Abstracts
Résumé
Le 1er août 1914, le gouvernement Poincaré décrète la mobilisation générale. Jacques Thibault, héros de L’été 1914, avant-dernier livre des Thibault de Martin du Gard, voit son pacifisme ébranlé par l’acquiescement subit de la foule parisienne à l’entrée en guerre de son pays. Convaincu qu’il suffirait d’un choc pour « réveiller la conscience des masses » endoctrinées par la propagande militariste, il décide de se sacrifier pour la cause de la paix universelle.
Le 24 septembre 1938, le gouvernement Daladier décrète la mobilisation partielle. Philippe Grésigne, dont la fugue occupe plusieurs segments du Sursis, deuxième tome des Chemins de la liberté de Sartre, se résout alors au destin de martyr pacifiste : il dénoncera la guerre sur les places de Paris jusqu’à ce qu’un « grondement de refus [roule] d’un bout à l’autre de la foule, comme un tonnerre ».
Malgré leur facture divergente et leur compréhension difficilement compatible de l’engagement, les deux oeuvres ont en commun leur représentation d’un adolescent en rupture de ban face à la population parisienne unifiée en foule par un même élan de panique. Jacques et Philippe prétendent saisir cette occasion unique de basculement social pour gagner la communauté internationaliste des pacifistes, mais cela ne se fait pas sans heurt. La présente étude propose d’interroger conjointement les scènes de mobilisation dans ces grands cycles romanesques de la première moitié du xxe siècle afin d’éclairer les mécanismes mis en oeuvre par les deux personnages pour défendre leur identité personnelle menacée par l’assimilation à un groupe, dont ils souhaitent l’appui mais non la contrainte.
Abstract
On August 1st 1914, the Poincaré government decrees general mobilization. Jacques Thibault, the hero of Summer 1914 (Martin du Gard’s second to last volume of The Thibaults) sees his pacifism shaken by the sudden acquiescence of the Parisian crowd as France enters the war. Convinced that a shock is needed to “awaken the conscience of the masses” indoctrinated by militaristic propaganda, he determines to sacrifice himself to the cause of universal peace.
September 24, 1938, the Daladier government orders a partial mobilization. Philippe Grésigne, whose act of fleeing is narrated in several segments of The Reprieve (the second volume of Sartre’s The Roads to Freedom trilogy), chooses the fate of pacifist martyr, loudly denouncing the war in the streets of Paris until a “rumble of refusal [rolls] like thunder from one end of the crowd to the other.”
Despite their divergent styles and differing perspectives of the engagement, which are difficult to reconcile, both works depict a young man railing against a Parisian public united as a crowd in sudden panic. Jacques and Philippe claim to seize the opportunity offered by this social upheaval to join the internationalist community of pacifists. But things don’t go smoothly. This paper examines the mobilization scenes depicted in these two major novels of the first half of the 20th century, analyzing the mechanisms used by the protagonists, each of whom tries to preserve their personal identity from group assimilation, seeking support but not coercion.