Abstracts
Résumé
On ne peut habiter le monde que s’il possède un sens, et donc si chacun de ses éléments, même le plus infime, se révèle « signifiant » : voilà ce que semblent répéter la plupart des oeuvres — du conte de fées à la fable métaphysique, en passant par le roman policier. Incapable, bien souvent, d’affronter le réel en soi, la littérature procède donc à une allégorisation permanente, faisant de l’objet un « signe », et du monde un discours. Or, une bonne part de la littérature moderne s’emploie à retirer de tels alibis, et confronte l’homme au gris, au fade, au neutre. Mettant à l’écart les « grands discours » et les postures héroïques, les écrivains contemporains plongent en effet leurs personnages dans cette indifférence que suscite un monde anomique. Le héros des temps modernes est donc celui qui affronte, non les dragons et les monstres, mais ces tragédies du minuscule, nées de tous ces détails hostiles qui nous font éprouver la résistance du réel. Face à cet enlisement, le lecteur éprouve, le plus souvent, une impression de dérision puisque de telles existences, vides de signification, semblent n’avoir de fin qu’elles-mêmes. Pourtant il n’est pas certain que l’accumulation des détails matériels et que la substitution de l’anecdotique à l’essentiel constituent de simples « formations écrans » destinées à occulter le néant qui menace. Dans quelques cas, cette atténuation/exténuation du monde apparaît comme la voie d’une « plénitude minimale » qui, une fois mise à l’écart l’arrogance du monde, autorise la sensation immédiate et le simple bonheur d’exister. Plutôt que de chercher à comprendre les choses, sans doute vaut-il mieux en apprécier la pesanteur physique : les palper, les goûter, les sentir… Façon de substituer les sens au Sens, et la saveur au savoir.
Abstract
The world can only be fit to live in if it has meaning, that is to say—if even the slightest of its elements proves to be meaningful. This is the apparent essence of most literary works, from fairy tale to metaphysical fable to popular detective novel. Because literature is quite often unable to tackle reality in itself, it resorts to a permanent allegorization, turning the object into a sign and the world into discourse. Still, a large part of modern literature devotes itself to obviating such alibis, and instead confronting us with the dull, the insipid, the colourless. Thus, by setting aside fine talk and heroic postures (noble holiness, etc.), contemporary writers plunge their characters into the indifference created by an anomic world. Hence the modern day hero does not fight dragons and monsters but rather the petty tragedies arising from all the hostile details that cause us to “resist” reality. In the face of such opprobrium the reader senses a personal derision, of meaningless and seemingly purposeless lives turned in on themselves. But it’s uncertain whether the accumulation of material details and the replacement of the essential by the anecdotal are but smoke screens to hide the terrifying emptiness. In some cases, this subduing/exhausting of the world appears to be a way to a “minimal plenitude” that sets aside the world’s arrogance and adheres to the immediate feeling, the simple joy of living. Rather than try to understand, perhaps it is better to appreciate the physical presence: to touch, taste, smell… to replace Sense by the senses, and knowledge by sensuality.