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Introduction

Peut-être pourra-t-on convenir d’emblée avec le lecteur que l’histoire de la pensée éducative scolaire est celle d’une infinie controverse portant sur les objectifs, les moyens et le rapport entre ces deux termes qu’il conviendrait de promouvoir. Les raisons en sont sans doute multiples, mais ont probablement à voir avec certaines tensions constitutives de l’action éducative. C’est en tout cas sur ce point que Philippe Meirieu fonde la spécificité et la nécessité pédagogique : le pédagogue prend acte des contradictions qu’il doit nécessairement prendre en compte (l’autorité ou la liberté, le cours magistral ou les travaux de groupe…) et sa fonction sociale est de faire de ces oppositions des ressources fécondes qui « ouvrent à un espace d’invention, à l’élaboration de méthodes qui permettent d’avancer […] » (Meirieu, 2008, p. 69). C’est en particulier le cas lorsqu’il s’agit de travailler l’incompressible écart qui sépare le travail sur l’ordonnancement des savoirs à transmettre et les conditions d’optimisation de ce projet qui se heurtent à « l’expérience irréductible du pouvoir de l’homme sur l’homme » (Meirieu, 1995, p. 115). La nécessité pédagogique découle donc de la volonté de ne pas s’en tenir à l’identification d’apories qui marquent la limite d’une pensée qui ne peut venir à bout du réel, pour tenter, même temporairement, de les dépasser pour agir. En ce sens, la pédagogie est une pensée en acte qui fait de ce qui pourrait l’arrêter (la contradiction) son moteur. Il s’agit donc pour l’éducateur de cheminer de l’aporie au paradoxe en comprenant ce dernier comme une tentative pour « passer d’un état de contradiction non résolue à un état de contradiction dépassée, mais dont le spectre continue de hanter celui qui l’a franchie » (Dulau et coll., 2019, p. 357).

Le propos de cet article est d’envisager la possibilité que les travaux de Ogien puissent participer utilement de cette conversion qui permet le passage d’une impasse théorique à une possibilité pratique. Loin de tenter une approche globale et théorique, je me contenterai d’apporter quelques arguments allant dans ce sens. Pour le dire de façon compacte, une partie de mon projet consiste à illustrer l’opportunité et la possibilité d’un recours au minimalisme moral pour conserver des possibilités d’action face aux contradictions inhérentes à la prise en charge scolaire, sans que celles-ci soient niées. Par ailleurs, j’envisagerai également les apports méthodologiques de certaines notions travaillées par le philosophe. Je recourrai ainsi aux concepts de faiblesse de volonté, de non-nuisance, de préjudice, mais également aux distinctions heuristiques entre les énoncés normatifs et évaluatifs, les droits et les valeurs. Pour illustrer mon propos, je m’appuierai sur trois thématiques directement liées à la pratique de l’éducation scolaire (la sanction, l’orientation et la lutte contre la difficulté scolaire). Sur le plan méthodologique, je recourrai pour chacune d’elles à des registres de justification spécifiques. Par souci de cohérence avec le projet de cet article, qui est de nature exploratoire, et en assumant donc le risque de superficialité, je mobiliserai trois méthodes différentes pour faire apparaître les apports possibles de la philosophie de Ogien. Je traiterai du premier thème à partir d’une étude empirique portant sur les conseils de discipline, discuterai du second sur la base d’une analyse du cadre réglementaire et proposerai un témoignage pour envisager le troisième. Ce positionnement final, adopté comme chercheur mais également acteur du système scolaire, confirmera l’objectif pratique des conclusions de ce texte.

