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Les ouvrages traitant de la littérature francophone amérindienne sont en nombre tellement restreint (Boudreau 1993) que l’on se doute à peine qu’elle existe. Maurizio Gatti a voulu démontrer au contraire l’existence, le dynamisme et la diversité de la littérature autochtone contemporaine en réunissant des textes francophones d’auteurs amérindiens recueillis parmi les dix nations autochtones de la province québécoise.
L’auteur s’intéresse depuis longtemps aux écrivains amérindiens de langue francophone, ce qui l’a poussé à venir au Québec effectuer un doctorat en littérature et en sociologie à l’Université Laval sur ce sujet. Maurizio Gatti mène aujourd’hui des recherches postdoctorales au Centre de Recherche Interuniversitaire sur la Littérature et la Culture Québécoise (CRILCQ) à l’Université du Québec à Montréal (UQAM).
Littérature amérindienne du Québec présente les résultats des recherches doctorales de l’auteur sous la forme d’un ensemble de textes visant à faire connaître la richesse de ces oeuvres et à présenter la littérature québécoise sous une facette différente. Le recueil rassemble les créations littéraires de certains auteurs connus comme Bernard Assiniwi (« La saga des Béothuks ») et Charles Coocoo (« Broderies sur Mocassins »), ainsi que d’autres dont les textes n’apparaissent que pour la première fois; citons en exemple un poème sur le métissage de Roméo Saganash, l’un des acteurs politiques du Grand Conseil des Cris, un extrait d’une expérience de détention dans l’autobiographie de l’Innu Jean-Paul Joseph et le témoignage sur les pensionnats de Marcelline Boivin-Coocoo. Certains textes abordent des réalités autochtones contemporaines et les difficiles conditions d’ajustements entre tradition et modernité : on y parle de la drogue et de l’alcoolisme, des maladies, des violences de toutes sortes, de l’expérience carcérale et du suicide. D’autres relatent l’histoire des contacts et des rapports aux colonisateurs et les quêtes identitaires qu’ils ont engendrées (métissage, adoption, perte de repères causée par la rupture avec les traditions). Enfin, on y trouve des écrits qui nous plongent dans la spiritualité autochtone en présentant des personnages mythologiques ou en valorisant les rapports harmonieux avec les espèces animales et la nature.
Tout en sachant qu’il existe chez les Amérindiens des textes en anglais et en différentes langues autochtones, l’auteur a choisi de ne recueillir que les textes rédigés en langue française. De plus, il n’a pas conservé les récits de légendes traditionnelles dans le but de présenter uniquement un répertoire nouveau, issu de créations littéraires. L’élaboration de ce recueil prolonge les répertoires déjà existants de Charlotte Gilbert (1950) et de Diane Boudreau (1993), en y retranchant les chansons qui ne peuvent être comprises selon lui « qu’en fusion avec la musique ». Maurizio Gatti a aussi effectué des enquêtes de terrain dans les différentes nations autochtones afin d’actualiser le répertoire déjà existant. Il a recueilli au total 150 textes auprès d’une cinquantaine d’auteurs amérindiens. Certains ont refusé d’apparaître dans le recueil, peut-être à cause de l’ambiguïté du statut de l’écriture amérindienne en langue coloniale ou encore de la limitation identitaire que représente la catégorie « auteur amérindien ». Au total, 73 textes de 29 auteurs de différentes nations sont représentés dans ce recueil.
Maurizio Gatti présente les oeuvres par genre littéraire plutôt que par origine autochtone des auteurs, « la littérature transcendant les ethnies » (29). Afin de mieux connaître les auteurs ou pour les replacer dans l’ensemble de leur oeuvre, chacun des textes est précédé d’une brève biographie puis d’une notice explicative de l’extrait littéraire, de façon à mettre en contexte le ou les récits qui suivent. Un profil biographique plus détaillé de chacun est placé à la fin du recueil, facilitant éventuellement des recherches ultérieures.
L’ouvrage débute par une préface du dramaturge et romancier Robert Lalonde. L’auteur d’origine mohawk s’exprime sur les relations Blancs-Autochtones et les blessures provoquées par la colonisation. Tout en souhaitant le rétablissement d’une entente fraternelle entre ces deux protagonistes, il compare les textes qui suivront à une « vengeance douce », celles des voix d’auteurs, « inspirées, bouleversantes », qui s’expriment dans ce recueil et dont le pouvoir de libération émerge de leur écriture, en réponse à cette dissolution culturelle. Plutôt que de concevoir ces oeuvres comme une compromission de leurs auteurs avec le système dominant, Robert Lalonde l’envisage comme une ouverture de leur univers à l’Autre : « on ne prend pas la parole pour tuer, ni même pour blesser, mais pour apaiser, fermer une plaie, consoler et peut-être guérir » (13).
