dans le corridor : on me regarde[9]. » Or le regard, celui que je sais posé sur moi, n’est pas seulement l’effet d’une perception, il ne réside pas tout à fait dans l’appréhension phénoménologique d’autrui – ce sur quoi prend appui l’analyse de Sartre –, mais la situation elle-même suppose l’existence d’un regard et le fait exister :
À partir du moment où ce regard existe, je suis déjà quelque chose d’autre, en ce que je me sens moi-même devenir un objet pour le regard d’autrui. Mais dans cette position, qui est réciproque, autrui aussi sait que je suis un objet qui se sait être vu.
Toute la phénoménologie de la honte, de la pudeur, du prestige, de la peur particulière engendrée par le regard, est là admirablement décrite […][10].
S’il est vrai que c’est toujours « par le regard qui est dehors » que « j’entre dans la lumière », s’il est vrai que c’est par le regard que je suis « photo-graphié », c’est aussi par le regard que je me sais piégé, exposé et malmené sur le registre de la visibilité morale, celle qui, tout en me mettant à vu, me colle une image qui me dévoile. Reste le « prestige » dont parle Lacan, terme plus étonnant, qu’il faut ressaisir dans l’optique de la manoeuvre fantasmatique imaginée par Genet. Je parle d’une manoeuvre dans le sens précis où le sujet de l’exhibition travaille, agence, dispose, construit une scène ou une situation, un arrangement, comme Sade parle d’un arrangement des corps, ou d’une disposition, et qui fait de la réédition du fantasme une manoeuvre censée fonctionner à son avantage et produire quelque chose[11]. L’argument de Genet, si on veut l’isoler, n’a rien de commun. Il implique que la honte, que l’on voudrait voiler, cacher, faire rentrer à l’intérieur, peut toujours elle-même se retourner pour jeter sur soi un nouveau masque, une manière, donc, de disparaître. À l’exhibition forcée de la honte, on peut encore opposer l’invention d’un voile qui protège celui qui est l’objet des regards :
— Au moins, me dis-je, si ma honte est vraie, dissimule-t-elle un élément plus aigu, plus dangereux, une sorte de dard qui menacera toujours ceux qui la provoquent. Peut-être ne fut-elle pas tendue sur moi comme un piège, ne fut-elle pas voulue, mais étant ce qu’elle est je veux qu’elle me cache et que sous elle j’épie[12].
Cette idée délibérément paradoxale (son efficacité en dépend) doit être mise en relief à partir d’un souvenir de jeunesse qui est précédemment raconté dans Journal du voleur. Du roman de Genet, publié en 1949, et dédié à Sartre et au « Castor », Simone de Beauvoir, je ne retiendrai que cette scène parce qu’elle a une valeur paradigmatique dans un roman qui entend présenter l’assomption du voleur à la sainteté par les voies du crime, de l’homosexualité et de l’abjection[13]. Prise isolément, la scène repose sur une stupéfiante machination qui consiste à prendre sur soi toute la honte, pour en faire une victoire sur le regard des policiers à la suite d’une « rafle ». La scène elle-même est organisée en fonction d’une dramatique sévère où les positions sont données, et où chacun doit jouer son rôle dans le déroulement du drame. Il ne s’agit donc pas uniquement d’un souvenir qu’il suffirait de ranger du côté de l’autobiographie de l’écrivain, puisque l’écriture de la scène fonctionne plutôt sur un mode qui distribue les positions et déclenche la manoeuvre du fantasme :
Ce fut une consternation quand, en me fouillant après une rafle – je parle d’une scène qui précéda celle par quoi débute ce livre – un soir, le policier étonné retira de ma poche, entre autres choses, un tube de vaseline. Sur lui on osa plaisanter puisqu’il contenait une vaseline goménolée[14].
Plus loin :
Il s’agissait d’un tube de vaseline dont l’une des extrémités était plusieurs fois retournée. C’est dire qu’il avait servi. Au milieu des objets élégants retirés de la poche des hommes pris dans cette rafle, il était le signe de l’abjection même, de celle qui se dissimule avec le plus grand soin, mais le signe encore d’une grâce secrète qui allait bientôt me sauver du mépris[15].
