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Introduction

Pour chaque personne qui l’exerce, la supervision de stage relève de différentes fonctions (Burns et al., 2016), dont celle d’accompagnement, distincte de la fonction d’évaluation (Dionne et al., 2021) ou inhérente à celle-ci (Maes, 2021). À cet égard, Colognesi et al. (2021) identifient quatre dimensions pour un cadre situationnel de l’accompagnement en stage à la fois positif et sécurisant : la personne superviseure 1) tient compte des talents de ses stagiaires ; 2) adapte sa posture selon ses stagiaires ; 3) considère les situations formelles et informelles ; et 4) s’ajuste au contexte tout en mobilisant un réseau professionnel.

À partir d’un tel cadre, la supervision invite à des pratiques parfois singulières (Altet, 2000). Celles-ci peuvent s’expliquer par une complexification de la tâche des personnes superviseures liée notamment à l’augmentation du nombre d’accommodements pour les stagiaires en situation de handicap (Philion et al., 2019), ainsi qu’à l’émergence de l’accompagnement de stagiaires à distance, dont celui à l’aide du numérique (Petit, 2021).

Pour plusieurs programmes de formation en enseignement supérieur, la supervision à distance s’avère une avenue intéressante, particulièrement parce qu’elle permet d’offrir un accompagnement aux stagiaires placés dans un milieu de pratique éloigné des grands centres (Thackrah et al., 2017) ou de pallier le manque de personnes superviseures dans certains domaines (Chong et al., 2020). Il s’agit d’une modalité de supervision permettant d’éviter de longs déplacements, avec potentiellement un meilleur rapport coût-bénéfice qu’en présentiel (Van Boxtel, 2017). Or, vu la place qu’occupe aujourd’hui la formation à distance en enseignement supérieur et la possibilité de concevoir des dispositifs numériques favorisant les apprentissages, l’intérêt pour la supervision de stage à distance ne se limite pas à des considérations économiques et géographiques (Petit et al., 2019).

Dans cet article, nous précisons le contexte de la supervision à distance en enseignement supérieur et la pertinence d’une réflexion éthique autour d’une utilisation du numérique pour accompagner les stagiaires. Nous détaillons ensuite la méthodologie de notre recension de la littérature et nous présentons nos résultats en deux sections : les facteurs à prendre en compte dans l’accompagnement à distance et les nouveaux enjeux éthiques liés à ce contexte spécifique. Des éléments de synthèse sont proposés en discussion et en conclusion, en écho à nos questions et objectifs de recherche.

1. Problématique

Dans les institutions d’enseignement supérieur, ce type de dispositif de formation, déjà très présent, repose sur des dimensions autant techniques qu’humaines (Albero, 2010), d’où son intérêt pour les programmes qui concernent les métiers relationnels, métiers dans lesquels la dimension relationnelle constitue le coeur (Chouinard et Caron, 2015). Nous entendons par dispositif un « artéfact fonctionnel qui matérialise une organisation particulière d’objets, d’acteurs, de structures et de systèmes de relations, en fonction des objectifs de formation dans une situation donnée » (Albero, 2010, p. 2). Diverses recherches font état de la pertinence de développer des dispositifs selon une modalité de supervision de stage à distance en écho au récent contexte postpandémique (Ahmadmehrabi et al., 2021 ; Ahmed et al., 2021 ; Arundel et al., 2022 ; Bell et al., 2020 ; Cosh et al., 2022; Gawronski, 2021 ; Grumbach et al., 2021 ; Juarez et Blackwood, 2022 ; Kier et Clark, 2020 ; McVicar et Bullard, 2021 ; Thomas et al., 2021).

Grâce au numérique, les dispositifs médiatisent la fonction d’accompagnement (Dionne et al., 2021), ce qui permet de faire appel à différentes modalités pédagogiques, dont l’analyse vidéo (Van Boxtel, 2017). Les personnes superviseures de métiers relationnels devant adapter leur accompagnement selon la situation ou le contexte (Hovington, 2021), au gré d’interactions professionnelles (Saint-Arnaud, 2003), cela devrait donner lieu à des rencontres et des observations en ligne, à de la rétroaction immédiate, à une utilisation bienveillante de réseaux sociaux, à une plus grande implication des pairs, etc. (Petit et Gagné, accepté).

Cependant, ce foisonnement propice à l’innovation pédagonumérique ne doit pas faire ombrage à l’éthique professionnelle[1] relevant de la pratique professionnelle (Desaulniers et Jutras, 2012). D’ailleurs, un accompagnement à l’aide du numérique oriente « radicalement » la réflexion éthique (Point, 2020, p. 35). Avec une utilisation du numérique, les personnes superviseures font face à de nouveaux enjeux éthiques et le cadre institutionnel ne suffit pas à donner les moyens utiles ou nécessaires permettant de composer adéquatement avec ceux-ci (de Villers Grand Champs et Polfliet, 2022 ; Lacroix et al., 2017). Dans ce contexte, la notion d’éthique professionnelle en contexte de stage réalisé à distance se veut appliquée (et non fondamentale) à la recherche de solutions, portée par une approche inductive (Desaulniers et Jutras, 2012).

L’éthique professionnelle que nous recherchons est une éthique qui tente de lutter contre l’entropie sociale et qui cherche à « empuissancer » tous les acteurs du milieu universitaire. Concrètement, il s’agit de se demander quels sont les outils numériques que l’on peut utiliser pour son enseignement à distance qui permettront d’empuissancer les enseignants et les étudiants plutôt que de les mettre en difficulté les uns par rapport aux autres.

