Volume 38, Number 1-2, 2002 Derrida lecteur Guest-edited by Ginette Michaud and Georges Leroux
Table of contents (17 articles)
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Présentation : Jacques Derrida : la lecture, une responsabilité accrue
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Pris au mot
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Le parjure, peut-être (« brusques sautes de syntaxe »)
Jacques Derrida
pp. 15–57
AbstractFR:
S’inscrivant dans le droit fil de textes tels Donner la mort (1999) et Demeure. Maurice Blanchot (1998) où est interrogé, entre autres questions, le statut du pardon, de la promesse, du mensonge et du témoignage, de leur indécidable « vérité » ou partage en régime de fiction littéraire, cette analyse du récit de l’écrivain français et traducteur Henri Thomas aborde la figure de cas complexe du parjure. Se trouvent en effet transposés dans Le parjure certains éléments de la vie de Paul de Man, l’ami qui lie ici tant Henri Thomas que Hillis Miller (à qui ce texte est dédié) et l’auteur lui-même, qui a consacré à de Man plusieurs textes. La lecture se fait tout particulièrement attentive aux brusques sautes de syntaxe du récit, marqué par la (plus-que) figure de l’anacoluthe. Ces ruptures abruptes, tout comme les glissements interrupteurs des mensonges d’Albertine dans la Recherche, infléchissent le récit dans des zones troubles où l’auteur, au sujet du parjure, convoque les essentielles figures du « peut-être » et du « comme si » qui hantent pour lui la fiction de type littéraire. Car si l’on ne sait plus faire la différence, en l’absence de toute preuve, entre « lying » et « storytelling », entre mentir et raconter des histoires, qu’en est-il de la vérité et de ses effets, mais plus encore du secret de la littérature et de la responsabilité qui revient au témoin, cet analyste à qui est confiée l’étrange événementialité de cette fiction réelle ?
EN:
Closely linked to recently published works such as Gift of Death (1999) and Demeure. Maurice Blanchot (1998) where, among other questions, the status of pardon, of promise, of lie and of testimony is questioned, and probed their undecidable “truth” in the register of literary fiction, this analysis of French writer and translator Henri Thomas’ text is primarily concerned with the figure of the “parjure” (a word not easily translated, or even translatable, in the Anglo-American language). Le parjure transposes some fragments of the life of theoretician and critic Paul de Man, the friend who bonds together Henri Thomas and Hillis Miller (to whom this text is dedicated), and the author himself, who has already written many texts “on” and “for” Paul de Man. The reading traces most precisely the “brusques sautes de syntaxe” disrupting the storytelling, particularly marked by the (not just) rhetorical figure of the anacoluthon. These sudden breaches, as the interruptive slips of Albertine’s lies in the Recherche, shift the storytelling into troubled zones, where the author convokes the essential figures of the “perhaps” and of the “as if” who haunt, in his eyes, the literary fiction. If one can no longer make the difference, in the absence of all proof, between lying and storytelling, what then of truth and its effects, and moreover of the secret of literature, of the responsibility bestowed on the witness, the analyst of sort to whom the strange event of this real fiction has been confided ?
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Déconstructions
Michel Lisse
pp. 59–76
AbstractFR:
Quels rapports y a-t-il entre la déconstruction et la méthode (cartésienne) ? Peut-on parler de « gestes déconstructeurs » ? Comment définir la déconstruction ? Ce texte tentera d’approcher ces questions à partir de plusieurs « définitions » du philosophe relatives au motif de la déconstruction. En suivant l’échange qui se poursuit entre Paul de Man et Jacques Derrida dans Mémoires. Pour Paul de Man, puis en commentant l’article de Derrida « La langue et le discours de la méthode », en s’interrogeant ensuite sur les « métaphores » du coin et du levier, l’auteur en arrive à penser la déconstruction comme lecture, comme écriture, comme chemin toujours à tracer. La fin du texte interroge également plus brièvement les rapports entre la déconstruction et la psychanalyse.
