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Introduction

Le texte qui suit procède de la philosophie politique et de l’éthique[1] interdisciplinaire de l’éducation et de la formation, dont le type de saisie que nous en proposons s’articule autour des problématiques tocquevilliennes de l’individualisation et de la démocratisation moderne (Roelens, s.d.). Nous montrerons que certaines conceptions de l’élève lui-même – par exemple, celle de Durkheim – portent en creux l’éthique de l’élève qui s’y rapporte. Elles pensent en effet l’école dans le cadre d’un large projet d’élévation morale, assez déterminé, du sujet éduqué, et ce, au service d’un perfectionnisme civilisationnel massif. À l’inverse, d’autres conceptions de l’élève et de son éthique veillent à prendre leurs distances avec cet holisme social et politique, tendance qu’un auteur comme Ogien a pu incarner récemment en France.

Cette étude émane plus spécifiquement d’un étonnement auquel invite en somme l’argumentaire du dossier autour duquel ces pages nous réunissent : comment se fait-il que l’éthique enseignante soit tant saisie, ces dernières années, par la recherche et que, mutatis mutandis, l’éthique de l’élève le soit si peu[2]? Est-ce à dire que nous avons pris de longue date l’habitude de considérer les élèves simplement comme des patients moraux, subissant des actions de la part d’adultes qui enseignent et professent et qui se doivent, eux, à une certaine éthique (Prairat, 2013), et non comme des agents moraux à part entière, dont les actions, ou encore l’exercice de la raison pratique, peuvent être évalués sur un plan éthique? Non pas, car l’idée d’éducation morale est pour ainsi dire consubstantielle ou presque à celle d’éducation scolaire dans près de 150 ans d’histoire des idées dans le domaine tout au moins. L’idée selon laquelle l’éducation permettrait – sous réserve d’un volontarisme suffisant de ses parties prenantes – de moraliser la démocratie en en dotant précocement les membres de vertus civiques idoines constitue même un motif quasi permanent des réflexions mêlant politique et éducation depuis, a minima, l’oeuvre fondatrice de Tocqueville (1835-1840/1981), et tout spécialement dans la tradition et l’actualité de la pensée républicaine française et dans le républicanisme scolaire. Les conceptions de l’éthique de l’élève qui peuvent en découler ont alors, comme nous le verrons, souvent tout de l’illustration paradigmatique du maximalisme moral (Ogien, 2007a), c’est-à-dire la prétention de prescrire aux individus : 1) tout un art de bien vivre, tant subjectivement que socialement, dans leurs rapports à eux-mêmes, aux autres et aux choses, et 2) une sorte de plan d’ensemble d’un mode supérieur d’existence humaine en commun à la réalisation duquel ils devraient apporter leur contribution active. Le concept d’élève et l’éthique qui s’y rapporte peuvent-ils alors parvenir aujourd’hui à s’extraire d’une telle gangue native?

De manière très significative, l’entrée élève est absente aussi bien de cette « cathédrale de l’école primaire » (Nora, 1984/1997, p. 327) qu’est le Dictionnaire de pédagogie élaborée sous la houlette de Buisson (1887/2017) que, plus d’un siècle plus tard, du dictionnaire récemment publié à l’initiative de la Société Francophone de Philosophie de l’Éducation (Kerlan et Kolly, 2021) dédié aux notions essentielles de cette spécialité. Au-delà de ces deux exemples illustratifs, est-ce pour les mêmes raisons qu’il ne semble pas spontanément utile à beaucoup, à deux âges éloignés de la réflexion sur l’école, de consacrer de longs déploiements philosophiques au concept d’élève? Il nous semble permis de penser que non, et que nous sommes passés en la matière d’un sentiment de relative évidence partagée à la conscience d’un terrain plutôt miné et donc, souvent contourné. C’est de ce postulat interprétatif que s’amorce et découle une partie de ce qui suit. Pour l’exposer de manière claire, revenons d’abord à la question suivante : si l’on admet que le terme d’élévation indique sémantiquement à la fois une dynamique et un changement connoté positivement, donc une transformation globalement bénéfique[3], que s’agit-il, au juste, d’élever dans l’enfant quand on le qualifie, dans sa scolarisation, d’élève? S’agit-il par exemple d’accroître un niveau de connaissances, de compétences et de culture, ou, plus fondamentalement, de viser une élévation morale des individus par les institutions publiques, projet d’une tout autre ampleur, mais aussi, d’une toute autre charge polémique? Ou encore : la conséquence du premier projet au second doit-elle être envisagée comme directe (un être plus cultivé étant automatiquement plus moral) ou comme indirecte, voire incertaine ou, pire, improbable? Et si tel était le cas, l’intérêt de permettre à chaque génération d’étudier et de se cultiver davantage s’en trouverait-il relativisé? Bien sûr, ce questionnement n’est pas exhaustif, mais il donne une idée de la sphère problématique ouverte.

