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Introduction

Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, le 8 mai 1945, l’Europe s’est engagée dans une autre bataille, sur un front différent : comment affronter et gérer le patrimoine matériel du nazisme et du fascisme ? Après douze ans de domination d’Adolf Hitler et des nazis, le continent était détruit par la guerre et choqué par les crimes contre l’humanité, alors sans précédent. Des pays comme l’Allemagne et l’Autriche ont considérablement travaillé dans les années d’après-guerre pour trouver les moyens de comprendre cette histoire tragique et d’en transmettre la mémoire, avec l’idée que cette mémoire pouvait avoir un rôle de prévention et de formation aux valeurs de la démocratie et de l’humanisme européen. Braunau est une petite ville d’Autriche localisée sur la rivière Inn, qui fait frontière avec la région de la Bavière en Allemagne. Elle est surtout connue par son habitant le plus infâme : Adolf Hitler. Bien qu’il n’y ait vécu que peu de temps, la maison qu’occupait Hitler avant que sa famille ne déménage est aujourd’hui une grande source de questionnements et de tensions. La gestion de cette maison et le lien entre la ville de Braunau-sur-Inn et Adolf Hitler a été (et est toujours) une tâche difficile pour la ville.

La maison natale de Hitler ou comment s’en débarrasser ?

Le soldat allemand qui voulait faire sauter la maison de Hitler

La maison natale d’Adolf Hitler a été construite au XVIIIe siècle dans le style baroque typique de l’Autriche, et elle a survécu comme pension de famille jusqu’en 1938 (« Braunau History » 2017). Adolf Hitler y est né le 20 avril 1889. Lui et sa famille y sont restés trois semaines avant de déménager dans une autre maison de la ville. Lorsque Hitler avait trois ans, ils ont quitté Braunau-sur-Inn pour s’installer dans la ville autrichienne de Linz, ville considérée par Hitler comme sa ville natale. Après l’Anschluss (annexion de l’Autriche par l’Allemagne en 1938), la maison fut classée monument historique au titre de maison natale de Hitler (« Geburtshaus unter Denkmalschutz » 1938), et la même année, elle fut achetée par Martin Bormann, membre du parti nazi et conseiller de Hitler. De 1943 à 1944, la maison devint une galerie d’art connue sous le nom de « Galerie Braunauer dans la maison natale du Führer ». Comme dans beaucoup d’autres villes de l’Allemagne nazie, les fonctionnaires nazis avaient élaboré des plans de réaménagement de la zone, avec le projet de démolir toutes les maisons du côté opposé de la rue pour en faire une grande place, mais ce projet fut abandonné après le début de la guerre (« Die Neugestaltung der Stadt Braunau am Inn » 1938).

Figure 1

Façade avant de la maison au n° 15 de la Salzsburger Vorstadt

Façade avant de la maison au n° 15 de la Salzsburger Vorstadt

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Braunau-sur-Inn fut libérée par l’armée américaine le 2 mai 1945, quelques jours avant la fin de la guerre en l’Europe. Durant la bataille finale, un soldat allemand avait essayé de faire exploser la maison natale d’Adolf Hitler mais il en a été empêché (« Braunau History » 2017). Si cette destruction avait été effective, elle aurait été le symbole métaphorique de la destruction de l’État nazi. Durant les années suivantes, la maison servit de bibliothèque puis d’école. À partir de 1972, le ministère autrichien de l’Intérieur louait le bâtiment pour l’équivalent de 5000 € par mois ; il s’y trouvait des ateliers destinés aux personnes handicapées ; le gouvernement avait (et a toujours) peur que s’installe dans cette maison un individu ayant des liens avec les néonazis et qui en ferait un lieu de culte. Juste quelques semaines avant le 100e anniversaire d’Adolf Hitler en 1989, la ville de Braunau-sur-Inn a dressé une stèle commémorative pour les victimes du nazisme juste en face de la maison.