Comment se « sauver du mépris » ? Il s’agit de renverser l’humiliation en humilité, la honte en une forme poétiquement sophistiquée de l’orgueil[16]. Or la honte implique toujours l’effet sidérant d’un regard qui me fixe et fait de moi son objet tout en me réduisant à ce petit tas abject et méprisable ; la chose que je deviens à l’intérieur du champ des regards. Conséquemment, on dira que la honte est aussi l’effet d’une exhibition forcée qui fait violence à la pudeur et me détermine autrement comme chose visible, faisant « tache dans le tableau[17] ». C’est là que je suis littéralement happé par le fait que l’Autre est toujours susceptible de se faire valoir d’un point de vue[18]. L’ouverture de la scène introduit une substitution métonymique qui s’appuie sur cette sorte de va-et-vient entre « moi », objet des regards, et le tube exhibé, et qui soudainement représente ce qu’il est, lui, aux yeux des policiers. Rien de plus qu’une chose risible, misérable et tordue. C’est-à-dire « moi », qui est aussi le voleur, le prostitué, l’enculé, etc. En exhibant le tube de vaseline, en le brandissant fièrement au milieu de la haine et du mépris, en le saisissant comme le signe même de la honte et de l’abjection, c’est aussi « moi » qu’on regarde. Et dans le va-et-vient des regards, entre eux et « moi » (se sachant vu, exposé), on ne peut que se voir se voir, pour reprendre la formule de Lacan, faisant tache dans le tableau, photo-graphié en pleine lumière ; quand la lumière, chez Genet, est souvent le signe de la cruauté. Pourquoi ? Parce que la lumière nous enferme, nous exhibe, justement. Elle nous refuse ce que Genet appelait une « salvatrice obscurité[19] ». De sorte que le petit tube de vaseline n’est pas seulement le signe de l’abjection, mais le signe du sujet que l’objet représente. Comme s’il n’était plus lui-même que cette chose un peu vile, vaguement graisseuse et qu’il se voyait, lui, sur la table des policiers ; objet d’une hilarité spectaculaire, odieuse, terrible.
La transmutation des valeurs
Qu’est-ce donc qui fait soudainement de cet objet un objet « précieux[20] » ? Comment cet objet peut-il « sauver du mépris » comme l’écrit Genet ? Et par quel moyen la honte peut-elle se retourner et servir l’orgueil en même temps que la disparition du sujet ? Sans doute, l’écrivain fait-il jouer un argument poétique : la poésie a ceci de miraculeux qu’elle peut opérer le renversement des valeurs les plus méprisables, pourvu que la misère et l’abjection ne soient pas affirmées autrement qu’à travers ce qu’elles sont déjà. Rien qu’« un petit tube de vaseline, en plomb gris, terne, brisé, livide[21] ». Or Genet entend montrer l’efficace de cette opération tout en refusant les jeux de la parure et du mensonge. Comme si rien de l’objet ne devait changer pour que, sur la scène elle-même, le tube de vaseline se charge d’une autre destination. Dans le défilement de la scène, l’objet n’est pas seulement une petite chose grise et méprisable, mais il devient très vite un objet qui veille, une « veilleuse[22] » ; en somme, un objet qui protège et fait barrage. À l’image de la veilleuse est très vite associée la « vieille[23] » : une mendiante au visage de « poisson-lune[24] » que Genet se souvient d’avoir rencontrée une nuit, et qu’il imagine être sa mère. Ce faisant, le texte fait coïncider le caractère « goménolé » de la substance onctueuse, contenue dans le tube de vaseline, et une enfilade de « glaviaux », de « glaïeuls » ponctués ou vomis sur celle qui fut l’espace d’une nuit « la mère la plus chérie[25] » :
– Si c’était elle ? me dis-je en m’éloignant de la vieille. Ah ! Si c’était elle, j’irais la couvrir de fleurs, de glaïeuls et de roses, et de baisers ! J’irais pleurer de tendresse sur les yeux de ce poisson-lune, sur cette face ronde et sotte ! Et pourquoi, me disais-je encore, pourquoi y pleurer ? […]
– Je me contenterais de baver sur elle, pensais-je, débordant d’amour. (Le mot glaïeul prononcé plus haut appela-t-il le mot glaviaux ?) De baver sur ses cheveux ou de vomir dans ses mains. Mais je l’adorerais cette voleuse qui est ma mère[26].
Secrète solidarité entre le sujet et l’objet, solidarité du voleur et de la voleuse, mais aussi solidarité dans le malheur, entre celui qui est devenu objet au regard des policiers et le petit tube de « plomb gris » dont on se moque. Comme s’il s’agissait de s’inscrire soi-même sur le registre de cette ambiguïté entre ce que le tube est aux yeux des policiers – signe de l’abjection et point de mire de leur cruauté – et ce qu’il fait être dans le déversement amoureux d’une jouissance plus grande qu’aucun policier ne saurait imaginer. Une jouissance secrète, invisible, et par conséquent intouchable, sacrée. Genet, le sujet « Genet », celui qui ne cesse de réinventer les conditions de son apparition, est à la fois le tube et lui-même, lui-même et l’objet, lui-même et le signe qui le représente[27]. Que retient-on de cette affaire ? Que la honte subie est l’occasion d’opérer une descente dans la misère de l’objet – comme si le sujet s’abaissait à quelque chose de plus bas que lui-même –, sans doute pour mieux rejoindre un objet spectral, étrangement familier et infiniment plus lointain : « Le tube de vaseline, dont la destination vous est assez connue, aura fait surgir le visage de celle qui durant une rêverie se poursuivant le long des ruelles noires de la ville, fut la mère la plus chérie[28]. » Mais avec la mère à l’horizon, le tube acquiert une nouvelle valeur. D’abord misérable ustensile des nuits de l’amour et de la prostitution, ne devient-il pas alors le plus grand bien, celui que le fantasme vient ériger comme étant le signe et l’instrument d’une souveraineté secrète ?
