Depuis sa thèse consacrée aux pratiques de dévotion au Québec et publiée aux mêmes Presses de l’Université Laval (1988), l’historienne Marie-Aimée Cliche a multiplié les objets de recherche autour de la famille québécoise, qu’il s’agisse de l’inceste, des séparations et des mères célibataires, ou plus éloquemment des violences envers les enfants (2006) et des infanticides (2011). C’est donc avec l’érudition engrangée tout au long d’une carrière académique que Cliche s’est attelée à cette conséquente entreprise que celle de produire un ouvrage de synthèse concernant l’histoire de la famille canadienne-française. Pour autant, le livre La vie familiale dans la vallée du Saint-Laurent ne prend pas forme ex nihilo : il se propose d’être un pendant de l’ouvrage consacré par Minvielle (2010) au cas français et revendique, de ce côté de l’Atlantique, une filiation parmi les travaux du genre qui ont fait date ; particulièrement, ceux de Gourdon et Ruggiu (2011), Lemieux (1994) ou encore Bouchard (1996). Cette entreprise de synthèse se voit d’abord soigneusement découpée par l’autrice en trois tronçons, correspondant à autant d’époques, dont les frontières renvoient à des transformations majeures dans le domaine social et dans les orientations économiques globales de la province. Le XIXe siècle se distingue des XVIIe et XVIIIe siècles par le passage d’une économie principalement tournée vers l’agriculture de subsistance et le commerce de fourrures à une économie tournée vers l’industrie du bois, ainsi que par le développement d’institutions publiques d’éducation et de secours social qui sapent, pour ainsi dire, certaines fonctions protectrices traditionnelles de la famille. Le XXe siècle – formant avec le XXIe siècle l’époque la plus contemporaine –, se distingue du précédent par l’industrialisation et l’émancipation croissante des femmes. L’ambition de cet ouvrage est donc de rendre compte de la vie familiale dans la colonie laurentienne aux XVIIe et XVIIIe siècles, ce qui nous permet de présager de la parution prochaine de synthèses similaires et par la même autrice, couvrant les époques suivantes. Un tel choix chronologique permettra également, tout au long de l’ouvrage, de fournir une matière à comparaison entre les deux régimes se succédant à la fin du XVIIIe siècle, au tournant de la guerre de Sept Ans : le régime colonial français et celui anglais. Dans cette première époque, préindustrielle, la famille est une institution essentielle et protectrice, tournée vers elle-même et sa propre subsistance, devant subir l’encadrement lointain de l’État et de l’Église, et faire à peu près fi d’un encadrement communautaire fort du fait d’une colonisation sporadique. En frayant à travers les controverses historiographiques et en reprenant à son compte certains éléments, Cliche admet le XVIIIe siècle comme une époque charnière dans l’histoire de la famille, soit la transition entre la famille prémoderne et moderne, transition qui se caractérise par le « repli sur l’intimité familiale et l’opposition entre enfance courte et enfance longue » (p. 5). Le difficile exercice de la synthèse débouche immanquablement sur des choix quant à la structuration du propos et les thématiques retenues, qui ici font état de la spécialisation et des inclinations de l’autrice pour certains objets spécifiques de la famille canadienne ; peut-être certaines thématiques auraient-elles mérité un traitement plus exhaustif que d’autres, et peut-être aussi que certaines thématiques auraient trouvé une meilleure place dans d’autres chapitres. Quoiqu’il en soit, l’ouvrage est structuré en 7 chapitres, dont le premier introduit la lectrice et le lecteur aux dispositions prévues par la loi française (plus spécifiquement celle appliquée au Canada, la Coutume de Paris) et par la doctrine catholique, qui fournissent les cadres normatifs de la vie familiale dans la région. Quoique ce …
Appendices
Références
- Bouchard, Gérard, 1996, Quelques arpents d’Amérique : population, économie, famille au Saguenay, 1838-1971. Montréal, Boréal.
- Cliche, Marie-Aimée, 1988, Les pratiques de dévotion en Nouvelle-France : comportements populaires et encadrement ecclésial dans le gouvernement de Québec. Québec, Presses de l’Université Laval.
- Cliche, Marie-Aimée, 2006, Maltraiter ou punir ? La violence envers les enfants dans les familles québécoises, 1850-1969. Montréal, Boréal.
- Cliche, Marie-Aimée, 2011, Fous, ivres ou méchants ? Les parents meurtriers au Québec, 1775-1965. Montréal, Boréal.
- Gourdon, Vincent, et François-Joseph Ruggiu, 2011, « Familles en situation coloniale ». Annales de démographie historique 122 (2) : 5‑39. doi : 10.3917/adh.122.0005.
- Lemieux, Denise, 1994, « La famille en Nouvelle-France : des cadres de la vie matérielle aux signes de l’affectivité ». Dans Hubert Watelet, avec la collaboration de Cornelius J. Jaenen (dir.), De France en Nouvelle-France. Société fondatrice et société nouvelle : 45-70. Ottawa, Presses de l’Université d’Ottawa.
- Minvielle, Stéphane, 2010, « Introduction ». Dans La famille en France à l’époque moderne : 1. Paris, Armand Colin.