Une maison vide expropriée

La maison et le centre historique de Braunau sont protégés par un classement historique depuis 1993 (Bundesdenkmalamt 1993). La maison est vide depuis 2011, après que la propriétaire actuelle, Gerlina Pommer, eut refusé de permettre des rénovations pour moderniser la propriété, comme l’installation d’un ascenseur (Kotanko 2017). En décembre 2016, le Parlement autrichien a voté une loi permettant l’expropriation de la maison (Bundeskanzleramt 2017). L’ancien propriétaire de la maison du numéro 15, Salzburger Vorstadt, a déposé une requête contre le gouvernement devant la Cour constitutionnelle autrichienne pour contester la légalité du décret d’expropriation, mais la Cour a tranché en juin 2017 en faveur du gouvernement (Bryab 2017).

Depuis que le bâtiment est vide, depuis 2011, le débat se poursuit au sujet de ce que l’on devrait faire de cette maison. Les propositions principales ont été sa destruction, sa transformation ou sa conservation dans son état actuel. En 2016, le ministre de l’Intérieur autrichien, Wolfgang Sobotka, a annoncé que le gouvernement envisageait de raser la maison afin de briser le symbolisme du site ; il considérait que « la démolition... serait la solution la plus propre » (O’Sullivan 2016). Cette décision a obtenu le soutien de certains membres de la communauté internationale, en particulier des Russes qui se sont battus contre les nazis pendant la Seconde Guerre mondiale. Frantz Klintsevich, membre du Parlement russe (Douma) et allié du président Vladimir Poutine, a déclaré en 2012 : « si j’arrivais à obtenir l’aide financière suffisante, j’achèterais la maison et je la ferais détruire spectaculairement » (Tzur 2012). Le principal argument du gouvernement en faveur de la destruction est la possibilité que la maison devienne un site de pèlerinage néonazi. En 1989, à l’occasion du 100e anniversaire de la naissance d’Adolf Hitler, on a pu constater un rassemblement de néonazis devant la maison, rassemblement qui a attiré des centaines de contre-manifestants à Braunau-sur-Inn et l’attention des médias, perturbant la vie quotidienne des citadins (Kotanko 2017). En février 2017, un sosie de Hitler, un Autrichien se faisant appeler « Herald Hitler », s’est installé à Braunau-sur-Inn et y a vécu un certain temps avant d’être arrêté (« Hitler’s doppelganger sighted… » 2017).

À certains égards, la maison est plutôt une destination de manifestations contre l’extrême-droite. Ainsi, en avril 2017, une grande manifestation a été organisée par un groupe nommé « Braunau contre l’extrémisme de droite ». Cependant, le directeur de la Société d’histoire contemporaine de Braunau, Florian Kotanko, affirme : « [j]e ne crois pas qu’il y ait un grand problème [avec les néonazis] ici [...]. Il y a certains cas, oui, mais on ne peut pas dire que tous ceux qui photographient la maison sont des nazis » (Kotanko 2017). En 2013, l’État de Haute-Autriche a publié un rapport sur l’extrême droite et les activités racistes en Haute-Autriche entre 2008 et 2013. Sur 75 événements, deux seulement étaient liés à des manifestations néonazies à Braunau-sur-Inn (OOE Netzwerk gegen Rassismus und Rechtextremismus 2013).

Pour ou contre la destruction ?

Divers arguments sont avancés pour la destruction de cette maison. Tout d’abord, la détruire éliminerait la possibilité que la maison devienne un site de pèlerinage néonazi. De plus, une nouvelle construction offrirait des installations modernes, comme un ascenseur. Mais la détruire provoquerait une rupture dans le tissu historique de la ville. Un terrain vide ou un bâtiment moderne qui contrasterait avec les bâtiments historiques rendrait l’emplacement beaucoup plus visible. La ville et le gouvernement autrichien pourraient être accusés de cacher un élément négatif de leur patrimoine et de ne pas vouloir regarder le passé en face. Situation inextricable.

