Abstracts
Résumé
Comme les deux versants d’un même massif, les romans et les carnets se répondent à l’intérieur de l’oeuvre gracquienne dans une symétrie presque parfaite : l’écriture des romans occupe la première partie de la carrière de l’écrivain, celle des carnets la seconde. Pourtant, ce qui frappe dans les travaux de la critique gracquienne, c’est le fait qu’aucune image, aucun motif n’ont été proposés pour distinguer les exigences et les possibilités respectives de ces deux genres, qui ont été le plus souvent considérés indifféremment, à l’intérieur d’un continuum. Or, voilà le rôle symbolique que nous proposons de donner aux « régions indécises » tant célébrées par Gracq, à ces régions qui, au contraire par exemple des Alpes ou de la côte, ne présentent aucun trait saillant mais apparaissent comme des lieux indistincts. La valeur de cette image paraît emblématique des possibilités qu’offre l’écriture des carnets. Du point de vue de l’écrivain, le carnet représente en effet le lieu où l’indécision, c’est-à-dire l’absence de la nécessité de choisir, a libre cours, là où la contrainte et la clôture ne pèsent guère. Mais, ce qui confère aux régions indécises leur pertinence et leur force d’évocation, c’est le fait qu’elles indiquent une ligne de partage à l’intérieur de l’oeuvre. Non seulement elles permettent de mieux apprécier les exigences de l’écriture des carnets gracquiens, mais elles contribuent à renouveler la compréhension de son art du roman. Envisagées par la négative, ces régions indécises représentent en quelque sorte ce à quoi le roman est soustrait. Au contraire du carnet, le roman représente en effet le lieu de la décision. Pour Gracq, l’écriture d’un roman impose la nécessité de choisir, c’est-à-dire l’obligation de discriminer les possibilités qui ne seront pas retenues. Tandis que le carnet apparaît comme un espace d’accueil et d’évasion, le roman représente pour Gracq, et au contraire de ce qui est généralement admis, un art du renoncement.
Abstract
Like two slopes of the same mountain, the novels and notebooks respond in near-perfect symmetry within the Gracqian canon: novel writing occupies the first part of the writer’s career, the notebooks the second. But what is striking in the Gracqian critique is the fact that no image, no motif has been summoned to distinguish the respective demands and possibilities of these two genres, more often left indistinguishable within a continuum. We therefore propose to give a symbolic role to the “indecisive regions” so celebrated by Gracq, regions that, unlike the Alps or the coast for instance, are non-descript, indistinct places, lacking salient features. Such an image is emblematic of the possibilities offered by the notebook writings. From the writer’s viewpoint, the notebook is a haven of indecision, where there is no need to choose, a place of freedom untrammeled by constraint or closure. But what makes the indecisive regions relevant and evocatively forceful is their concomitant line of sharing within the Gracqian oeuvre. Not only do they make it possible to better appreciate the writing demands of Gracq’s notebooks, but they help refresh the understanding of his fictional art. From a negative perspective, these indecisive regions point to the novel’s burdensome demands. Unlike the notebook, the novel represents the place of decision. For Gracq, writing a novel imposes the need to choose, the obligation to discriminate among possibilities not chosen. While the notebook appears as a welcoming divertissement, and contrary to what is generally acknowledged, for him the novel represents an art of renunciation.