Ce que ne comprenait pas Actéon, c’est que Diane pût ne jamais faire rapport avec un mortel – qu’elle est et sera toujours fermée, se suffisant à elle-même, toujours autre, hétérogène absolument. Diane, ainsi décrite, montre dans la fiction du mythe l’impossibilité du rapport sexuel. Le point de bascule réside en ceci : cette déesse du dehors, cette déesse Autre, « devient l’excitation perpétuelle des émotions asservies au-dedans » (LBD, 24) – elle devient ce qui donne forme et consistance à ce qui remue le sujet et qui n’a pas encore de nom ou de forme. Elle devient cette vision chiffrant ce qu’il faut dévoiler et qui, de l’intérieur, torture le sujet et, comme le suggère Klossowski, elle imite au-dehors les mouvements de l’âme au-dedans. La nudité de Diane est la forme de ce qui révèle et recouvre ce qui cause le désir d’Actéon, le poussant à voir ce qui, à l’intérieur, l’agite. Cette scène : voir la déesse dénudée enfin, à se réaliser, vide d’un seul coup tout contenu de parole. C’est du reste à ce titre que peinture et sculpture n’ont pas cessé de la montrer comme pur silence. En retour, quel effet produit chez Diane ce regard abrupt ? Klossowski le décrit en ces termes : « Diane invisible considère Actéon imaginant la déesse nue. C’est au fur et à mesure qu’Actéon s’abîme dans sa méditation que Diane prend corps » (LBD, 41). C’est-à-dire, comme le dit Klossowski, que le « corps dans lequel elle va se manifester à elle-même, c’est à l’imagination d’Actéon qu’elle l’emprunte » (LBD, 43). Pour ne pas demeurer Autre à elle-même, pure énigme désincarnée, Diane doit en passer par l’Un, par l’imagination d’Actéon. En passant par cet Un, elle est écornée en tant qu’Autre – une partie de sa « nature fermée » n’est plus une essence absolue, intouchée et inviolable. On sait le sort d’Actéon – ici en tant que paradigme du voyeur et du contemplateur-amateur-spectateur de ce qui s’impose comme tableau – celui qui a voulu voir et posséder la déesse. Ce qu’il veut voir n’a pas de nom. Il n’y a pas de mot qui puisse le dire. Ce qu’il veut voir et s’approprier est dans une relation d’infinitude avec le champ de la vision qu’il s’efforce de maîtriser par la toute-puissance d’un oeil vorace et insatisfait. Lorsque Diane découvre Actéon, elle l’asperge d’eau, le transformant en cerf. Elle lui dit – ce seront ses dernières paroles : « Nunc tibi me posito velamine narres / Si poteris narrare, licet. » Ces mots, comme il est écrit, « provoquent la divulgation par le langage de ce qui vient de s’accomplir et en même temps démontrent que la métamorphose rend cette divulgation impossible » (LBD, 80). Klossowski parle de provocation et d’ironie de la part de la déesse : « La provocation : Va donc le dire – va décrire la nudité de Diane – va décrire mes appas – c’est là sans doute ce que tu attends, ce que tes semblables aimeraient savoir ! » (LBD, 81) Transformé en cerf, sa bouche devenue gueule ne peut plus dire – ses pensées se troublent, un brouillard envahit sa réflexion, les mots se délitent, le silence se répand. Qu’aurait pu voir Actéon ? À quel moment précis la parole de la déesse qui métamorphose surgit-elle ? Nec nos videamus labra Dianae. » Klossowski, pour les besoins de sa démonstration, invente cette phrase en l’attribuant à Ovide et aussitôt la commente : Il y a un déplacement de …