Au temps de Buisson, il semble qu’un certain nombre d’évidences globalement partagées – existence d’une loi et d’une morale naturelles, justification éthique du paternalisme en éducation, confiance en la supériorité cognitive et morale des modèles de civilisations européennes, patriotisme national, condamnation de l’individualisme des modes de vie et de la licence morale – tenait plus ou moins lieu d’indicateurs de la direction d’ensemble d’une telle élévation. Or, c’est justement cette forme d’évidence confiante qui nous est désormais quasi inaccessible (Gauchet, 1985; Nique et Lelièvre, 1993). Il nous semble ainsi que le refus, plus ou moins conscient, de se risquer à prendre en charge une reformulation contemporaine du concept d’élève pourrait avoir souvent pour origine le refus concomitant d’abandonner un marqueur identitaire et professionnel fort et de prendre à décharge ce qu’il peut charrier avec lui de plus problématique, dans une démocratie libérale et pluraliste avancée du XXIe siècle, en termes de normativités politiques et morales. Ce faisant, le concept d’élève nous parait rejoindre de manière résolue ceux que Gallie nomme « concepts essentiellement contestés » (1956/2014). L’héritage d’une forme de sens commun à gros grains peut ainsi nous laisser croire que nous savons toutes et tous assez spontanément et unanimement ce vers quoi nous faisons signe quand nous parlons d’élève. Par contre, toutes tentatives de descente dans une finesse de grain plus importante et/ou prise en considération du pluralisme inhérent à son appréhension dans un monde problématique (Fabre, 2011) nous précipitent dans des controverses idéologiques aussi révélatrices herméneutiquement qu’épineuses à manier dans des perspectives pratiques telles que la mise en oeuvre de politiques scolaires quant à la formation des enseignantes et enseignants ou la définition de curricula.

Notre ambition ici est toutefois plus modeste. Il s’agit, d’une part, d’apprendre à mieux connaitre l’une des conceptions maximalistes de l’éthique de l’élève parmi les plus prégnantes (celle de Durkheim, inspirateur à la fois des sciences de l’éducation et de la formation et des politiques scolaires publiques républicaines en France) et, d’autre part, de discuter des conditions de possibilité de leur emprise durable dans l’hypermodernité démocratique et de compatibilité avec l’acceptation des principales orientations de politiques publiques par les habitants des démocraties libérales pluralistes occidentales. Nos propositions n’ont donc prétention à valoir que dans ce cadre temporel, géographique et socio-éthico-politique et en acceptent les cadres normatifs structurants tels qu’ils ont été synthétisés par Rawls (1993/1995). En effet, ils nous paraissent être historiquement les premiers à faire de la remise en cause du type d’holisme social et politique dont nous voulons nous défier pour penser que l’éthique de l’élève est une attitude légitime, et non une pure déviance. Nous commencerons par montrer que l’oeuvre durkheimienne présente de précieux ressorts compréhensifs permettant de saisir la conception maximaliste de l’éthique de l’élève – elle-même inscrite dans une perspective perfectionniste[4]– aux sources de l’école républicaine en France et dont l’influence durable n’a d’égal que l’ampleur des problèmes auxquels elle semble pouvoir aboutir aujourd’hui. Dans un second temps, nous dégagerons les linéaments d’une éthique minimaliste de l’élève et formulerons quelques arguments éthiques permettant de fonder ou, du moins, d’établir sa capacité à anticiper, à dénouer ou à éviter les problèmes spécifiques que les sociétés occidentales hypermodernes, saisies par l’individualisme démocratique, posent à la philosophie politique et morale de l’éducation en général et à l’éthique en milieu scolaire en particulier.

1. Du perfectionnisme durkheimien et de sa conception maximaliste de l’éthique de l’élève : genèse, influences et problèmes contemporains

Pour présenter de manière synthétique notre objet dans cette première partie, le plus éclairant est sans doute de relire et de commenter de manière ciblée l’ouvrage de Durkheim L’éducation morale (1902-1903/2015) à la lumière de ses autres oeuvres qui la complètent le plus directement (1893/2013; 1899/1975; 1922/1999; 1924/1963; 1938/2021; 1970/2010), ainsi que des commentaires érudits et des études critiques que ces textes et ces thèmes ont pu inspirer[5]. Il y a là, en effet, une sorte de camp de base, fut-ce de manière implicite, de plusieurs conceptions de l’éthique de l’élève en France, telles qu’elles ressortent, par exemple, dans l’oeuvre politique et théorique de Buisson, et ensuite de bien des personnes responsables de la conception des politiques scolaires et se revendiquant du républicanisme jusqu’à nos jours (Chauvigné et Roelens, 2022).