Il m’avait servi à la préparation de tant de joies secrètes, dans des lieux dignes de sa discrète banalité, qu’il était devenu la condition de mon bonheur, comme mon mouchoir taché en était la preuve. Sur cette table c’était le pavillon qui disait aux légions invisibles mon triomphe sur les policiers. J’étais en cellule. Je savais que toute la nuit mon tube de vaseline serait exposé au mépris – l’inverse d’une Adoration Perpétuelle – d’un groupe de policiers beaux, forts, solides. […] Cependant j’étais sûr que ce chétif objet si humble leur tiendrait tête, par sa seule présence il saurait mettre dans tous ses états toute la police du monde, il attirerait sur soi les mépris, les haines, les rages blanches et muettes, un peu narquois peut-être – comme un héros de tragédie amusé d’attiser la colère des dieux – comme lui indestructible, fidèle à mon bonheur et fier. Je voudrais retrouver les mots les plus neufs de la langue française afin de le chanter. Mais j’eusse voulu aussi me battre pour lui, organiser des massacres en son honneur et pavoiser de rouge une campagne au crépuscule[29].
Par-delà le fantasme de violence et de domination – « pavoiser de rouge une campagne au crépuscule » –, on peut encore se demander ce que l’écrivain gagne à « tirer parti de la honte ». Car il s’agit souvent d’un qui perd gagne, chez Genet, selon lequel il faut souvent perdre (ou se perdre) pour gagner. Cette victoire repose sur un double mouvement : ce qui plonge dans l’abjection est aussi ce qui permet d’en sortir. La descente dans la crasse et l’avilissement n’est pas une perte d’être ni une défiguration angoissante, comme chez Bataille par exemple, mais un gain, une victoire. Face au regard des policiers, cette image n’est plus seulement le reliquat de la misère sexuelle, elle est le « pavillon », l’étendard de ce qui constitue un plus grand bien dirait Lacan, celui qui fonde le domaine du pouvoir et de la jouissance[30] – « Je me fusse en effet battu jusqu’au sang plutôt que renier ce ridicule ustensile[31]. » Il s’agit donc de faire de l’image du tube de vaseline l’instrument d’un autre pouvoir, dès lors que l’exposition de l’objet permet de piéger le regard de l’Autre en tirant les fils d’un drame soigneusement monté[32]. Comme si le tube de vaseline n’était jamais que le masque du sujet exposé au feu de la honte et, en même temps, une manière de fixer les policiers à leur petite jouissance, sans grande portée, et dont l’écrivain finit par se servir pour en faire son instrument. À tout prendre, la posture de Genet dépend rigoureusement de cette altérité exemplaire, incarnée par ceux-ci, puisque le regard des policiers est aussi nécessaire à l’opération qu’il appartient aux données du fantasme ; et c’est en ce sens que la scène se présente moins comme un souvenir, tiré d’une autobiographie légendaire, qu’il s’organise comme une scène fantasmatique où s’inscrivent à la fois le regard et l’énonciation du regard, à la fois la place du sujet et l’énigme d’une jouissance qui n’est pas forcément révélée, mais qui est bel et bien impliquée dans l’affabulation de la scène[33]. On voit bien, effectivement, que l’engeance du pouvoir et de la brutalité fait partie de la scène et qu’elle constitue, au-delà de l’anecdote, l’une des arêtes du prisme dans lequel Genet se voit d’abord enfermé. La honte et le mépris, n’est-ce pas en fin de compte ce que l’on peut justement espérer des policiers, c’est-à-dire l’occasion d’une soumission à leur regard où la honte est encore un destin possible ? C’est une gloire et c’est une guerre, dès lors que l’on peut faire du reliquat, de la chose déchue, une image, et de l’image une victoire sur le regard de l’Autre. Or cela ne va pas sans impliquer la valeur de ce petit « ustensile » sur le plan imaginaire. Tout se passe, en effet, comme si le sujet s’était littéralement éclipsé dans l’objet, tout se passe comme s’il avait en quelque sorte déserté les lieux, tandis que l’objet continue de le représenter sur la table des policiers. Il n’est plus seulement exhibé, il est aussi exposé, et cette exposition tient lieu de celui qui parle, décrit toute la scène : là où il se place alors même qu’il est ailleurs, se retirant, absent des regards. Ce qui se donnait en pleine lumière se retire dans l’ombre. Ce qui se révélait sous le voile d’une cruelle transparence, en vient à s’éclipser pour n’être plus qu’une absence. Certes, le procédé rigoureusement subjectif et rigoureusement poétique est lié à cette victoire que Genet estime être la sienne : victoire de la poésie qui sait agencer les ambiguïtés du signe et de la métaphore ; victoire aussi qui consiste à remplacer l’avilissement de soi-même par les formes prestigieuses de la sainteté. Et sans doute faut-il qu’il en soit ainsi pour que la conversion soit pleinement réalisable, c’est-à-dire absolument efficace, imparable et flamboyante. Pour cela, il a tout de même fallu faire oeuvre d’illusionnisme, pour disparaître et contrebalancer les différents moments d’apparition de sa personne visible sur la scène du monde ; un monde où l’on se voit inévitablement captif des regards, pris au piège de sa propre visibilité.