Point, 2020, p. 35

On en sait peu sur l’éthique professionnelle des personnes superviseures lorsqu’elles accompagnent leurs stagiaires à l’aide d’un dispositif numérique. Or, Nickles (2020) se questionne sur le véritable « empuissancement » d’une supervision de stage à distance qui doit tenir compte des considérations éthiques relevant des obligations, normes et réglementations en place, notamment en ce qui a trait au respect de la confidentialité des informations des personnes auprès de qui les stagiaires interviennent. Pour Cosh et al. (2022), ces considérations impliquent une plus grande gestion des risques dans les métiers relationnels. Il est donc souhaitable « que des recherches s’intéressent davantage aux enjeux éthiques de la supervision à distance des stages » (Petit et al., 2019, p. 115).

Comme l’accompagnement relève d’une éthique professionnelle selon différents actes liés aux postures, gestes et propos de la personne superviseure (Paul, 2020), notre démarche repose sur les questions suivantes :

  • Quels facteurs favorisent ou freinent la mise en oeuvre de dispositifs de stage incluant un accompagnement à distance ?

  • Quelles nouvelles considérations éthiques devraient guider la fonction d’accompagnement à distance aidé par le numérique lors des stages ?

Par ces questions, notre but est d’identifier des pistes de réponse suffisamment opérationnelles pour les personnes superviseures et pour les responsables des stages au sein de programmes de formation aux métiers relationnels. Par conséquent, nos objectifs de recherche sont :

  • situer les facteurs à considérer lors de la mise en oeuvre de dispositifs de supervision à distance selon le cadre situationnel de l’accompagnement en stage (Colognesi et al., 2021) ;

  • cibler les considérations d’une éthique professionnelle pour la supervision de stage à distance aidée par le numérique pour en faciliter l’intégration dans la pratique.

2. Méthodologie

Nous avons opté pour une recension de la littérature afin de répondre à nos questions de recherche et d’atteindre nos objectifs, car celle-ci permet de faire le point sur l’état des connaissances actuelles. Plusieurs modèles de recension de la littérature s’offraient à nous. Nous avons opté pour une recension systématique permettant d’inclure une variété de types de recherches, pour des résultats plus complets et nuancés (Grant et Booth, 2009). Comme dans une publication précédente (Petit et al., 2019), la démarche employée relève des treize étapes de la revue systématique de Rew (2011), consistant à :

cerner une question de recherche (1), formuler le but de la revue systématique et les objectifs (2), préciser les critères d’inclusion et d’exclusion des écrits (3), trouver les termes de recherche à utiliser (4), localiser les bases de données appropriées (5), effectuer la recherche électronique (6), réviser les résultats de la recherche et s’assurer qu’ils coïncident avec les critères d’inclusion et d’exclusion (7), extraire les données de chaque article inclus (8), déterminer la qualité des études recensées (9), résumer les résultats (10), interpréter la signification de chaque preuve extraite (11), reconnaître les limites et les bases inhérentes au processus (12), puis publier les résultats et les appliquer dans la pratique (13).

Fortin et Gagnon, 2016, p. 477

Inspirés par cette démarche, nous avons sélectionné les bases de données appropriées. Nous avons ensuite construit une équation bilingue (anglais et français) contenant les termes de recherche pertinents (voir Tableau 1).

Tableau 1

Équation de recherche

Équation de recherche

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Lors de cette première étape de la recension, les articles révisés par les pairs, publiés entre 2017 et 2022, et rédigés en français ou en anglais ont été retenus. Ces critères nous permettaient de limiter le nombre d’articles, tout en considérant l’émergence récente des pratiques de supervision de stage à distance. L’ensemble des termes de recherche devaient être présents – peu importe où dans le texte – et la mention d’un mot-clé lié à l’éthique devait minimalement se retrouver dans le résumé de l’article. Soulignons que notre recension ciblait la supervision de stage à distance, mais que cela ouvrait la porte à des études relevant de dispositifs hybrides (combinant le présentiel et la distance).

Ainsi, 366 études ont été téléversées des bases de données sélectionnées (liste exhaustive disponible en annexe) dans le logiciel de recension Covidence. De ce nombre, 49 doublons ont été retirés (par le logiciel, ce qui a été contre-vérifié par une personne de l’équipe), puis 229 articles ont été jugés non pertinents selon l’objet de la recension après analyse de leurs titres et résumés. Ainsi, 88 textes ont été révisés en profondeur. De ce nombre, 65 ont été exclus (motifs indiqués dans le diagramme), ce qui a mené à la conservation de 23 textes à des fins d’analyse. Le diagramme ci-bas (voir Figure 1) est inspiré de la méthode PRISMA (Page et al., 2021).

Figure 1

Diagramme PRISMA de notre recension systématique des écrits

Diagramme PRISMA de notre recension systématique des écrits

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Pour être conservées, ces études devaient avoir l’approbation d’au moins deux membres de l’équipe à chacune des étapes. En cas de conflit, une personne de l’équipe de recherche était appelée à trancher sur la question. Cette méthode de travail visait à éviter le plus possible d’introduire un biais de sélection selon les recommandations de la méthode PRISMA (Page et al., 2021).

Parmi les 23 études retenues pour analyse, la majorité se constitue d’articles qualitatifs (8) et de recensions d’écrits de diverses natures (8).

Tableau 2

Devis méthodologiques de recherche

Devis méthodologiques de recherche

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La plupart des études ont été publiées aux États-Unis (12). Le reste l’a été dans des pays majoritairement occidentaux, y compris au Canada, où il est possible d’effectuer des comparaisons, avec toutes les précautions d’usage.