« Quiconque conteste devant nous que l'enfant a des devoirs, n’hésite pas à écrire Durkheim dès sa première leçon, […] soulève en nous une réprobation […] qui ressemble de tous points à celle que le blasphémateur soulève dans l'âme du croyant » (1902-1903/2015, p. 15). L’auteur assume ainsi sans détour une forme d’analogie – dans le sens symbolique du fait de doter les enfants du statut d’élève – entre élévation religieuse et élévation scolaire. Ce statut, en République, a donc quelque chose de sacré au sens où les processus d’éducation morale ayant lieu à l’école publique seraient investis « d'une dignité particulière, qui les élève au-dessus de nos individualités empiriques, qui leur confère une sorte de réalité transcendante » (Ibid.). Dans cette logique, on peut dire que, du point de vue sociologique de Durkheim qui confère à la sociologie une prétention normative (passant donc assez aisément du fait à la valeur),

la classe est une petite société : il est donc naturel et nécessaire qu'elle ait une morale propre, en rapport avec le nombre, la nature des éléments qui la composent et avec la fonction dont elle est l'organe. La discipline est cette morale. [Il existe ainsi des] devoirs de l'élève, au même titre que les obligations civiques ou professionnelles, que l'État ou la corporation impose à l'adulte, sont les devoirs de ce dernier

p. 132

D’où il découle assez logiquement que « l'exactitude à remplir toutes ces petites obligations apparaît comme une vertu; c'est la vertu de l'enfance, la seule qui soit en rapport avec le genre de vie que l'on mène à cet âge, la seule, par suite, qu'on puisse réclamer de l'enfant » (p. 135). L’élève est donc un sujet moral, mais qui se conjugue, métaphoriquement, à un seul temps, celui du respect strict des contraintes imposées par le temps scolaire. Les élèves ne sont donc pas, dans cette logique, conçus d’abord comme apprenants, mais avant tout comme des membres d’un groupe soumis à la matérialisation sociale d’une contrainte morale qui « nous prescrit de nous donner, de nous subordonner à autre chose que nous-mêmes[6] et, par cette subordination qu'elle nous impose, elle nous élève au-dessus de nous-même[7] » (p. 113). Ce qu’ils apprennent même, par exemple l’histoire, vaut certes comme enrichissement culturel mais surtout et avant tout parce que cela « leur faire voir […] comment, à chaque moment du temps, chacun de nous subit l'action collective de tous ses contemporains » (p. 241-242). On pourrait dire synthétiquement que les manières respectives de Durkheim d’être républicain, pédagogue et sociologue sont liées par le fait que le bon citoyen et le bon élève sont appréhendés avant tout comme des êtres moralement bons au sens où ils se conforment au devoir suprême de l’individu humain qui est de se soumettre en raison et en conscience à la contrainte sociale et de contribuer ainsi à son niveau au meilleur accomplissement de la nature de l’humain comme être social. C’est un idéal dont la République éducatrice serait, pour les modernes, à la fois le meilleur véhicule et le cadre d’exercice privilégié (ou encore une forme moralement supérieure de la démocratie moderne, non exempte de vices antisociaux et de promesses d’anomie).

Cette philosophie politique morale et même sociale de l’école déployée par Durkheim est très prégnante dans la tradition française du républicanisme scolaire (Foray, 2013; Roelens, 2020a, 2021a, 2022a). Une approche diachronique, plus historique que philosophique, des changements dans l’école depuis un siècle permet d’apprécier le poids de cet héritage et sa perte d’évidence partagée, néanmoins, avec le temps (Prost, 1992/1997, 2013; Robert, 2015). Elle n’en demeure pas moins rémanente dans la conception actuelle de l’Éducation Nationale française. Cela est bien illustré, par exemple, lorsque celui qui en fut ministre de 2017 à 2022 écrit que notre

société est traversée de forces négatives qui prennent souvent les traits de la liberté-immédiateté, d’une consommation débridée par laquelle chacun pourrait faire et avoir ce qu’il souhaite dans une sorte de laisser-faire général correspondant à l’idéal individualiste de notre temps

Blanquer, dans Blanquer et Morin, 2020, p. 93

et que l’école doit justement se saisir de chaque enfant qui lui est confié pour l’élever « à la conquête de la liberté civique » (Ibid., p. 94) qui seule peut permettre d’échapper à ces tropismes qu’on ne peut, selon lui, que juger sévèrement. Cela se perçoit aussi dans la conception institutionnelle du Parcours citoyen de l’élève[8] qui y fait écho et qui insiste sur une compréhension de type durkheimienne de l’engagement de la personne dans le collectif (Chauvigné et Roelens, 2022). Les néo-républicains français comme Raynaud (1991, 1996, 2011; Raynaud et Thibaud, 1990) et Schnapper (2000, 2007, 2014, 2017) placent aussi certains de leurs espoirs de contrer précocement les vices de l’individu démocratique par l’élévation aux vertus civiques et à la conscience normative du social dans le fait que l’institution scolaire parait parfois avoir en elle-même une puissance de conservation républicaine indépendante (ou presque) des agitations novatrices et à ambitions démocratisantes des pédagogues. Dubet (2002) a bien montré, néanmoins, que l’hypermodernité des 50 dernières années est aussi fille du déclin de l’institution dans sa forme profondément normatrice de la première modernité, laquelle apparait incompatible avec le primat de l’autonomie, le système de légitimité individualiste et la structure libérale de ce que Gauchet appelle le « nouveau monde » (2017), celui où il nous faut penser et pratiquer l’éducation scolaire désormais.