En latin, eclipsis désigne l’« occultation passagère d’un astre » : éclipser, c’est faire cesser d’être visible, ou même obscurcir, par l’effet d’un éclat supérieur ou d’une plus grande lumière. En grec, ekleipsis renvoie plutôt à un abandon ou à une défection, à une disparition ; éclipser, c’est faire disparaître quelqu’un ou quelque chose. C’est lui faire vider les lieux, le faire s’échapper ou s’évader. D’où le mot « éclipse », de ek « hors de » et de leipein « laisser, abandonner », qui intervient sous des formes variées dans les mots « délinquant », « délit », « déréliction », « reliquat »[34].
Le mot éclipse nous parle aussi de la disparition d’une chose par l’effet d’une autre, et dont l’éclat est si grand qu’il nous aveugle et nous retire la chose de la vue. « S’éclipser », c’est enfin partir, quitter la scène ou déserter, se retirer en douce, à l’abri des regards, donc s’échapper, se faire plus petit et invisible. C’est aussi, bien souvent, se livrer à une diversion et en quelque sorte mystifier. En ce sens, « s’éclipser » revient à faire oeuvre d’illusion. C’est faire jouer l’éclat d’une chose visible contre une autre, détourner les regards, éblouir, tromper. C’est pourquoi le geste qui consiste à s’éclipser soi-même (ou à éclipser quelque chose) est aussi un art du prestige – au sens de l’illusionnisme –, celui dont toute l’adresse consiste à impressionner, éblouir, faire diversion pour mieux disparaître (ou faire disparaître). De fait, le paradigme de l’éclipse dans son ensemble recouvre une large part de la poétique de Genet – poétique qui est à la fois celle de son oeuvre et de sa vie – car, mieux que quiconque, il a su faire oeuvre du prestige et de l’illusion ; mieux que quiconque il a su s’éclipser pour se révéler insaisissable et libre.
« J’étais et je n’étais pas »
Toute cette lecture – le passage par le Journal du voleur, la construction fantasmatique qui traverse le souvenir de la honte subie puis retournée – donne une portée exemplaire à l’« étrange séparation » pour celui qui n’est rien, tel que Genet l’écrit dans « La lumière et l’ombre »[35]. Elle permet de faire se rejoindre le motif d’une apparition du sujet et le motif de sa disparition sous une forme plus essentielle. Roland Barthes disait qu’il est quelques rares écrivains qui apparaissent dans leur texte : « [L]’auteur peut apparaître dans son texte (Genet, Proust), mais non point sous les espèces de la biographie directe (ce qui excéderait le corps, donnerait un sens à la vie, forgerait un destin)[36]. » Dans Le plaisir du texte, Barthes parlait en ce sens des modes d’apparition du corps érotique, mais il évoquait aussi, ailleurs, la réussite de l’oeuvre de Genet, comparable à celle de Proust, lorsque le « je » de l’écrivain se voit « débarrassé de toute hérédité par rapport à lui-même[37] ». Apparaître, c’est ne pas avoir d’autre lieu d’apparition ou d’existence que le texte lui-même. Le texte peut cependant organiser, disposer, préparer la disparition de celui qui parle, écrit et rêve son existence entre apparition et disparition, entre « la lumière et l’ombre », quand il arrive que ce soit la lumière qui éblouit et permet une autre disparition. Ce qui est, à mon sens, la logique poétique et fantasmatique qui se dessine dans le passage du Journal du voleur sur lequel il s’agissait de nous arrêter. C’est dire, aussi, la « disparition élocutoire du poète », dont parlait autrefois Mallarmé (« L’oeuvre pure implique la disparition élocutoire du poëte, qui cède l’initiative aux mots[38] »). Disparition qui est aussi celle de la mort de l’auteur (Genet est « déjà mort » et pourtant « reste vivant », disait Sartre[39]) ; alors que l’oeuvre qui est la sienne ouvre un espace d’inscription qui est celui d’un je d’écriture, qui ne cesse de dire je, en même temps que le sujet disparaît derrière son inscription (« il est question de l’ouverture d’un espace », disait Foucault, « où le sujet écrivant ne cesse de disparaître[40] »). Une ouverture qui laisse le je de l’écrivain singulièrement évidé ou vidé de sa substance.
