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Les psychologues et chercheurs Michael J. Chandler, Christopher E. Lalonde, Bryan W. Sokol et Darcy Hallett traitent dans leur ouvrage, comme le titre l’indique, du lien qu’il est possible d’établir entre la continuité personnelle et culturelle et le taux de suicide chez les jeunes. Leur ouvrage relie cinq études menées par les chercheurs, traitant toutes de la persistance personnelle et culturelle et/ou du suicide chez les jeunes en général et les jeunes autochtones. Cet ouvrage présente un intérêt certain pour les chercheurs, les citoyens – s’ils ne se découragent pas à la vue d’une table des matières aussi théorique et méthodologique –, mais également pour les communautés autochtones et les membres de l’État, auxquels le chapitre V sur la continuité culturelle pourrait donner des outils pour le futur.
Le chapitre I (Introduction, 13-17) met d’emblée cartes sur table : l’ouvrage traite d’abord et avant tout du phénomène de continuité personnelle et culturelle, c’est-à-dire du paradoxe de la continuité dans le changement, et des efforts faits par les jeunes pour réussir à se percevoir comme des êtres se maintenant dans le temps. Question complexe. Les chercheurs présentent également le deuxième problème d’importance auquel ils s’intéressent et qui est intrinsèquement lié au premier : les coûts et conséquences de l’échec de cette conciliation de la continuité et du changement, qui se traduisent entre autres par un nombre de suicides plus élevés chez les jeunes que dans les autres tranches d’âge. Enfin, les auteurs s’interrogent en troisième lieu sur le suicide autochtone : comment se fait-il que les taux prennent de telles proportions ? La continuité culturelle aurait selon les auteurs une forte incidence sur le taux de suicide dans ces communautés.
Le chapitre II (19-35) situe la recherche dans la psychologie occidentale par un état de la question critique en profondeur démontrant bien l’intérêt scientifique de cette recherche. Mais la partie la plus importante du chapitre est l’explication par les auteurs des concepts d’essentialisme et de narrativisme, perspectives servant à classifier les discours des jeunes ayant répondu au questionnaire et qui sont nécessaires à la compréhension de la méthode et des résultats. Selon les chercheurs, la perspective essentialiste de la continuité de soi « attribu[e] [u]ne importance spéciale à une ou des caractéristiques principales qu’on imagine comme transcendant le soi » (29), alors que les jeunes répondant aux questionnaires par la perspective narrativiste « mettent l’accent sur le discursif plutôt que le substantiel » et « insiste[nt] sur les tissus conjonctifs liant les choses » (30).
Au chapitre III (37-74), le lecteur sent qu’il s’approche de plus en plus du coeur de l’ouvrage… mais il n’y est pas encore tout à fait. Le chapitre III est plutôt consacré à l’explication de la méthodologie utilisée par les chercheurs pour procéder à leurs recherches. Bien que cruciale dans le cadre de recherches sur des sujets humains, l’explication en détail des différents aspects de la méthodologie alourdit considérablement l’ouvrage. Dans un langage technique et citant plusieurs auteurs dont les théories ne sont pas expliquées, les auteurs font état de la « méthodologie générale » (38), de la « stratégie de mesure » (40), des « récits relatifs au développement des personnages » (45) et de la « typologie des justifications alternatives de la continuité » (50). Cette dernière partie rend compte des différentes catégories de classification des réponses essentialistes et narrativistes, qui se déclinent elles-mêmes en plusieurs sous-catégories. Une des méthodologies proposées par les chercheurs est d’évaluer non seulement le degré de persistance personnelle des jeunes, mais également de recueillir des informations sur leur façon de percevoir celle des autres. Pour ce faire, les chercheurs utilisent un type de roman développé en Allemagne, le Bildungsroman, spécialement conçu « pour traiter des vies en mutation » (46) et montrer ce parallèle entre la continuité et le changement. Les chercheurs choisissent donc trois « romans d’apprentissage » - les Misérables, de Victor Hugo, A Christmas Carol, de Charles Dickens et La Femme-Ourse, un roman autochtone – afin de permettre la discussion sur la continuité des autres.
Avec le quatrième chapitre (75-88), des plus intéressants, arrive – tardivement – une partie des études attendues depuis la lecture du titre : celle sur le suicide chez les jeunes et le lien avec leur persistance personnelle. Les chercheurs s’inscrivent dans un courant populaire en postulant qu’il y a « des preuves irréfutables que non seulement les adolescents suicidaires et non suicidaires diffèrent par leur appréhension du paradoxe dans le changement, mais aussi que les jeunes qui tentent sérieusement de se suicider se caractérisent par le fait d’avoir totalement perdu […] une continuité dans leur vie » (76) et associent ainsi le suicide avec des problèmes de conception du temps. Le chapitre fait état de statistiques frappantes sur le suicide chez les jeunes Canadiens et expose les détails de l’étude : population, méthode et résultats. Ces derniers illustrent bien le propos des auteurs sur l’importance de la continuité personnelle.
Le chapitre V (89-108) introduit la variable « autochtone », en traitant du suicide chez les jeunes dans 196 communautés de la Colombie-Britannique. Les auteurs avancent que le taux de suicide dans ces populations est trois fois plus élevé que dans la population en général, et cette statistique grimpe à cinq fois plus chez les jeunes autochtones que chez les jeunes en général (99). Cependant, d’autres résultats montrent qu’ « être Autochtone ne constitue pas un facteur de risque en soi », car les données établissent que pour la moitié des bandes étudiées, « aucun suicide n’est rapporté » (100). Qu’est-ce qui explique ces statistiques discordantes? Pour les chercheurs, il s’agit de la continuité culturelle. Celle-ci est mesurée selon six facteurs établis par les chercheurs : (1) avoir engagé une bataille pour des revendications territoriales et (2) pour l’autonomie gouvernementale – facteurs de reprise du contrôle de sa vie culturelle et communautaire –, responsabilités en (3) éducation, en (4) services de santé et en (5) service de police et de protection contre les incendies – contrôle des services –, et enfin, (6) avoir construit un bâtiment consacré aux activités culturelles. Les résultats de cette quatrième étude sont surprenants et intéressants : dans tous les cas, le nombre de suicides est beaucoup moins élevé dans les communautés autochtones qui possèdent ces indicateurs (104).
Enfin, l’ouvrage se termine par une section Conclusions (109-120)… qui devrait plutôt s’appeler Mises en garde, et où les auteurs se prononcent sur les dangers de certains concepts utilisés dans les recherches. Cette section est suivie d’une postface de Michael J. Chandler (121-149), présentant des réflexions, des pistes de recherche et des conséquences politiques qu’ont eues les études présentées; elles ont notamment été reprises par le ministère de la Santé de Colombie-Britannique. Des annexes suivent la conclusion : un résumé de l’ouvrage en cinq points (qui aurait bien fait office de conclusion), une cinquième étude assez complexe sur la persistance personnelle des jeunes autochtones et non autochtones qui diffère en plusieurs points des études précédentes, et enfin, un échantillon de questions de l’interview sur la persistance personnelle.
Malgré quelques répétitions des explications des études et des concepts, l’ouvrage présenté ici permet de pousser encore plus loin les connaissances sur le suicide et propose des résultats concrets. Malgré le fait que l’ouvrage puisse ne pas convenir entièrement dans sa forme à des chercheurs qui n’évoluent pas dans le domaine de la psychologie, les résultats méritent certainement de retenir l’attention de ceux qui ont un pouvoir décisionnel.