Volume 35, Number 1, Spring 1999 Robinson, la robinsonnade et le monde des choses Guest-edited by Jacques Dubois and Lise Gauvin
Table of contents (13 articles)
-
Présentation. Robinson, la robinsonnade et le monde des choses
-
La leçon des choses : Robinson ou la répétition
Pascal Durand
pp. 7–23
AbstractFR:
Roman à ce point connu qu'il n'est plus guère lu, texte tronqué parce que trop réécrit, Robinson Crusoe tire peut-être bien de tout ce que Rousseau appelait son « fatras » l'essentiel de sa signification. Actes rituels, besognes et constructions, plaintes et méditations, prières et prêchi-prêcha font de ce texte un roman de la répétition dans lequel un héros calculateur soumet les objets divers qui l'environnent à une comptabilité compulsive. La leçon des choses est trompeuse : le principe d'utilité qu'elles proclament masque assez mal qu'elles restent prises, aux yeux de Robinson, dans la logique marchande qu'elles semblent suspendre.
EN:
One might consider that Robinson Crusoe is too well known to be really read again, and too often shortened by its numerous rewritings. Defoe's novel gets however most of its meaning from what Rousseau called its "fatras" [hotchpotch]. Ritual gestures, labours and buildings, moanings and prayers turn the novel into a repetitive text, in which a calculation-minded hero sees every object within his environment from a bookkeeping point of view. The lesson teached by the things is faked: the very sense of utility carried by them obviously conceal that they lead to confirm commercial values.
-
Du roman au mythe : un Robinson hédoniste et helvète
Jacques Dubois
pp. 25–42
AbstractFR:
Avec Le Robinson suisse ou la Famille naufragée,]. D. Wyss donne, au début du XIXe siècle, une des toutes premières réécritures du roman de Defoe. L'esprit du roman de référence s'y voit affadi dans une fable d'esprit pédagogique et encyclopédique qui célèbre la vaillance et le travail d'équipe d'une famille très pastorale. Ici la pléthore des choses et la jouissance hédoniste se sont substituées à la pénurie qu'endurait Crusoé ; une société du loisir s'est fait discrètement jour. C'est que d'un récit ancré dans l'Histoire on est passé au mythe et à sa part mystificatrice. Tiraillée entre deux solutions contradictoires, l'issue du roman fait particulièrement apparaître ce glissement.
EN:
With The Swiss Family Robinson, J.D. Wyss provides, at the beginning of the XIXth century, one of the first rewritings of Defoe's novel. The spirit of the original novel fades into an educational and encyclopedic fable which celebrates the valiant courage and teamwork of a pastoral family. Here, a plethora of things and hedonistic pleasure have taken the place of the shortages Crusoe had to endure; a society of leisure has discretely come to life. A story based on historical fact was turned into a mythical and mystifying fable. Torn between two contradictory solutions, the novel's conclusion illustrates very well this shift of meaning.
-
Les déclinaisons de Robinson Crusoé dans L’Île mystérieuse de Jules Verne
Daniel Compère
pp. 43–53
AbstractFR:
Dans L'île mystérieuse, J. Verne imite Robinson Crusoé dont les principaux épisodes sont repris, avec toutefois un décalage dû au nombre des naufragés et à leurs connaissances. Le roman de Verne comporte aussi une parodie de Robinson en insérant l'épisode d'Ayrton, abandonné sur une île où il devient semblable à un animal. Avec la présence cachée de Nemo dans l'île, la robinsonnade prend une allure artificielle. L'île mystérieuse apparaît donc comme un roman où Verne s'interroge sur son pouvoir créateur et la figure de Robinson, imité et moqué, joue le rôle d'un modèle littéraire que Verne tente d'égaler.
EN:
Jules Verne's L'île mystérieuse rewrites some of the main episodes of Defoe's Robinson Crusoe, with the difference that Verne's castaways are more numerous and cultured than Defoe's only hero. In Verne's novel, the transformation ofAyrton, who is abandoned on an island and turned into an animal, also sounds like a parody of one of Robinson Crusoe's scenes. So L'Ile mystérieuse may be the novel where, as he tries ironically to equal the literary model, Verne reflects upon his own creative power.
-
De Defoe à Tournier : le destin ou le désordre des choses. Sur trois incipit
Annick Bouillaguet
pp. 55–64
AbstractFR:
Cet article étudie les rapports entre le désordre des choses et l'intervention du destin dans les incipit de Robinson Crusoe de Daniel Defoe, de Vendredi ou les Limbes du Pacifique de Michel Tournier (principalement), et de Vendredi ou la vie sauvage, du même auteur. Au début de Robinson Crusoe, le monde des hommes domine encore celui des choses, représentées plus tard sur l'île par des objets qui ont été conservés comme tels (sauvés du naufrage) ou confectionnés sur place, grâce aux outils eux aussi rescapés.
