Abstracts
Résumé
Le fragment de La Belgique déshabillée que Baudelaire a placé sous la rubrique « Épilogue » et qu’on retrouve, dans l’édition d’André Guyaux (« Folio », 1986), au septième feuillet de la section « Feuillets détachés », témoigne d’un exceptionnel effort d’esthétisation. On s’étonne qu’il ait suscité peu d’attention critique, d’autant plus qu’il culmine en une projection imaginaire d’une extrême violence. Le poète s’y met en scène dans l’anticipation fébrile du choléra, en se délectant à l’avance des ravages que ce « fléau divin » devrait infliger aux Belges. Nous nous proposons ici de caractériser l’élément discursif qui représente – à l’échelle de toute La Belgique déshabillée aussi bien que dans ce projet d’épilogue – le plus puissant inducteur de la violence baudelairienne, à savoir la référence au choléra. Hautement pathétique, cette référence est aussi hautement révélatrice. D’une part, en brandissant le fléau du choléra et en posant au prophète de malheur, le Baudelaire de Belgique offre à la postérité le portrait sans doute le plus expressif du poète « de la fin » qu’il est fatalement devenu et qu’il a stratégiquement choisi de devenir dans les années 1860, un poète tout à la fois résigné et résolu à puiser dans la haine un principe nouveau de création. D’autre part, évoquant cette destruction de masse, il reconduit de manière imaginative la dénonciation de la société libérale qu’il associe à la Belgique. C’est contre cette réalité historique, politique et plus largement idéologique, qu’il déchaîne le plus manifestement sa colère. S’il recourt au choléra dans son épilogue, s’il isole ce motif de l’imaginaire social pour l’intégrer dans son discours, c’est d’abord pour opposer l’atroce marche de ce fléau à celle, aussi terrible à ses yeux, du progrès et de la civilisation.
Abstract
The fragment of La Belgique déshabillée, that Baudelaire placed under the heading “Épilogue” and reproduced in André Guyaux’s edition (“Folio,” 1986) on the seventh folio of the section “Feuillets détachés,” demonstrate an exceptional effort of aestheticization. One wonders why it has elicited so little critical attention, even more since it culminates into an imaginary projection of extreme violence. There, the poet stages himself in the feverish anticipation of the cholera, enjoying in advance the devastation that the “divine scourge” should inflict upon the Belgians. Our goal is to characterize the discursive element that represents – at the level of La Belgique déshabillée in its entirety and in the epilogue project – the most powerful inductor of the Baudelairian violence, that is, the reference to cholera. Highly pathetic, this reference is also highly revealing. On the one hand, brandishing the scourge of cholera and posing as a doomsayer, the Baudelaire of Belgium offers to posterity what is perhaps the most expressive portrait of the “latter day” poet whom he fatally became and strategically chose to become in the 1860s, a poet resigned and determined to draw in hatred a new principle of creation. On the other hand, evoking this mass destruction, he reiterates in an imaginative manner the denunciation of the liberal society which he associates with Belgium. It is primarily against this historical, political, and, more broadly, ideological reality that he most manifestly unleashes his anger. The recourse to cholera in his epilogue, isolating this motif from the social imagination to integrate it to his discourse, opposes the dreadful march of this scourge to that, no less terrible in his view, of progress and civilization.