En octobre 2016, la nouvelle Commission pour le traitement « historiquement correct » de la maison natale d’Adolf Hitler (Kommission zum historisch korrekten Umgang mit dem Geburtshaus Adolf Hitlers) a publié son rapport final et ses recommandations pour la propriété. Elle a émis trois recommandations.

1) Il se doit d’y avoir une préférence pour une utilisation sociale-caritative ou réglementaire-administrative de la propriété. 2) Cet objet ne doit pas présenter d’utilisation pouvant favoriser un rapprochement supplémentaire avec la personne de Hitler […] que ce soit notamment par un musée ou autre lien permanent […]. 3) Privilégier une vaste rénovation architecturale qui supprimerait le symbolisme du bâtiment et le fait qu’on puisse le reconnaître […].

Bundesministerium fuer Inneres 2016

Suite à la publication de ce rapport, le ministre de l’Intérieur autrichien, Wolfgang Sobotka, a annoncé que le plan du gouvernement fédéral visait à poursuivre une « transformation architecturale profonde » (O’Sullivan 2016). Le président de la communauté juive israélienne à Vienne, Oskar Deutsch, s’est félicité de la décision de Sobotka de transformer la propriété (Kotanko 2017).

Beaucoup de groupes et d’individus estiment que la décision de détruire ou de transformer la maison n’est pas judicieuse. La journaliste Mely Kiyak, par exemple, affirme dans Die Zeit que « détruire une maison, au lieu d’affronter le problème des néonazis, revient politiquement à une abdication sans égale » (Kiyak 2017). D’autres journalistes, comme Feargus O’Sullivan de City Lab, sont d’avis que « la meilleure réponse semble être un mémorial ou un musée. Ce ne serait pas effacer son histoire […] mais il y aurait au moins une prise de contrôle du récit qui l’entoure » (O’Sullivan 2016). En 2012, Judith Forster a mené une vaste étude sur la façon dont les citoyens locaux de Braunau-sur-Inn font face au patrimoine lié à Adolf Hitler. Étonnamment, elle a constaté que seulement 4,2% des répondants admettaient que démolir la maison était une option appropriée (Forster 2012). Christine Baccilli, représentante du bureau de tourisme de Braunau, semble partager ce point de vue : « [à] mon avis, nous devons affronter cette histoire et continuer avec ces programmes... si la maison était démolie, cela ne ferait qu’aggraver la situation » (Baccilli 2017).

À l’argument urbanistique qui milite contre la destruction de la maison ou la modification de sa façade, il faut ajouter un élément de rituel mémoriel : depuis les années 1990, le mémorial (la stèle commémorative) a également servi de point de rassemblement d’une veillée à la mémoire des victimes du nazisme, appelée « Fête commémorative de la stèle (Mahnsteinfeier) de Braunau-sur-Inn », veillée ayant lieu tous les 5 mai (Kotanko 2017). La ville assume la responsabilité de son passé nazi. Mais il reste toujours la possibilité que la maison devienne un site de pèlerinage néonazi, ou bien un site de Dark Tourism (tourisme noir) qui attirerait les touristes venant à Braunau uniquement pour voir (et/ou photographier !) la maison natale d’Adolf Hitler.

Quel usage ?

Reste la dernière question : quelle utilisation pour cette maison ? La comparaison avec d’autres sites nazis fournit des éléments de réponse. Beaucoup de sites en Allemagne, tels que le terrain du Congrès du parti nazi à Nuremberg ou « la Maison brune », ancien siège des nazis à Munich, ont un centre éducatif – un « centre de documentation ». Ils présentent entre autres des expositions sur l’histoire, et des panneaux d’information sur le contexte sont placés autour du terrain (un panneau sur l’histoire de la maison existe aussi à Braunau-sur-Inn). Cette proposition a reçu un soutien considérable dans la presse, et Wieland Giebel, initiateur du « Centre de documentation Fuehrerbunker » à Berlin, en soutient lui aussi l’idée : « je pense que le lieu de naissance de Hitler devrait être un centre de documentation. On ne peut pas faire face à l’histoire en se contentant de déchirer ce qui gêne. Là, on devrait faire quelque chose qui montre les conséquences du national-socialisme. Le lieu de naissance serait le bon endroit » (Koenig 2016).

