Volume 52, Number 2, 2016 Nouvelles maisons d’édition, nouvelles perspectives en littérature québécoise ? Guest-edited by Andrée Mercier and Élisabeth Nardout-Lafarge
Table of contents (10 articles)
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Présentation : les lieux du changement ?
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Portrait d’une maison d’édition naissante. Le cas de La Mèche
Martine-Emmanuelle Lapointe
pp. 15–28
AbstractFR:
Le présent article tente d’apporter un éclairage partiel au nouveau paysage esthétique québécois en s’attachant aux entours et au contenu des textes publiés par la maison d’édition La Mèche entre octobre 2011 et mai 2013. Le corpus étudié regroupe huit ouvrages, romans, romans graphiques, correspondance littéraire, qui ont reçu un écho généralement favorable dans les médias. Sans prétendre à l’exhaustivité, l’analyse entend cerner la cohérence interne du catalogue de la maison d’édition en dégageant les tendances esthétiques et les thèmes récurrents qui traversent ses différentes publications. Les représentations du social et de l’institution littéraire sont également privilégiées, dans la mesure où elles permettent de rendre compte d’un certain ethos littéraire contemporain et d’offrir une vue d’ensemble des conceptions de la culture livresque qui circulent dans la littérature québécoise actuelle.
EN:
This article seeks to cast some light on Quebec’s new aesthetic landscape by looking at the context and content of texts published by Éditions La Mèche from October 2012 to May 2013. The corpus involved eight works, novels, graphic novels, literary correspondence, that received generally favourable attention in the media. Without purporting to be exhaustive, the analysis focuses on the internal coherence of the publisher’s catalogue pointing up the aesthetic trends and the recurring themes throughout. Samples from the social milieu and literary institution were also analyzed to show a certain contemporary literary ethos and overview of the book culture in current Québec literature.
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Les Éditions Rodrigol : un formalisme du commun
Laurence Côté-Fournier
pp. 29–46
AbstractFR:
Les choix esthétiques de la maison d’édition Rodrigol révèlent un parti pris marqué pour les expérimentations formelles, allié à une forte valorisation de la culture populaire et de l’insignifiant. Cet article analyse trois oeuvres du catalogue Rodrigol : Je suis Sébastien Chevalier de Patrice Lessard, À l’oral ou à l’oreille de Claudine Vachon et Chaos = zéro mort, encore, 1,2,3 de Franz Schürch. Il entend cerner comment les prises de position esthétiques dégagées de ces oeuvres s’inscrivent dans le champ littéraire québécois, par rapport à des moments antérieurs de cette littérature (« ti-pop », contre-culture, formalisme) et à des oeuvres d’auteurs contemporains d’autres maisons d’édition qui montrent des affinités avec ces positions et les ont défendues dans différents essais et articles.
EN:
Publishing house Rodrigol’s aesthetic choices denote a keen interest in formal experimentation, as well as in pop culture and triviality. This article first analyzes three works published by Rodrigol: Patrice Lessard’s Je suis Sébastien Chevalier, Claudine Vachon’s À l’oral ou à l’oreille and Franz Schürch’s Chaos = zéro mort, encore, 1,2,3. It also addresses the significance of this aesthetic stance in the current Québécois literary landscape by comparing it to the hallmarks of past literary movements (“ti-pop,” counterculture, formalism) and to the work of contemporary authors attached to publishers who share Rodrigol’s vision and who have defended its relevance in essays and articles.
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Paratexte et mentions éditoriales : brouillages et hapax au coeur de la « Renaissance québécoise »
Pierre-Luc Landry and Marie-Hélène Voyer
pp. 47–63
AbstractFR:
Cet article s’intéresse à l’omniprésence, dans la littérature québécoise contemporaine, d’une multitude d’étiquettes composites, en quatrième de couverture ou en page titre, qui subvertissent les grands genres littéraires. Cette inventivité générique de la part des jeunes maisons d’édition québécoises infléchit inévitablement l’horizon d’attente du lecteur, et l’article examine les formes, les enjeux et les paradoxes de cette pratique. Une certaine lecture historique permet de situer une telle créativité éditoriale entre les pôles de l’originalité et de l’hésitation, ou encore entre ceux du jeu, de la transgression et de l’hybridation.
EN:
This article addresses the prevalence in contemporary Quebec literature of composite labels, on back covers or title pages, that subvert the major literary genres. Such generic inventiveness by young Quebec publishing houses inevitably colours the reader’s expectations. This article observes the forms, challenges and paradoxes of this practice. Historically, such editorial creativity falls somewhere between the poles of originality and reticence or again, amid that of play, transgression and hybridization.
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Des sous-produits éditoriaux au secours de la littérature : stratégies de construction d’image chez les éditeurs québécois contemporains
René Audet
pp. 65–86
AbstractFR:
Plusieurs jeunes éditeurs littéraires québécois du début du XXIe siècle tentent de gagner une plus grande visibilité en recourant à diverses stratégies publicitaires et éditoriales, depuis les objets promotionnels jusqu’aux ouvrages au statut ou au rendu inhabituels. Négociant entre la visibilité et la ligne éditoriale, entre le branding et l’affirmation d’une esthétique singulière, ils font oeuvre à travers la panoplie de ces sous-produits éditoriaux qui contribuent à leur image de marque et à l’établissement d’une niche qui leur est propre. Le phénomène, lourdement alimenté par la maîtrise des outils de production et de diffusion numériques, participe de leur essor dans un contexte commercial souvent occupé par des groupes éditoriaux établis de longue date.