1. Sanction et faiblesse de la volonté

Eirick Prairat pense avec Philippe Meirieu que « la sanction porte à son point d’incandescence la dimension aporétique de la raison éducative » (Prairat, 2009, p. 9) en se confrontant à la tension qui la constitue le plus nettement : conformiser et émanciper. Ce double projet peut être utilement éclairé par au moins deux aspects du travail de Ogien : le principe d’asymétrie morale entre les devoirs moraux envers autrui (réels) et envers soi-même (discutables), et le lien (ténu) entre les normes, les valeurs et nos actes. Pour mieux comprendre les apports possibles de ces éléments à la question de la sanction scolaire, je prendrai appui sur une recherche portant sur les comptes rendus de conseils de discipline tenus dans des collèges lycées d’un département de la France métropolitaine au cours de l’année scolaire 2015‑2016 (Lorius, 2020)[1]. Deux des hypothèses validées par ce travail prétendaient 1) que l’instance est « performative » au sens où elle engendre les comportements qu’elle est censée proscrire (absence de sincérité, difficulté à analyser ses actes et à tenter d’en comprendre les effets sur les victimes…) et 2) que ce phénomène est induit par un présupposé partagé par les adultes et qui consiste à penser que les comportements sont dépendants de valeurs ou principes auxquelles l’élève adhérerait ou non. Comment peut-on expliquer ces résultats?

L’étude des échanges au sein des conseils de discipline montre que, en pratique, la gestion de la tension entre l’émancipation et la conformisation se traduit souvent par la mobilisation de ce que Ogien appelle un principe de « charité interprétative » qui revient à chercher à toute force une rationalité aux comportements (2003, p. 37). Pourtant, cette façon de faire n’épuise pas les possibilités d’appréhension du réel scolaire : les comportements des élèves peuvent être en décalage avec le jugement que ceux-ci portent sur leurs actions ou, plus encore, les élèves se déclarent souvent incapables de comprendre les raisons de leurs manquements. Ce constat rejoint un problème théorique assez robuste, celui de la nature du lien entre des actions et des états inobservables (volonté, significations, désirs…). Pour Ogien, les tentatives pour sauver le lien de causalité entre ces états mentaux et les actions ne lèvent pas l’hypothèque de la « sous-attribution » des raisons des actions (Ogien, 2003, p. 41) : elles permettent au mieux d’identifier des compatibilités, mais jamais des déterminations absolues.

Dans l’étude précédemment évoquée et en m’appuyant sur cette conclusion, j’ai tenté de montrer qu’en évacuant la possibilité que les actes de l’élève ne soient pas le reflet direct de ses pensées, le conseil de discipline s’attend finalement à ce que celui-ci soit « transparent à lui-même », et donc que les mobiles qui le poussent à agir puissent être révélés. C’est là méconnaître dans des proportions inquiétantes le rapport entre les actions et les raisons. C’est en particulier ignorer le phénomène qu’Aristote (2007) nommait l’acrasie et que les philosophes contemporains ont pris l’habitude d’appeler « faiblesse de la volonté » (Ogien, 1993) ou « faiblesse de volonté » (Elster, 2007) et qui décrit le fait de paraître agir à l’encontre de son meilleur jugement. Ce processus désigne l’impossibilité de se soumettre au principe de l’information totale en comprenant cette dernière, non pas comme l’ensemble des éléments objectifs qui peuvent caractériser ou aider à comprendre une situation, mais comme la part de ces éléments connue par un individu : « la personne dont la volonté manifeste des signes de faiblesse tire bien les bonnes conséquences des données sur lesquelles elle s’appuie, tout en sachant cependant qu’il existe par ailleurs des éléments d’information pertinents qu’elle ne prend pas en compte et qui pointent dans une direction autre. En ce sens, on peut considérer qu’elle n’est pas illogique ou inconséquente » (Savidan, 2015, p. 96).

Finalement, tout se passe comme s’il était attendu de l’élève qu’il se conforme à un idéal rationaliste lui permettant de se hisser à la hauteur de ce que l’école attend de lui. Être un élève, ce ne serait donc pas simplement être inscrit régulièrement dans un établissement ; il faudrait également s’en montrer digne en faisant preuve de rationalité. Cette façon de voir revient à conditionner des normes de droit (régissant le statut des usagers de l’école), au respect de normes morales. Le principe d’une porosité entre ces deux registres normatifs n’est évidemment pas discutable, puisqu’il est probablement inhérent à toute entreprise d’éducation. Toutefois il n’en va pas de même de deux caractéristiques mises à jour par la discussion précédente et qui permettent de reconnaître des tendances maximalistes aux présupposés moraux qui sous-tendent les décisions de sanctions. D’abord, le fait qu’un objectif acceptable (on peut admettre que l’institution scolaire tende à développer le recours à la raison) se transforme en condition : le fonctionnement des conseils de discipline montre que la régulation rationnelle de ses comportements peut devenir un prérequis de la prise en charge scolaire (sous peine d’exclusion définitive). On peut ensuite refuser d’accepter a priori que cette demande ne soit pas seulement justifiée par le respect que l’on devrait à autrui ou à l’institution, mais également par celui que l’élève se doit à lui-même (Lorius, 2020, p. 70).