EN:
Is it possible to establish a connection between deconstruction and the (Cartesian) method ? Can we speak about “deconstructive gestures” ? This paper attempts to broach these questions from several “definitions” made by the philosopher concerning the deconstruction figure. Following the exchange taking place between Paul de Man and himself in Mémoires. Pour Paul de Man, commenting on Derrida’s text “La langue et le discours de la méthode,” wondering about the corner and the lever “metaphors”, the author thinks deconstruction as Reading, as Writing, as a path always to be laid out. Lastly, the author attempts to examine more brieftly the connections between deconstruction and psychoanalysis.
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Le temps de la lecture
Geoffrey Bennington
pp. 77–85
AbstractFR:
« Le temps de la lecture » propose une convergence entre l’usage que fait Derrida du motif freudien de la Nachträglichkeit dans ses premières lectures de l’analyse husserlienne du temps, et des indications plus discrètes sur la lecture qu’on trouve dans ces mêmes textes. Nous suggérons que seule une temporalité marquée par quelque chose de l’ordre de la Nachträglichkeit peut commencer à rendre compte de l’expérience de la lecture, et que cette temporalité, qui échappe à toute description phénoménologique aussi bien qu’historiciste, est à la fois thématisée et mise en oeuvre à travers toute la pratique derridienne de la lecture.
EN:
« Le temps de la lecture » argues that there is a convergence between Derrida’s use of the Freudian motif of Nachträglichkeit in his early readings of Husserl’s analysis of time, and more discreet suggestions those same texts make about reading. It is suggested that only a temporality marked by something like Nachträglichkeit can begin to account for the experience of reading, and that this temporality, which escapes both phenomenological and historicist description, is both thematised and enacted throughout Derrida’s reading-practice.
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« Passion : transcendance » Derrida lecteur du platonisme négatif
Georges Leroux
pp. 87–101
AbstractFR:
Les rapprochements de la pensée de Derrida et de la théologie négative doivent être examinés à la lumière de la lecture qu’il fait de la tradition de cette théologie. Parmi les textes essentiels de cette tradition, on retient ici deux témoins : Platon (République, VI, 509b) et Plotin (Du Bien, Traité VI, 9), dans le but de montrer comment la lecture de Derrida reprend leur posture, mais propose un dépassement des clivages de la métaphysique sur lesquels ils reposent.
EN:
The association of the thought of Derrida with negative theology should be scrutinized through his reading of the tradition of negative theology. Among the main texts of this tradition, we retain here two witnesses : Plato (Republic, VI, 509b) and Plotinus (On the Good, Treatise VI, 9), in order to show how the reading of Derrida identifies with their attitude, but aims at surpassing the gaps of metaphysics on which they are founded.
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L’expérience aporétique aux origines de la pensée. Platon, Heidegger, Derrida
Rodolphe Gasché
pp. 103–121
AbstractFR:
La pensée de Jacques Derrida a souvent été qualifiée d’autocontradictoire et accusée de se complaire dans des contradictions performatives conduisant à des apories insolubles. Si cette accusation est sans fondement, il est vrai que la notion d’aporie est présente dans le travail du philosophe depuis le début et occupe de plus en plus le centre de la scène dans son oeuvre récente. Cet essai tente de démontrer que, par le moyen de cet intérêt pour l’aporie, Derrida entreprend de discuter à nouveaux frais une question qui, depuis l’origine de la philosophie en Grèce, est intimement liée à la possibilité de la pensée philosophique. Par une analyse des positions de Sarah Kofman et de Martin Heidegger sur le concept de l’aporie, ce texte cherche à décrire la contribution propre de Derrida à ce problème philosophique.
EN:
Derrida’s thought has frequently been characterized as self-contradictory, and to revel in performative contradictions that led to insolvable aporias. However groundless this accusation may be, it remains that the notion of aporia has been present from early on in Derrida’s work, and has increasingly taken centerstage in his later work. The essay seeks to demonstrate that with this interest in aporia, Derrida takes up again an issue that from the beginning of philosophy in Greece is intimately linked to the possibility of philosophical thinking. In a discussion of the positions of Sarah Kofman and Martin Heidegger on the concept of aporia, this paper seeks to describe the specific Derridean contribution to this philosophical problem.