Un projet allant dans ce sens a été déjà été proposé : « la Maison de la Responsabilité ». Comme son nom l’indique, il s’agissait de créer un centre d’éducation dans la maison et d’en faire un lieu de rencontres internationales et de réflexion sur la responsabilité sociale et citoyenne. Le projet envisageait trois espaces différents sur chacun des trois étages de la maison, consacrés aux thèmes du passé, du présent et du futur (Maislinger 2017). Mais les fonctionnaires en charge du projet n’étaient pas favorables à cette idée ; la Commission pour le traitement « historiquement correct » de la maison natale d’Adolf Hitler a rejeté cette proposition. D’autre part, la loi d’expropriation préconise explicitement une utilisation du site à des fins caritatives et sociales, excluant un musée ou un centre d’éducation ayant un lien direct avec Adolf Hitler (Bundeskanzleramt 2017). Le concept de la « Maison de la Responsabilité » n’est pas consensuel.

Reste à savoir également s’il est pertinent de placer ce centre dans ce lieu. Comme nous l’avons déjà mentionné, Hitler a vécu très peu de temps dans cette maison et il n’est pas resté à Braunau-sur-Inn après le déménagement de sa famille. Par conséquent, Braunau n’était pas vraiment importante pour Adolf Hitler (même si elle l’était pour ses partisans, comme on l’a vu). Une « Maison de la Responsabilité » serait plus appropriée dans un lieu plus en lien direct avec le régime nazi, où la responsabilité des crimes nazis pourrait être abordée, comme à Berlin par exemple. En outre, nous devons ajouter que la ville de Braunau-sur-Inn est assez isolée (à deux ou trois heures de Munich ou de Vienne) et qu’il est donc difficile aux visiteurs de s’y rendre.

L’exemple le plus proche d’un autre site est l’ancien appartement de Hitler à Munich, au numéro 16, Prinzregentenplatz. Il été transformé en poste de police pour dissuader les visites des néonazis. Une telle utilisation administrative officielle serait l’option appropriée (c’est celle qui est actuellement privilégiée par les fonctionnaires de Braunau-sur-Inn et le gouvernement fédéral autrichien) pour l’utilisation de la maison. Mais cette option élimine tout lien avec l’histoire, ce qui est loin de faire l’unanimité.

Un début de processus de patrimonialisation

Même si l’avenir de la maison natale d’Adolf Hitler au numéro 15, Salzburger Vorstadt, est toujours incertain, les fonctionnaires et les citoyens de Braunau-sur-Inn ont mis en place quelques dispositifs pour entamer un processus de patrimonialisation.