Tableau 3

Pays de publication

Pays de publication

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Pour ce qui est des domaines de formation, la majorité des articles est issue des domaines de l’éducation (7) et de la médecine (7).

Tableau 4

Domaines de formation

Domaines de formation

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Pour procéder à l’extraction des données dans le respect de la démarche de Rew (2011), nous avons utilisé une grille-synthèse (sur Excel) et un modèle de résumé tiré d’une recension précédente. Ce modèle guidait la rédaction des résumés en fonction des sections classiques d’une recherche scientifique : problématique, cadre de référence, méthodologie, résultats, etc. Par la synthèse de chacune des études incluses dans la recension, nous facilitions l’identification des faits saillants. Toujours dans un souci de rigueur, chacun de nos résumés a été révisé par au moins deux membres de l’équipe. Cette collaboration s’est poursuivie lors de notre analyse, effectuée dans une logique inductive modérée (Savoie-Zajc, 2004), par un codage ouvert, permettant d’éviter le risque de circularité (Dumez, 2021). Notre codage des segments a ainsi permis l’émergence de thèmes distincts relevant de l’accompagnement à distance, ainsi que de l’éthique professionnelle.

3. Résultats

Notre présentation des résultats comporte deux sections qui font écho à nos deux questions de recherche. Nous commençons par l’identification des 1) facteurs à prendre en compte dans l’accompagnement à distance ; suivie de celle des 2) nouveaux enjeux éthiques liés à ce contexte.

3.1. Facteurs à prendre en compte pour l’accompagnement de stagiaires à distance

Trois catégories regroupent des facteurs ayant émergé de nos résultats : les facteurs relationnels, les facteurs psychosociaux et les facteurs numériques. Issus des résultats des études de notre recension, ces facteurs s’avèrent favorables ou défavorables à la supervision de stage à distance.

3.1.1. Catégorie de facteurs relationnels

Cette catégorie regroupe des facteurs qui concernent le caractère relationnel de l’accompagnement de stagiaires à l’aide du numérique allant de la disponibilité de la personne superviseure jusqu’aux interactions entre stagiaires, en passant par l’établissement d’une relation de confiance et l’importance pour la personne superviseure de prendre le temps de connaître ses stagiaires.

Disponibilité à distance de la personne superviseure

Quatre textes (Ahmad, 2020; Jordan et al., 2021; Körkkö et al., 2019 ; Thomas et al., 2021) ont relevé que le manque de réactivité, de réponse ou d’encadrement de la part de la personne superviseure était un facteur entravant l’accompagnement à distance. Comme souligné par certains de ces auteurs, ce constat peut favoriser le sentiment d’isolement des stagiaires. En effet, Jordan et al. (2021) rapportent que les personnes superviseures ayant une disponibilité en ligne en étant facilement accessibles semblaient établir des relations plus positives avec leurs stagiaires.

Établissement d’une relation de confiance à distance

Ce facteur est nommé dans 13 des 22 textes recensés (Ahmad, 2020; Ahmadmehrabi et al., 2021 ; Bell et al., 2020; Chong et al., 2020; Esposito et al., 2022 ; Grumbach et al., 2021 ; Jordan et al., 2021; Kier et Clark, 2020 ; Nadan et al., 2020 ; Nesje et Lejonberg, 2022 ; Nickles, 2020 ; Petit et al., 2019; Thomas et al., 2021). Il fait référence au fait que l’usage du numérique peut permettre aux stagiaires de rapidement recevoir des rétroactions et des réponses à leurs questions. Cet avantage est d’autant plus vrai pour les études sur l’observation et la rétroaction en temps réel, voire immédiate. « La supervision à distance offre une opportunité unique aux personnes superviseures de terrain d’observer une séance en direct avec des rétroactions en temps réel [notre traduction] » (Grumbach et al., 2021, p. 219).

Le délai de réponse peut toutefois varier d’une personne superviseure à l’autre, ce qui influence la perception des stagiaires (Jordan et al., 2021). Toutefois, il a été relevé dans trois études qu’il est plus difficile d’établir une relation de confiance avec la personne superviseure en ligne qu’en personne (Chong et al., 2020; Jordan et al., 2021; Petit et al., 2019).

Adéquation avec les besoins d’apprentissages des stagiaires

Bien qu’il semble aller de soi, un accompagnement à distance adapté aux besoins des stagiaires a été mis de l’avant dans 13 articles : (Ahmad, 2020; Ahmadmehrabi et al., 2021; Bell et al., 2020; Esposito et al., 2022; Grumbach et al., 2021; Jordan et al., 2021; Juarez et Blackwood, 2022; Körkkö et al., 2019; McNabb et al., 2021; Nadan et al., 2020; Nesje et Lejonberg, 2022 ; Petit et al., 2019; Thomas et al., 2021). Ce facteur fait référence à l’importance pour la personne superviseure de prendre le temps de bien connaître ses stagiaires pour ensuite adapter le dispositif numérique et choisir des modalités qui conviennent à leurs besoins. La supervision à distance semble ainsi offrir des outils complémentaires pour favoriser l’apprentissage des stagiaires. McNabb et al. (2021) notent d’ailleurs que les modalités de communication synchrone et asynchrone permettent un apprentissage en tout lieu, là où se trouvent les personnes apprenantes, ce qui favorise un apprentissage ciblé et adapté à leurs besoins immédiats.