Ogien défend l’idée selon laquelle les devoirs envers soi-même ne relèvent pas de la morale, et cette position est l’une des caractéristiques essentielles du minimalisme qu’il promeut (Maillard, 2014, p. 26). Le suivre sur le sujet qui nous occupe conduirait à promouvoir une régulation des manquements des élèves qui distinguerait soigneusement des attitudes illégales (sanctionnées sur la base du règlement intérieur ou de la loi), immorales ou choquantes (éventuellement sanctionnées par une réprobation sociale). Ces distinctions ne sont pas absolues et elles dépendent bien sûr de ce que l’on considère comme moral (Ogien, 2017, p. 31), mais l’on peut observer qu’une vision extensive de la morale risque d’assimiler ce qui est choquant ou ce qui est illégal à ce qui est immoral avec comme risque la mise en péril de droits aussi fondamentaux que ceux de la liberté de conscience ou d’expression (Ogien, 2016, chapitre 23). L’étude des conseils de discipline montre que cette distinction est fondamentale pour des raisons éthiques, mais également pour des raisons d’efficacité (il s’agit d’éviter ce que nous avons appelé la fabrique du hérisson et qui décrit le phénomène de repli des élèves leur permettant de sauver la face en réponse aux accusations d’inconséquence morale).

Une approche prudente de l’idée de devoirs envers soi-même et la mobilisation du concept de faiblesse de volonté permet peut-être de reformuler l’aporie évoquée plus haut par Prairat sous l’angle d’un paradoxe et d’une condition d’application de celui-ci, à même de guider les pratiques : la sanction a la vocation de concerner l’illégal et non l’immoral ou le choquant (condition) et prend comme postulat la conduite de son existence scolaire en référence à son jugement, lequel n’est pas toujours le meilleur, car il est concerné par la possibilité de l’acrasie (paradoxe). On comprend alors pourquoi refuser d’envisager que les élèves puissent être irrationnels ou illogiques lorsqu’ils ne parviennent pas à mettre en adéquation leurs engagements et leurs actes, peut créer des obstacles à l’élaboration de réponses adaptées. Décider des réponses aux manquements et donc des sanctions commence donc par un double renoncement : à l’idée selon laquelle l’élève se doit d’être transparent envers lui-même et que les sanctions ne peuvent concerner tous les registres normatifs. L’une des possibilités pour y parvenir consiste à imaginer des réponses qui ne sont pas uniquement moralisatrices, mais qui permettent aux élèves de repérer l’ampleur et la nature des écarts à la norme qu’ont constitués leurs actes.

Ogien, en analysant les rapports entre les normes et des valeurs, donne quelques clés pour penser ce point : les normes qui sont suivies en général par le plus grand nombre sont plus robustes que les secondes, qui servent au mieux à des justifications changeantes des comportements, mais qui les impactent finalement assez peu (Ogien, 2013b, p. 252). Mettre à distance ne veut pas dire abandonner. Ce serait sous-estimer au moins une objection importante formulée à l’encontre de cette « démoralisation » des devoirs envers soi-même, défendue en particulier par Alain Renaut (2017), pour qui la morale ne commence à exister que dans un rapport de soi à soi qui en fait donc partie. Le reproche que l’on peut faire au recours moraliste pour la régulation des comportements déviants n’est pas son objectif (il est sans doute difficile de nier à l’éducation un objectif de socialisation), mais plutôt un déficit de subtilité qui donne à la finalité le statut d’une condition. Finalement, la compréhension des phénomènes en jeu lors des sanctions est facilitée par deux idées importantes que l’on peut retenir des travaux de Ogien. C’est en effet en acceptant le principe de l’asymétrie morale (Ogien, 2017, p. 21), entre ce que l’on se doit à soi-même et ce que l’on doit à autrui, que l’on peut espérer avoir un regard plus précis sur les situations. Les chances de réussite de cette entreprise sont encore améliorées par l’abandon de l’idée selon laquelle les valeurs et les normes influencent directement les comportements (Ogien, 2012).

