Abstracts
Résumé
Premier écrivain africain à se voir décerner le prix Renaudot en 1968 pour Le devoir de violence, Yambo Ouologuem fut d’abord encensé par la critique avant d’être accusé d’avoir plagié Le dernier des Justes d’André Schwarz-Bart (1959). Si la plupart des commentateurs se sont concentrés sur ce qu’ils percevaient comme les limites du roman, notamment les faiblesses du personnage central, Raymond Spartacus Kassoumi, aucun, semble-t-il, n’a étudié sa trajectoire dans une perspective intertextuelle. Raymond Spartacus constitue selon nous l’alter ego positif d’Ernie dans Le dernier des Justes. L’analyse intertextuelle des trajectoires d’Ernie et de Raymond Spartacus, qui recourt à une déconstruction et une reconstruction à la fois de la forme (la langue utilisée) et du fond (la réécriture de l’histoire et de l’Histoire), offre une lecture nouvelle du roman de Ouologuem permettant l’émergence de son sens.
Abstract
First African writer awarded the Renaudot Prize in 1968 for Bound to Violence (Le devoir de violence), Yambo Ouologuem was initially praised by the critics before being accused of having plagiarized The Last of the Just (Le dernier des Justes) by André Schwarz-Bart (1959). If most commentators focused on what they saw as the limitations of the novel, especially the weaknesses of the main character, Raymond Spartacus Kassoumi, none of them, so it seems, studied his path from an intertextual perspective. In this article, we consider Raymond Spartacus the positive alter ego of Ernie in The Last of the Just. The intertextual analysis of both Ernie’s and Raymond Spartacus’ trajectories, which proceeds by a deconstruction and a reconstruction of both the form (the language used) and the content (the rewriting of story and History), offers a new reading of Ouologuem’s novel allowing for the emergence of its meaning.
Article body
Couronné par le prix Renaudot en 1968, l’année de sa publication, Le devoir de violence raconte l’histoire de l’empire fictionnel du Nakem[1] et de sa dynastie régnante, les Saïf, du xiiie au xxe siècle de notre ère. Si son auteur, Yambo Ouologuem, fut d’abord encensé par la critique, l’engouement qu’il suscita fut de courte durée puisqu’un an à peine après la parution de son oeuvre apparaissent les premières accusations de plagiat. L’écrivain malien aurait pillé, entre autres, Le dernier des Justes d’André Schwarz-Bart, lauréat du prix Goncourt en 1959, qui raconte l’histoire d’une famille juive, les Lévy, du Moyen Âge au xxe siècle. Conspué de toutes parts, Ouologuem est accusé par la critique occidentale de ne pas être « un auteur africain authentique[2] », tandis que la critique africaine lui reprocherait « d’avoir sali les Noirs[3] ».
Si la dimension intertextuelle du Devoir de violence va bien au-delà des seules références au Dernier des Justes[4], nous avons choisi de nous concentrer sur ces dernières dans la mesure où notre article porte sur un aspect absent, nous semble-t-il, des analyses des deux romans : le parallèle entre Raymond Spartacus Kassoumi, le héros de Ouologuem, et Ernie, le héros de Schwarz-Bart. Si la plupart des commentateurs se sont arrêtés sur les faiblesses de Raymond Spartacus, jugé « incapable de sauver son peuple[5] », aucun n’a étudié la trajectoire de ce dernier dans une perspective intertextuelle. Or Raymond Spartacus constitue selon nous le double (positif) inversé du personnage d’Ernie dans le Dernier des Justes, tant sur le plan de la forme (la langue utilisée) que sur le fond (la réécriture de l’histoire et de l’Histoire).
L’Histoire occupe en effet une place centrale dans les deux romans qui reconstruisent un temps pendant lequel au moins deux espaces géographiques sont en conflit, et « mettent en scène des personnages fictionnels ayant participé à des événements historiques réels[6] ». Il s’agit donc de faire coïncider diachronie et synchronie, un passé construit comme homogène et un présent caractérisé par son hétérogénéité, mais aussi la concordance et la discordance qui déterminent l’identité narrative des personnages. La vie de ces derniers, homogène d’un point de vue temporel, est sans cesse menacée par les événements de l’histoire et de l’Histoire qui marquent autant de ruptures imprévisibles à l’origine de reconfigurations identitaires[7].
L’école
Si Ernie et Raymond Spartacus doivent s’accommoder d’une situation historique initiale présentant des parallèles indéniables, à l’oppression subie par les Juifs répondant celle dont ont été victimes les esclaves africains, la place assignée à ces derniers dans l’Histoire est sensiblement différente. En effet, si Ernie est « le second produit de Mlle Blumenthal » et le dernier des Justes[8], Raymond Spartacus est, lui, « le premier né de tous[9] ». Il s’agit ainsi de réécrire en inversant, l’hypertexte devenant un « palimpseste inversé[10] » de l’hypotexte. Cette transformation du sens originel de l’hypotexte est fondamentale puisque si le destin d’Ernie semble caractérisé d’emblée par la fin, préfigurant en quelque sorte l’échec de l’altérité (il reste le même), le destin de Raymond Spartacus est, lui, symbolisé par le commencement, la possibilité d’une ère nouvelle, et l’intégration de l’Autre en soi et de soi dans l’Autre. C’est dans cet entre-deux des textes que surgit ce que Michael Riffaterre appelle « la signifiance, c’est-à-dire la littérarité du sens [qui] n’est donc ni dans le texte ni dans l’intertexte, mais à mi-chemin des deux, dans l’interprétant, qui dicte au lecteur la manière de les voir, de les comparer[11] ». L’objectif est de dire autre chose semblablement, cette autre réalité renvoyant non seulement à l’identité individuelle des personnages, mais aussi à l’identité collective des Juifs et des Noirs qui ont en commun d’avoir été opprimés.