Si l’on prend au sérieux le cadre axiologique du libéralisme politique synthétisé par Rawls[9], le fait que la conception durkheimienne maximaliste de l’éthique de l’élève ne puisse en aucun cas prétendre constituer le cadre de référence d’un État libéral se reconnaissant tenu à une certaine neutralité axiologique dans son rapport aux options morales raisonnables de ses citoyens, est assez évident[10]. Rappelons que Rawls prend acte de la nécessité pour la tradition libérale de se renouveler suffisamment pour répondre aux exigences hypermodernes en termes d’égalité plus réelles et non moins formelles, et de respect des droits individuels fondamentaux. Il pose aussi un certain nombre d’exigences que l’État de droit doit respecter en démocratie pour tenir compte du fait de pluralisme, c’est-à-dire de l’irréductible pluralité des conceptions raisonnables (respectant la démocratie et les principes de justice) du bien dans toute société libérale contemporaine. Rawls révoque ainsi toute prétention perfectionniste du même État, c’est-à-dire l’organisation de ses institutions et de ses politiques publiques en vue de « promouvoir l’excellence humaine ou les vertus de perfection » (1993/1995, p. 222). Or, c’est très exactement ce que propose au contraire de faire Durkheim quand il écrit qu’une

société où les échanges se feraient pacifiquement, sans conflit d'aucune sorte, mais qui n'aurait rien de plus, ne jouirait encore que d'une assez médiocre moralité. Il faut, en plus, qu'elle ait devant elle un idéal auquel elle tende. Il faut qu'elle ait quelque chose à faire, un peu de bien à réaliser, une contribution originale à apporter au patrimoine moral de l'humanité

1902/1903/2015, p. 18

C’est même ce en vue de quoi sa conception des devoirs moraux des élèves est explicitement construite. Comment imaginer que le hiatus entre, d’une part, le type d’éthique de l’élève procédant des conceptions durkheimiennes et, d’autre part, les sensibilités libérales et individualistes contemporaines puisse ne pas précipiter l’école, à moyen terme, dans une profonde crise de légitimité? Comment ne pas percevoir qu’une telle crise ne tiendrait en rien au simple manque de volontarisme ou de professionnalisme de ses acteurs mais bien plus fondamentalement à une incompatibilité des deux positions au plan de la philosophie politique et morale (Roelens, 2022b)? Il faut certes tenir compte du fait que la philosophie libérale fit et fait encore largement, et particulièrement en France, figure « d’autre axiologique radical de l’éducation scolaire et de ses valeurs » (Frelat-Kahn, 1999; 2008). Cela peut par exemple s’exprimer en opposant le haut degré de civilisation, d’humanisme et d’exigence morale vers lequel fait signe le concept hérité d’éducation libérale (Garin, 1957/2003) et la profonde corruption, entre nouvelle barbarie et prochaine décadence de la culture et des moeurs[11], qui serait supposément tout ce que pourrait offrir une école qui accepterait de se repenser substantiellement dans le cadre axiologique du libéralisme et de l’individualisme (Dufour, 2011; Laval et al., 2011/2012). Ces différents éléments nous paraissent néanmoins conduire à deux attitudes aussi complémentaires dans leurs principes que problématiques dans leur mise en oeuvre pratique. Nous assistons ainsi, d’une part, à une forme de refus d’obstacle et, de l’autre, à une forme de bricolage précaire et érodant. Dans ce diptyque, le premier terme permet d’esquiver plus ou moins la question de ce que serait une éthique de l’élève ressaisie à l’aune du libéralisme moral (Audard, 2009), compris globalement comme permissivité et extrême pondération des interdits par respect de la pluralité des conceptions du bien. Ceci peut s’opérer en s’adossant, dans une filiation arendtienne, à une série de distinctions – très difficiles à tenir aujourd’hui tant conceptuellement que pratiquement – entre les différents espaces politiques et éducatifs (Foray, 2019), qui peuvent en dernière instance permettre de chérir dans les espaces politiques ce que l’on brûle dans les espaces dits prépolitiques (un paternalisme épais[12], par exemple). Le second terme permet de s’appuyer sur les derniers et fragiles vestiges sédimentés dans un supposé bon sens commun – en fait, un ensemble de stéréotypes peu examinés de manière critique – de ce que devrait être l’école éternelle, pour tenter de bricoler in situ une réactivation de la conception durkheimienne du bon élève et du bon citoyen au service d’une philosophie politique de l’école néo-républicaine volontariste[13]. Cela ne se fait cependant qu’au prix d’une conflictualité croissante et au risque d’un rejet radical qui ne viserait pas, à terme, que cette conception partielle et partiale du bien, mais plus globalement une institution scolaire publique qui tiendrait à y rester liée de trop près. Si l’on nous accorde cela au moins à titre de possible philosophique à explorer, sans doute pourra-t-on juger qu’une logique du tiers exclu est aporétique. Il parait en effet très difficile et insatisfaisant de ne se laisser le choix qu’entre une éthique maximaliste et perfectionniste de l’élève, du type même porté à incandescence par Durkheim, et une absence totale d’éthique de l’élève et de réflexion même sur celle-ci. Tâchons donc d’y échapper, avec Ogien, dont l’oeuvre présente pour nous la richesse d’avoir confronté directement les principes du libéralisme politique de type rawlsien et d’un libéralisme moral non perfectionniste à des politiques scolaires françaises concrètes, par exemple, la mise en oeuvre d’un enseignement moral et civique.