Comme pour la supervision en présentiel, quatre textes soulignent l’importance de faire appel à des pratiques d’accompagnement variées (McNabb et al., 2021 ; Nadan et al., 2020 ; Nesje et Lejonberg, 2022 ; Thomas et al., 2021). Trois textes s’intéressent particulièrement à l’apport de la vidéo pour soutenir la réflexion des stagiaires (Körkkö et al., 2019 ; Nesje et Lejonberg, 2022 ; Thomas et al., 2021) et les stagiaires y relèvent l’importance de rétroactions précises et objectives (Esposito et al., 2022 ; Nesje et Lejonberg, 2022 ; Petit et al., 2019). D’ailleurs, l’usage de la vidéo comme outil d’analyse permet cet apport en soutien à l’accompagnement.

Deux textes (Ahmadmehrabi et al., 2021 ; Nesje et Lejonberg, 2022) relèvent qu’une supervision générique, inadaptée ou centrée sur la personne superviseure (et non pas sur la personne stagiaire) peut nuire à la relation à distance. À cet égard, les auteurs invitent à intégrer d’autres postures, soulignant que l’apport du numérique ne suffit pas. Comme l’expliquent Ahmadmehrabi et al. (2021), une supervision peut mettre l’accent sur une transmission unidirectionnelle du savoir de la personne superviseure vers celle supervisée, mais un tel cadre peut limiter l’apprentissage de la personne stagiaire en étant restreint à l’expérience de la personne superviseure.

Facilité des interactions au sein de la cohorte grâce au dispositif

L’un des principaux avantages mis de l’avant quand il est question de supervision à distance s’avère la facilitation des interactions permises par le numérique. Cet aspect revient dans neuf textes (Ahmadmehrabi et al., 2021 ; Ahmed et al., 2021 ; Cosh et al., 2022; Jordan et al., 2021; McNabb et al., 2021 ; Nadan et al., 2020 ; Nickles, 2020 ; Petit et al., 2019 ; Sinclair et al., 2020). Selon McNabb et al. (2021), même si certaines personnes apprenantes sont plus motivées par une expérience en face-à-face, les avantages de l’apprentissage asynchrone résident dans son accessibilité accrue. Ainsi, les plateformes utilisées devraient être faciles d’utilisation par les stagiaires et une assistance technique devrait être accessible en cas de problème (Nickles, 2020 ; Sinclair et al., 2020).

Toutefois, les interactions entre pairs (et avec la personne superviseure) à l’aide du numérique semblent propices à entraîner des problèmes de communication (Ahmad, 2020; Chong et al., 2020; Nadan et al., 2020). Les études mettent de l’avant la difficulté de clarifier de mauvaises interprétations, la longueur de certains délais de réponse et une moins grande place pour les indices non verbaux. « De plus, l’absence d’interaction physique ou de face-à-face entre les parties peut potentiellement nuire au processus, notamment en raison de la difficulté à percevoir et à interpréter les indices non verbaux dans ce contexte [notre traduction] » (Nadan et al., 2020, p. 998).

3.1.2. Catégorie de facteurs psychosociaux

Cette catégorie regroupe des facteurs relevant de l’utilisation de dispositifs de supervision de stage à distance à des fins sociales, que ce soit pour réunir la communauté de pairs ou pour faire face aux sentiments d’anxiété et d’isolement des stagiaires, en fonction des exigences (parfois divergentes) des ordres professionnels, des milieux de stage et des institutions d’enseignement.

Activités informelles au sein d’une communauté de pairs

Ce facteur est soulevé dans sept textes analysés (Ahmed et al., 2021 ; Jordan et al., 2021; Kier et Clark, 2020 ; McNabb et al., 2021 ; Nadan et al., 2020 ; Nickles, 2020 ; Thomas et al., 2021). À cet égard, Jordan et al. (2021) mentionnent que le fait de discuter des progrès, des expériences et des défis rencontrés avec des pairs peut, entre autres, permettre de lutter contre le sentiment d’isolement qui peut survenir avec le numérique. Cela peut prendre la forme d’un groupe réunissant les stagiaires d’une cohorte ou d’un programme sur Facebook, par exemple.

Plusieurs articles soulèvent l’importance d’intégrer des activités de groupes – formelles ou informelles – à la supervision à distance pour un ensemble de raisons, dont celles de permettre le partage de connaissances et de favoriser l’entraide. Jordan et al. (2021) ajoutent l’importance d’intégrer la personne superviseure dans ces activités de discussions informelles.

Anxiété chez les stagiaires, notamment en contexte pandémique

Ce facteur a été relevé dans huit des 23 textes recensés (Ahmed et al., 2021 ; Arundel et al., 2022 ; Bell et al., 2020 ; Brashear et Thomas, 2022 ; McNabb et al., 2021 ; McVicar et Bullard, 2021 ; Petit et al., 2019 ; Thomas et al., 2021), et la plupart font référence de près ou de loin au contexte pandémique, à l’exception du texte de Petit et al. (2019). Toutefois, l’ensemble de ces textes soulève qu’un contexte de vie anxiogène et que la présence d’autres obligations dans la vie des stagiaires semblent avoir un impact négatif sur leur perception relative à l’accompagnement à distance. Il convient de pouvoir offrir un espace et un temps dédiés au stage, à l’écart d’autres obligations ou distractions (McNabb et al., 2021).