Cette dichotomie est particulièrement flagrante à l’école, qui devient le théâtre d’une lutte symbolique entre dominants et dominés. Alors que l’allemand que parle Ernie est « curieusement noyé de modulations yddish » (DJ, 124), la vie de Raymond Spartacus est, elle, « tiraillée entre l[a vie] indigène et la [vie] française » (DV, 153). Tous deux présentent ainsi le même profil sociologique et sont déchirés entre deux mondes, leur culture d’origine (juive, Nakem) et une culture dominante (l’Allemagne, la France)[12]. Les deux garçonnets deviennent très rapidement les souffre-douleurs de leurs camarades de classe qui les assimilent à des « chiens », thème récurrent qui les suivra tout au long de leur vie. C’est Hans Schliemann, le camarade d’Ernie incarnant la culture dominante qui, le premier, traite le jeune Juif de « Hund, chien, chien, chien » (DJ, 216) ; c’est le garçon de Rokia, dans Le devoir de violence, qui apostrophe Raymond Spartacus en ces termes : « Chien, fils de chien dont la mère mourut dans les selles des serfs ! » (DV, 151). Cette récriture intertextuelle, au premier abord identique, est toutefois différente car, s’il y a hybridité, cette hybridité est pensée en termes binaires dans le cas d’Ernie, l’enfant juif étant cantonné au rôle de victime par le bourreau allemand. Ilse, la camarade de classe allemande d’Ernie, symbolise bien la culture dominante. Elle va « le fix[er] à distance, comme un étranger que l’on méprise et craint » (DJ, 219). Il est difficile, voire impossible, pour Ernie, cantonné au rôle d’objet subissant l’action, de se penser en tant que sujet, lui qui est victime à la fois des Allemands, mais aussi du Dieu des Juifs : « Ô Seigneur, ne l’as-tu pas coulé comme du lait ? Ne l’as-tu pas caillé comme du fromage ? Écoute, tu l’as revêtu de peau et de chair, tu l’as tissé d’os et de nerfs : et voici qu’aujourd’hui tu le détruis… » (DJ, 237).
L’hypertexte a recours au même idiolecte[13] mais, à la différence d’Ernie, Raymond n’est pas exclu de la dialectique du « je » et du « tu » : « Le lait te coule encore de la bouche et tu veux te mesurer à moi ? Eh, maudit parjure, va donc avec les tiens » (DV, 151-152)[14]. Les propos du bourreau de Raymond Spartacus donnent lieu à une double interprétation. Si une première lecture attribue ces propos à la culture indigène à laquelle Raymond Spartacus s’oppose en voulant se faire plus blanc que le Blanc, ces propos peuvent également être attribués à la culture française dominante. Comment un enfant noir peut-il espérer se mesurer à elle ? Le double traître, le « maudit parjure », est sommé de ne pas oublier qui il est, d’où il vient, et de retourner parmi les siens, les Africains. Ainsi, si dans un cas le Juif est assimilé à la victime et l’Allemand au bourreau, dans l’autre, l’Africain peut endosser le rôle du bourreau. Ce faisant, Ouologuem critique à la fois les discours occidentaux qui ont contribué à construire l’image de l’Afrique « à la férocité native » (DV, 153) et les discours africains prônant un âge d’or précolonial ou le mythe des origines[15].
Cette distinction est encore plus flagrante dans les réactions respectives des deux garçons à ce statut de martyr qui leur est assigné parce que ces derniers, s’ils partagent une même situation sur le plan sociologique, sont très différents sur le plan psychologique. Le salut n’est point à chercher du côté de la condition juive dans Le dernier des Justes puisque c’est Mutter Judith elle-même, la grand-mère d’Ernie, qui va pousser son petit-fils à sortir de la maison et à fréquenter ses congénères qui feront de lui leur souffre-douleur. Ernie est donc rejeté symboliquement par sa communauté et par ses camarades allemands. Cette double exclusion contribue à aliéner l’individu en contexte de domination, aliénation qui va pousser le jeune Ernie jusqu’à la folie et au suicide. L’hybridité est donc vécue comme négative, la part allemande et la part juive d’Ernie restant étrangères l’une à l’autre sans jamais trouver une zone de contact. La méthode assimilationniste, qui consiste à faire de l’Autre un autre soi-même, échoue, qu’elle soit mise en oeuvre par la culture d’origine ou par la culture dominante. Si Ernie ne parvient pas à sortir de son rôle de martyr, Raymond Spartacus va, avec l’aide de son père, mettre fin aux tortures dont il est l’objet de la part de ses camarades de classe. Les ennemis de Raymond Spartacus reconnaissent qu’« [i]l n’est pas fou » (DV, 152), à l’inverse d’Ernie qui sombre dans la folie. On observe, dans un cas, un processus de dégradation, la souffrance conduisant jusqu’à la mort, et dans l’autre un processus d’amélioration symbolisé par la disparition de ladite souffrance[16].