2. Les linéaments d’une éthique minimaliste de l’élève venant en contrepoint

Ogien, présentant sa propre démarche, propose de partir d’une division classique du travail dans le champ de la recherche en éthique en trois grandes démarches : 1) description et compréhension de la manière dont fonctionnent nos jugements moraux; 2) prescription de ce qu’il faut faire (ce que se proposent de faire les différentes éthiques normatives) et 3) application des deux premières démarches à des questions concrètes (2007a, p. 14-15). Le minimalisme d’Ogien[14] consiste, en un sens, en une saisie articulée des trois démarches susnommées, où domine néanmoins l’ambition normative.

Sur le plan compréhensif, Ogien montre que nombre de jugements touchants aux mutations sociales et culturelles de la modernité démocratique procèdent souvent moins d’un dispositif argumentatif articulé en cohérence avec des principes et permettant de mettre nos préjugés à distance que de paniques morales, c’est-à-dire de moments où lesdits préjugés nous conduisent à envisager le pire de la part de personnes qui pourraient venir les remettre en cause par leurs mots ou leurs actions, et à nous mettre en contradiction avec des principes moraux que nous défendons par ailleurs (2004, p. 46). Un bon exemple pourrait être les démarches partant d’une volonté de distinguer l’élevage d’animaux de l’éducation d’humains en faisant valoir, par exemple, l’importance du libre arbitre humain, puis de définir une vision si contraignante de l’élévation à une dignité vraiment humaine par une éducation morale fortement normative que toute liberté, ou presque, en vient à être présentée comme pure licence, à moins qu’on ne force les individus à une liberté bien comprise... Examinant l’histoire de la philosophie morale comme le champ contemporain de l’éthique normative, Ogien détecte également, même chez nombre de philosophes dits « libéraux », une tendance au maximalisme moral, et donc, à condamner le fait que certaines personnes soient « indifférentes au souci de leur propre perfection » (Ibid., p. 13) et guère enclines à l’élévation morale selon leurs propres désirs, et donc, à juger légitime de chercher à les remettre dans le droit chemin d’une manière ou d’une autre. Ce type de raisonnement peut aussi conduire à attribuer à l’éthique de contribuer à faire tendre l’humanité entière vers un accomplissement de la nature humaine ou, du moins, vers une compréhension assez précise de la dignité humaine ou de la liberté humaine définies non pas négativement (absence de préjudices et de contraintes excessives) mais positivement (usage de sa liberté dans un sens bien précis, jugé moralement supérieur aux autres). Ogien rejette l’ensemble de ces attitudes comme paternalistes, c’est-à-dire consistant à vouloir « protéger les gens d’eux-mêmes ou à essayer de leur faire du bien sans tenir compte de leur opinion » (2007a, p. 14). C’est donc une éthique normative anti-paternaliste qu’il propose d’élaborer. Celle-ci repose sur trois principes clés seulement : « 1. Indifférence morale du rapport à soi-même. 2. Non nuisance à autrui. 3. Égale considération de chacun » (Ibid., p. 196) et se veut articulée avec une philosophie politique à la fois égalitaire et libertaire (2013a), résolument anti-perfectionniste dans sa conception du rôle de l’État, de la loi et des politiques publiques.