En première partie de son ouvrage, Maurizio Gatti réserve un espace privilégié d’une quarantaine de pages aux questions issues de ses recherches, dans le but de situer ce courant littéraire et ses auteurs amérindiens et de discuter de quelques points d’analyse. D’abord, il fait partager son intérêt pour la littérature amérindienne, trop longtemps ignorée, et tente de la circonscrire par rapport aux autres littératures québécoises et minoritaires. L’auteur présente ensuite le développement du corpus littéraire amérindien tel qu’il a émergé dans les années 1970, permettant ainsi de comprendre l’évolution de ses thèmes ainsi que la volonté d’autonomisation de ses acteurs. Dans un troisième temps, Maurizio Gatti propose une analyse du rôle social des auteurs amérindiens ; ces derniers rendent possible une transmission de la culture et son renouvellement tout en pénétrant dans l’imaginaire amérindien d’un point de vue esthétique. Ils ont aussi le rôle, parfois difficile, de représenter les communautés face à la modernité. Fait de reconnaissance, leur statut constitue un modèle alternatif pour l’avenir des jeunes Autochtones. Les deux parties suivantes présentent les questions de définitions et d’autodéfinition des auteurs amérindiens, sur lesquelles il ne semble pas y avoir d’entente ; on critique parfois sévèrement les individus s’identifiant comme « Autochtones » du fait de l’écart existant entre frontières culturelles et frontières légales. Plutôt que de s’intéresser à la qualité des oeuvres des auteurs, les critiques informelles se fondent sur l’authenticité de leur « indianité ». Gatti retient plutôt l’autodéfinition des auteurs autochtones comme critère essentiel : « L’important ici n’est pas de déterminer qui est un vrai et qui est un faux, qui un bon et qui un mauvais auteur amérindien, mais pourquoi tel individu s’estime auteur amérindien et quel univers de référence il se donne » (35). Il souligne les problèmes posés par cette autodéfinition dans le cas, notamment, d’individus métis ou non-Autochtones. Enfin, peut-être favorisé par sa position extérieure aux rapports coloniaux, l’auteur italien conclut cette partie introductive en soulignant la volonté de transcender le sentiment de culpabilité historique des individus d’origine européenne vis-à-vis de la littérature amérindienne afin de provoquer une réflexion critique réelle sur celle-ci.
La deuxième partie de l’ouvrage présente le corpus de textes divisés par genres littéraires : les contes et légendes, les poèmes, les extraits de romans, les extraits de pièces de théâtre ainsi que les récits et témoignages des auteurs qui ont accepté de figurer dans le recueil.
L’ouvrage se lit facilement, mais les sujets des textes sont parfois durs, passant de l’espoir et du merveilleux au désespoir et aux sujets morbides, le tout avec une grande intensité. L’écriture représente ainsi une manière pour les auteurs de parler et de se libérer d’émotions difficiles à exprimer et amène le lecteur à s’ouvrir et à réfléchir à l’expérience vécue des Autochtones.
Alors que la plupart des contes et des poèmes sont présentés sous leur forme complète, on découvre des extraits de romans, de pièces de théâtre et de témoignages, dont la plupart sont disponibles intégralement sous d’autres presses. Ce livre constitue d’abord un recueil de littérature et peut toucher toute personne s’intéressant à la culture amérindienne. L’approche sociologique de l’auteur intéressera aussi les lecteurs appartenant aux domaines de l’ethnologie et de la sociologie. L’analyse présentée en première partie, tirée d’un contact direct avec les écrivains sur le terrain et la mise en place d’un profil biographique des auteurs à la fin, pourra servir à une meilleure connaissance socioculturelle des auteurs autochtones du Québec.
Appendices
Références
- Boudreau, Diane, 1993, Histoire de la littérature amérindienne au Québec. Montréal, L’Hexagone.
- Gilbert, Charlotte, 1950, Répertoire bibliographique. Auteurs amérindiens du Québec. Saint-Luc (QC), Centre de recherche sur la littérature et les arts autochtones du Québec.