Une stèle commémorative à haute teneur symbolique

Figure 2

Verso de la stèle commémorative

Verso de la stèle commémorative

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Le premier outil important est l’installation par la ville de Braunau-sur-Inn, à l’initiative du maire, Gerhard Skiba, d’une stèle commémorative devant la maison, juste avant le 100e anniversaire d’Adolf Hitler en 1989 (« Verantwortung Geschichte » 2017). Le bloc de pierre provient du camp d’extermination de Mauthausen, situé à 133 km de Braunau-sur-Inn, et on y a gravé l’inscription suivante : « Pour la paix, la liberté et la démocratie, plus jamais le fascisme, en souvenir des millions de morts ». La dédicace de cette stèle sert à souligner la gravité des crimes d’Adolf Hitler et des nazis, soit la mort de millions de personnes lors de l’Holocauste dans de nombreux camps comme Mauthausen. L’utilisation de ce granit, matériau teinté par les crimes nazis, symbolise la volonté de pérennisation du mémorial. Il représente un avertissement durable pour les générations futures. « La paix, la liberté et la démocratie » ne sont pas des valeurs qui vont de soi ; ce sont des valeurs fondamentales qu’il faut défendre. Il s’agit aussi d’un rappel des crimes du nazisme et d’un appel à la responsabilité des générations futures de s’assurer que l’Holocauste ne se reproduise jamais. L’emplacement de la stèle commémorative devant la maison natale de Hitler dans le centre-ville est un signal fort ; c’est une vigie, pour tous ceux qui passent là tous les jours. Il s’agit là de l’initiative la plus importante et la plus durable que les fonctionnaires de la ville aient réalisée à ce jour.

La veillée commémorative, mentionnée précédemment, est organisée conjointement par la Société d’histoire contemporaine de Braunau, le conseil municipal et le Comité Mauthausen autrichien (Waidbacher 2017). Anton Pelinka (professeur à l’Université d’Europe centrale, à Budapest) a prononcé un discours près de la stèle commémorative le 15 mai 2015, lors duquel il reconnaissait la responsabilité autrichienne dans le nazisme, évoquait les différentes perceptions de la libération de l’Autriche ainsi que l’instauration de la deuxième République autrichienne en 1955 (Pelinka 2015). Un an plus tard, en 2016, Andrej Cilerdzic (évêque de l’Église orthodoxe serbe) a prononcé un autre discours dans lequel il évoquait l’identité religieuse, les attentats terroristes de 2016, la crise des migrants et la nécessité d’une « culture du dialogue » (Cilerdzic 2016).

Figure 3

Gerbes de fleurs déposées devant la stèle commémorative lors de la veillée pour les victimes du national-socialisme à Braunau-sur-Inn, le 12 mai 2017

Gerbes de fleurs déposées devant la stèle commémorative lors de la veillée pour les victimes du national-socialisme à Braunau-sur-Inn, le 12 mai 2017

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Après les discours, il est de tradition pour les fonctionnaires municipaux de déposer deux couronnes de fleurs au pied de la stèle (voir Figure 3). Ces veillées sont un moyen pour la ville de se souvenir et de commémorer les victimes du régime nazi, et d’attirer l’attention sur les problèmes humanitaires actuels tels que la crise migratoire ou le terrorisme en Europe. En commémorant les victimes du nazisme, la stèle représente, en outre, un élément du patrimoine immatériel qui confronte et gère le spectre de l’association d’Adolf Hitler avec le site. Avec cet acte, la ville axe la commémoration sur les victimes des crimes nazis.

Une signalisation historique urbaine

Le deuxième outil important consiste en l’installation (en 2012) de panneaux d’informations historiques en divers endroits du centre historique de Braunau-sur-Inn. Ces panneaux proviennent d’un projet d’exposition internationale entre la Bavière et la Haute-Autriche sur leurs deux dynasties prépondérantes, les Habsbourg et les Wittelsbach (Kotanko 2017). L’un des panneaux les plus visibles est le numéro 6, situé au sud de la place de la ville (voir Figure 4). Ce panneau traite directement du patrimoine négatif (ou difficile) de Braunau : « maison du numéro 15 » ou « maison natale de Hitler ». En treize lignes, le texte résume brièvement la longue histoire de la maison, le lien avec Hitler, ses crimes contre l’Humanité et les initiatives prises par la ville pour faire face à cette histoire. Ce panneau, comme les autres, a pour objectif d’instruire les visiteurs et les citoyens et de contextualiser les sites de la ville.

Figure 4

Panneau d’information historique n° 6

Panneau d’information historique n° 6

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Placé à distance de la maison du numéro 15, Salzburger Vorstadt, il n’attire pas plus qu’il n’est nécessaire l’attention sur le bâtiment en lui-même. Il représente une déclaration publique visible de la volonté de cette communauté de confronter ce patrimoine au réel et de reconnaître que cela n’a pas été un processus facile.