Il applique parallèlement cette conception aux sujets éthiques contemporains les plus brûlants comme les questions de moeurs, de bioéthique ou de liberté d’expression. Or, le domaine de l’éducation étant de longue date, avec la santé, celui où le paternalisme est le plus prégnant, il ne tarda pas lui-même à s’y confronter, en prenant part aux débats autour du retour de la morale laïque à l’école publique française à l’occasion du ministère Peillon (2012-2014). Selon nous, ses trois propositions les plus tranchantes dans ce débat, reformulées à l’aune de notre présente problématique sont les suivantes. Tout d’abord, d’après lui, une éthique maximaliste de l’élève à l’école, telle que lesdits programmes la réactivent, vaut surtout comme symptôme de l’ambiance de panique morale et de catastrophisme paradoxal (2013b, p. 33-58) qui entoure aujourd’hui bon nombre de débats sur la démocratisation de la société, en général, et par rapport aux jeunes, en particulier. Ensuite, une telle éthique ne peut être défendue qu’au prix d’une « naïveté épistémologique » (Ibid., p. 76) selon laquelle les désaccords moraux seraient solubles dans l’élévation du degré de raison des acteurs qui devrait provoquer inévitablement leur dépassement dans une communion républicaine. Enfin, ce discours et ces actes politiques pourraient bien n’être que le cache-sexe d’une « guerre intellectuelle aux pauvres [tentant] d’expliquer la situation des plus défavorisés par des déficits moraux des individus, plutôt que par les effets d’un système social injuste » (Ibid., p. 114). Ce type de républicanisme scolaire qui aboutirait in fine à remplacer un moralisme religieux par un moralisme laïc n’aurait donc rien d’une démocratisation et d’une libéralisation du rapport moral à l’enfance. Le possible le plus prometteur ouvert par Ogien est de nous inviter à penser cette dernière à partir du principe cardinal selon lequel l’élève n’a aucun devoir moral envers lui-même et d’en envisager les déclinaisons (voir notamment, pour l’exposé du principe général, Ogien (2007a, p. 33-75), et appliqué à l’élève, Ogien (2014)). L’élève aurait ainsi des devoirs envers les autres personnes, enfants ou adultes, appartenant à la communauté éducative (ne pas leur nuire ni les empêcher de réaliser la conception du bien qui a leur préférence, les considérer également). Il n’en aurait toutefois aucun envers son travail, envers ses talents, envers des symboles (drapeau, hymne national, idées abstraites du Bien) ou envers un héritage culturel dont il est abusivement présupposé qu’il se nuirait à lui-même (en tant que citoyen en devenir ou membre d’une communauté culturelle, par exemple) en y portant atteinte. Il ne s’adonnerait pas à son métier d’élève par devoir ou par vertu, mais s’y sacrifierait tout simplement par intérêts multiples, à court, moyen et/ou long termes, sans que rien ne puisse lui être reproché. C’est plutôt l’école, en tant qu’institution publique nourrie par la fiscalité redistributive, qui a des obligations sur le plan de son utilité sociale.

Sur ces bases rapidement exposées, nous pouvons donc risquer une tentative de réponse minimal(ist)e à l’interrogation : que s’agit-il désormais d’élever dans l’enfant quand on le qualifie, dans sa scolarisation, d’élève, en supposant que ce sont ses « capabilités prudentielles » (Roelens, 2020b). Ce syntagme lie, par ses termes constitutifs, deux idées et propositions importantes et complémentaires. La première est de ressaisir le concept de prudence en le dépouillant des oripeaux des systèmes moraux maximalistes – respectivement vertuistes et déontologistes, dont il procède ou dans lequel il demeure encapsulé chez Aristote et Kant – pour le définir simplement comme capacité de « prise en compte de ses propres intérêts à long terme » (Ogien, 2007a, p. 50), ou encore d’expertise dans l’usage des moyens respectifs qui peuvent conduire aux différentes conceptions du bien-être ou de la vie bonne, antérieurement à tous choix individuels en ce sens et indépendamment de toute hiérarchisation normative de ces mêmes choix tant qu’ils ne nuisent pas aux autres. La deuxième est de prendre acte, comme le font Sen (1999/2003), puis Nussbaum avec leur concept de « capabilités », que la progression effective vers chaque conception du bien-être individuel dont une personne sera capable ne dépend « pas simplement de capacités dont [cette] personne est dotée, mais des libertés ou des possibilités créées par une combinaison de capacités personnelles et d’un environnement politique, social et économique » (2011/2012, p. 39). L’instruction joue un rôle important dans cette combinatoire, puisque son abondance ouvre beaucoup de possibles (elle est un « fonctionnement fertile », dans le même lexique) quand son absence clôt d’emblée beaucoup de voies et de portes (on parle alors de « désavantage corrosif »). Dire alors, d’une part, que l’école en général et les éléments de savoir, de compétence et de culture qu’elle est chargée de médier en particulier, ne valent pas en eux-mêmes, mais comme moyens pour l’élévation du taux et du degré de capabilités prudentielles de ceux qui les fréquentent, et, d’autre part, que l’éthique des enseignants et celle des élèves doivent être pensées à cette aune et sur des bases minimalistes, est tout sauf un manque d’ambition à notre sens. C’est au contraire ambitionner une plus grande cohérence de l’école avec les principes axiologiques démocratiques. La démocratie doit y offrir à ses élèves de réelles occasions de développer le type de capabilités qu’elle exige ensuite de fait des individus qui y vivent. En d’autres termes, si les individus scolarisés (les élèves) n’ont que des obligations morales indirectes vis-à-vis de leur propre scolarisation (autrement dit, de non nuisance et d’égale considération vis-à-vis des autres individus avec lesquels ils sont ainsi amenés à être cosocialisés), l’État démocratique hypermoderne a, quant à lui, des obligations morales directes vis-à-vis de ses citoyens sur le plan de la justice sociale[15].