L'incipit de Vendredi ou les Limbes du Pacifique organise au contraire le désordre des choses. Robinson, dont le destin récapitule la conception grecque (recoupant ainsi un certain nombre de mythes), celle du XVIIe siècle élisabéthain et une vision moderne peut-être issue de Voltaire, saura dépasser ce désordre, voire ensuite un ordre par lui reconstruit, pour se dissoudre dans l'immatériel. La valeur symbolique des objets qui, peuplant le navire, représentent l'ancien monde, s'atténue dans Vendredi ou la Vie sauvage, qui nous ramène à la force des choses.
EN:
This article studies the relationship between the disorder of things and the interference of fate in the incipit of Defoe's Robinson Crusoe, Tournier's Vendredi ou les Limbes du Pacifique and, written by the same author, Vendredi ou la Vie sauvage. At the beginning of Robinson Crusoe, the world of men still dominates the world of things, later represented on the island by the objects preserved from the shipwreck or made there with tools that had been saved.
On the contrary, the Vendredi ou les Limbes du Pacifique '5 incipit turns disorder into order. Robinson, whose destiny is influenced by the Greek conception of fate, the XVIIth Elizabethan worldview and by the modern vision that Voltaire maybe inspired, will take control of the disorder to impose a personal order and eventually dissolve into a totally ethereal being. The symbolic value of objects that were found on the ship and that represent the Old World is toned down in Vendredi ou la Vic sauvage, which brings us back to the reality and the power of material world.
-
L’Invention de Morel. Robinson, les choses et les simulacres
Roger Bozzetto
pp. 65–77
AbstractFR:
L'Invention de Morel, roman de l'écrivain argentin Alfonso Bioy Casares, a été écrit en 1940. Il met en scène une variante de ce que propose la robin-sonnade, à savoir la rencontre d'un homme et d'une île déserte. À ceci près que l'île n'est pas vraiment déserte, elle est peuplée de spectres singuliers, produits par une machine à illusions. Le narrateur, après bien des déboires, après des peurs devant les apparitions de ces Vendredis virtuels, va tomber amoureux de l'image d'une des femmes ainsi holographiée et tentera de partager son univers virtuel en s'introduisant dans une séquence de son monde, par la même technologie qui l'a tuée pour la transformer en hologramme. Ce récit interroge notre époque sur son rapport à la réalité et aux idéologies.
EN:
Morel's Invention was written in 1940 by the Argentine Alfonso Bioy Casares. It stages another version of a Robinson Crusoe type of narrative — a story about a man's meeting with a desert island. Not exactly desert though, because it is actually peopled with peculiar ghosts, produced by an illusion-making machine. After suffering many setbacks as he fears those apparitions of virtual Fridays, the narrator falls in love with the picture of one of these holographed women. He makes his best to share her virtual universe by struggling into a sequence of her world, resorting to the very same technique that had killed her and made an hologram of her. This novel questions our time on the relationship between reality and ideologies.
-
La bibliothèque des Robinsons
Lise Gauvin
pp. 79–93
AbstractFR:
Depuis Crusoé l'ancêtre, les Robinsons fictifs choisissent de consacrer une partie de leur temps à lire et à écrire, s'instituant le plus souvent narrateurs de leur propre aventure. De quels livres s'agit-il et quelle place occupent ces ouvrages dans leur vie ? Si « le monde est un livre », comme le veut l'expression consacrée, quel besoin ont ces héros de recourir aux médiations que sont les choses écrites? L'article tente de répondre à ces questions en examinant trois textes qui sont autant de relais dans l'histoire des robinsonnades. Dans chacun des cas, les livres deviennent l'occasion et l'enjeu d'une discussion des rapports entre l'homme et le monde. Partagés entre les mots et les choses, les Robinsons sont des héros problématiques qui, chacun à leur façon, relisent l'Histoire de leur époque en la récitant.
EN:
Ever since the first Crusoe, the fictitious Robinsons devoted a part of their time to reading and writing, often becoming the narrators of their own adventures. But what were those books and what place did they really take in the Robinsons ' lives ? If "the world is a book", to quote the well-known saying, why do these heroes have to deal with the written word ? The article tries to answer these questions by looking at three texts, which are so many guide-posts in Robinson-like stories. In each case, books are the occasion and the stake for a debate between man and his world. Torn between the universe of words and the world of things, the Robinsons are problematical heroes who re-read the history of their times as they recite it.
-
Les images et les choses dans Robinson et les robinsonnades
Lise Andries
pp. 95–122
AbstractFR:
II s'agit de montrer de quelle manière les illustrations qui figurent dans les éditions de Robinson Crusoé et dans les robinsonnades permettent de tracer une histoire de la réception des textes. Depuis le frontispice de la première édition anglaise de 1719 jusqu'aux gravures des années 1960, des évolutions fondamentales peuvent se lire, qui sont à la fois d'ordre culturel et politique. Les images mettent en scène, au fil des rééditions, les différentes facettes de Robinson, qui est tour à tour marin, colonisateur, inventeur, homme des Lumières et qui, à la fin du XIXe siècle, devient la bonne — et la mauvaise — conscience de l'Occident.