L’épisode du tube de vaseline, minutieusement agencé dans Journal du voleur, nous indique le chemin que le sujet (« Jean Genet ») dit avoir emprunté en passant par l’exhibition forcée de la honte. Si la disparition est essentiellement celle du « poëte », comme le dit Mallarmé, si elle coïncide avec le je de l’écriture sous la forme paradoxale de l’apparition et de la disparition du sujet, cette disparition est indissociable de la structure du fantasme qui consiste à passer par l’abjection de sa propre position subjective[41]. Là où le sujet opère quelque chose comme une descente dans l’objet où il trouve à disparaître. Genet n’est pas seulement « déjà mort » et néanmoins « vivant », comme l’a dit Sartre, mais il s’évanouit, il glisse entre nos doigts, pour finalement « s’écouler hors du présent par un trou de vidange[42] ». En cela, Genet semble bel et bien avoir été « le témoin et le scribe » de ce « franchissement subjectif » dont a parlé Hervé Castanet, et qui consiste à se réduire à son « propre petit tas d’ordure », mais à ce point ontologiquement réduit qu’il est un objet « sans nom ni image[43] » : rien qu’une absence, un point en négatif d’où il écrit. C’est en somme une manière de se prémunir contre le monde (« Il était l’objet d’un monde où le danger n’existe pas – puisque l’on est l’objet », écrivait Genet dans Querelle de Brest[44]), mais c’est aussi, en fin de compte, une évasion par le néant, la disparition dans l’abjection, l’écoulement et la fuite hors du monde. C’est aussi, comme on le sait, la leçon des Paravents[45]. Autrement dit, la descente dans l’objet le plus méprisé, la réduction du sujet à la chose abjecte, ridicule, honteuse, n’est pas le terme de l’opération. Il y a toujours, chez Genet, un au-delà de l’objet, sans nom, sans image, où le sujet s’évanouit dans un rien je suis.
La constance avec laquelle Genet reconduit cette idée, la rigueur qui est la sienne, et qui consiste à réaffirmer par le biais de souvenirs l’insistance d’un fantasme – celui de l’abjection revendiquée et de la disparition du sujet à travers l’objet qu’il devient –, bref l’aménagement fantasmatique de sa propre infamie et sa conséquence sous la forme d’un rien je suis, nous indique comment le sujet se place sur la scène d’un monde où sa vérité n’est jamais que négative. S’il écrit, c’est toujours à partir de cette position en retrait qui n’est qu’une absence dans l’ordre visible du monde : l’écriture se fait en somme à partir d’un point subjectif qui est précisément ce point « vide », ce « trou qui fait cause de sa création[46] ». On comprend que l’énoncé que nous avons isolé au départ, et que Genet indexait lui-même comme l’expression d’une « étrange séparation » – « j’étais séparé des autres puisque je n’étais rien » –, contient tout un ensemble de virtualités que l’on retrouve exprimées à répétition dans toute l’oeuvre de Genet, quand le je de l’écriture se désigne lui-même en dehors du monde, et donc littéralement « immonde[47] ». Et c’est précisément depuis ce retranchement que le sujet voit le jeu et la théâtralisation des gestes ou des semblants du monde ; à partir de quoi il peut dire et réaffirmer cette étrange séparation qui fait de lui un être infiniment caché et infiniment en retrait de la scène du monde visible. Ce que l’on voit de lui n’est jamais qu’illusion, imposture, prestige de l’apparition. En ce sens, la dernière virtualité du sujet, son dernier trait d’existence, n’est jamais sans doute que le premier trait qui précède tous les autres, et qui se résume à une stricte négativité : « Je n’étais rien. » Ou encore, plus justement, un trait d’existence paradoxale que Genet ramasse dans un autre énoncé tout aussi énigmatique : « J’étais et je n’étais pas[48]. » Façon de dire que la négativité du sujet ne s’inscrit pas seulement sous la forme d’une absence, ou celle de l’invisibilité, mais dans la coupure qui inscrit le point de retournement indéfiniment répété (et indéfiniment réversible) entre apparition et disparition, entre « la lumière et l’ombre ».
