Volume 39, Number 2, 2017 Échanges d’histoires, passages d’expériences et jeux de la mémoire Memories at stake: Sharing stories and exchanging experiences Guest-edited by Michèle Baussant and Giorgia Foscarini
Table of contents (10 articles)
Imaginaires, reliques et héritages
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“Istrian exodus”: Between official and alternative memories, between conflict and reconciliation
Katja Hrobat Virloget
pp. 31–50
AbstractEN:
This article touches on the sensitive topic of the so-called Istrian exodus, which has been stirring conflict in political discourses between Italy and the former Yugoslavia, later Slovenia and Croatia, for more than six decades. It analyses different forms of case-studies of peace-making memories, such as political discourses, commemorations, monuments, literature, film, theatre, etc. The research focuses on the emptied and resettled space of Istria after the exodus. The author takes into consideration literary and fine art works or performances that have touched upon that contested past, provided reflections, or had some impact on the present-day Istrian population. It analyses the relation between institutional and alternative forms of memory, and the interplay between conflicting and appeasing discourses.
FR:
Cet article aborde le sujet sensible de ce qu’il est convenu d’appeler l’exode istrien, qui a depuis plus de six décennies provoqué des polémiques au sein des discours politiques entre l’Italie et l’ex-Yougoslavie, puis la Slovénie et la Croatie. L’article analyse différentes types d’études de cas de mémoire des processus de paix, tels que les discours politiques, les commémorations, les monuments, la littérature, le cinéma, le théâtre, etc. L’auteure prend en considération les oeuvres littéraires et les oeuvres d’art ou les performances qui ont touché ce passé contesté, et qui ont généré des réflexions ou eu un impact sur la population actuelle d’Istrie. Elle analyse ainsi la relation entre les formes de mémoire institutionnelle et alternative et l’interaction entre les discours contradictoires et apaisants.
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“I come from a country that is no more”: Jewish nostalgia in the postcolonial Mediterranean
Dario Miccoli
pp. 51–68
AbstractEN:
Based upon a corpus of literary texts by Jewish authors born, or descendants of families that lived in North Africa and Egypt and that in the 1950s and 1960s migrated to Israel, France or Italy, the essay looks at nostalgia as a foundational trope in the Mediterranean Jewish historical imagination. Nostalgia is analyzed as a literary chronotope, that allows these writers to come to terms with a complex and ambivalent past while, at the same time, reflecting upon its repercussions on the postcolonial present and future. What comes out is an original archive of memories travelling across the Mediterranean, that while shedding light on the ruptures and continuities between colonial and postcolonial times, reflects on the possibilities of coexistence and reconciliation – or, on the other hand, on the cleavages – that still exist between Jews and Arabs, Europe and North Africa, the Diaspora and Israel.
FR:
En se basant sur un corpus de textes littéraires d’auteurs juifs nés ou de descendants de familles ayant vécu en Afrique du Nord et en Egypte et ayant migré vers Israël, la France ou l’Italie dans les années 1950 et 1960, cet article approche la nostalgie comme un trope fondamental dans l’imagination historique juive méditerranéenne. La nostalgie est analysée comme un chronotope littéraire qui permet à ces écrivains de se confronter à un passé complexe et ambivalent tout en réfléchissant à ses répercussions sur le présent et l’avenir postcoloniaux. Ce qui en ressort est une archive originale de mémoires voyageant à travers la Méditerranée qui, tout en éclairant les ruptures et les continuités entre l’époque coloniale et postcoloniale, réfléchit aux possibilités de coexistence et de réconciliation - ou, au contraire, aux clivages existent encore entre Juifs et Arabes, Europe et Afrique du Nord, la Diaspora et Israël.
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Entre lieux de mémoire et lieux de l’oubli au Maroc : quelle politique et quels acteurs pour la mémoire juive ?
