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La corde bouffonne ou la quête d’une « langue comique »Petite histoire de la poésie française après Banville[Record]

  • Arnaud Bernadet and
  • Bertrand Degott

Faire « vibrer la corde bouffonne » en poésie, tel est le programme que s’assigne Théodore de Banville au seuil de ses Odes funambulesques en 1857. Et l’auteur de noter aussitôt que, depuis Les plaideurs de Racine, l’essai n’a guère été suivi d’exemples en littérature française. Alors qu’elle représente une voie résolument originale, l’histoire des liens qui unissent poésie et comique lui apparaît trop fragile et discontinue. Sans doute l’observation de Banville s’explique-t-elle dans l’immédiat par la résistance qu’opposent à un tel projet les exigences métriques. Elle a ceci de capital néanmoins qu’elle met l’accent sur trois composantes majeures. La première est liée au sens même de « poésie », conçue extensivement, et proche sur le plan notionnel du grec poïein (« création », « fabrication »). La deuxième qui prend appui sur Racine apparie cette définition à l’art dramatique, dans lequel la poésie puise à parts égales ses moyens, et tend par conséquent à brouiller de manière irréversible les limites génériques. La dernière a trait à une référence dotée de la valeur critique d’un hapax. Certes, Les plaideurs ne constituent pas un accident dans l’oeuvre racinienne, et ne dérogent pas aux principes de la raison classique. Mais ils n’en sont pas non plus la dominante. Du moins sont-ils révélateurs du regard que l’écrivain du milieu du xixe siècle et à sa suite de nombreux poètes portent rétrospectivement sur la période antérieure, soupçonnée d’avoir strictement contrôlé l’expression comique dans le champ poétique qu’il s’agit désormais de libérer. Non que l’âge classique avec Boileau, Régnier ou La Fontaine l’ait méconnue sous les formes aussi diverses que la satire, l’héroï-comique ou l’ironie, sans même parler des traditions installées depuis le Moyen Âge autour des farces, soties et fabliaux. Mais au xviie siècle la relation entre une poésie primitivement destinée au sublime et au divin et un comique attaché plutôt au langage bas a exigé une véritable conquête de légitimation, également perceptible dans le théâtre de Molière. Doté d’un corps de références, Aristophane et Térence, Horace et Juvénal entre autres, le comique a dû négocier une double condamnation : celle de La république de Platon qui veut interdire ce plaisir aux gardiens de la Cité, accentuant par ce biais la critique des poètes imitateurs ; celle des dogmes chrétiens qui confisquent le rire au nom de la gravité de l’âme. Du reste, tandis que l’homme classique est parvenu à imposer « la synthèse du poétique et du comique » par « la logique des genres » comme l’explique Pascal Debailly, c’est à une autre histoire que se mesure Banville en visant en priorité non plus l’ennoblissement du comique par la poésie mais plutôt l’invention d’une « langue comique », apte assurément à défaire la hiérarchie de ces mêmes genres, mais surtout identifiable aux contraintes et aux pouvoirs offerts par la versification, notoirement ceux de la rime conjugués à la technique du calembour. Or si les Odes funambulesques constituent cette scansion déterminante mais encore mal estimée dans l’histoire de la poésie française, ce fait tient aujourd’hui à la situation historique et théorique du recueil. D’un côté, il présente tous les signes reconnaissables de la satire, et place de nouveau l’écrivain en vis-à-vis du corps social, des moeurs et des valeurs du temps, spécialement pour ce qui regarde les créations de la culture (de l’opéra à la peinture). En outre, sans s’attaquer frontalement au pouvoir impérial à l’instar de Hugo dans Châtiments, la parole n’y est pas dénuée d’incidence politique, puisque l’idée d’une « langue comique » s’établit aussi en vue d’une « communion fraternelle » des lecteurs qui porte encore le …

Appendices