Appendices
Note biographique
Professeur au département d’Études littéraires de l’Université du Québec à Montréal et chercheur au Centre de recherche sur le texte et l’imaginaire (« Figura »). Son enseignement et ses principaux champs d’intérêt portent sur le regard et les images dans l’optique de la littérature et du cinéma, sur les relations entre littérature et perversion, scène d’écriture et scène fantasmatique, angoisse et obsession. Ses travaux sont publiés dans différentes revues spécialisées, notamment Essaim, Cygne noir, Le Coq-Héron, Études françaises, Voix et images et Trafic. Depuis quelques années, il propose un retour à l’invention théorique de la « névrose obsessionnelle » en tant qu’elle implique, chez Freud et chez Lacan, une relecture de la modernité. Il est l’auteur de L’obscur objet d’un film. Jean Genet et les images de cinéma (L’extrême contemporain, 2022).
Notes
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[1]
Voir Jean Genet, « La lumière et l’ombre » dans Albert Dichy (dir.), Les valises de Jean Genet. Rompre, disparaître, écrire, Saint-Germain-la-Blanche-Herbe, IMEC, « Le lieu de l’archive », 2020, p. 186-201.
-
[2]
Sur le thème de l’enfant criminel, voir Jean Genet, « L’enfant criminel » (1949), dans Oeuvres complètes, Paris, Gallimard, t. V, 1979, p. 377-393 ; et, sur ce texte en particulier, Hervé Castanet, « Jean Genet : le mal, l’écriture » dans Le savoir de l’artiste et la psychanalyse. Entre mot et image (suite), Nantes, Cécile Defaut, 2009, p. 295-299.
-
[3]
Jean Genet, « La lumière et l’ombre », loc. cit., p. 188.
-
[4]
Hadrien Laroche, Le dernier Genet. Histoire des hommes infâmes, Paris, Seuil, « Fiction & Cie », 1997, p. 71.
-
[5]
Éric Marty, Bref séjour à Jérusalem, Paris, Gallimard, « L’Infini », 2003, p. 20.
-
[6]
Jean Genet, « May Day Speech » (1970), L’ennemi déclaré. Textes et entretiens, Paris, Gallimard, 1991, p. 47-54.
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[7]
Jean Genet, Un captif amoureux, Paris, Gallimard, 1986, p. 205. Voir aussi : « [S]i toute ma vie fut en creux alors qu’on la vit en relief, si le Mouvement noir fut surtout simulacre pour l’Amérique et pour moi, si j’y vins avec le naturel, la candeur que j’ai dits, si j’y fus accepté promptement, c’est qu’on avait reconnu en moi le spontané simulateur […]. Et leurs mouvements sont-ils simulacres où je ne risque rien d’autre que d’être anéanti, mais ne le suis-je pas déjà par une non-vie en creux ? » (ibid., p. 206) ; plus loin : « L’événement grâce auquel on est vu est-il l’émergence héroïque, une sorte d’apparition volcanique, remontée momentanée de ces creux inavouables autant par les peuples que par les hommes ? Le spontané simulateur, son abjection le hisse peut-être à un niveau où son échine dépasse, se laisse voir. C’est d’une autre monstruosité qu’il s’agit » (ibid., p. 207).
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[8]
Jacques Lacan, Le séminaire. 1. Les écrits techniques de Freud, Paris, Seuil, 1975, « Le champ freudien », p. 240-241, et Le séminaire. 11. Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse. 1964, Paris, Seuil, 1973, p. 79.
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[9]
Jean-Paul Sartre, L’être et le néant. Essai d’ontologie phénoménologique (1943), Paris, Gallimard, « Tel », 1976, p. 305-306.
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[10]
Jacques Lacan, Le séminaire. 1. Les écrits techniques de Freud, op. cit., p. 240-241.
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[11]
En cela, il faut prendre la mesure de la dimension fantasmatique de la scène qui repose sur une logique de la perversion, non pas dans le sens d’un écrivain qui arbore ses perversions (Geir Uvsløkk, Jean Genet. Une écriture des perversions, Amsterdam / New York, Rodopi, « Monographique Rodopi en littérature française contemporaine », 2011), mais dans le sens d’une imaginarisation de la jouissance à l’intérieur d’un fantasme rituel. Sur cette question, voir Alexis Lussier, « La formule du fantasme : image, signe et perversion d’après Yukio Mishima », Cygne noir, no 8 (« Quand ego signe : sémiotique, fantasme, fantaisie »), 2020, p. 33-55 (disponible en ligne, doi : 10.7202/1076271ar).