Emanuela Trevisan Semi
pp. 69–80
AbstractFR:
À partir des années 1990, le Maroc a entamé un processus de reconnaissance des différentes identités, d’origine berbère ou juive, qui ont contribué à la formation de l’identité marocaine à travers le temps. En fait, jusque dans les années 1990, et en accord avec l’atmosphère panarabiste de l’époque, les politiques gouvernementales au Maroc cherchaient à cacher et à marginaliser tous les héritages historiques et culturels non arabes. Le changement de politique intervenu dans les années 90 a donné lieu à un nouvel ensemble de problèmes en termes de mémoire et de politique du patrimoine. L’intérêt manifesté par le roi Mohammed VI, qui souhaitait que tous les cimetières juifs du Maroc soient restaurés grâce à des fonds provenant directement du Palais Royal, a permis de sauver 167 cimetières juifs au Maroc en 2015. Face à cette situation, le cas de Meknès est unique et intéressant à analyser. Meknès, l’une des villes les plus importantes de l’histoire des juifs au Maroc, ne compte jusqu’à aujourd’hui aucun lieu de mémoire juif restauré et préservé, à l’exception d’une restauration partielle de l’ancien cimetière réalisé en 2017. Le cimetière de l’ancien mellah à Meknès, en particulier, présente une typologie urbaine unique qui voit les tombeaux nichés le long de ses murs, les plus sacrés étant placés au pied des murs eux-mêmes, comme pour protéger, de cette position, tout le mellah. Cet article analysera donc le cas spécifique de Meknès et de l’oubli de son héritage juif.
EN:
Starting in the 1990s, Morocco intiated a process of recognition of the different identities, whether of Berber or of Jewish origin, that contributed to the formation of Moroccan identity throughout time. In fact, up until the 1990s, and according to the pan-Arabist atmosphere of the time, state policies in Morocco sought to hide and marginalize all non-Arab historical and cultural heritages. The change in policies tha occurred in the 1990s gave rise to a whole new set of issues in terms of memory and heritage politics. The interest shown by King Mohammed VI, who wanted all Jewish cemeteries in Morocco to be restored with funds coming directly from the Royal Palace, helped to recover 167 Jewish cemeteries in Morocco only in 2015. Against this background, the case of Meknes is unique and interesting to analyse. As one of the most important cities for the history of Jews in Morocco, Meknes up until today has no place of Jewish memory restored and preserved as such, except for a partial restoration of the old cemetery made in 2017. The cemetery of the ancient mellah in Meknes, in particular, presents a unique urban typology that sees the tombs nestling along its walls, the holiest among them being placed at the foot of the walls themselves, as if to protect, from this position, the entire mellah. It is then the specific case of Meknes and the forgetting of its Jewish heritage that will be the object of my analysis.
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Collective memory and cultural identity: A comparative study of the politics of memory and identity among Israelis of Polish and Tunisian descent
Giorgia Foscarini
pp. 81–98
AbstractEN:
The main aim of this article is to provide a preliminary account of the results of my fieldwork research on the identities and memories of the third and fourth generation of Israelis of Ashkenazi and Mizrahi descent, in particular of Polish and Tunisian origin. The issues I will focus on are: “how have third- and fourth-generation Israeli identities been built over time and space?”, and: “how does the current generation of young Israelis relate to their Polish and Tunisian cultural heritage, if at all, in the attempt at understanding and building their present identity?”. The influence of Israel’s historical past and of its migrant memories will be analyzed in relation to the identity-building process of both groups, and to how these memories were integrated, or not, in the Israeli national narrative.