La Seconde Guerre mondiale
La fin de l’enfance marque une rupture à la fois symbolique et réelle puisqu’elle coïncide avec l’expatriation des deux jeunes gens qui quittent leur pays d’origine pour la France, et pour Paris. Si les deux personnages peuvent être vus comme des instruments de l’Histoire au sortir de l’enfance, les Allemands étant à l’origine du départ des Lévy et Saïf à l’origine de celui de Raymond Spartacus, les similitudes s’arrêtent là. Dans le premier cas le départ est avant tout lié à une absence de choix : « [A]ucun pays au monde ne veut plus de nous, Juifs ! » (DJ, 245), les minorités étant condamnées à demeurer minoritaires indépendamment de leur contexte. En revanche, le départ de Raymond est sous-tendu par un choix raisonné de la part de Saïf qui voit le jeune esclave comme l’« instrument de sa politique future » (DV, 156). Se dessine donc en creux la possibilité d’un avenir autre, la possibilité pour les minorités de se mesurer à la majorité, ce que semble confirmer la conclusion du passage qui marque le départ de Raymond pour Paris : « [L]e maître [Saïf] fit de l’esclave l’esclave des esclaves et l’égal impénitent du maître blanc, et où [dans des jeux d’équilibres ambigus] l’esclave [Raymond] se crut maître du maître lui-même retombé esclave de l’esclave… » (DV, 157). On assiste à un renversement de la dialectique du maître et de l’esclave. Il s’agit pour l’Africain d’assumer sa part de responsabilité dans les torts du passé, à l’inverse des Juifs dépeints dans Le dernier des Justes qui, en s’exemptant de toute culpabilité passée ou présente, ne sont pas maîtres de leur sort.
Alors que l’on observe une recontextualisation dans l’enfance des deux personnages (le Nakem pour Raymond, l’Allemagne pour Ernie), on dira que leur parcours à l’âge adulte concorde sur les plans géographique, culturel et historique, en France pendant la Seconde Guerre mondiale[17]. Le début de la guerre marque non seulement une rupture dans la vie des deux personnages, mais aussi entre l’hypotexte et l’hypertexte. En effet, si la temporalité des récits coïncide, l’âge des personnages diffère, Kassoumi étant âgé d’environ trente-cinq ans tandis qu’Ernie a toujours une vingtaine d’années. Tous deux sont mobilisés en tant que soldats, mais cette situation relève d’un choix pour Ernie qui « [a] voulu partir à la guerre à cause des Allemands » (DJ, 257) et à cause de ce qu’ils lui ont fait, alors que Kassoumi ne comprend pas ce qui lui arrive. Cette guerre peut ainsi être perçue comme celle d’Ernie qui entreprend de combattre un ennemi personnel cherchant à « l’enferm[er] corps et âme » dans sa judaïté (DJ, 262), au sens propre (persécutions physiques) comme au sens figuré (persécution de ce que représente le judaïsme). En revanche, elle n’est pas celle de Kassoumi qui se retrouve « [j]eté corps et âme » dans le conflit (DV, 185). La reproduction de la dichotomie platonicienne du sensible et de l’intelligible, présente dans Le dernier des Justes et que l’on retrouve dans Le devoir de violence, illustre l’aliénation dont est victime Kassoumi (corps et âme), mais aussi la distinction entre une situation subie sur le plan sensible (corps) et choisie sur le plan intelligible (âme), l’ennemi pouvant aussi être l’ami. Il est assurément possible pour l’Afrique et la France de développer un attachement réciproque qui ne soit pas fondé sur les fantômes du passé[18], Kassoumi, être hybride par excellence, incarnant une réponse possible au manichéisme d’Ernie.
La reddition de la France coïncide avec une nouvelle inversion des narrations, les personnages ayant tous deux survécu au conflit, mais pour des raisons différentes. Dans le cas d’Ernie, la vie apparaît comme un choix par défaut, le jeune homme caressant pour la deuxième fois « l’idée heureuse de se pendre » (DJ, 263), même s’il finira par y renoncer. Cet épisode est intéressant puisqu’il pose les questions suivantes : « Et pourquoi voulut se pendre ?… et pourquoi ne se pendit pas ?… » (DJ, 263), questions auxquelles l’hypotexte choisit volontairement de ne pas répondre. L’hypertexte se fait à nouveau palimpseste de l’hypotexte en devenant « l’effet de diffraction, dans l’oeuvre, d’un éclat particulier émanant de l’intertexte et qui prolonge l’une et l’autre[19] ». Kassoumi apporte une réponse possible à la question laissée en suspens par l’hypotexte, lui qui, à la différence d’Ernie, est « [l]aissé pour mort » sur le champ de bataille (DV, 185), et fait le choix de la vie en s’infligeant des coups « pour bien se rappeler l’absurdité de toute tentative de suicide » (DV, 186). C’est précisément cette question du suicide qui va provoquer l’inversion des narrations. On peut parler ici de « démotivation », voire de « transmotivation » au sens où l’entend Gérard Genette, à savoir une transformation par l’hypertexte des motifs présents dans l’hypotexte[20].
