Abstracts
Résumé
Le présent article part de la présence cryptée du dialecte bruxellois dans Le sceptre d’Ottokar pour montrer comment la bande dessinée réfracte subtilement la situation socio-linguistique de son premier public. Loin de se réduire à une sorte d’« escorte verbale » enfermée dans les phylactères qui accompagnent le dessin, les traces écrites de la (et des) langue(s) commentent, situent et prolongent l’image, de manière à obtenir un équilibre sui generis qui permet à Hergé d’étager les sens. Dans Les aventures de Tintin, ces derniers se superposent sans s’annuler, créant un exemple complexe susceptible de plaire, non seulement aux proverbiaux « jeunes de 7 à 77 ans », mais encore aux lecteurs d’ici et d’ailleurs, « ici » étant en l’occurrence la Belgique francophone et plus particulièrement Bruxelles, ville natale de Georges Remi. Il est en effet frappant de constater à quel point Tintin combine des références très internationales (paneuropéennes à défaut d’être vraiment « universelles ») et des allusions tout à fait locales (belges ou mieux : bruxelloises). Ce constat, souvent répété au sujet du versant iconique des albums, peut être étendu à leur versant linguistique : malgré le gommage d’expressions et références jugées trop exclusivement belges et pouvant nuire à la pénétration tant souhaitée du marché français, il subsiste un substrat linguistique bruxellois, dont la présence discrète mais constante rapproche Les aventures de Tintin du palimpseste.
Abstract
Taking its cue from the cryptic use of Brussels dialect in King Ottokar’s Sceptre, this article shows how Hergé’s comics subtly refract the socio-linguistic situation of their initial Belgian audience. In Tintin’s Adventures, written traces of language(s) comment upon and prolong the images, rather than being confined to the role of “verbal escort,” playing second violin to the drawings. Different layers of meaning are superimposed without erasing each other, thus creating a finely balanced final product. This complex operation enables Hergé to cater not only to the proverbial “youth aged between 7 and 77” he had in mind, but also to readers both close by and far removed, where “close by” stands for French-speaking Belgium, and in particular Brussels (Georges Remi’s home town). Indeed, the Tintin series excels at combining international references with quite local ones (intelligible mainly to Belgians and especially to fellow Brusselers). Often made in visual analyses focusing on Hergé’s use of national vs. international settings, this latter point is valid as well for the comic strip’s linguistic dimension : in many corners of Tintin’s universe, and in spite of Hergé’s conscious choice of a neutral and elevated style for the speech of his main characters, lurks a very local substratum, rooted in the Flemish dialect of Brussels. While it remains carefully hidden from the eyes (and ears) of foreign readers, its discreet yet constant presence gives a special edge to Tintin’s Adventures in the original French.