Au moins deux moyens peuvent être utilisés pratiquement pour tirer les conséquences de cette discussion : 1) un regard plus précis sur les situations et 2) des prises en charge s’organisant autour de l’appropriation de règles plutôt que de valeurs, ces règles étant morales et/ou de droit. Sur le premier point, il s’agit de mieux caractériser les manquements au regard d’éléments plutôt objectivables (caractérisation de l’écart entre comportement attendu et comportement observé, conditions dans lesquelles s’est produit le comportement, définition du comportement correct dans la situation concernée). Cette préoccupation permettra de ne pas se focaliser uniquement sur des dimensions moralistes visant moins à préciser la nature du manquement qu’à caractériser le mobile de celui-ci (par exemple par des demandes d’introspection visant en particulier à l’expression de regrets, interrogation sur l’éventuelle préméditation, tentatives pour caractériser moralement le comportement). Le second point (l’organisation des réponses éducatives en se préoccupant de l’appropriation de règles) requiert quelques précisions.

Une règle est une norme d’un type particulier : elle est procédurale et ne nécessite pas, pour la suivre, une représentation. Les jeunes enfants sont ainsi capables de suivre un certain nombre de règles bien avant de pouvoir dire ce qu’ils font pour cela : comme le rappelle Jean Pierre Cometti (2011), une règle n’est rien de plus que ses application. Les fondements des règles, les raisons de leur existence ne dépendent pas d’une justification ultime ou d’une quelconque instance; elles valent par ce qu’elles permettent de faire en société. Favoriser leur appropriation, c’est donc envisager les conditions dans lesquelles elles seraient rendues partiellement ou totalement inapplicables. Ainsi, si l’on s’intéresse aux règles de vie qui tendent à favoriser la sûreté à l’intérieur d’un collectif (comme l’interdiction de la violence), peut-on reprocher à un élève de s’être défendu, y compris violemment, face à une agression caractérisée? Peut-on reprocher à un élève d’avoir eu une attitude déplacée face à l’injustice criante d’un adulte? Ces « accrocs » ne remettent bien évidemment pas en cause l’opportunité de règles, mais celles-ci peuvent être, à certains moments, inapplicables au regard des caractéristiques des situations.

2. Éducation à l’orientation et non-nuisance

L’éducation et la préparation à l’orientation constituent une importante partie des objectifs fixés par la nation française à son École. Son objet est (trop?) ambitieux, puisqu’il consiste à définir une projection vers l’avenir pour chaque élève sans que l’on connaisse très bien les caractéristiques futures de l’un et de l’autre. L’orientation a donc à voir avec une autre aporie éducative à laquelle se confrontent les acteurs scolaires : faire maintenant pour plus tard sans connaître les caractéristiques de ce plus tard. Globalement, l’idée est de permettre aux enfants de construire progressivement un projet de poursuite d’études ou de formation polarisé par les champs professionnels qu’ils souhaiteraient investir. Le cadre réglementaire assez copieux qui régit ce domaine d’activité est synthétisé dans des documents à visée pratique[2] qui se présentent eux-mêmes comme devant faciliter et organiser les prises en charge. Ce projet positionne ces textes comme ce que Ogien appelle des énoncés normatifs, qu’il distingue des énoncés évaluatifs, en considérant que les premiers ont un domaine d’application plus étroit que les seconds. Pour lui, « les énoncés normatifs portent généralement sur ce qu’il faut faire et s’appliquent à des actions humaines. Tout énoncé normatif devrait, en principe, faire référence à un certain genre d’action, préciser quels agents peuvent, doivent ou ne doivent pas l’accomplir et dans quelles circonstances » (Ogien, 2003, p. 108).