C’est parce qu’Ernie pense au suicide, autrement dit parce qu’il a pensé renoncer à son statut de sujet pour devenir à jamais objet (victime) qu’il se met à adopter le comportement d’un chien. À l’inverse, Kassoumi, lui, vit comme un chien, mais n’en accepte pas pour autant l’idée du suicide, l’Africain se battant jusqu’au bout pour accéder à ce statut de sujet qui lui a été refusé par l’Histoire. Ernie va donc décider sciemment « de faire tout ce qui est humainement possible pour devenir chien » (DJ, 264), alors que Kassoumi, lui, est « réduit à la bestialité » (DV, 186), le choix d’Ernie contrastant avec l’absence de choix de Kassoumi. On observe ici le passage de la théorie à la pratique, les deux hommes, on s’en souvient, ayant été comparés à des « chiens » dans leur enfance. Le silence de Kassoumi durant cette phase d’errance, qui va de la capitulation de la France à celle de l’Allemagne, correspond donc à son statut réel, lui qui erre et vit « de feuilles ou de fruits sauvages, de rats et de racines » (DV, 186). Un chien ne peut effectivement pas parler, à l’instar du Noir dont certaines histoires occidentales ont fait un animal – à l’inverse d’Ernie qui, né et élevé en Occident, devient « chien ».
Kassoumi épouse alors le destin de la France au sens propre comme au figuré. Un changement va en effet s’opérer en lui et, de dominé au moment de la défaite de la France (objet, chien), il deviendra dominant au moment de la victoire de ce pays (sujet / rejet de sa condition)[21]. Son nom évolue de concert avec son identité puisque l’homme est désormais appelé « Raymond Spartacus Kassoumi », les deux facettes de son identité hybride n’étant plus rejetées mais acceptées dans la dernière partie du roman. Cette évolution est inversement proportionnelle à celle d’Ernie qui, de sujet-bourreau au moment de la défaite de la France (il est alors soldat engagé dans la lutte contre les Allemands), va redevenir objet-victime à la fin de la guerre. La déchéance d’Ernie au cours de cette phase d’errance va atteindre son apogée lorsqu’il renoue avec sa judaïté qui le condamne pourtant à la mort : « [M]ourir et revivre et mourir[22] » (DJ, 278). Ainsi, la fin de l’aliénation pour le jeune Juif est paradoxalement synonyme de retour à une forme de soumission à ses origines juives et à l’impérialisme allemand, alors que pour Raymond elle va symboliser les prémisses d’un affranchissement futur.
Le retour à Paris
Le retour à Paris à la fin de la guerre marque une rupture dans l’histoire puisque le temps linéaire devient circulaire. Cette évolution est fondamentale car elle traduit une concomitance temporelle, le passé rattrapant le présent et inversement. L’établissement d’un continuum temporel et narratif prend le pas sur la polarisation, qu’elle soit entre les textes ou au sein de ceux-ci, l’Histoire pouvant, certes, se répéter, mais aussi être réinventée. Dans le cas d’Ernie, le retour à Paris symbolise également un présent narratif rattrapé par le passé, le jeune homme ne pouvant se penser que dans sa judaïté et non en dehors d’elle : « Je suis juif » (DJ, 306). À cette identité figée, l’hypertexte va préférer une absence d’identité qui, en accord avec la période historique, préfigure paradoxalement la possibilité de se réinventer. Ainsi, parce qu’il est né dans les colonies d’Outre-mer, Raymond Spartacus Kassoumi a un statut ambigu : il est à la fois « sujet français », mais sans pour autant être « Français » (DV, 187).
Si cette identité est conflictuelle, l’être étant assimilé à un non-être et le non-être devenant être, elle permet également à l’être hybride de se redéfinir dans l’intervalle créé par ces deux pôles. Ainsi, à l’inverse d’Ernie qui « veu[t] entrer et pas sortir » de la situation dans laquelle le cantonne son identité (DJ, 306), Raymond Spartacus voit naître « en lui une rage d’écraser son malheur » (DV, 187), de prendre sa revanche sur le passé et d’imaginer « la vision de ce que pourrait être sa vie, dévidée de l’inconnu… » (DV, 188). Autrement dit, le jeune homme, du fait de son statut ambigu à la jonction de deux extrêmes – être ou ne pas être –, est en mesure de penser une réalité différente dans laquelle il ne serait plus étranger à lui-même et à autrui, une réalité dans laquelle l’atypique renverrait la norme dans les marges, où il n’y aurait plus ni marges ni centre. Le discours de l’hypertexte peut donc être qualifié de transracial puisqu’il fait de la question de l’identité, liée à celle de la race, un construit social. Ce qui est défini comme héréditaire ne serait qu’héritage du passé, l’hérédité s’apparentant à une forme de conditionnement culturel, social, politique et idéologique propre à un contexte particulier[23]. Ainsi, l’hypotexte tend à faire des Juifs les saints et des Allemands les pécheurs, tandis que Ouologuem « ne limite certainement pas les catégories [des saints et des pêcheurs] à une seule race[24] ».