Nous pouvons ainsi remarquer qu’une mise en oeuvre substantielle des trois principes de l’éthique minimale tels qu’Ogien les énonce exige un solide niveau de développement de l’autonomie intellectuelle (Roelens, 2021b), celle qui concerne le plus directement l’école (Foray, 2016a), et qui vient alors étayer le développement de l’autonomie morale. Ainsi, quand il écrit que, pour « éviter d’imposer des conceptions controversées du bien personnel à l’école, seule l’instruction civique, qui s’en tient à nos droits et aux institutions qui les protègent, devrait y être envisagée » (Ogien, 2014, p. 18), la proposition réciproque est en quelque sorte que le fait pour la personne d’exiger légitimement de vivre dans un contexte sociopolitique où l’on ne limite pas sa liberté au nom de supposés devoirs envers elle-même et de faire en sorte que ce droit soit respecté en usant des moyens légaux à sa disposition, s’apprend aussi. L’exigence de ne pas nuire aux autres requiert aussi de mieux connaitre et comprendre le monde autour de soi et ce qui peut animer les autres personnes qui y vivent et elle exige aussi des ressources intellectuelles et culturelles importantes. La Comtesse de Ségur (1858/1964) a ainsi admirablement mis en scène, en son temps, une petite Sophie nuisant objectivement ou presque à son entourage à chaque chapitre, souvent par incompréhension fondamentale des enjeux et des conséquences d’actes faits sans intention ni démarche velléitaire. Réciproquement, une juste mise en oeuvre de ce principe implique aussi d’apprendre à identifier les situations dans lesquelles ce que d’autres pourraient nommer des préjudices subis ou de graves nuisances, ne sont qu’offenses mineures ou désaccords moraux raisonnables (n’appelant aucune condamnation éthique d’un point de vue minimaliste). Enfin, pour qu’il puisse jouer adéquatement, le principe d’égale considération de chacun (pouvant impliquer d’agir plus positivement pour donner concrètement les moyens à chacun d’exprimer ses préférences) doit être finement compris et replacé également dans un cadre axiologique élargi de valeurs démocratiques liant égalité et liberté et d’exigences de justice au sens des théories libérales de cette dernière. Dans chacun de ces cas, ce qui procède des fonctionnements fertiles que constituent une culture étendue et une bonne compréhension du monde démocratique contemporain soutient aussi la pratique d’une éthique minimaliste de l’élève. À l’inverse, ce qui relève des désavantages corrosifs à être privé d’une telle culture et d’une telle compréhension rend ce type de pratique moins aisé et le repli sur l’un des deux termes de l’aporie dont nous cherchons à nous extraire (éthique maximaliste ou rien) plus probable.

Dans cette optique, nous pouvons dire pour finir que ce n’est pas la hausse du niveau de savoir et de culture qui engendrerait une moralisation de la démocratie, mais les exigences de démocratisation de la morale (dont procède par exemple la proposition d’éthique minimale d’Ogien en rejetant toutes les éthiques normatives basées sur ce que Tocqueville aurait appelé des valeurs aristocratiques) qui, pour être mises en oeuvre, requièrent une autonomie intellectuelle accrue et, donc, une instruction de bon niveau, à laquelle toutes les personnes doivent pouvoir accéder, souvent (mais pas uniquement) à l’école.

L’ouverture conclusive : quatre sauf-conduits possibles pour aider à échapper à l’héritage maximaliste du concept d’élève

Nous avons pu voir, dans les pages qui précèdent, qu’il y a de bonnes raisons éthiques de chercher à échapper au maximalisme moral généralement attaché au concept d’élève, et qu’il n’est guère évident d’y procéder, à cause du poids de traditions prégnantes d’histoire des idées éducatives et politiques sous nos latitudes. S’il nous parait indéniablement utile de nous y confronter, plutôt que de poursuivre une logique sous-jacente d’évitement stratégique nous ayant paru trop souvent à l’oeuvre, le concept même d’élève ne cesse de nous poser problème. Nous avons en effet bien conscience du fait que, pour le dire métaphoriquement, les forces centrifuges qui le ramènent à sa source maximaliste apparaissent, encore à ce stade, bien plus fortes que celles, centripètes, qui peuvent laisser espérer qu’il parvienne à prendre la tangente minimaliste que nous avons tenté de lui tracer. D’où une question consécutive à notre propos que nous ne voudrions pas clore sans l’avoir évoquée : ne faudrait-il pas s’interroger sur l’opportunité de conserver au terme d’élève la place qu’il occupe actuellement dans la description, commune comme savante, de l’expérience éducative (Foray, 2016b; Statius, 2016)? Ne serait-il pas, comme certains peuvent le penser, que la forme scolaire (Vincent, 1994, 2008; Séguy, 2018) soit elle-même incompatible en dernière instance avec la socialisation démocratique? Nous ne prétendons pas proposer une saisie systématique de ce champ de réflexion dans l’espace de texte restant, mais plutôt expliciter quatre options principales qui nous paraissent pouvoir s’y dégager, et qui toutes engagent à leur manière le type d’éthique de l’élève pensable et praticable dans une démocratie hypermoderne au XXIe siècle.