EN:
In Robinson Crusoe's reprints and in the robinsonnades, engravings disclose a history of the novel's reception, as well as fundamental evolutions which are both cultural and political. Through the reprints, images present Robinson's multiple facets as a sailor, a colonizer, an inventor, or a man belonging to the Enlightenment. But at the end of the 19th century, Robinson embodies the Western world's good — and bad — conscience.
Exercice de lecture
-
Zumthor, Abélard et Babel
Alain Corbellari
pp. 125–136
AbstractFR:
Le dernier livre de Paul Zumthor, Babel ou l'Inachèvement, fait entendre un son assez différent de ses autres ouvrages, dans la mesure où l'auteur de Y Essai de poétique médiévale semble y prendre ses distances d'avec une modernité qu'il avait longtemps exaltée et dresser un tableau très amer de la société actuelle. L'étude de cet opus ultimum nous permet, en outre, de revenir sur un roman peu connu de notre auteur, Le Puits de Babel, tentative de résurrection de la figure d'Abélard, personnage qui, comme on le sait, a toujours fasciné Zumthor. En fin de compte, les images récurrentes de Babel et de l'amant d'Héloïse permettent d'esquisser une analyse de l'imaginaire de Zumthor, écrivain chez qui création littéraire et recherche universitaire ont toujours été intimement liées.
EN:
Paul Zumthor's last book, Babel ou l'Inachèvement, sounds quite different from his other works, insofar as the author of the Essai de poétique médiévale seems here to stand aloof from a modernity that he had exalted for a long time, and to draw a very dark picture of the presentday society. The study of this opus ultimum allows us, moreover, to go back to a lesser known novel of our author, Le Puits de Babel, which is an attempt to revive the figure ofAbelard, a character who has, as it is well known, always fascinated Zumthor. Finally the recurrent images of Babel and of Héloïse 's lover allow us to sketch an analysis of the imaginary of Zumthor, a writer for whom literary creation and scholarly research were always intimately linked.
-
Les interactions verbales dans une scène de Giraudoux
Anne Giard
pp. 137–146
AbstractFR:
Le fonctionnement du dialogue dans un extrait de Intermezzo de Jean Giraudoux est observé à la lumière des travaux sur l'interaction verbale, tels qu'ils sont récapitulés et prolongés par la «linguistique interactionniste». On montre comment la dynamique de l'échange verbal perturbe les relations interpersonnelles et les rapports de force, dans une situation de communication qui semblait être la moins propice à l'évasion hors des rôles prescrits.
EN:
The process of dialogue in an extract from Jean Giraudoux 's Intermezzo is analysed in the light of research on verbal interaction, as synthesised and extended by "inter-actionist linguistics ". We can see how the dynamics of a verbal exchange disturbs interpersonal and authoritarian relationships in a communication situation semingly little adapted to a freeing from predetermined roles.
-
Parlons de moi de Gilles Archambault : sous le sceau de la confidence
Blandine Campion
pp. 147–159
AbstractFR:
Dans l'oeuvre romanesque de Gilles Archambault, la parole s'avère essentielle, tant pour la diégèse que pour la narration. Cette parole, éminemment privée, se développe sous la forme privilégiée de la confidence, ce qui explique la présence récurrente de monologues et de soliloques, dont la fonction est avant tout de mettre en place un processus d'auto-valorisntion de l'anti-héros. A la fois parole pour soi et parole pour l'autre, la confession telle qu'elle apparaît dans Parlons de moi pose la question de la nature exacte du narrataire : ce dernier est-il intradiégétique ou extradiégétique ? L'analyse du roman révèle que l'absence concrète des personnages secondaires sus-cptibles déjouer le rôle de narrataires intradiégétiques incite le narrateur à créer lui-même, au coeur de son discours, un interlocuteur virtuel qui sert de support au transfert et se trouve à coïncider avec le lecteur virtuel du récit.
EN:
In Gilles Archambault's fictional work, speech is as essential for the diegesis as for the narration. This act, profoundly intimate, works itself through the favored form of confidence which explains the recurrent presence of monologues and soliloquies, whose first function is to establish a self-actualization of the anti-hero. Both a speech for oneself and a speech for the other, confession, as shown in Parlons de moi, raises the question of the true nature of the narratee : is he interdiegetical or extradiegetical ? The novel's analysis reveals that the obvious absence of secondary protagonists (who would play the role of interdiegetical narratees) prompts the narrator to create a virtual interlocutor inside his own discourse. This virtual presence acts as a support for transference and coincides with the virtual reader of the narrative.