Si la fin de la guerre symbolise la fin de l’aliénation pour les deux protagonistes, la connaissance qui l’accompagne est vécue différemment parce que, si la connaissance est source de souffrance pour Ernie, c’est l’ignorance qui est destructrice chez Raymond. Se pensant à nouveau, et exclusivement, comme juif, Ernie va logiquement faire le choix des origines en épousant l’une de ses semblables, Golda. L’amour est ici associé à la mort puisqu’il va choisir de renoncer à sa liberté et d’être interné dans le camp de Drancy pour retrouver la jeune femme qui y est emprisonnée. Ernie fait donc le choix du même, du semblable, alors que Raymond opte pour la différence en « se maria[nt] à une Française » (DV, 182), blanche de surcroît. Si ce qui lie les deux personnages est un présent narratif commun, leur trajectoire respective diverge en diachronie. Ernie refuse de se soumettre à l’Allemagne (l’Autre), mais pas à sa communauté en épousant une juive, Golda (le même), alors que Raymond refuse de se soumettre à la France (l’Autre), mais aussi à sa communauté incarnée par Saïf qui règne sur le Nakem (le même).
Ce retour à Paris, cette première circularité, préfigure ainsi l’accomplissement de leur destinée respective. Il n’est donc pas étonnant que le premier fasse le choix de la mort, lui qui ne parvient pas à dépasser sa situation initiale et la reproduit (le même), alors que le second entend prendre sa revanche sur la vie en rejetant sa situation initiale (la différence)[25]. En ce sens, l’étude intertextuelle de la trajectoire des deux personnages met au jour deux identités narratives distinctes correspondant aux deux pôles de l’identité tels qu’ils sont définis par Paul Ricoeur : la mêmeté et l’ipséité[26]. Raymond, le double inversé d’Ernie, correspondrait à l’ipséité de l’individu, au maintien de soi dans la promesse donnée de dépasser la condition d’esclave que lui a léguée l’Histoire. À l’inverse, Ernie se complaît dans la mêmeté, lui dont le caractère reste inchangé malgré les changements et qui, né martyr, mourra en martyr. Or, l’ipséité a ceci d’intéressant que la tenue de la promesse est avant tout un défi au temps et, ce faisant, peut transcender l’Histoire. L’imagination narrative née de la rencontre entre deux textes donne donc naissance à deux polarités, deux voies possibles que peut emprunter l’Histoire de l’humanité. Cette première voie, symbolisée par la mêmeté, correspond davantage à une forme de dépossession, d’effacement de soi tandis que la deuxième voie, représentée par l’ipséité, est caractérisée par la possession, l’affirmation de soi. Alors que les ruptures, les monstruosités engendrées par l’Histoire ne font que se répéter et sont subies à l’infini dans le cas des Juifs, elles provoquent une résistance, une barrière qui limite, voire empêche leur reproduction dans le cas des Noirs.
Le retour au pays natal
À cette première circularité interne, symbolisée par le retour à Paris, succède une circularité externe, ou le retour au pays natal. La boucle est bouclée, voilà Ernie de retour en Allemagne et Raymond Spartacus au Nakem. Cette convergence spatiale correspond toutefois à une divergence temporelle puisqu’elle se produit avant la fin de la guerre dans Le dernier des Justes et après la guerre dans Le devoir de violence. Si la Seconde Guerre mondiale est assimilée à la plus grande rupture du xxe siècle, force est de constater que le salut de l’humanité ne réside pas dans la mêmeté puisqu’Ernie ne sortira pas vivant de cet épisode de l’Histoire, mais dans l’ipséité incarnée par Raymond Spartacus. Ce point de divergence conclut la lecture intertextuelle des deux romans et coïncide avec « la présence effective » de l’hypotexte dans l’hypertexte[27]. En effet, dans les derniers moments de sa vie, Ernie « étrei[nt] le corps de Golda en un geste déjà inconscient de protection aimante » (DJ, 345), tout comme Raymond qui se retrouve jeté « à la défense de la France envahie en un geste déjà inconscient de protection aimante » (DV, 185). Mais alors que ce geste est synonyme de dépossession dans le cas d’Ernie puisqu’il préfigure la mort qui l’emportera quelques secondes plus tard, il est (re)possession de soi pour Raymond Spartacus.
Ce geste symbolique vis-à-vis de la France, à l’échelle d’un pays, va trouver un prolongement pratique dans le traitement réservé à la femme blanche à l’échelle du couple. L’homme va ainsi prendre sa revanche sur la femme-nation en la mordant, la tirant, la mangeant, la tétant, bref en « savourant sa revanche[28] » (DV, 192). Raymond Spartacus va alors trouver « dans cette aliénation une voie ouverte à sa révolte » (DV, 192) ou comment transformer le mal en bien ; aliénation dont l’origine est à chercher à la fois du côté de la France, mais aussi de l’élitisme africain symbolisé par Saïf qui, paradoxalement, est celui qui l’a poussé dans les bras de la France. La femme blanche devient alors cette page blanche permettant à l’Africain de procéder à une réécriture palimpsestique de son histoire et, par extrapolation, de l’Histoire écrite par les dominants, en l’occurrence la France coloniale (femme blanche que l’on domine) mais aussi l’Afrique impériale (femme noire que l’on rejette). La réécriture devient alors « opérateur critique[29] » de l’histoire puisqu’il s’agit ni plus ni moins que de devenir sujet-dominant et non plus objet-dominé de l’Histoire (condition noire / condition juive).
