Abstracts
Résumé
Dans l’imaginaire social français du xxie siècle naissant, l’islam devient, selon Raphaël Liogier, « la figure centrale de l’altérité indésirable ». Intrusive, sa présence est souvent considérée comme doublement menaçante, sur les plans sécuritaire et identitaire. Le phénomène n’est pas nouveau, mais il connaît, depuis le milieu des années 2000, une aggravation inédite, alors que les thèmes de l’« islamisation » de la société et de la « radicalisation » des individus alimentent de nouvelles peurs et nourrissent un récit sociétal, celui d’une invasion étrangère qui marquerait le déclin possible d’un Occident menacé. Dans la foulée, on voit apparaître, depuis quelques années, des fictions romanesques qui, s’appropriant ces thèmes, interagissent directement avec ce récit, dans une double dynamique de reprise et de rupture narratives. À partir d’une lecture du discours médiatique visant, dans un premier temps, à reconstruire ce récit sociétal de l’invasion musulmane, cet article analyse, dans un deuxième temps, cinq romans qui, parus en France entre 2012 et 2016, mettent en récit l’islamisation de la société occidentale et/ou la radicalisation ou « djihadisation » d’un personnage converti à l’islam. Il retrace ainsi divers types de transformation que la littérature contemporaine fait subir au récit sociétal : alors que certains textes s’approprient le récit d’invasion pour l’exacerber, racontant ou bien la résistance héroïque d’une Civilisation indestructible ou bien, au contraire, la déliquescence inéluctable d’une France agonisante, d’autres le mettent à distance et, en insistant sur le naufrage d’un Occident délétère, rattachent moins la barbarie à une invasion étrangère qu’à une détérioration intérieure.
Abstract
In the social imaginary of the 21st century, Islam has become, according to Raphael Liogier, the “central figure of undesirable otherness.” Its intrusive presence is often considered doubly threatening in terms of security and identity. This phenomenon is not new, but since the mid-2000s, it has experienced an unprecedented aggravation, whereas the themes of the “Islamization” of society and the “radicalization” of individuals feed new fears and nourish the social narrative of a foreign invasion, marking the possible decline of an already threatened West. With this, fiction has been appearing for some years now that directly interacts with this narrative, within a double dynamic of reenactment and rupture that can be explained by sociocriticism. Based on a reading of media rhetoric, which aims to reconstruct the narrative of the Muslim invasion, this article analyzes five novels, published in France between 2012 and 2016, which fictionalize the Islamization of the Western world and/or the radicalization of a character converted to Islam. By doing so, it retraces the various types of transformation of the narrative throughout contemporary literature: while certain texts exacerbate the narrative of the invasion, recounting either the heroic resistance of an indestructible Civilization or, on the other hand, the ineluctable decay of a dying France, others are taking distance. By insisting on the wreck of a deleterious West, those fictions attach less barbarism to a foreign invasion than to an internal deterioration.