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Deux lectures d’Emmanuel Levinas
Claude Lévesque
pp. 123–133
AbstractFR:
Levinas aura tout mis en oeuvre pour que l’on puisse lire et recevoir différemment l’autrement de l’autrement dit, pour arracher le Dire préoriginel à la nécessaire thématisation du Dit — où l’autrement qu’être se soumet au code ontologique et se met déjà à ne signifier qu’un être autrement. Derrida a voulu rendre justice à cette écriture d’effraction, obéissant à l’ordre donné de lire dans la texture du livre l’a-texture, le hors-sens, le hors-livre, qui lui échappe nécessairement. Lecture performative qui, par une mise en abyme des motifs lévinassiens, tels l’éthique, la responsabilité, l’hospitalité ou le féminin, fait apparaître l’implicite du texte et déconstruit ce qui le retient encore dans la logique oppositionnelle.
EN:
Levinas has set for himself the task of making possible a reading and a different reception of the otherwise in the otherwise said, in order to seclude the Saying before the origin from the necessary thematisation of the Said, where the other than Being submits itself to the ontological code and begins to signify only a being differently. Derrida has searched to give a fair treatment of this writing of effraction, by obeying to the order to read in the texture of the book the non-texture, the hors-sens, the hors-livre which necessarily eludes him. This performative reading tries, by way of a “mise en abîme” of levinassian themes, such as ethics, responsibility, hospitality, or the feminine to show the implicit text and to deconstruct what remains of its oppositional structure.
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L’imprenable en question ou se prendre à mourir
Catherine Malabou
pp. 135–144
AbstractFR:
Alors qu’il se trouve à Athènes et contemple des photographies de cette ville, Jacques Derrida entreprend une méditation sur les rapports entre mort et photographie. Il analyse cette phrase mystérieuse : « Nous nous devons à la mort », et en dégage les différentes significations. Celles-ci ne sont pas simplement l’écho des différentes manières de mourir, mais aussi et surtout des différentes manières d’être mortel. Dans quelle mesure peut-on dire qu’il y a, pour chacun d’entre nous, « plus d’une mort » ?
EN:
As he stays in Athens and looks at some pictures of this very city, Jacques Derrida undertakes a meditation on the relationship between photography and death. He analyzes this mysterious sentence : “Nous nous devons à la mort”, showing that it has several meanings. Those meanings do not only echo the several ways of dying but also and mostly the several ways of being mortal. To what extent can we assert that there is, for each of us, “more than one death” ?
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À Demeure : le lire comme un hôte
Patrick Poirier
pp. 145–164
AbstractFR:
La lecture est une responsabilité qui exige l’invention d’un lieu de rencontre. Le lecteur est d’abord un hôte. C’est à cette possibilité, c’est à cette exigence que s’ouvre Demeure. Maurice Blanchot, c’est du moins ce que donne à penser le geste extrêmement significatif par lequel Jacques Derrida, en ces pages, reproduit intégralement L’instant de ma mort. Ce serait là le secret de l’archive : Demeure se donnant non seulement à lire comme un témoignage, mais également comme un engagement à garder l’archive comme son secret, hébergeant dès lors L’instant de ma mort comme « l’aveu d’un secret demeuré secret ». Il y va de l’amitié comme d’une responsabilité pour l’avenir.
EN:
Reading is a responsibility that demands the invention of a place of encounter. The reader is primarily a host. It is to this possibility, to this demand that Demeure. Maurice Blanchot opens itself. It is at least what gives us to think the extremely significant act by which Jacques Derrida, within these pages, integrally reproduces L’instant de ma mort. Therein would lie the secret of the archive : Demeure giving itself to be read, not only as a testimony, but also as a commitment to keep the archive as its secret, therefore housing L’instant de ma mort as “l’aveu d’un secret demeuré secret”. It is a question of friendship as responsibility for what is to come.