EN:
In the early 2000s, some young Quebec literary publishers tried to gain greater visibility by resorting to various advertising and editorial strategies, from promotional items to works of unusual thrust. Jockeying between visibility and editorial position, between branding and a singular aesthetic, they embarked on a gamut of editorial sub-products to promote their branding image and establish their individual niche. The phenomenon drew heavily on production tools and digital media to gain commercial success in a context generally occupied by long-established editorial groups.
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Avatars parodiques de la quête identitaire dans le roman québécois contemporain
Andrée Mercier
pp. 87–103
AbstractFR:
Cet article s’intéresse à de nouvelles explorations littéraires de la quête d’identité. Les exemples retenus (principalement La logeuse d’Éric Dupont et Les taches solaires de Jean-François Chassay) ont en commun d’offrir un rapport distancié et même volontiers parodique à ce motif. Ce traitement suggère que, dans ces romans, il s’agit moins de penser le concept d’identité que de recourir à une obsession de la littérature québécoise, c’est-à-dire à un matériau littéraire chargé d’une mémoire et de codes. Dès lors, ce corpus invite à revisiter une catégorie qui a nourri les premiers travaux sur la littérature québécoise contemporaine.
EN:
This article looks at new literary explorations in the quest for identity. The examples chosen (mainly La logeuse by Éric Dupont and Les taches solaires by Jean-François Chassay) concur in offering a distanced relationship, even a willful parody to this motif. This approach suggests such novels are less concerned with the idea of identity than with the obsession of Quebec literature, i.e., a literary material rife with memory and codes, suggesting we revisit a category that nourished the first works on contemporary Quebec literature.
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Un roman, ses langues. Prolégomènes
Benoît Melançon
pp. 105–118
AbstractFR:
À partir d’un corpus d’une quarantaine de romans, souvent publiés par de jeunes maisons d’édition, l’auteur essaie de répondre à la question suivante : qu’est-ce que la langue du roman québécois au début du xxie siècle ? Deux grandes conceptions linguistiques peuvent y être distinguées. Certains romanciers tentent de cadastrer la langue de leurs personnages, soit en en faisant l’objet de réflexions métadiscursives, soit en ayant recours à des procédés typographiques pour distinguer les registres linguistiques. D’autres donnent l’impression de se tenir à l’écart des débats qui ont si longtemps occupé les écrivains québécois. Ils refusent de hiérarchiser les langues du roman, voire de thématiser leur interaction. Le roman n’est pas l’espace où penser la langue, mais où la faire résonner. Devant leurs textes, on peut se demander si l’idée de « surconscience linguistique » (Lise Gauvin) est la clé de compréhension la plus efficace du roman québécois depuis 2000. Peut-on plutôt parler d’une position décomplexée par rapport aux débats sur la langue, décomplexée par rapport à la norme réputée française ou décomplexée par rapport à la tradition romanesque québécoise ?
EN:
From a corpus of some 40 novels, primarily from young publishing houses, the author attempts to answer the question: what is the language of the Quebec novel at the turn of the 21st century? Two major linguistic conceptions emerge. Some novelists try to define and depict the language of their protagonists, using them as characters for metadiscursive reflection or using a typographical approach to differentiate their language tones. Others position themselves outside the debates that have so long occupied Quebec writers, refusing to hierarchize the novel’s languages or to thematize their interaction. The novel is not the place to ponder the language but to have it resonate. Confronting the texts one wonders if the idea of “surconscience linguistique” (Lise Gauvin) is the most effective key to understanding the post-2000 Quebec novel. Can we broach the language debates, the reputed French standard or the tradition of the Quebec novel in a straight-forward, uncomplicated way?
Exercices de lecture
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Le « contemporain » de la critique : quelques observations à propos d’un récit impossible
Manon Auger
pp. 121–140
AbstractFR:
À partir d’une réflexion sur le concept de « contemporain », vu à la fois comme temps présent mais aussi comme période littéraire, je propose dans cet article une lecture métacritique, à la fois méthodologique et exploratoire, du discours critique qui se consacre à la production littéraire québécoise actuelle. Il s’agit, plus précisément, de présenter quelques pistes et quelques hypothèses sur l’état présent de la littérature québécoise contemporaine, non pas tant à partir des propos que la critique, au sens large, tient sur elle, mais bien plutôt en cernant comment, par une méthodologie et une rhétorique propres, les critiques construisent un discours sur la littérature contemporaine susceptible d’en déterminer la réception. C’est ainsi une forme de portrait « réfléchi » de la littérature actuelle qui permettra de mettre en lumière certains topoï du discours critique, tout autant que les enjeux complexes de la mise en récit du contemporain (questions d’histoire littéraire, bornes temporelles, influences critiques, etc.).