Cet épisode s’accorde dans le temps et l’espace de la narration avec « ce merveilleux tournant de la civilisation africaine » (DV, 191), celui de la période des indépendances. La terre africaine devient dès lors le lieu par excellence où peut s’articuler un discours post-colonial, mais aussi postcolonial. Alors qu’Ernie est accueilli en sous-homme à son retour au pays (le dernier des hommes), Raymond Spartacus est accueilli au Nakem en héros (le premier de tous). L’hypertexte devient alors continuation, extrapolation de l’hypotexte, la dernière partie du Dernier des Justes s’intitulant « Jamais plus » à laquelle répond la dernière partie du Devoir de violence intitulée « L’aurore ». Si « Jamais plus » peut symboliser la fin d’une ère, il peut également faire écho au commencement d’une autre que l’on retrouve dans Le devoir de violence, Raymond préfigurant la possibilité d’un âge nouveau post-domination (guerre, colonisation) dans lequel les mêmes erreurs ne doivent « jamais plus » être commises.
Les deux personnages peuvent donc être perçus comme les deux faces d’un même être, un être biculturel dont l’hybridité soit est vouée à l’échec, la mort, soit, au contraire, symbolise la fin d’une histoire caractérisée par les conquêtes et les destructions. C’est bien le rôle qui est assigné à Raymond, lui qui, en devenant député du Nakem, voit enfin coïncider son être (identité mi-africaine mi-française) et son paraître (fonction d’intermédiaire entre le Nakem et la France). En ce sens, si les deux romans sont en apparence semblables, ils « sont profondément différents dans leurs fonds, dans leurs narrations et dans leurs buts[30] », car Ernie peut être vu comme ayant failli à l’Histoire, comme ayant raté son but, lui le dernier des Justes qui, par sa mort, condamne l’humanité à « étouffe[r] dans un cri » (DJ, 12). À l’inverse, Raymond Spartacus a atteint son objectif, lui le gladiateur[31] dont le glaive, la connaissance en général et de soi en particulier, devient la plume lui permettant de réécrire son histoire et celle de son peuple. Raymond Spartacus est désormais en mesure de mener la révolte des esclaves, à savoir les peuples africains opprimés, qu’il va pouvoir aider à redéfinir leur identité que la colonisation a bouleversée. Il n’est pas anodin à ce titre que Raymond soit docteur en architecture, ce dernier ayant les compétences lui permettant de construire un avenir nouveau, une Afrique nouvelle. L’hypotexte ouvre donc de nouveaux horizons de lecture, la fin du livre restant ouverte, la connaissance devant permettre de faire évoluer l’Histoire (Raymond) et non pas de s’y conformer (Ernie).
L’analyse intertextuelle des trajectoires d’Ernie et de Raymond Spartacus débouche donc sur une nouvelle signifiance que cette citation de Frantz Fanon nous semble bien résumer :
Oui : les amener [les Noirs] à prendre conscience des possibilités qu’ils se sont interdites, de la passivité dont ils ont fait montre dans des situations où justement il fallait, telle une écharde, s’agripper au coeur du monde, forcer s’il le fallait le rythme du coeur du monde, déplacer s’il le fallait le système de commande, mais en tout cas, mais certainement, faire face au monde[32].
Le titre de l’hypertexte prend alors tout son sens puisque selon nous, il s’agit de « faire violence », à travers le personnage de Raymond Spartacus, à la passivité d’Ernie pour permettre aux Noirs de dépasser leur posture de victime. Pour ce faire, l’hypertexte entreprend de déconstruire l’Histoire, européenne comme africaine, et les représentations idéologiques erronées qui vont avec. Le problème n’est pas héréditaire mais hérité, social et non racial, Ouologuem critiquant et tournant en dérision non pas les peuples africains, arabes ou européens, mais le joug d’une classe dirigeante appartenant à ces derniers. L’hypertexte et l’hypotexte sont ainsi intrinsèquement liés par une relation qui permet de dépasser tout clivage lié à l’appartenance ethnique, l’origine du problème étant à chercher ailleurs. De fait, Européens et Africains ne sont que les deux faces d’une même humanité, une humanité qui peut se faire dominante ou dominée en fonction du contexte.
Il convient ainsi d’éviter le manichéisme de l’Histoire, ce que permet l’hybridité. La forme devient alors le miroir du fond, l’écrivain malien ayant été accusé, entre autres choses, d’avoir utilisé « une langue extra-africaine[33] ». Cette forme d’impérialisme littéraire, l’hypertexte « volant » la langue de l’hypotexte, illustre parfaitement le propos de l’ouvrage, la forme symbolisant le fond. Si l’intertextualité dont il est ici question peut être qualifiée de subversive puisqu’elle fait violence au texte de Schwartz-Bart dont Ouologuem s’empare, elle rend également justice au romancier français qui, tout comme le romancier malien, s’est intéressé à la mise en esclavage des Noirs, notamment dans le contexte antillais[34]. La trajectoire d’Ernie symbolise ainsi une « posture » à laquelle lui-même a souhaité échapper, tout comme celle de Kassoumi pour Ouologuem.
Comme l’écrit Jean-Claude Blachère, « cette attitude de transgression est une des composantes du “devoir” de violence. L’écrivain nègre utilise l’arme de la provocation grossière (recopier un prix Goncourt ! Plagier un monument mondial de la littérature !) pour dire adieu aux tabous littéraires, parmi lesquels celui du respect et de la douleur[35]. » Doublement subversif, l’hypertexte entreprend de déconstruire l’Histoire du colonisateur, qui a tendance à toujours assigner aux mêmes les rôles de dominants et de dominés, et ce que les Africains ont élaboré comme étant leur Histoire en présentant les forces et les faiblesses des deux versions. L’intertextualité, à laquelle a été donné le nom de plagiat dans le cas de Ouologuem, présente selon nous une vision autre du monde et, ce faisant, fait émerger une réelle authenticité du sens du Devoir de violence.