Les Journées d’histoire contemporaine

Le troisième outil important relève de la Société d’histoire contemporaine (Verein der Zeitsgeschichte) qui a créé un événement récurrent : les Journées d’histoire contemporaine de Braunau (« Braunauer Zeitgeschichte-Tage »). Cette initiative est très intéressante en ce qu’elle relève essentiellement de la société civile et qu’elle tend à organiser un espace d’échange et de réflexion autour de la question des patrimoines négatifs. La réflexion se situe à mi-chemin entre le commémoratif et la démarche historienne.

Deux fonctionnaires et deux personnalités locales se sont réunis en 1991 pour organiser les premières Journées d’histoire contemporaine sur le thème du « patrimoine indésirable ». Il s’agissait de traiter directement de la position de Braunau envers le lieu de naissance de Hitler (Kotanko 2017). Des représentants de divers lieux ayant un patrimoine hérité de la Seconde Guerre mondiale, comme Nuremberg, Auschwitz ou Vichy, ont été invités pour discuter de la question de savoir comment gérer ces patrimoines d’un genre particulier. (Kotanko 2017). En 1993, la Société d’histoire contemporaine a été créée pour planifier et gérer l’événement annuel qui se concentre chaque année sur un thème différent (Kotanko 2017). Cette société est devenue la principale organisation historique de Braunau et elle a organisé de nombreux événements, y compris les veillées de mai mentionnées plus haut pour honorer les victimes de la Seconde Guerre mondiale (Kotanko 2017). Au cours des deux décennies précédentes, la Société d’histoire a ainsi été l’un des acteurs clés de la gestion continue du patrimoine difficile ou indésirable des villes concernées et elle est un exemple de la façon dont des citoyens peuvent travailler ensemble pour aborder ce passé qui ne passe pas. L’action ne doit pas nécessairement venir de la sphère institutionnelle.

Un site Internet

L’un des outils les plus importants et les plus concrets pour contextualiser le patrimoine difficile et négatif de Braunau-sur-Inn a été la création du site Internet « Braunau History », lancé en 2013 par le conseil municipal de Braunau-sur-Inn, le gouvernement de l’État de Haute-Autriche et le gouvernement fédéral autrichien, ainsi que les archives de l’État de Haute-Autriche sous la direction de Florian Kotanko, ancien directeur de l’école secondaire et président de la Société d’histoire contemporaine (Kotanko 2017). Cette opération a permis la numérisation et la publication de tous les documents relatifs à la maison et à l’histoire de Braunau-sur-Inn au XXe siècle, en mettant un accent particulier sur l’ère nazie et l’après-guerre. Le site fait état des différentes initiatives prises par la ville pour gérer son passé. Il permet également d’accéder aux archives de presse sur Braunau-sur-Inn (« Braunau History » 2017).

L’objectif du projet est « d’étudier, avec toute la précision académique requise, les conséquences historiques, économiques, politiques et sociales pour la ville de Braunau, de la naissance d’Adolf Hitler dans la commune [et] de rendre disponible les documents pertinents jusqu’alors inconnus » (« Verantwortung Geschichte » 2017). Le site Internet est un outil efficace pour la ville – dont les ressources sont par ailleurs limitées – pour donner des informations à dimension historique et civique, mais aussi pour informer de sa politique et de ses initiatives pour gérer ce patrimoine d’un genre très particulier. Ce site, accessible de partout, est une plate-forme qui sert de clé pour participer à l’éducation du public et pour montrer au monde que la ville accepte de regarder en face son histoire et l’histoire de l’Autriche.

Une démarche modélisable ?

