Abstracts
Résumé
Ce que l’institution littéraire désigne, depuis quelques années, sous le nom d’« éthique » ou de « responsabilité » correspond souvent à un certain rapport de l’écrivain à ses personnages, selon lequel celui-ci donne vie et parole à des figures humbles ou oubliées. Toutes fictives qu’elles soient, ces figures valent alors pour l’existence et l’attention qui leur sont accordées, l’opération de salvation ou de mémoire dont elles sont l’objet. On peut toutefois se demander si, ce faisant, les personnages de la littérature éthique ne deviennent pas les instruments non seulement de la bonne conscience de leur créateur mais aussi de leur autorité. Une existence leur est octroyée, certes, mais au prix de toujours être tributaire de la conscience d’autrui (narrateur, tiers personnage) et donc des désirs et des rêves d’autrui. Afin de comprendre les mécanismes de ce piège, qui conduit à l’élaboration d’un monde protégé, deux récits de « vies minuscules » sont analysés : « Vie d’André Dufourneau » de Pierre Michon (Vies minuscules) et « Où iras-tu Sam Lee Wong ? » de Gabrielle Roy (Un jardin au bout du monde). Le premier récit met en scène un personnage entièrement construit par la mémoire (et les fantasmes) de son entourage, là où le second donne la possibilité à son protagoniste d’échapper, grâce à sa propre conscience, aux récits que l’on veut faire de sa vie.
Abstract
What has been recently labeled as “ethical” or “responsible” literature by the literary establishment frequently signals a special type of relationship between the author and his or her characters. The author resuscitates forgotten or marginal figures that would otherwise remain obscure were it not for this literary acknowledgement. The author gives value to their existence, salvaging them from oblivion or neglect, but possibly at the cost of an imposed mindset or authority. How accurate or meaningful is the author’s fantasy, expressed as narrator or third person? To examine the ramifications of this potential entrapment, two narratives are here compared, each depicting the life of an ordinary person: “The Life of André Dufourneau” by Pierre Michon (Small Lives) and “Where will you go Sam Lee Wong?” by Gabrielle Roy (Garden in the Wind). The first describes a character wholly embedded in the mind and memory of the narrator, while the second succeeds in giving life to its character expressed through his own self-awareness.