Appendices
Note biographique
Doctorante au département d’Études françaises de l’Université de Toronto et boursière du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada. Sa thèse porte sur la mise en fiction du livre dans les littératures d’Afrique subsaharienne et de la Caraïbe. Julia Galmiche-Essue est l’auteure de plusieurs articles publiés notamment dans Nouvelles Études Francophones, Mouvances francophones, Voix Plurielles, Cahiers de l’Association internationale d’études françaises, Excavatio (finaliste pour le Prix du meilleur article 2020 de l’Association des professeures et professeurs de français des universités et collèges canadiens, APFUCC), Dalhousie French Studies, Voix et images et Women in French Studies.
Notes
-
[1]
Situé au carrefour du Sahel, de l’Afrique subsaharienne et de la Libye.
-
[2]
Voir Seth L. Wolitz, « L’art du plagiat, ou, une brève défense de Ouologuem », dans « Letters to the Editor », Research in African Literatures, vol. 4, no 1, Spring 1973, p. 131.
-
[3]
Selon Yambo Ouologuem lui-même : « [M]es frères de race ne m’auraient guère pardonné d’avoir sali les Noirs » (« Le devoir de violence », Le Figaro littéraire, 10 juin 1972, réponse à un article de Guy Le Clec’h intitulé « Ouologuem n’emprunte qu’aux riches », Le Figaro littéraire, 13 mai 1972).
-
[4]
Voir Claude Bouygues, « Yambo Ouologuem, ou le silence des canons », Revue canadienne des études africaines, vol. 25, no 1, 1991, p. 1-11 ; Romuald Fonkoua, « Le devenir écrivain de Yambo Ouologuem : Négrifier la littérature », dans Christine Le Quellec Cottier et Anthony Mangeon (dir.), L’oeuvre de Yambo Ouologuem. Un carrefour d’écritures (1968-2018), actes du colloque de Lausanne, 18-19 mai 2018, Colloques Fabula (disponible en ligne : fabula.org/colloques/document6016.php, page consultée le 30 novembre 2021) ; Antoine Marie Zacharie Habumukiza, « Le devoir de violence » de Yambo Ouologuem. Une lecture intertextuelle, thèse de doctorat, Queen’s University, Kingston, 2009 ; Josias Semujanga, « De l’histoire à sa métaphore dans Le devoir de violence de Yambo Ouologuem », Études françaises, vol. 31, no 1 (« La représentation ambiguë : configurations du récit africain »), été 1995, p. 71-83 ; Seth L. Wolitz, loc. cit., p. 130-134.
-
[5]
J. Mbelolo ya Mpiku, « From One Mystification to Another : “Négritude” and “Négraille” in Le Devoir de violence », dans Christopher Wise (dir.), Yambo Ouologuem. Postcolonial Writer, Islamic Militant, Boulder (Col.) / Londres, Lynne Rienner Publishers, 1999, p. 32 (« Raymond is thus incapable of saving his people » ; nous traduisons).
-
[6]
Abioseh M. Porter, « Beyond Self-Deprecation and Racism : Versions of African History in Bound to Violence [Le devoir de violence] and Two Thousand Seasons [par Ayi Kwei Armah] », Journal of Black Studies, vol. 20, no 1, September 1989, p. 12 (« the introduction of fictional personnages who participate in actual historical events » ; nous traduisons).
-
[7]
Cette dialectique de la concordance et de la discordance s’inscrit dans celle de la mêmeté et de l’ipséité développée par Paul Ricoeur, qui définit la mêmeté comme « la persévération du caractère » à l’inverse de l’ipséité qui correspond au « maintien de soi dans la promesse » : l’identité narrative oscille entre ces deux modèles (voir Soi-même comme un autre, Paris, Seuil, « L’ordre philosophique », 1990, p. 148-150).
-
[8]
« Resterai-je seul Juif ? soupire Ernie. […] Tu l’es, tu l’es, s’écrient tous les participants de la noce » (André Schwarz-Bart, Le dernier des Justes, Paris, Seuil, 1959, p. 317. Désormais abrégé DJ suivi du numéro de la page.)
-
[9]
Yambo Ouologuem, Le devoir de violence, Paris, Seuil, 1968, p. 151. Désormais abrégé DV suivi du numéro de la page.
-
[10]
Marie-Claire Ropars-Wuilleumier, « L’oeuvre au double : sur les paradoxes de l’adaptation », dans André Gaudreault et Thierry Groensteen (dir.), La transécriture. Pour une théorie de l’adaptation. Littérature, cinéma, bande dessinée, théâtre, clip, Québec / Angoulême, Nota bene / Centre national de la bande dessinée et de l’image, 1998, p. 148.
-
[11]
Michael Riffaterre, « La trace de l’intertexte », La Pensée, no 215, octobre 1980, p. 14-15.