-
[12]
Jean Genet, Journal du voleur, Paris, Gallimard, 1949, p. 72.
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[13]
Les premiers éléments de notre analyse de cette scène proviennent de notre thèse de doctorat, Au lieu de l’image. L’écran, le regard, la mère selon Jean Genet, Université du Québec à Montréal, 2009, 263 p.
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[14]
Jean Genet, Journal du voleur, op. cit., p. 20.
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[15]
Ibid.
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[16]
Voir à ce propos, entre autres, Catherine Millot, « Le grand écart », dans Gide, Genet, Mishima. Intelligence de la perversion, Paris, Gallimard, « L’Infini », 1996, p. 81-123, et Pierre-Marie Héron, « Journal du voleur » de Jean Genet, Paris, Gallimard, « Foliothèque », 2003, p. 147-150.
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[17]
L’expression est de Lacan, Le séminaire. 11. Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse. 1964, op. cit., p. 89.
-
[18]
D’où le miracle de l’insaisissabilité que j’ai nommé précédemment et qui s’inscrit à l’horizon d’une scène d’enfance que Sartre a longuement méditée à propos de l’enfance de Genet – scène qu’il aura lui-même en partie imaginée et construite –, et qui a l’avantage de mettre l’accent sur une opposition significative, à savoir, l’opposition « être pris / se libérer », « être vu / disparaître », etc. La scène imaginée par Sartre conjugue le moment d’un regard (l’enfant est subitement « pris dans le sac ») et le moment où ce regard impose un signifiant qui l’enferme à l’intérieur d’un rôle et d’une catégorie, à la fois nominale et morale : « [Q]uelqu’un est entré qui le regarde. Sous ce regard l’enfant revient à lui. Il n’était encore personne, il devient tout à coup Jean Genet. […] Une voix déclare publiquement : “Tu es un voleur.” » (Jean-Paul Sartre, Saint Genet comédien et martyr [1952], Paris, Gallimard, « Tel », 2011, p. 26.) Je souligne que la disparition et l’insaisissabilité de ceux qui se sont vu enfermés ou cloisonnés dans quelque chose comme un rôle imposé est au coeur de la dramaturgie de Genet, en particulier dans Les paravents, comme l’ont montré Albert Dichy et Michel Corvin en parlant d’une « dramaturgie de l’effacement » (voir les notes pour Les paravents dans Jean Genet, Théâtre complet, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2002, p. 1252-1265).
-
[19]
Jean Genet, « Lettres à Roger Blin » (1967), dans Oeuvres complètes, Paris, Gallimard, t. IV, 1968, p. 249.
-
[20]
« Or voici que ce misérable objet sale, dont la destination paraissait au monde – à cette délégation concentrée du monde qu’est la police et d’abord cette particulière réunion de policiers espagnols, sentant l’ail, la sueur et l’huile mais cossus d’apparence, forts dans leur musculature et dans leur assurance morale – des plus viles, me devint extrêmement précieux » (Jean Genet, Journal du voleur, op. cit., p. 20-21).
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[21]
Ibid., p. 21.
-
[22]
« Contrairement à beaucoup d’objets que ma tendresse distingue, celui-ci ne fut point auréolé ; il demeura sur la table un petit tube de vaseline, en plomb gris, terne, brisé, livide, dont l’étonnante discrétion, et sa correspondance essentielle avec toutes les choses banales d’un greffe de prison (le banc, l’encrier, les règlements, la toise, l’odeur) m’eussent, par l’indifférence générale, désolé, si le contenu même de ce tube, à cause peut-être de son caractère onctueux, en évoquant une lampe à huile ne m’eût fait songer à une veilleuse funéraire » (ibid.).
-
[23]
Ibid.
-
[24]
Ibid.
-
[25]
Ibid., p. 22.
-
[26]
Ibid.
-
[27]
Sur le devenir signe du sujet, dans cette scène en particulier, voir Anne Élaine Cliche, « Un saint, un gant, un mort. Genet avec la Chose », dans Dire le livre, Montréal, XYZ, « Théorie et littérature », 1998, p. 153-193.
-
[28]
Jean Genet, Journal du voleur, op. cit., p. 22.
-
[29]
Ibid., p. 22-23.
-
[30]
Jacques Lacan, Le séminaire. 7. Éthique de la psychanalyse. 1959-1960, Paris, Seuil, « Champ freudien », 1986, p. 269.
-
[31]
Jean Genet, Journal du voleur, op. cit., p. 23 note 1.