Afin de créer un environnement propice à l’apprentissage des stagiaires, il faut donc répondre à leur détresse psychologique (Ahmed et al., 2021). La personne superviseure doit adapter son accompagnement à distance selon le contexte, afin de contrer les perceptions négatives :

Une relation repensée avec les personnes étudiantes n’est qu’un des aspects de la formation sur le terrain qui a été significativement modifié. Exercer les responsabilités associées à la supervision à distance nécessite plus, et non moins, de temps, notamment pour soutenir la personne étudiante sur le plan émotionnel [notre traduction].

Arundel et al., 2022, p. 7

Dans deux textes (Ahmed et al., 2021 ; McVicar et Bullard, 2021), l’environnement anxiogène généré par la pandémie a dû être pris en considération par les institutions.

Perception d’isolement chez les stagiaires

Ce facteur fait référence au sentiment d’isolement généré par la supervision à distance. Ce thème a été relevé dans trois textes (Cosh et al., 2022; Jordan et al., 2021; Petit et al., 2019), dont deux ont été écrits pendant ou après la pandémie. Les stagiaires évoquent s’être sentis isolés de leur personne superviseure et de leurs pairs : « Malgré ces expériences de formation précieuses, les personnes étudiantes ont également signalé plusieurs défis rencontrés lors de la réalisation d’un stage en télésanté, principalement l’isolement par rapport à leurs pairs et à leurs personnes superviseures [notre traduction] » (Cosh et al., 2022, p. 32).

Afin de modifier cette perception, notre recension suggère le recours à des interactions à distance bienveillantes, à des stratégies de communication efficaces et à une compréhension juste des rôles de chacun, y compris les pairs (Jordan et al., 2021).

Divergences dans les exigences entre les ordres professionnels, les milieux de stage et les institutions d’enseignement

Avec les changements rapides de modalités de supervision dus à la pandémie, un autre facteur psychosocial pouvant entraver l’accompagnement à distance des stagiaires a fait surface : la présence de divergences dans les exigences des différentes organisations impliquées (Bell et al., 2020 ; Brashear et Thomas, 2022 ; Kier et Clark, 2020). Ce résultat fait référence aux ordres professionnels, aux milieux de stage et aux institutions d’enseignement qui peuvent, comme le rapportent Bell et ses collègues (2020), avoir des attentes différentes, parfois contradictoires et arbitraires, créant ou renforçant ainsi des sentiments de tension, d’injustice et d’incompréhension que peuvent ressentir de nombreux stagiaires.

Dans trois autres textes, il est question d’agir face à ces divergences (Arundel et al., 2022 ; Brashear et Thomas, 2022 ; Goh et al., 2022). Plusieurs pistes de solutions sont mises de l’avant, dont celle d’intégrer de nouvelles exigences aux programmes de formation (Goh et al., 2022), comme le recours à un outil tel que le portfolio numérique lorsqu’un ordre professionnel l’exige auprès de ses membres.

Enfin, un texte (Bell et al., 2020) met en garde contre l’idée de vouloir considérer les stagiaires comme du personnel essentiel en contexte pandémique (ou de pénurie de main-d’oeuvre), soulignant qu’ils et elles doivent être protégés, car toujours en formation. Toujours selon ces auteurs, certains gestionnaires des milieux professionnels ne comprennent ou ne reconnaissent pas la priorité à accorder à la formation, par rapport aux besoins de l’organisation, et d’autres ne considèrent pas devoir offrir une protection particulière aux stagiaires. La divergence relève des exigences importantes de la part des milieux de pratique envers les personnes stagiaires dans un tel contexte, sans considération de leur statut de personnes apprenantes (qui continuent à devoir remettre des travaux, par exemple).

3.1.3. Catégorie de facteurs numériques

Ces catégories regroupent des facteurs relevant du matériel technologique des environnements numériques utilisés pour la supervision de stage à distance, en raison de son accessibilité et de sa fiabilité, ainsi que de la surcharge que peut représenter son utilisation, voire de la surcharge numérique.

Accessibilité au matériel numérique

Ce facteur invite à considérer l’environnement numérique des stagiaires et à réduire les inégalités potentielles inhérentes à l’accessibilité (ou non) aux technologies en contexte de formation. Huit textes (Ahmad, 2020; Ahmadmehrabi et al., 2021 ; Esposito et al., 2022 ; Grumbach et al., 2021 ; Kier et Clark, 2020 ; McNabb et al., 2021 ; Sinclair et al., 2020; Thomas et al., 2021) concernent directement les iniquités en ce qui a trait à l’accès aux équipements techniques et numériques nécessaires pour la tenue d’un stage supervisé à distance.

La quasi-totalité des textes relevant de ce facteur est issue des États-Unis, à l’exception de celui d’Amhad (2020). Selon Ahmadmehrabi et al. (2021), les moyens permettant de joindre les groupes sous-représentés dans la société sont essentiels afin de limiter les impacts des disparités dans la formation pratique. L’apport du numérique est perçu comme étant un moyen de répondre à cet enjeu, car des modalités de supervision sont susceptibles de réduire ces disparités (Ahmadmehrabi et al., 2021).

Fiabilité des équipements ou de la connexion

Identifié par huit des 23 textes (dont trois en éducation), l’un des principaux irritants relevés s’avère celui de la faible fiabilité de l’équipement informatique ou encore de la connexion Internet (Ahmad, 2020; Ahmadmehrabi et al., 2021 ; Ahmed et al., 2021; Esposito et al., 2022 ; Nadan et al., 2020 ; Nesje et Lejonberg, 2022 ; Nickles, 2020 ; Petit et al., 2019). De telles défaillances « constituent des irritants pouvant faire obstacle au bon déroulement de la supervision à distance » (Petit et al., 2019, p. 109).

