Abstracts
Résumé
Toute oeuvre qui ne se mesure pas à la mort, qui se détourne du réel que lui découvre la mort, s’éloigne de sa vérité, de sa tâche qui est de chercher pour l’homme une façon de rester humain après que la conscience de la mort a détruit toutes ses certitudes. Ce qui permet de rester humain, dit Broch, « c’est la connaissance de l’infini », ce désir, ce pressentiment qu’il y a une relation nécessaire, harmonieuse entre moi et le monde, « entre la terrifiante condition finie et mortelle et l’infini du cosmos ». N’a de valeur, n’est éthique, que ce qui procède de cette connaissance, de ce « savoir du rêve » qui unit le passé et le futur en un « présent durable » de sorte que la peur de mourir devient l’aspiration à disparaître en moi-même, en un monde dont plus rien ne me sépare. Cette unité profonde, cette impossibilité d’être séparé, les êtres en font l’expérience, la vérifient en quelque sorte, chaque fois qu’ils reconnaissent dans les autres la même angoisse et le même désir d’y échapper, comme si s’abolissaient alors en même temps que la différence entre les êtres la différence entre ce qui se trouverait de ce côté-ci de la mort (dans le moi) et ce qui se trouverait de l’autre côté (dans le non-moi). C’est pourquoi la question capitale pour tout être et pour tout écrivain qui ont à coeur de créer un monde humain est la suivante : que faire pour que personne ne soit seul ou angoissé au point de devenir fou ou de vouloir mourir, que faire pour que personne ne soit obligé de mourir pour avoir accès à une autre vie ? C’est la question que se pose Virginia Woolf, grande lectrice des romanciers russes, c’est la question qui bat sans cesse dans le coeur pur de Clarissa Dalloway.
Abstract
A work that does not measure itself against death, that turns away from the reality that death reveals, strays from its own truth, its essential task, which is to find a way for mankind to preserve its humanity after the awareness of death has destroyed all its certainties. What allows us to remain human, writes H. Broch, is “the consciousness of the infinite”—that desire, that foreknowledge of a necessary, harmonious relationship between the self and the world, “between the terrifying finite mortal condition and the infinity of the cosmos.” Only works and endeavors which emerge from this awareness have value, are ethically viable—those that are informed by a “dream knowledge” uniting past and future in a “durable present” so that the fear of death becomes a wish to disappear into oneself, into a world from which we can no longer be separated. Human beings experience, and in a sense verify this profound unity each time they recognize in others the same anguish and the desire to escape it—as if, at that moment at which the difference between beings dissolves, so indeed does the breach between that which is on this side of death (in the I) and that which lies on the other side (in the not-I). The most important question to be asked by every being, and every writer committed to creating a humane world, is: what can I do to ensure that no one is alone, or anguished to the point of going mad or wanting to die; what can I do to ensure that no one has to die to gain access to another life? This is the question asked by Virginia Woolf, a devoted reader of Russian novelists; it is the question that beats relentlessly in the pure heart of Clarissa Dalloway.