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Derrida, lecteur de Freud et de Lacan
René Major
pp. 165–178
AbstractFR:
Dès les commencements de son travail philosophique et tout au long de son oeuvre, depuis « Freud et la scène de l’écriture » (dans L’écriture et la différence), « Spéculer — sur “Freud” », « Le facteur de la vérité » (dans La carte postale), jusqu’à Résistances — de la psychanalyse, Mal d’Archive et États d’âme de la psychanalyse, Derrida n’a jamais « oublié » la psychanalyse. Contre une doxa philosophique vouée à la plate restauration de l’autorité de la conscience et d’un vieux principe de raison, Derrida n’a cessé de penser l’ébranlement opéré par Freud, puis Lacan, par le décentrement de cette conscience. Son rapport à la psychanalyse est en ce sens originaire et original, à la fois de tension et d’ouverture, ce qui implique en retour que la psychanalyse ne saurait forclore les voies frayées par les lectures derridiennes sans s’oublier elle-même. L’auteur analyse ici les échanges en jeu dans ce double rapport, montrant comment la « logique » de l’inconscient et les « concepts » freudiens sont essentiels à la pensée de la trace et de la différance, mais aussi comment la lecture de Derrida se révèle nécessaire à de nouvelles avancées de la psychanalyse, insistant notamment sur l’importance de la désistance du sujet pour penser la responsabilité depuis l’inconscient aujourd’hui.
EN:
From the beginning of his philosophical work and throughout his writings, from “Freud and the Scene of Writing” (in Writing and Difference), “To Speculate — on ‘Freud’”, “The Purveyor of Truth” (in The Post Card), to Resistances — of Psychoanalysis, Archive Fever. A Freudian Impression and États d’âme de la psychanalyse, Derrida has never “forgotten” psychoanalysis. Against the philosophical doxa dedicated to the restoration of the authority of consciousness and of an old principle of reason, Derrida has never ceased to think the unhinging provoked by Freud, then Lacan, by the decentering of the same consciousness. His relation to psychoanalysis is in this sense originary as well as original, marked both by tension and overture, and entailing in return that psychoanalysis cannot foreclose the paths paved by Derridean readings without forgetting itself. The author analyzes the exchanges taking place in this double relation, showing on the one hand how the unconscious “logic” and the Freudian “concepts” are essential to the thought of trace and différance ; on the other hand how Derrida’s reading is itself necessary to new advances in psychoanalysis, particularly in relation to the importance of the subject’s désistance in order to think today a responsibility that takes into account the Unconscious.
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Des lectures de Joyce, oui
Jean-Michel Rabaté
pp. 179–198
AbstractFR:
Partant d’anciennes discussions avec Jacques Derrida sur Finnegans Wake en 1969-1970, discussions qui ressortissaient d’un contexte critique où figuraient la phénoménologie mais aussi Tel Quel et Bakhtine, l’auteur réouvre le dossier Joyce dans les premiers essais de Derrida. Joyce aura toujours été lu par Derrida, et systématiquement pressenti, alors qu’il préparait ses thèses littéraires et philosophiques initiales, comme le rival de Husserl : Joyce incarne à lui seul le pouvoir dangereux du littéraire lorsqu’il s’allie à un hégélianisme diffus. La situation change en partie avec Ulysse gramophone, puisque si Joyce occupe encore cette position hypermnésique et historicisante face à une culture universelle, il nous lègue aussi à travers Molly et Leopold Bloom la possibilité d’une affirmation radicale, du « Oui » qui sous-tend toute écriture.
EN:
Going back to discussions with Jacques Derrida in the years 1969-70 about the meaning of Finnegans Wake, discussions that were marked by a critical context in which Tel Quel and Bakhtin were important references next to phenomenology, the author reopens the Joyce file in Derrida’s earliest publications. Derrida will have always read Joyce, a Joyce felt to be Husserl’s most dangerous rival : Joyce embodies the disruptive power of literature when it allies itself to a diffuse hegelianism. The situation changes partly with Ulysses Gramophone, since Joyce still occupies the same hypermnesic and historicizing function in front of a universal culture he sums up and challenges, while bequeathing us through Leopold and Molly Bloom the possibility of a radical affirmation, the “Yes” underpinning all writing.