Parmi les effets relevés, l’accentuation d’autres facteurs est pointée, comme celui de la perception d’isolement des stagiaires :

Néanmoins, un certain nombre de défis généraux ont émergé lors de notre supervision en ligne. L’un d’entre eux a été le sentiment d’impuissance et de frustration résultant de problèmes techniques tels que des connexions Internet lentes et des interruptions de transmission, pouvant entraîner des coupures ou des déconnexions [notre traduction].

Nadan et al., 2020, p. 1005
Surcharge de travail liée à un dispositif intégrant le numérique

Ce facteur est présent dans cinq textes (Ahmad, 2020; Arundel et al., 2022; Esposito et al., 2022 ; McNabb et al., 2021 ; Nickles, 2020) et concerne autant les stagiaires que les personnes superviseures.

Les personnes stagiaires rapportent éprouver parfois de la difficulté à moduler leur horaire lorsqu’elles sont supervisées à distance, étant potentiellement disponibles en permanence (Ahmad, 2020). Du côté des personnes superviseures, il a aussi été nommé que la supervision à distance pouvait représenter une charge de travail supplémentaire, notamment pour discuter et apporter du soutien à leurs stagiaires (Arundel et al., 2022).

En ce qui a trait à la fatigue numérique, deux textes (Ahmed et al., 2021 ; Nadan et al., 2020) soulèvent que les longues séances en ligne peuvent générer une perte de concentration chez les stagiaires. À ce sujet, Nadan et al. (2020) suggèrent que les personnes superviseures prévoient des moments de pause pendant ou entre les séances de supervision afin d’aider les stagiaires à rester concentrés.

3.2. Nouveaux enjeux éthiques

Les enjeux éthiques qui ont été relevés peuvent être classés en trois grands thèmes spécifiques à la supervision de stage à distance aidée par le numérique : l’équité, le devoir professionnel et la sécurité. Certaines des considérations découlant de ces enjeux renvoient aux facteurs identifiés précédemment.

3.2.1. Équité

Considération pour une équité matérielle entre stagiaires

Principalement, les enjeux d’équité soulevés par les textes (Ahmad, 2020; Ahmadmehrabi et al., 2021 ; Esposito et al., 2022 ; Grumbach et al., 2021 ; Juarez et Blackwood, 2022 ; Kier et Clark, 2020 ; McNabb et al., 2021 ; Sinclair et al., 2020; Thomas et al., 2021) sont d’ordre financier et matériel. Dans Ahmad (2020), l’une des conclusions était de mieux encadrer la rémunération des stages. À cet égard, Juarez et Blackwood (2022) mentionnent :

Les stages bénévoles ne sont pas envisageables pour de nombreuses personnes étudiantes de premier cycle, qui seraient contraintes de consacrer des heures précieuses à une activité non rémunérée, ce qui réduirait le temps pour leurs emplois rémunérés, leurs responsabilités familiales et leurs travaux scolaires [notre traduction].

p. 88

Il est aussi amplement question d’accès à de l’équipement informatique et à des moyens pouvant être employés pour amenuiser les disparités entre stagiaires. Comme le recommandent Thomas et al. (2021), les programmes universitaires, particulièrement en enseignement, devraient davantage intégrer l’apprentissage à distance en formation initiale, y compris les enjeux liés aux technologies, à la conception des activités, aux impacts sur l’apprentissage et à l’équité entre les groupes sociaux.

En ce qui concerne les groupes marginalisés, certains textes (Ahmadmehrabi et al., 2021 ; Grumbach et al., 2021 ; Juarez et Blackwood, 2022 ; McNabb et al., 2021) s’attardent aux enjeux spécifiques auxquels font face les stagiaires racisés, qui se retrouvent plus souvent en situation de précarité financière et qui conjuguent leurs études avec d’autres responsabilités familiales. L’accent devrait être porté sur les moyens à mettre en place pour mitiger ces disparités. En contrepartie, Ahmed et al. (2021) soulignent que les stages supervisés à distance sont plus accessibles à des groupes normalement isolés. C’est ainsi que des personnes superviseures se retrouvent à accommoder des stagiaires de divers profils à l’aide du dispositif de supervision à distance : « Pour que les programmes d’apprentissage soient efficaces, il faut surmonter les inégalités [notre traduction] » (McNabb et al., 2021, p. 2).

Considération pour la surcharge découlant d’une faible littératie numérique

En écho aux difficultés techniques et numériques pointées précédemment, quelques études (Ahmadmehrabi et al., 2021 ; Brashear et Thomas, 2022 ; Nickles, 2020) indiquent qu’un niveau insuffisant de littératie numérique, tant chez la personne superviseure que supervisée, représente un frein à l’accompagnement à distance. Pour Ahmadmehrabi et al. (2021), ce constat est une question d’égalité des chances, puisque des niveaux variables de maîtrise du numérique et d’accès à la technologie (vitesse de connexion Internet, qualité de la caméra, du micro ou de l’audio) peuvent introduire des biais inconscients qui affectent les comportements et les interactions. Ainsi, une personne stagiaire ayant évolué dans un milieu défavorable au développement de ses compétences numériques se voit pénalisée lors d’une telle supervision à distance, dans la mesure où elle va devoir redoubler d’efforts pour s’approprier le dispositif mis en place afin de compenser ses lacunes, et possiblement se retrouver en situation de surcharge cognitive.