FR:
L’objectif principal de cet article est de fournir un compte rendu préliminaire des résultats de mes recherches de terrain sur l’identité et la mémoire des troisième et quatrième générations d’Israélites d’ascendance ashkénaze et mizrahi, notamment d’origine polonaise et tunisienne. Les questions sur lesquelles je me concentrerai sont: Comment les identités israéliennes de troisième et quatrième génération ont-elles été construites dans le temps et dans l’espace? Et comment la génération actuelle de jeunes Israéliens s’attache-t-elle à son patrimoine culturel, si tel est le cas, dans sa tentative de comprendre et de construire son identité actuelle? L’influence du passé historique d’Israël et de ses mémoires de migrants sera analysée en relation avec le processus de construction identitaire des deux groupes, et la manière selon laquelle ces souvenirs ont été intégrés ou non dans le récit national israélien.
Retours : lisières, chemins de traverse et reconnexions
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Tourisme républicain des racines en Espagne : vers un apaisement de la mémoire et une réconciliation ?
Evelyne Ribert
pp. 99–120
AbstractFR:
Ce que l’on appelle le tourisme mémoriel a connu une grande expansion au cours des dernières décennies, qu’il s’agisse de visites de sites historiques ou d’itinéraires plus personnels, comme des retours sur les lieux du passé familial. Quels sont les effets de ces formes personnelles de tourisme mémoriel sur la perception qu’a une famille de son histoire et sur l’interprétation des conflits du passé dans lesquels cette histoire s’insère ? Provoquent-elles ou non des changements dans les représentations et un apaisement des mémoires ? Les formes officielles d’évocation du passé s’articulent-elles avec les souvenirs et les récits privés, et de quelle façon ? Quel est l’impact d’une telle intensification du « travail mémoriel » sur un éventuel retour sur le passé familial ? Nous essaierons de répondre à ces questions à partir du cas des descendants de républicains espagnols exilés en France. Nous étudierons les éventuels voyages entrepris par des descendants qui ont visité une exposition sur l’histoire de l’immigration espagnole en France à la recherche d’indices sur leur propre passé.
EN:
The so-called memory tourism has experienced a boom in the last decades, be it in the form of visits to historical sites, or in the form of more personal journeys, such as returning to the landmark places of one’s family past. What effects do these personal forms of memory tourism induce on the perception of one’s family history and on the interpretation of past conflicts closely linked to it? Do they cause changes in people’s representations and abate conflicting memories? Do official forms of evocation of the past combine with private memories and narratives, and how? What is the impact of such intensification of “memory work” on a possible re-consideration of one’s family past? We shall try to answer these questions by considering the case of the descendants of Spanish Republicans exiled in France. We will study the possible journeys undertaken by descendants who visited an exhibition on the history of Spanish immigration in France in search of elements about their own past.
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Constructions mémorielles dans la post-dictature et le post-colonialisme au Portugal : entre Lisbonne et Luanda, quel partage d’expérience ?
Irène Dos Santos
pp. 121–142
AbstractFR:
Cet article traite du passé dictatorial et colonial au Portugal. Il s’appuie sur une enquête ethnographique menée au Portugal et en Angola sur des mémoires privées et publiques de familles de rapatriés («retornados»), dont certains membres sont récemment rentrés en Angola. Il analyse le rôle joué par différents types de récits de mémoire dans la rupture avec un récit historique hégémonique et avec l’émergence d’une pluralité de mémoires sociales dans un contexte postcolonial.
EN:
This article deals with the dictatorial and colonial past in Portugal. It relies on an ethnographic survey conducted in Portugal and Angola on private and public memoirs of returnee families (“retornados”), some of whose members have recently returned to Angola. It analyses the role played by different types of memory narratives in the break with a hegemonic historical narrative and with the emergence of a plurality of social memories in a post-colonial context.