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Tentations proustiennes
Isabelle Décarie
pp. 189–205
AbstractFR:
Si l’oeuvre proustienne est convoquée par Jacques Derrida dans nombre de ses écrits, c’est le plus souvent par le détour d’une note de bas de page. Pourquoi Derrida n’a-t-il pas encore consacré un ouvrage complet à la Recherche, quand tout semble le prédisposer à le faire ? Serait-ce parce que Proust représente une certaine idée du canon littéraire français ? L’auteure propose de mettre au jour les liens qui existent entre certains textes de Jacques Derrida et la Recherche, afin de montrer comment, par le choix d’un genre hybride, par une lecture à contretemps et une conception de la littérature comme spectre, Proust se manifeste dans l’écriture du philosophe.
EN:
If Jacques Derrida invokes the Proustian text in a number of his works, it is most often in the form of a footnote. One could wonder why Derrida has not yet written extensively on À la recherche du temps perdu, when everything seems to be directing him towards that aim. Is it because Proust represents a certain idea of the literary French canon ? The author offers to put forth the existing links between Derrida’s texts and the Recherche in order to show how Proust appears in the philosopher’s writing through the choice of a hybrid textual genre, an off-beat practice of reading and the idea of literature as ghost.
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Autobiographie et judéité chez Jacques Derrida
Régine Robin
pp. 207–218
AbstractFR:
Passant en revue un ensemble de biographèmes dans l’oeuvre de Derrida, trois dissonances sont repérées quant à l’identité française, la langue française et le judaïsme. Cet essai montre les apories constitutives d’un effort de totalisation autobiographique qui doit à la fois s’accomplir selon ces biographèmes et en même temps les déborder. La notion de « devenir marrane » semble la voie d’issue pour dépasser les apories de la totalisation.
EN:
This essay goes through a series of life tropes in the work of Jacques Derrida and insists on three main dissonant themes : being French, speaking French, and being a Jew. These biographems point to an aporetic discrepancy in the effort of autobiographical totalization : while they are necessary, it seems impossible to go along with them. The notion of “devenir marrane” seems the way out of this entanglement.
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Wundgelesenes
Alexis Nouss
pp. 219–238
AbstractFR:
La lecture de Paul Celan par Jacques Derrida ne peut être reçue et comprise de la même manière que les relations établies avec d’autres philosophes, écrivains ou artistes. Le présent article tente d’étudier cette spécificité en une double perspective : d’une part, la nature particulière d’un tel lien tissé sur un mode identificatoire, interrogé autour des thèmes de la circoncision, des cendres de la Shoah, de la mort et du regard voilé ; d’autre part, ce que la lecture de Celan par Derrida permet de dégager d’une lecture-blessure dont les motifs se retrouvent aussi bien dans la poésie même de Celan. Se dessine alors la possibilité d’une pensée de la lecture comme procédure herméneutique, dont la lettre et le corps seront les figures emblématiques.
EN:
One cannot understand Jacques Derrida’s reading of Paul Celan in the same way as his other encounters with different philosophers, writers or artists. This paper studies this specific relationship from two perspectives : on the one hand, the nature of such a link, functioning as identification, examined through the themes of circumcision, ashes from the Shoah, death and the veiled gaze ; on the other hand, that which Derrida’s reading of Celan allows us to surmise through a “wound-reading” which finds illustrations in Celan’s poetry as well. Hence appears the possibility to think the act of reading as a hermeneutic process in which the letter and the body operate as symbolic figures.