Plusieurs études (Brashear et Thomas, 2022 ; Esposito et al., 2022 ; Grumbach et al., 2021 ; Juarez et Blackwood, 2022 ; Kier et Clark, 2020 ; Sinclair et al., 2020) soulèvent que les technologies employées ne sont pas toutes forcément faciles ou intuitives à utiliser. Par exemple, Esposito et al. (2022) soulignent que pour la formation de stagiaires en chirurgie, la vidéo comme outil de rétroaction et de supervision à distance nécessite notamment des compétences particulières pour le montage afin de sélectionner uniquement les segments principaux d’une opération, et du temps pour visionner la vidéo.

L’étude de cas de Brashear et Thomas (2022) illustre l’influence directe du niveau de littératie numérique sur le temps et l’énergie requis pour s’adapter à ce mode de supervision, tant pour la personne superviseure que celle supervisée. À l’inverse, Juarez et Blackwood (2022) y voient une manière de réduire le temps nécessaire à la supervision et d’augmenter l’accessibilité pour des stagiaires atypiques. Ainsi, comme le soulignent Sinclair et al. (2020), la complexité d’une telle intégration du numérique pour ce type de supervision peut se révéler une importante limite dans certains milieux.

3.2.2. Devoir professionnel

Considération pour les exigences des ordres professionnels

Sept textes (Brashear et Thomas, 2022 ; Goh et al., 2022 ; Grumbach et al., 2021 ; McNabb et al., 2021 ; McVicar et Bullard, 2021 ; Nadan et al., 2020 ; Nickles, 2020) s’intéressent à la reconnaissance par les ordres professionnels (ou les associations professionnelles) des stages supervisés à distance. Parmi ces études, certaines concernent plus spécifiquement les devoirs et obligations des stagiaires et des personnes superviseures lors d’un accompagnement à distance, notamment en ce qui concerne l’éthique.

L’éthique est une préoccupation majeure pour les expériences cliniques, quel que soit le modèle de supervision. De plus, les domaines professionnels ont des codes et des pratiques éthiques spécifiques qui s’appliquent aux expériences cliniques. Lorsque la supervision est effectuée à distance, les mêmes lignes directrices éthiques s’appliquent, mais des facteurs supplémentaires doivent être pris en compte [notre traduction].

Nickles, 2020, p. 21

Or, comme souligné précédemment, la personne superviseure et les stagiaires doivent parfois composer avec des divergences entre les exigences issues des ordres professionnels, celles issues des milieux de pratique et celles provenant des programmes de formation à l’enseignement. Face à cette tension entre ces exigences et la pratique réelle, des choix s’imposent et l’aspect arbitraire de ces choix relève d’une éthique professionnelle.

Considération lors de cas de force majeure

De façon similaire, trois textes (Cosh et al., 2022; Nadan et al., 2020 ; Nickles, 2020) ont soulevé l’enjeu spécifique d’avoir à répondre à des situations d’urgence à distance dans les métiers relationnels. Il est question pour les personnes superviseures de s’assurer que les interventions réalisées en contexte de crise ou d’urgence par les stagiaires soient adéquates auprès des personnes rencontrées. Nickles (2020) soulève, par exemple, qu’une personne superviseure peut être amenée à intervenir auprès d’une personne stagiaire en difficulté et que, dans ce cas, le potentiel de préjudice pour une personne cliente, patiente ou autre l’emporte sur le besoin d’encadrement ou de guidance.

Ainsi, dans un cas de force majeure (tel un manquement important au code éthique de la profession lors d’une intervention en stage), la personne superviseure se doit d’intervenir malgré la distance, possiblement en collaboration avec des personnes du milieu de pratique également guidées par leur devoir professionnel.

3.2.3. Sécurité des données

Considération relevant du consentement et de la confidentialité

Plusieurs textes recensés (Brashear et Thomas, 2022 ; Cosh et al., 2022; Grumbach et al., 2021 ; Nadan et al., 2020 ; Nickles, 2020 ; Petit et al., 2019) – la plupart dans des domaines de relation d’aide (psychologie, travail social ou counseling) – soulèvent des enjeux autour de la confidentialité et du consentement des données collectées en contexte de supervision à distance :

Au fur et à mesure que nous utilisons la technologie, il est essentiel d’être conscients des questions de protection de la vie privée, de confidentialité et d’éthique. La protection de la vie privée est une préoccupation centrale lorsqu’il s’agit de fournir des conseils éthiques et juridiques en ligne [notre traduction].

Grumbach et al., 2021, p. 220

Dans deux articles (Körkkö et al., 2019 ; Petit et al., 2019), l’enjeu de la confidentialité a été pointé, avec une préoccupation marquée concernant la protection de l’identité des personnes mineures.

Considération de fiabilité des environnements numériques

Concernant la confidentialité, deux recensions (Nickles, 2020 ; Petit et al., 2019) et deux études (Brashear et Thomas, 2022 ; Cosh et al., 2022) mentionnent que le choix des plateformes numériques doit être guidé par l’enjeu de la protection des données (notamment des renseignements personnels). Il s’avère impératif de s’attaquer à la question de la sécurité des données lors de la supervision à distance en raison de la facilité avec laquelle les informations peuvent être copiées, partagées puis diffusées sur Internet (Nickles, 2020).

À ce sujet, Cosh et al. (2022) donnent l’exemple d’un programme de médecine ayant fourni des ordinateurs portables à toutes les personnes stagiaires à des fins de sécurité et de respect de la vie privée des patients : « Des procédures ont été mises en place pour garantir la sécurité de toutes les données des personnes clientes, sans que les dossiers ou les données les concernant soient stockés sur les ordinateurs portables individuels [notre traduction] » (Cosh et al., 2022, p. 33).