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[32]
C’est en ce sens que la dimension sexuelle de la scène – les allusions à la sexualité, voire l’évocation du jeu érotique entre Genet et les policiers – reste tout à fait secondaire, sinon anecdotique. On peut faire grand cas des passages que Genet a lui-même censurés, et que l’on a rétablis dans une édition plus récente du Journal du voleur (dans Romans et poèmes, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2021, p. 1095-1317), mais il apparaît surtout que le rétablissement de ces mêmes passages (très courts d’ailleurs) ne change précisément rien à la logique de la scène qui relève d’une logique fantasmatique, et non du témoignage. C’est bel et bien du côté de la jouissance – à travers le dévoilement de « la face obscure du désir » et de « sa nécessaire abjection » – que Genet est résolument scandaleux (Jean-Luc André d’Asciano, Petite mystique de Jean Genet. La famille, la mort, le pardon, Paris, l’Oeil d’or, « Essais et entretiens », 2007, p. 69).
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[33]
On comprend que l’idée que je défends ici se distancie de la lecture de Didier Éribon dont la vision « moraliste », et étonnamment inconséquente au regard du vocabulaire qu’il revendique (soit, en particulier, le vocabulaire de Lacan qu’il reprend après avoir évincé toute lecture possible issue de la psychanalyse, et donc de son vocabulaire), reste à la surface d’une vision qui s’en tient au processus tout social de la manoeuvre que je propose de décrire. Plus précisément, si Éribon met l’accent, à juste raison, sur la honte subie de la marginalisation et de l’exclusion, il rate tout à fait l’idée que, chez Genet, la honte contient néanmoins un point de jouissance qui n’est pas un subterfuge (Didier Éribon, Une morale du minoritaire. Variations sur un thème de Jean Genet, Paris, Fayard, « Histoire de la pensée », 2001).
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[34]
Voir « éclipse », Dictionnaire historique de la langue française, Paris, Dictionnaire Le Robert, 1994 [1992], t. I, p. 652 col. 1.
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[35]
Loc. cit., p. 188.
-
[36]
Roland Barthes, Le plaisir du texte (1973), recueilli dans Oeuvres complètes, nouv. éd., Paris, Seuil, 2002, t. IV, p. 253-254.
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[37]
Roland Barthes, « Plaisir / écriture / lecture », entretien avec Jean Ristat, Les Lettres françaises, 9 février 1972, recueilli dans Oeuvres complètes, ibid., p. 207.
-
[38]
Stéphane Mallarmé, « Crise de vers » (1897), Oeuvres complètes, publié par Bertrand Marchal, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », t. II, 2003, p. 211.
-
[39]
Jean-Paul Sartre, Saint Genet comédien et martyr, op. cit., p. 29.
-
[40]
Michel Foucault, « Qu’est-ce qu’un auteur ? », Bulletin de la Société française de philosophie, t. LXIV, juillet-septembre 1969, p. 81-102 ; recueilli dans Dits et écrits, Paris, Gallimard, « Quarto », 2001 [1994], t. I : 1954-1975, p. 821.
-
[41]
Voir Jean-Luc André d’Asciano, op. cit., p. 32-34.
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[42]
« À quoi bon vivre, en effet : le temps n’est qu’une illusion fastidieuse, tout est déjà là, son avenir n’est qu’un présent éternel et, puisque sa mort est au bout – sa mort, son unique délivrance – puisqu’il est déjà mort, en somme, déjà guillotiné, mieux vaut en finir tout de suite. S’évanouir, glisser entre leurs doigts, s’écouler hors du présent par un trou de vidange, se faire avaler par le néant » (Jean-Paul Sartre, Saint Genet comédien et martyr, op. cit., p. 29).
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[43]
Hervé Castanet, « Jean Genet : le trou du regard », dans Le regard à la lettre, Paris, Anthropos-Economica, 1996, p. 99.
-
[44]
Querelle de Brest (1947), dans Oeuvres complètes, op. cit., t. III, 1953, p. 249.
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[45]
Hervé Castanet, « Jean Genet : le trou du regard », loc. cit., p. 99.
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[46]
Hervé Castanet, « Jean Genet romancier : politique, symptôme et écriture », dans Entre mot et image, Nantes, Cécile Defaut, 2006, p. 210.
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[47]
« [E]n s’évanouissant, il se présentifie comme immonde, exclu comme déchet du simulacre, rejeté du semblant et du lien social qu’il commande » (Serge André, L’imposture perverse, Paris, Seuil, « Champ freudien », 1993, p. 250).
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[48]
Jean Genet, La sentence suivi de J’étais et je n’étais pas, Paris, Gallimard, 2010, p. 33-42.