Braunau-sur-Inn est un cas d’espèce dont on pourrait tirer parti méthodologiquement pour, en quelque sorte, modéliser la manière dont on peut aborder les patrimoines difficiles. Lors de la première étape, il s’agit d’évaluer le poids de l’histoire d’un site ou d’un lieu particulier. Que doit-on prendre en considération pour aborder la gestion de ce site ? Quels sont les groupes ayant un intérêt dans la façon dont le site est géré ? Y a-t-il des victimes spécifiques dont les besoins doivent être pris en considération ? Quels sont les sites comparables ayant un patrimoine similaire ? Comment leurs acteurs ont-ils pensé leur propre patrimoine ? Un autre facteur à prendre en considération est l’emplacement et l’environnement. Quelles sont les options appropriées et possibles pour gérer le site en tenant compte de son inscription dans l’espace ?

Pour la deuxième étape, il s’agit d’ouvrir une discussion, voire une consultation publique, en tenant compte des divers groupes sociaux qui sont de près ou de loin impliqués. Quelles sont les opinions des habitants au sujet d’un site particulier ? Comment le perçoivent-ils ? Que proposent-ils ? Qu’en est-il des groupes plus directement concernés ? Pour notre exemple, il était évident qu’il fallait travailler avec les victimes du nazisme, à savoir la communauté juive. Tout plan de gestion doit être précédé d’une démarche largement participative, ne serait-ce que parce que le but ultime de ce type d’action est d’ordre civique et éducationnel. Il faut prendre en compte les opinions et le ressenti de la communauté locale et prévoir des dispositifs lui permettant de s’exprimer et de participer pro-activement au processus d’élaboration de ce patrimoine, puis à sa diffusion.

La troisième étape consiste à définir une stratégie pour « faire passer » le message et répondre aux enjeux éthiques de ce patrimoine singulier. Dans le cadre du plan de gestion, une attention particulière doit être accordée à l’exigence pédagogique. Cela suppose un effort de contextualisation du site et de l’histoire à laquelle il renvoie. Le cas qui nous occupe ici est très particulier car il ne s’agit pas d’un lieu qui évoque la politique nazie ou ses représentations matérielles puisque nous nous situons historiquement bien avant la naissance du nazisme en tant que tel. D’où la nécessité de la mise en oeuvre de moyens simples et classiques, comme les panneaux d’information ou un petit mémorial en dur, comme cela a été fait à Braunau-sur-Inn à l’extérieur de la maison. Il faut une marque physique sur le lieu qui emblématise l’environnement. Ceux qui gèrent le site doivent se demander dès le départ : « quelle est la meilleure façon de promouvoir l’éducation sur le site ? » Un musée ou un lieu d’exposition ne sont pas toujours appropriés pour un site tel que celui de Braunau-sur-Inn. D’autre part, la question du coût budgétaire ne doit pas être évacuée pour les petites collectivités. Un site Internet ou la mobilisation d’une société savante locale constituent de très bons moyens d’assurer la médiation vers un public élargi.

Conclusion

Cette maison d’apparence ordinaire est devenue une grande source de tensions et de conflits. Il a fallu plusieurs décennies pour qu’une solution se dessine afin que le processus de patrimonialisation puisse s’accomplir. Ce lieu n’est pas totalement un patrimoine « impossible », mais c’est certainement un patrimoine difficile à gérer. Se souvenir pour éduquer sur le pire que l’homme puisse commettre : redoutable mission que la démarche patrimoniale doit s’efforcer de mettre en oeuvre concrètement. Il faut jouer sur des échelles différentes (le local, le national et l’international), impliquer la population locale et le milieu associatif, déjouer la réversibilité des arguments (la question de la destruction) et réussir à adopter une démarche historiquement fondée et validée. Car, comme le dit Florian Kotanko, président de la Société d’histoire contemporaine, « les gens peuvent supporter la vérité » à partir du moment où ce sont l’honnêteté et la clarté qui guident ceux qui ont la responsabilité de répondre à ce défi qui dépasse de loin le cadre local pour concerner l’humanité.