4. Discussion

Notre recension systématique a permis la synthèse des résultats de 23 études. Notre analyse se voulait fidèle à celles-ci, tout en s’inscrivant dans la démarche de Rew (2011).

À des fins de transfert de connaissances vers les actrices et acteurs de programmes de formation de métiers relationnels en enseignement supérieur, nous souhaitons que les retombées de notre analyse mènent à des pistes d’action concrètes en ce qui concerne les dispositifs numériques d’accompagnement de stagiaires et les enjeux éthiques relatifs à la supervision à distance ou à l’aide du numérique.

Nous inspirant de la définition d’Albero (2010), nous pouvons préciser qu’un dispositif d’accompagnement lors d’une supervision de stage à distance ou à l’aide du numérique – pour être un artéfact fonctionnel – matérialise une organisation particulière d’objets selon des facteurs relationnels, psychosociaux et numériques, en fonction des objectifs de formation dans une situation donnée. Peu importe la situation, une telle organisation gagne à s’inspirer des considérations éthiques de notre recension.

Concernant les facteurs à considérer pour les dispositifs d’accompagnement à l’aide du numérique tenant compte d’enjeux éthiques, il nous est apparu possible (afin d’en faciliter la mise en oeuvre) de les situer selon les quatre dimensions du cadre situationnel de l’accompagnement en stage de Colognesi et al. (2021). Présenté en tout début d’article, ce cadre se révèle ainsi d’une grande pertinence non seulement pour définir l’accompagnement de stagiaires, mais également lorsque celui-ci se fait à distance ou à l’aide du numérique (voir Figure 2) :

Figure 2

Mise à jour du cadre situationnel de l’accompagnement en stage de Colognesi et al. (2021) selon des facteurs relationnels, psychosociaux et numériques pour l’accompagnement à distance ou à l’aide du numérique

Mise à jour du cadre situationnel de l’accompagnement en stage de Colognesi et al. (2021) selon des facteurs relationnels, psychosociaux et numériques pour l’accompagnement à distance ou à l’aide du numérique

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Dans cette figure :

  • Les facteurs relationnels (1) disponibilité à distance de la personne superviseure ; 2) établissement d’une relation de confiance à distance ; 3) adéquation avec les besoins d’apprentissage des stagiaires ; et 4) facilité des interactions au sein de la cohorte) soulignent l’importance que les personnes superviseures tiennent compte des talents (ou compétences) de leurs stagiaires et qu’elles adaptent leur posture envers eux, au service de leur accompagnement à l’aide d’un dispositif numérique.

  • Les facteurs psychosociaux (1) activités informelles au sein d’une communauté de pairs ; 2) anxiété chez les stagiaires ; 3) perception d’isolement chez les stagiaires ; et 4) divergences dans les exigences) s’inscrivent dans une meilleure considération pour le contexte et une mobilisation d’un réseau professionnel élargi, notamment à l’aide d’Internet.

  • Les facteurs numériques (1) accessibilité au matériel numérique ; 2) faible fiabilité des équipements ou de la connexion ; et 3) surcharge de travail liée au dispositif) font état de situations formelles et informelles dont la personne superviseure doit tenir compte lors d’un tel accompagnement.

Quant aux considérations éthiques devant guider la fonction d’accompagnement lors des stages supervisés à distance (selon nos thèmes d’équité, de devoir professionnel et de sécurité), nous avons élaboré une charte éthique pour la supervision de stage à l’aide du numérique. Cette charte compte six considérations permettant d’« empuissancer » (Point, 2020) les personnes superviseures en ce qui a trait à leur utilisation des dispositifs numériques à leur disposition (de Villers Grand Champs et Polfliet, 2022 ; Lacroix et al., 2017) [voir Figure 3] :

Figure 3

Charte éthique pour la supervision de stage à distance ou à l’aide du numérique

Charte éthique pour la supervision de stage à distance ou à l’aide du numérique

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Conclusion

Trois catégories de facteurs à mettre en oeuvre dans des dispositifs de stage, pour une supervision à distance s’appuyant sur des considérations éthiques, ont été mises en évidence. En situant ces facteurs et en illustrant des considérations éthiques ayant émergé des écrits analysés, la recension fournit des orientations pouvant guider l’action des personnes impliquées dans l’accompagnement des personnes stagiaires dans des métiers relationnels et devant faire face à l’utilisation toujours grandissante du numérique.

Soulignons qu’il serait intéressant, et nécessaire, d’adopter une posture plus critique face aux résultats présentés, en complément de notre démarche de recension systématique ; il s’agit d’une limite de notre recherche. De plus, les métiers relationnels étant nombreux et diversifiés, les synthèses que nous proposons en discussion (la mise à jour du cadre situationnel de l’accompagnement en stage de Colognesi et al. [2021] et notre charte éthique pour la supervision de stage à distance ou à l’aide du numérique) pourraient ainsi être nuancées à l’égard de la recherche et des pratiques de chacun de ces métiers.

Au-delà de nos résultats, notre recension soulève diverses pistes de recherche : la place de l’intelligence artificielle dans l’accompagnement, l’évolution des dispositifs numériques, la formation continue des personnes superviseures aux enjeux éthiques, l’accompagnement collectif à distance, l’évaluation de l’accompagnement à distance, entre autres. Si notre recherche témoigne d’une certaine exploration de ces sujets (et d’un intérêt scientifique envers ceux-ci), il est à souhaiter que de nouvelles recherches et des données empiriques apportent un éclairage au service de la formation pratique dans les métiers relationnels.