Le guide pris pour exemple semble effectivement normatif et propose en particulier un découpage temporel permettant de savoir ce qu’il convient de mettre en place aux différents moments de l’année scolaire (p. 10). Pourtant, à y regarder de plus près, on pourrait soutenir la proposition inverse. Il manque, pour que le texte soit effectivement normatif, une prise en compte des différentes options qui pourraient se présenter (et qui définiraient donc les circonstances de l’action), en particulier au regard du rapport à l’avenir que les élèves et leurs familles peuvent entretenir. Faut-il en effet tenir les mêmes objectifs et employer les mêmes méthodes d’accompagnement suivant que l’élève envisage de construire son existence en intégrant le monde du travail au moyen de l’obtention de certifications, ou qu’il souhaite au contraire s’en détacher pour créer un mode de vie alternatif? Peut-on, par exemple, aborder les choses de façon identique suivant que l’on s’adresse à des enfants du voyage ou à des familles installées depuis plusieurs générations dans un même lieu? On peut se demander si des rapports à l’avenir fondamentalement différents ne doivent pas impacter en profondeur ces prises en charge, et pas seulement pour le choix des options ou la durée des études.

La réponse plutôt positive que l’on peut apporter à ces questionnements se justifie par exemple par la distinction opérée par Jérôme Baschet entre anticipation et planification. La première suppose qu’elle ne mènera pas à ce qui était préalablement escompté : « elle récuse d’emblée de se croire guidée par une finalité nécessaire, sans pour autant s’interdire tout regard tendu vers ce qui n’est pas encore » (Baschet, 2018, sect. 3789). La planification, au contraire, « aboutit à des situations où les contenus prédéfinis imposent leur contrainte à la réalité » (2018, sect. 3789). Autrement dit, seule l’anticipation « se rend disponible aux potentialités imprévues et aux surprises des situations qui se nouent en chemin. Elle est le gage d’une logique du concret, d’un enrichissement de l’expérience et d’une ouverture accrue des futurs potentiels » (2018, sect. 3780). C’est cette anticipation qui autorise l’émergence « d’un futur qu’on peut dire possibiliste, en ce sens qu’il n’est anticipé, imaginé et désiré que comme possible, et de surcroît comme possible nécessairement incertain (il pourrait ne pas être) et voué à être démenti dans le processus de sa propre réalisation (il ne pourra que s’avérer différent de ce pour quoi on se mettait en chemin vers lui) » (Baschet, 2018, sect. 3789).

Le support réglementaire définissant les prises en charge scolaires relatives à l’orientation comporte donc une dimension largement évaluative, puisqu’il définit en creux une modalité préférable de rapport à l’avenir et que, par conséquent, il ne permet pas aux acteurs d’envisager des types d’actions différents en fonction des caractéristiques des élèves. Admettre l’idée d’une dominante évaluative du cadre réglementaire ne dit rien sur la valeur positive ou négative que l’on peut accorder à cette conclusion, mais on doit observer que, formulant les finalités à atteindre de manière consistante en énonçant ce qu’il faut promouvoir (le projet), les textes tendent à méconnaître la complexité des questions concrètes qui se posent aux éducateurs dont l’action se confronte obligatoirement à l’aporie énoncée en début de cette partie. Examinons plus avant ce que les travaux de Ogien permettent de dire sur cette hypothèse.

