Abstracts
Résumé
Dès ses plus anciennes manifestations, la littérature narrative qui prend le nom de « roman » se donne comme un jeu d’échos et de réponses entre les textes. L’étude des collections de manuscrits permet de saisir ces jeux intertextuels en contexte, notamment à travers l’organisation de codex qui témoignent de la réception du roman médiéval par les copistes médiévaux eux-mêmes. La composition du manuscrit de Chantilly (Condé 472), où se côtoient romans parodiques et romans canoniques (notamment Érec, Yvain et Lancelot de Chrétien de Troyes), illustre le travail de scribes de toute évidence parfaitement conscients du ludisme des textes qu’ils recopiaient et qui s’assuraient, à travers la mise en recueil, de mettre en regard ce que l’on appellerait, en termes genettiens, le texte parodique et sa source hypotextuelle. La mise en recueil donne cependant un sens positif à cette réflexion critique sur l’art du roman : elle ne se contente pas d’organiser la série de romans parodiques de façon à miner la crédibilité du monde arthurien et, ce faisant, de réorienter l’éclairage jeté sur les romans de Chrétien de Troyes, elle propose la lecture allégorique comme voie de renouvellement. Avec les premières branches du Perlesvaus, elle explore les possibilités d’une lecture édifiante de la légende arthurienne, dans un monde où l’humour le cède à l’horreur. Cette voie, abandonnée avant l’heureuse conclusion, est reprise dans un tout autre registre avec le Roman de Renart. La position finale attribuée aux branches du Roman de Renart et le choix de branches où l’enjeu rhétorique et herméneutique est clairement exprimé laissent croire que le scribe qui est derrière l’agencement du manuscrit a trouvé dans les aventures du goupil le juste équilibre entre parodie et allégorie capable de justifier pleinement l’aventure paradoxale du roman antiromanesque.
Abstract
From its earliest appearance, narrative literature that has taken the name “roman” has functioned as a play of echoes and responses to other texts. The study of manuscript collections allows us to put this intertextuel play in context, notably through examining the organization of codex that witness to the reception of the medieval novel by the medieval copyists themselves. The arrangement of the Chantilly manuscript (Condé 472) in which parodic novels mix with canonic novels (notably Chrétien de Troyes’ Érec, Yvain and Lancelot) reveals the work of scribes who, it is obvious, were perfectly conscious of the playfulness of the texts they were copying and, through the gathering of stories, reoriented the attention of readers to what Genette termed le texte parodique and its hypotextual sources. Ordering the stories in a meaningful way can be a positive act in a critical reflection on the art of the novel: the scribe who gives an order to the collection is not satisfied simply with organizing a series of parodic novels that undermines the credibility of the Arthurian world, and, in doing so, changes the light by which the novels of Chrétien de Troyes are read, he proposes in addition the allegorical reading as a path of renewal. With the first branches of Perlesvaus, the newly ordered stories explore the possibility of an edifying reading of the Arthurian legend in a world in which humor gives way to horror. This path, abandoned before the happy ending, is taken up in a wholly different register by the Roman de Renart. The final position attributed to the branches of the Roman de Renart and the choice of branches where the rhetorical and hermeneutical issues are clearly expressed lead us to believe that the scribe behind the arrangement of the manuscript had found in the fox’s adventures a sound balance between parody and allegory capable of fully justifying the paradoxical adventure of the anti-novel novel.