Une première option serait celle de la mise en oeuvre d’une logique « nominaliste » (Pannacio, 2012), et donc, d’apprendre à ne voir la désignation des enfants apprenants, en particulier en contexte scolaire, comme des élèves, que comme une pure convention de langage ontologiquement incapable de rendre compte de singularités individuelles auxquelles la modernité démocratique nous a appris à être plus sensibles et respectueux. Ceci étant posé, il serait possible de continuer à employer pratiquement le concept d’élève sans le doter désormais substantiellement de la charge maximaliste que nous lui avons identifiée. Mais sans doute cela exigerait-il une ascèse et des précautions oratoires peu tenables dans la durée.

Un second possible consisterait à soumettre le concept d’élève à un aggiornamento comparable à celui que nous avons proposé d’appliquer à celui d’autorité dans la modernité démocratique (Roelens, 2022c). Il s’agirait alors de prendre acte du fait que ce terme et ses usages sont conceptuellement pris dans une institution (scolaire), un État et une société, eux-mêmes traversés par un système dynamique de légitimation. Ce dernier repose désormais sur le principe de légitimité individualiste (Gauchet, 2017), soit les droits individuels fondamentaux, dont celui à l’autonomie morale dans ses choix de vie, que seul ce qui peut prétendre au statut de moyen efficace de les protéger, d’en rendre l’exercice possible et d’en assurer la coexistence pacifique peut prétendre y être reconnu durablement comme légitime et juste. Le concept d’élève aurait alors le choix entre la métamorphose radicale et l’opprobre progressive.

Le troisième destin envisageable pour ce concept est celui de sa « supplantation néologique », c’est-à-dire son remplacement progressif par un autre concept forgé pour exprimer de manière plus fine et plus conforme aux enjeux de notre temps le type de processus anthropologique vers lequel il s’agit de faire signe. Il nous semble que c’est, dans le domaine de la philosophie politique et avec d’autres orientations que celles auxquelles nous nous sommes principalement adossés dans nos travaux, ce que tente, par exemple, Balibar avec sa proposition « d’égaliberté » (2010). Cette dernière doit permettre tant de contrer le type de paniques morales, que son collègue Rancière rassemble sous le qualificatif de « haine de la démocratie » (2005), que d’articuler les trois concepts fondamentaux de la politique selon Balibar (1996) que sont l’émancipation, la transformation et la civilité (cette dernière impliquant en particulier une certaine forme d’éducation morale substantiellement démocratique). Nul, toutefois, ne saurait être devin ou maitre du moment d’émergence de pareils néologismes ni de leur capacité à conquérir ou non l’espace public.

Quatrièmement, on pourrait imaginer qu’un autre terme, déjà en usage mais moins problématique, vienne supplanter celui d’« élève ». Gauchet l’envisage à propos du concept de formation compris comme une « formation à soi en vue d’un pour soi futur » (2004, p. 44) qui viendrait subsumer ce qu’ont signifié les règnes des concepts d’instruction, d’éducation, puis de formation (dans un sens plus restreint). Les termes d’« apprenants » ou d’« étudiants » pourraient être de bons candidats puisque le verbe « apprendre » ou la notion d’« étude » apparaissent assez spontanément comme moins chargés normativement que celui d’« élévation ». L’usage semble déjà en marche pour le premier terme (mais il risque toujours d’occulter le fait que l’on n’apprend pas qu’à l’école), tandis que le second désigne encore tout autant un mode de vie (la « vie étudiante ») qu’un type de scolarisation.

Chacun de ces quatre possibles nous parait à la fois ouvert théoriquement et incertain dans ses réalisations pratiques – mais ce sont sans doute deux caractéristiques elles-mêmes propres à la démocratie contemporaine (Lefort, 2007). Il nous parait clair, en revanche, que chacun d’entre eux requiert la subordination de l’usage descriptif du concept d’élève aux réquisits prescriptifs d’une éthique de l’élève qui fait de l’autonomie individuelle comme moyen pour chacun d’agir, de choisir et de penser par lui-même et pour lui-même (et non comme moyen de réaliser quelque chose qui le dépasse) le but légitime de l’éducation et de la formation, scolaire ou non. Tout autre voie nous parait reconduire au maximalisme moral, auquel le projet même de ce texte était de définir les conditions d’échappement, et à ses apories. Et nous ne voyons pas alors de meilleur garde-fou que le minimalisme moral pour ne pas s’y égarer.