Ce qui est en jeu, c’est de savoir quelle pourrait être une approche véritablement morale de la question de l’orientation. Ogien (2016) propose de reconnaître la portée morale d’une proposition en prenant comme critère son caractère d’universalité potentiel et il considère que les approches minimalistes – qui se réfèrent d’abord au principe de non-nuisance à autrui – sont de bonnes candidates pour cela. Elles sont en tout cas supérieures aux approches maximalistes, qui présentent plus de risques de n’avoir qu’une portée locale, relative à une société donnée. Ogien précise que la recherche de la non-nuisance a comme corollaire la volonté de ne pas commettre d’injustices. Enfin, il prétend que, pour cela, la philosophie peut tirer des enseignements des études scientifiques, en particulier en sciences humaines (Ogien, 2011). Pour penser le projet d’accompagnement des élèves dans leur parcours scolaire vers un but indéfini, Ogien nous fournit donc deux balises : l’une est positive (la vigilance à la non-nuisance et à l’injustice) et l’autre est méthodologique (le possible recours à la recherche scientifique pour cela). Commençons par le second point, qui est assez simple à solder, tant les recherches sont unanimes concernant la porosité du système éducatif français face aux déterminismes sociaux (Dubet et Duru-Bellat, 2019). La première proposition est plus délicate à appréhender. Nous pouvons, pour avancer sur ce point, recourir à la distinction opérée par Ogien (2007b, p. 81) entre un préjudice et un dommage. Pour lui, « un préjudice est un dommage injuste ». Pour savoir ce qui est injuste, plusieurs critères peuvent être convoqués. D’abord, il faut que l’état dans lequel se trouve la personne qui est supposée l’avoir subi soit pire que celui dans lequel elle se trouvait auparavant (Ogien, 2007b, p. 82). Ensuite, il faut que cette dégradation ne constitue pas l’annulation d’un avantage illégitime (Ogien, 2007b, p. 83). À l’école, on pourra ainsi dire que se voir interdire l’accès à certaines formations en raison de résultats insuffisants ne constitue pas un préjudice dans la mesure où ont été respectées les règles d’une concurrence équitable entre les postulants. Pour qu’un dommage devienne un préjudice, il faut que soient présentes des dimensions supplémentaires, comme le fait de porter atteinte aux intérêts profonds d’une personne (Ogien, 2007b, p. 83). Ce pourrait être le cas lorsque des élèves sont affectés dans des formations qu’ils n’ont pas du tout demandées, mais qui sont les seules à disposer de places vacantes. Le préjudice peut par ailleurs être imputé à un responsable s’il fait suite à une intention de nuire ou à un manque de diligence pour que soit évité quelque chose qui aurait pu l’être. Il faut admettre que, parfois, les conséquences des procédures d’orientation pour les élèves vont au-delà de ce que l’on peut qualifier d’inconfort (par exemple, l’orientation ne correspond pas exactement à ce que l’élève avait envisagé) et tendent vers l’injustice (atteinte aux intérêts profonds).

De là, on peut réduire la dimension aporétique du problème en le reformulant sous forme d’un paradoxe pratique : la possibilité d’une vision de ce que pourrait être le préférable en matière de parcours scolaire et professionnel est a priori contradictoire avec l’absence de ce qui serait sa raison d’être, c’est-à-dire la conservation de l’ensemble des possibles. Cette formulation permet d’envisager deux conséquences pratiques. La première est de prendre en compte les limites de légitimité et de compétence des acteurs scolaires qui doivent donc, d’abord, et comme le propose Fernand Oury, s’attacher à ne pas nuire (Prairat, 1999, p. 115). La seconde consiste à être vigilant au point de vue d’autrui (Chavel, 2011) et à prendre ses distances avec un paternalisme trop marqué qui consisterait à vouloir faire le bien des plus jeunes sans tenir aucun compte de leur avis (Savidan, 2017, p. 222). En d’autres termes, les acteurs scolaires gagneront à envisager l’intérêt de deux composantes du minimalisme moral : la prise en compte de la parole de ceux dont on prétend vouloir le bien (Ogien, 2004, p. 34) et la non-nuisance (Ogien, 2004, p. 39).

