Présentation. Jean Genet, le Québec et l’Amérique[Record]

  • Mathilde Barraband and
  • Hervé Guay

Si Jean Genet a passé peu de temps en Amérique du Nord, la rencontre de l’écrivain avec ce continent a été déterminante. Non seulement les États-Unis ont inspiré continûment les derniers écrits de Genet, mais l’oeuvre et les interventions militantes de ce dernier ont trouvé dans toute l’Amérique du Nord un écho tant politique que littéraire, cinématographique et dramatique. Ce dossier vise à rendre compte de cette rencontre entre l’écrivain français et la vie politique et culturelle nord-américaine, en interrogeant non seulement la place de l’Amérique du Nord dans le parcours et l’oeuvre de Genet, mais aussi l’héritage, souvent scandaleux et fasciné, que Genet a laissé dans les deux territoires américains qu’il a traversés : les États-Unis et le Québec. Revenant sur l’importance bien connue des États-Unis dans le parcours de Genet, le dossier propose aussi pour la première fois d’explorer les liens entre l’écrivain et le Québec. On a connaissance en effet, grâce à L’ennemi déclaré et Un captif amoureux notamment, des voyages de Genet aux États-Unis, mais on sait moins qu’au tournant des années 1970, l’écrivain s’est aussi arrêté au Québec où il a rencontré plusieurs figures majeures du Front de libération du Québec et accordé des entretiens à forte teneur politique. Certes les passages de Genet au Québec furent très rapides. Ils n’en restent pas moins significatifs à maints égards. Au seuil de ce dossier sur « Jean Genet, les États-Unis et le Québec », et avant de présenter plus en détail les articles et documents qu’il contient, nous proposons de reconstituer le récit peu connu des séjours québécois de Genet, et ainsi d’introduire quelques-uns des aspects fondamentaux du rapport de l’écrivain à l’Amérique du Nord tout en esquissant le portrait du dernier Genet. C’est à l’occasion de ses voyages aux États-Unis que Genet a transité par le Québec. Invité par le magazine Esquire en 1968 à Chicago et puis par les Panthères noires pour une tournée américaine deux ans plus tard, l’écrivain a, chaque fois, passé frauduleusement la frontière par le Canada en empruntant la voie terrestre. Comme le rappelle le film de Frédéric Moffet inspiré par l’expérience de Genet à Chicago, l’auteur du Journal du voleur, fiché comme homosexuel et communiste, n’avait en effet aucune chance de franchir légalement la frontière étasunienne au tournant des années 1970. Si Genet était « toujours en fuite », il l’a été tout particulièrement lors de ses passages au Québec, où la rapidité de ses déplacements était le meilleur moyen de déjouer la vigilance des autorités nord-américaines. Le premier aller-retour qu’il fit entre la France et les États-Unis via le Canada, en août 1968, fut le plus fugitif, mais il marque symboliquement l’infléchissement politique de l’écriture genétienne. L’écrivain est alors invité par le magazine Esquire à couvrir la Convention démocrate qui se déroule dans un contexte extrêmement tendu. Le Président Lyndon Johnson, embourbé dans la guerre du Vietnam, ne se représente pas, et trois candidats sont en lice pour lui succéder, Hubert Humphrey, Eugene McCarthy et George McGovern. La convention se tient à l’International Amphitheatre et la ville est le théâtre de grandes manifestations, organisées par les hippies et le Comité de mobilisation nationale pour mettre fin à la guerre au Vietnam, qui seront violemment réprimées sur ordre du maire Richard Daley. Si Genet reste alors fort peu de temps à Chicago et ne laisse pas de trace de son passage au Québec, il produit à l’occasion de cette visite américaine un de ses premiers écrits de circonstance, imprégné par la violence des échauffourées auxquelles il a assisté. Le deuxième aller-retour franco-américain de Genet, entre mars et mai …

Appendices