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« Voyages des racines » et mémoire de la Heimat perdue dans la littérature allemande post-unification
Catherine Perron
pp. 143–166
AbstractFR:
Considérant d’une part le décalage entre le temps politique et les processus mémoriels, et d’autre part la remise en question des rapports entre les politiques officielles de la mémoire et les représentations ordinaires du passé, cet article analysera l’émergence ou non dans la société allemande d’une mémoire des Heimat perdues. Il s’agit d’un type de mémoire qui est propice aux échanges avec les voisins, favorise la compréhension mutuelle et contribue à la réappropriation d’un passé partagé, conduisant ainsi à un regard plus favorable vers un avenir européen commun. Basé sur un corpus d’oeuvres littéraires contemporaines traitant des voyages patrimoniaux dans les territoires d’où les Allemands ont été expulsés après la Seconde Guerre mondiale, cet article vise à étudier les récits de traversée des frontières et de (re)découverte de la Heimat perdue à l’Est. Il propose d’examiner les représentations de l’espace véhiculées par ces récits, et leur rapport aux récits plus anciens tels que ceux de fuite et d’expulsion. L’hypothèse qui se dégage de cet article est que, malgré une histoire partagée de violence, la confrontation active d’une Heimat perdue avec la réalité d’aujourd’hui renforce la capacité de surmonter une construction auto-centrée de la mémoire et des souffrances endurées par les Allemands pendant la Seconde Guerre mondiale. En conséquence, il devient possible de reconsidérer la complexité des événements et d’aller au-delà d’une vérité régionale limitée, en les inscrivant ainsi dans un cadre historique plus large.
EN:
Considering the gap between political time and memory processes on the one hand, and on the other the questioning of relations between official memory policies and ordinary representations of the past, this paper will analyse the emergence, or not, in German society of a memory of the lost homelands. A kind of memory that is conducive to exchanges with the neighbours, encouraging mutual understanding, and helping the re-appropriation of shared pasts, thus leading to a more favourable attitude towards a common European future. Based on a body of contemporary literary works that deals with heritage trips to the territories from which Germans have been expelled after WWII, this paper aims at studying the stories of passing the borders and of (re)discovering the lost Heimat in the East. It proposes to examine the representations of space conveyed by those narratives, and their relation to older narratives such as that of « flight and expulsion ». The hypothesis emerging from this article is that, despite a shared history of violence, the active confrontation with today’s realities of the lost Heimat enhances the capacity to overcome a self-centred construction of memory and of the sufferings Germans endured during WWII. As a consequence, it becomes possible to reconsider the complexity of the events, and to go beyond a limited, regional truth, hence inscribing them in a wider historical frame.
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Dwelling in contradictions: Deep maps and the memories of Jews from Libya
Piera Rossetto
pp. 167–187
AbstractEN:
The article deals with performances of memories and identities by and about Jews from the Middle East and North Africa region, with a focus on Jews of Libyan descent. It acknowledges the complexity that intrinsically characterizes these sources in terms of the heterogeneity of their contents, but also the political implications inherent to their transmission and communication. What is needed, however, is to make this complexity readable, and to make it readable, the author suggests making it visible. To achieve this goal, the author proposes adopting a new research approach which takes inspiration from the field of digital humanities, to assist in thinking spatially and visually about the performances of memories and identities. This can bring about a kind of methodological reconciliation between the researcher, the complexity of the data, the necessity to transform them into accurate research results and the responsibility to effectively communicate them to the larger public.
FR:
Cet article traite des performances mémorielles et identitaire par et sur les Juifs du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord, en mettant l’accent particulièrement sur les Juifs d’origine libyenne. Il présente la complexité qui caractérise intrinsèquement ces sources en terme d’hétérogénéité de leurs contenus, mais aussi en ce qui concerne les implications politiques inhérentes à leur transmission et à leur communication. Cependant, il est nécessaire de rendre cette complexité lisible et, pour la rendre lisible, l’auteur suggère de la rendre visible. Pour atteindre cet objectif, l’auteur propose d’adopter une nouvelle approche de recherche qui s’inspire du domaine des humanités numériques pour aider à penser spatialement et visuellement les performances des mémoires et des identités. Cela peut entraîner une sorte de rapprochement méthodologique entre le chercheur, la complexité des données, la nécessité de les transformer en résultats de recherche précis et la responsabilité de les communiquer efficacement au grand public.