Suivre les propositions d’Ogien dans le domaine de l’éducation à l’orientation revient donc finalement à douter du caractère définitif des objectifs éducatifs. Bien sûr les éducateurs doivent s’organiser autour de buts, mais peut-être pas toujours, ou plus exactement, pas toujours les mêmes : les caractéristiques pluralistes de nos sociétés modernes imposent une redéfinition constante de ce qu’il faut considérer comme meilleur. L’éducation, en particulier l’éducation scolaire, est une activité morale (au sens où elle implique la définition d’un préférable pour autrui) et, en tant que telle, elle ne consiste pas à mettre en oeuvre des obligations, mais bien plutôt à exercer une pensée qui laisse toute sa place au doute comme heuristique de la mise en perspective renouvelée de priorités. Faire oeuvre éducative en envisageant les approches divergentes des élèves et de leurs familles dans le domaine de l’orientation peut ainsi justifier une attitude prudente des acteurs scolaires pour les décisions ou propositions de choix des formations[3]. Ce type de positionnement peut en particulier se justifier par le recours à ce que Ogien appelle l’argument « sophistique », qui veut que quand les projets d’un agent sont négatifs ou incertains, il est préférable qu’il ne puisse pas les réaliser (Ogien, 2003, p. 67).

3. Difficulté scolaire et supériorité des droits sur les valeurs

Aussi calibrée, adaptée et pensée soit-elle, l’action des éducateurs scolaires ne peut pas tout. Elle est en particulier souvent démunie face à un refus d’adhésion de l’élève. Cette réalité a au moins une conséquence : celle de devoir considérer dans un même temps deux propositions contradictoires mais également valables. La première est la nécessité de tenir l’élève pour responsable de ses apprentissages, et consiste à prendre acte qu’aucune acquisition ne peut se faire hors de sa volonté. Comme le rappelle Meirieu, « dans la mesure où ma tâche est de contribuer à l'émergence de la liberté de l’autre, mon devoir est de lui imputer systématiquement ses actes » (Meirieu, 1997, p. 28). Pourtant, et de façon tout aussi légitime compte tenu du fait qu’il est impossible de faire abstraction de tous les phénomènes psychologiques et sociologiques susceptibles d’expliquer ses actes, il est également nécessaire de garder à l’esprit que le jeune en formation est aussi un produit des déterminismes qui pèsent sur lui.

Les situations d’échec scolaire sont caractéristiques de cette aporie : elles sont créées par le retrait de l’élève ou elles l’induisent. En général, on mobilise pour y faire face une croyance dans une « justice du monde » (en tout cas du monde scolaire), c’est-à-dire fondée sur un lien entre efforts fournis et gratifications obtenues. Cette correspondance est concomitante de l’adhésion à une « morale scolaire de sens commun » (Lorius, 2019a, p. 59) fondée sur les principes et notions traditionnellement associés à l’institution scolaire, comme le goût de l’effort, le mérite, l’égalité des chances et, plus globalement, la croyance dans des valeurs scolaires, dont il est difficile de dresser la liste exacte, mais qui seraient à la fois un rempart contre les difficultés de l’école et le moyen de régler l’ensemble des problèmes du quotidien (Lorius, 2018, p. 146).

Je voudrais témoigner du fait que la récente fermeture des établissements scolaires français en raison de la crise sanitaire de la COVID‑19 a permis d’illustrer cette question. Avant d’expliquer pourquoi, il me faut proposer un rapide détour méthodologique justifiant le recours à la forme du témoignage, au-delà de la cohérence a priori que l’on peut trouver entre l’objectif pratique de ce texte et le statut d’acteur de son auteur. La valeur d’un témoignage, c’est-à-dire d’un « récit par un soi d’autre chose que soi » (Pierron, 2003, p. 436) ne dépend pas d’abord de son aspect spectaculaire ou émouvant, mais bien plutôt de sa capacité à donner à penser. Les travaux portant sur l’épistémologie du témoignage s’appliquent donc à comprendre à quelles conditions un sujet est rationnellement autorisé à croire une proposition qui lui est transmise par autrui, sans la vérifier par ses propres moyens. Mon propos n’est évidemment pas de me lancer dans une présentation même sommaire de l’état de la recherche sur ce point. Il me suffira de noter qu’il ne semble pas possible de conclure à l’impossibilité de construire des connaissances à partir de témoignages (Vorms, 2015) : il existe même un certain nombre d’arguments allant dans le sens contraire, fondés sur l’idée selon laquelle une grande partie de nos connaissances dépendent de ce que nous rapportent les autres. Pour le dire dans des termes un peu plus précis, à la conception du témoignage qui veut que celui-ci ne puisse être considéré, au mieux, que rapportant du probable, s’oppose une vision qui soutient au contraire que l’on doit accepter les témoignages comme corrects en général, puisqu’ils constituent une part non négligeable de ce que nous savons (Engel et Housset, 2006, p. 5).