EN:
By considering the concept of “contemporary,” viewed in the present tense and also as a literary period, I propose in this article a metacritical reading, both methodological and exploratory, from the relevant critical discourse to the current Quebec literary production. This more specifically features several paths and theories on the current state of contemporary Quebec literature, not just critical reviews but also by pinpointing how, through its own methodology and rhetoric, the critiques foster a discourse on contemporary literature that can determine its reception. It’s also a thoughtful portrait of the current literature that spotlights certain topoï of the critical discourse for complex issues and contemporary expression (questions of literary history, timelines, critical influences, etc.).
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« La valse des adieux » de Louis Aragon ou le passé composé de l’avenir
Mathieu Simard
pp. 141–159
AbstractFR:
Hebdomadaire culturel communiste né pendant la Résistance, Les Lettres françaises paraissent pour la dernière fois en octobre 1972. En guise d’éditorial, Louis Aragon, directeur du journal depuis vingt ans, y signe une nouvelle, « La valse des adieux », qui sera reprise huit ans plus tard dans le recueil Le mentir-vrai. Le texte, fortement lyrique, met en scène un je qui se propose en contre-exemple aux lecteurs, affirmant avec force l’échec de son existence pour mieux condamner l’aveuglement idéologique propre au militant. Mais voilà que ce qu’on peut décoder comme une autocritique s’exprime notamment par une promenade surréaliste dans Paris et sa périphérie, entre mémoire littéraire et histoire. À partir de la réflexion d’Aragon sur sa propre pratique de l’intertextualité, cet article entend montrer que la nouvelle, en phase avec la période romanesque de l’écrivain, exprime avant tout une lecture critique de l’histoire.
EN:
The last issue of the communist cultural weekly Les Lettres françaises was released in October 1972. Louis Aragon, its editor for the preceding 20 years, chose to publish a short story entitled “La valse des adieux” as the last editorial. This short story was issued again eight years later in Aragon’s Le mentir-vrai. Its first-person narrator uses his personal failure to express a strong condemnation of ideological self-delusion. Last but not least, this self-criticism rhetoric is supported by a surrealist wandering in Paris and its outskirts, where the narrative melds memory and history. Based on Aragon’s intertextuality approach, this paper aims to show that “La valse des adieux” expresses first and foremost a critical view on history, in line with the author’s last novels.
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Les avatars du « Je ». Roman et reportage dans l’entre-deux-guerres
Mélodie Simard-Houde
pp. 161–180
AbstractFR:
Le reportage constitue, dans la France de l’entre-deux-guerres, une matrice poétique qui connaît diverses déclinaisons, au gré d’une diffusion très large supportée tant par la presse quotidienne et hebdomadaire que par l’édition en volume. Il est investi par les écrivains et constitue un lieu d’expérimentations formelles à la croisée du journalisme et de la littérature. Dès lors, il apparaît pertinent d’examiner quelques interactions du reportage et du roman à la première personne, deux types de récits contemporains, distincts par leur visée et leur contexte de production, mais marqués tous deux par la mise en avant d’une subjectivité. Dans un premier temps, une lecture du reportage sous l’angle peu emprunté de l’écriture de soi permet de mettre en évidence une forme d’autofiction journalistique qui fait écho aux romans du « réalisme subjectif » (Jacques Dubois) et à certains enjeux de l’entreprise proustienne. Chez les reporters Georges Le Fèvre et Maryse Choisy, un sujet en crise questionne ainsi la notion d’identité à partir d’une expérience vécue dans le cadre du reportage d’identification. Dans un second temps, le Voyage au bout de la nuit de Louis-Ferdinand Céline est analysé comme subversion de la forme narrative et des motifs récurrents du grand reportage, en prolongeant une hypothèse formulée par Paul Aron. Le personnage de Bardamu dessine en creux la silhouette d’un « mauvais » reporter, refusant la geste héroïque de son double, comme le discours patriotique, pro-colonial ou la mise en scène pittoresque de l’exotisme géographique et social que le reportage propose au lectorat de la presse d’information.
EN:
In France, during the interwar years, literary reporting was a poetic matrix taking many forms, from daily newspapers to weekly magazines and books, and reaching a very wide public. It involved writers and novelists and served as a crossroads between journalism and literature. Of interest is the interaction with first-person novels since both are contemporary narratives where reality is filtered through the voice and conscience of a subjectivity regardless of their differing production goals and contexts. First, reportage will be examined as self-writing that defines a form of journalistic autofiction echoing some issues of the novels that are part of what Jacques Dubois called “subjective realism” – the Proustian work. Reporters Georges Le Fèvre and Maryse Choisy both present a subject in crisis that questions identity from the autobiographic experience provided by undercover reportage. Second, Louis-Ferdinand Céline’s Voyage au bout de la nuit is analyzed as a subversion of the main themes and recurring motifs of reportage, as theorized by Paul Aron. The protagonist Bardamu strikes us as a “bad” reporter who refuses the heroic gesture of his media double as well as the patriotic, pro-colonial discourse and picturesque representation of geographic and social exotism that the reportage offers the press readership.