-
[12]
Le terme de « culture » est ici entendu au sens que lui donne Didier Eribon : les « structures sociales et mentales dont nous héritons, et dont l’histoire est gravée au plus profond de nos corps et de nos subjectivités, nous fabriquant et nous prédéterminant comme agents sociaux » (La société comme verdict. Classes, identités, trajectoires, Fayard, « À venir », 2013, p. 11). Ces structures, et les mécanismes de domination qui les accompagnent, se retrouvent d’un pays à l’autre, mais aussi au sein d’un même pays. Nous renvoyons le lecteur aux travaux de Pierre Bourdieu sur la domination (notamment La domination masculine, Seuil, « Liber », 1998).
-
[13]
Les deux passages présentent des similitudes troublantes : répétitions lexicales (« lait »), imitations sémantiques (champ lexical du corps : « peau », « chair », « os », « nerfs », « bouche »), stylistiques (utilisation de l’italique) et syntaxiques (dialectique du je et du tu, exclamatives).
-
[14]
On peut également voir ce passage comme un « pastiche satirique, c’est-à-dire une imitation stylistique à fonction critique » (Gérard Genette, Palimpsestes. La littérature au second degré, Paris, Seuil, « Poétique », 1982, p. 27). – L’hypertexte fait ainsi parler Dieu (présent dans le même passage de l’hypotexte) à travers un fils d’esclave, comme si ce n’était pas la religion qui était fautive mais l’usage qu’en font les hommes qui l’utilisent à des fins politiques et / ou idéologiques.
-
[15]
J. Mbelolo ya Mpiku, loc. cit., p. 31 (« It follows [according to Ouologuem] that the négritude of origins is pure fantasy with no bearing on reality » ; « Il s’ensuit [selon Ouologuem] que la négritude des origines est une pure fantaisie sans influence sur la réalité » ; nous traduisons).
-
[16]
Voir Claude Bremond, « La logique des possibles narratifs », Communications, no 8 (« Recherches sémiologiques. L’analyse structurale du récit »), 1966, p. 62.
-
[17]
On peut donc parler de « référentialité » au sens où l’entend Tiphaine Samoyault, à savoir que fiction et réalité se rejoignent au sein de l’oeuvre (L’intertextualité. Mémoire de la littérature, Paris, Nathan, « 128 », 2001, p. 77).
-
[18]
À l’instar de Ouologuem lui-même qui se situe à mi-chemin entre le Mali, son pays d’origine, et la France où il a étudié et travaillé pendant de nombreuses années.
-
[19]
Tiphaine Samoyault, op. cit., p. 106-107.
-
[20]
Gérard Genette, op. cit., p. 372.
-
[21]
Les dix-huit mois de son errance font écho aux dix-huit mois de sa liaison avec Lambert, deux périodes de sa vie au cours desquelles Raymond se place hors de portée des diktats de toutes les sociétés.
-
[22]
Soulignons la structure chiasmatique et circulaire de cette citation.
-
[23]
N’oublions pas que Ouologuem était titulaire d’un doctorat en sociologie.
-
[24]
Abioseh M. Porter, loc. cit., p. 7-8 (« Ouologuem […] do[es] create saints and sinners, but [he] certainly do[es] not limit these categories to any one race » ; nous traduisons).
-
[25]
On pense à Didier Eribon : « J’avais en effet conçu mon projet comme un effort pour aller le plus loin possible dans l’exploration de moi-même, c’est-à-dire des mondes sociaux dans lesquels j’avais vécu mon enfance et mon adolescence, et des processus au travers desquels une trajectoire déviante et ascendante m’avait éloigné du destin qui m’était assigné, et, par là même, de ma famille et de mon milieu d’origine » (op. cit., p. 10).
-
[26]
Voir Paul Ricoeur, op. cit., p. 150.
-
[27]
Voir Gérard Genette, op. cit., p. 8.
-
[28]
On ne peut s’empêcher de penser à Frantz Fanon : « [L]a satisfaction de dominer l’Européenne est pimentée d’un certain goût d’orgueilleuse revanche » (Peau noire, masques blancs, Paris, Seuil, 1952, p. 58).
-
[29]
Marie-Claire Ropars-Wuilleumier, loc. cit., p. 149.
-
[30]
Seth L. Wolitz, loc. cit., p. 133.
-
[31]
Faut-il rappeler que Spartacus, qui a mené la révolte des esclaves contre l’impérialisme romain au ier siècle avant Jésus-Christ, est le symbole de l’anti-esclavagisme ?
-
[32]
Frantz Fanon, op. cit., p. 65.
-
[33]
Ainsi que le rapporte Seth L. Wolitz, loc. cit., p. 131.
-
[34]
Rappelons qu’André Schwarz-Bart est également l’auteur de La mulâtresse solitude, roman publié au Seuil en 1972 qui s’inspire d’une figure marquante de l’histoire guadeloupéenne, Rosalie, qui s’est battue contre le rétablissement de l’esclavage. André Schwarz-Bart a également rédigé plusieurs ouvrages à quatre mains avec son épouse, Simone Schwarz-Bart, originaire de l’île de la Guadeloupe. Il entretient donc une relation particulière avec l’histoire caribéenne en général et l’esclavage des Noirs en particulier.
-
[35]
Jean-Claude Blachère (Négritudes. Les écrivains d’Afrique noire et la langue française, Paris, l’Harmattan, 1993), cité par Sénamin Amedegnato, « L’autopsie d’un “plagiat” : Le devoir de violence (Yambo Ouologuem) vs Le dernier des Justes (André Schwarz-Bart) », Traverses, no 2 (« Langues en contact et incidences subjectives »), 2001, p. 330.