Conforme à la majorité des travaux consacrés à l’hypertextualité, la dernière réévaluation en date de l’histoire du pastiche fait l’impasse sur la littérature du Moyen Âge. Dans l’ouvrage qu’il fait paraître en 2008, Paul Aron fait remonter les plus anciens exemples à la Renaissance et laisse en perspective l’Antiquité et le Moyen Âge, sous prétexte que leurs « pastiches et parodies […] relèvent d’un contexte où l’activité littéraire est à ce point différente des codes actuels que toute analogie en devient trompeuse ». Le numéro que nous proposons espère contourner cette impasse et réhabiliter le corpus médiéval en l’incluant dans la réflexion critique et théorique sur cette pratique qu’on définit, depuis l’ouvrage phare de Gérard Genette, comme l’imitation en régime ludique d’un style, d’une manière, là où on parlera plutôt, à propos de la parodie, de la « transformation ludique d’un texte singulier » ou d’un genre. Si les recherches menées dans le cadre de ce numéro ne parviennent pas à faire tomber toutes les réticences, elles ont néanmoins le mérite de préciser davantage les raisons de cette exclusion et de cibler, dans un corpus jusqu’ici ignoré, une pratique imitative qui n’est pas radicalement différente de celles que l’on retrouvera dans la littérature de l’Ancien Régime et du xixe siècle. Au cours des dernières années, la « littérature au second degré » a connu un regain d’intérêt dans le domaine de la médiévistique. Le recensement bibliographique met au jour un intérêt très marqué pour la parodie, unique pratique hypertextuelle ayant fait l’objet d’enquêtes plus approfondies. Ce relevé fait aussi apparaître l’absence remarquable, mais peu remarquée, d’une réflexion critique soutenue sur la possibilité du pastiche au Moyen Âge. Depuis l’étude qu’a menée Omer Jodogne sur la parodie et le pastiche dans Aucassin et Nicolette, en 1960 , on ne recense, exception faite de la thèse encore inédite de Sarah Gordon (Pastiche in Thirteenth-Century French Arthurian Verse Romance, University of Washington, 2003), que quelques articles isolés consacrés à ce phénomène que l’on pourrait situer à mi-chemin entre le « plagiat et la nostalgie ». Il peut évidemment sembler délicat de vouloir retrouver dans le corpus médiéval une pratique que le Moyen Âge n’a jamais nommée. Les travaux qui font autorité laissent d’ailleurs souvent entendre que le terme pastiche commence à circuler dès le xvie siècle, sans jamais en identifier les occurrences précises. S’ils suggèrent ainsi une coïncidence entre l’apparition du mot et l’invention de la chose, ils reconduisent aussi un flou qui ne résiste pourtant pas à l’examen lexicographique et historique. En effet, l’interrogation du Trésor de la langue française et du Grand Dictionnaire de Salvatore Battaglia et Giorgio Barberi Squarotti confirme, d’une part, ce que l’on savait déjà : l’entrée dans la langue française se fait en partant de l’italien — le terme pasticcio, qui désigne d’abord une sorte de « pâté », ne se dote cependant d’un sens métaphorique que durant la seconde moitié du xviie siècle — et par le domaine de l’histoire de l’art — la première occurrence du mot en français sert à désigner la « contrefaçon d’un tableau ». Cette enquête révèle cependant aussi que les attestations du terme français avant le xviiie siècle sont non seulement rares… mais inexistantes. Le Moyen Âge français, comme d’ailleurs les xvie et xviie siècles, aurait donc pu connaître la chose sans pour autant disposer du mot. Il est cependant vrai que le concept, rarement appliqué à la littérature ancienne, pose des problèmes spécifiques pour la littérature du Moyen Âge, qui se distingue justement par une esthétique …