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La voix voilée : derrida lecteur de soi (Fragment d’une lecture de Voiles)
Ginette Michaud
pp. 239–261
AbstractFR:
La voix dans l’écriture, le timbre, l’intonation, l’accent, le rythme : c’est de ce travail de la voix en filigrane — « comme à voix basse » ou murmurée — que l’auteur s’approche ici. Dans une traversée de plusieurs textes récents du philosophe où la tonalité soi-disant autobiographique se fait plus insistante (La contre-allée, « L’Animal que donc je suis », Le monolinguisme de l’autre et surtout « Un ver à soie »), elle interroge les effets de l’« aveu voilé », le lien essentiel qui relie, aux yeux (et à l’oreille) de Derrida, le secret à la littérature. Qu’est-ce qui fait la différence de Derrida lecteur, sinon précisément ce qui (se) passe soudain entre confession et fiction de soi, réel et virtuel, vérité et simulacre, comme entre sens propre et figuré ? Qu’est-ce qui fait qu’on y croit au rêve de l’Enfant aux Vers, au phantasme de la voix nue, d’« une langue toute crue » ? Pour le savoir (sans le voir), il faut suivre à la trace les inflexions de cette voix se cherchant à l’aveugle, touchant à la chance du poème.
EN:
The voice within writing, the timbre, the tone, the accent, the rhythm : it is to the working of this voice in filigree — “comme à voix basse”, or whispered — that the author tries to draw close here. Reading through many texts of Derrida where this so-called autobiographical tone becomes more stressed (La contre-allée, “L’Animal que donc je suis”, Le monolinguisme de l’autre, and above all “Un ver à soie”), she questions the effects of the “veiled avowal”, the essential link which ties, to Derrida’s eyes (and ear), the secret to literature. What makes Derrida so different as a reader, she wonders, if not precisely that which comes suddenly across confession and “fiction de soi”, fact and virtual reality, truth and enactment, as in between literal and figurative meaning ? What makes one believe in the dream of the Enfant aux Vers, to the phantasy of the nude voice, of “une langue toute crue” ? To know it (without seeing to believe), one has to retrace the inflexions of this voice fumbling blindly, approaching the chance of poetry.
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Vols d’aveugle autour d’une librerie
Hélène Cixous
pp. 263–275
AbstractFR:
L’auteur esquisse dans ce portrait d’écrivain quelques-unes des figures d’élection de Derrida lecteur. Elle le peint tel qu’il veut se donner à voir, toujours en fuite et en esquive, dans les tours d’une écriture qui se sauve et déjoue tous les termes. Elle le croque ainsi sur le vif à partir de la scène de jalousie qu’il fait à la langue française, mais aussi et surtout de la scène fameuse de la Circoncision qui traverse toute son oeuvre en autant de saignatures, contreseings, coupures et autres piqûres. Elle le saisit aussi au vol dans la figure d’Élie (« la lecture est toujours élection ») ; dans celle de l’autour qui plane très haut au-dessus des textes (é)lus avant de fondre sur eux avec une précision microchirurgicale ; dans celle de l’aveugle qui, tels saint Augustin, Rousseau et Montaigne, se « lit au liroir » et ne « désire que lire l’élusif » ; enfin, dans celle, comique, du voleur « par-jure » qui, tel « Ali Baba, alias Élie Baba », se dénonce et en rajoute avec ses cinquante-neuf tentatives de circonfession.
EN:
The author sketches in this portrait some elective figures of Derrida as a reader. She depicts him as he gives himself to be seen, always taking flight, on the run, or slipping away, through the many turns of a writing who escapes and skirts around the word at play. She captures him on the spot, in the jealousy scene he makes to the French language, but also and foremost throughout the famous Circumcision scene which leaves so many “saignatures”, “contreseings”, cuts and other stings in his work. The author also catches him in mid-flight in the figure of Élie (“la lecture est toujours élection”) ; in the one of the goshawk circling high above the text he elects before sweeping down on his prey with a micro-chirurgical precision ; in the one of the blind who, alike saint Augustin, Rousseau and Montaigne, reads himself into the “liroir” and desires only to “read the elusive” ; finally, in the figure, comical, of the thief “par-jure” who, as “Ali Baba, alias Élie Baba”, denounces himself, always adding on his fifty-nine attempts to circonfess.