Témoigner, c’est « indiquer en s’engageant ». C’est pourquoi le témoignage est par essence fragile (Engel et Housset, 2006, p. 7) et qu’il comporte une dimension morale. Le témoignage ne vaut donc qu’en référence à l’existence de ce que le témoin considère comme « préférable » dans la situation concernée. Dans le cas présent, ce préférable comporte d’abord une dimension pratique : il s’agit de pouvoir mieux agir. Il comporte aussi une dimension éthique voulant que le rôle premier de l’éducateur scolaire soit d’intervenir pour faire en sorte que les choses ne suivent pas leur « pente naturelle ». Cela revient en particulier à faire en sorte que les déterminismes sociaux et culturels ne s’appliquent pas dans toute leur violence ou que les rapports de force (entre l’institution et les familles, entre les élèves…) ne se résolvent pas systématiquement en défaveur du plus faible.

Ce que j’ai cru constater pendant la période pandémique, c’est la difficulté à disposer d’information au sujet des effets réels de l’école sur les élèves. Ce fut en tout cas patent au sein de mon établissement, où il a été très difficile de suivre chaque jeune. Cela a été également le cas, semble-t-il, à l’échelle nationale, puisque les enquêtes menées par le ministère[4] ont porté sur les dispositifs et les ressentis des différents acteurs, mais pas sur les conséquences se répercutant sur les apprentissages des élèves. Cette situation est compréhensible dans un moment critique comme celui que nous avons vécu, mais ce qui est plus surprenant, c’est qu’ait pu être tirée de ces éléments une conclusion d’efficacité des prises en charge, sous prétexte que des actions ont été engagées et que les professionnels et usagers interrogés se sont montrés plutôt satisfaits. Finalement, il me semble que nous avons appris sur ce point ce que l’on savait déjà. Il est très difficile de juger de l’impact des prises en charge sur les apprentissages des élèves et il est alors tentant de réguler les fonctionnements en exhortant les élèves à s’impliquer et en prenant cette dimension comme élément d’évaluation. Il a ainsi été demandé aux établissements de procéder à l’attribution du Diplôme National du Brevet en prenant comme critère premier « l’engagement », celui-ci se mesurant « à sa participation effective dans les différents travaux et réflexions proposées en classe comme dans le travail personnel[5] ».

Pour Ogien, les difficultés auxquelles l’école d’aujourd’hui est confrontée peuvent être abordées d’au moins deux manières différentes : l’une pragmatiste (ce qui est urgent, c’est d’améliorer les conditions de prise en charge scolaires), l’autre moraliste (ce qui est urgent, c’est de lutter contre l’effondrement de valeurs telles que le goût de l’effort, le respect de l’autorité des enseignants...) (Ogien, 2013a, p. 52-53). Privilégier la seconde conduit à entériner ou accroître l’exclusion de ceux qui sont déjà des victimes sociales et économiques (Ogien, 2013a, p. 16). Donner la priorité aux préceptes de la morale scolaire commune, ce serait donc prendre le risque de ne pas permettre un accès au droit à une scolarité adaptée, c’est-à-dire avec des prises en charge prenant véritablement en compte les caractéristiques des élèves et se souciant des effets réellement produits. Nous avons là une illustration du principe de « supériorité des droits sur les valeurs » que Ogien a souvent défendu : « je soutiendrai que l’appel aux « valeurs » en général (« morales » ou pas), même lorsqu’il est apparemment destiné à fonder ou justifier des droits ou des libertés individuelles, peut aboutir paradoxalement au résultat opposé » (Ogien, 2007a, p. 47).

On pourrait objecter avec raison que le recours aux valeurs scolaires traditionnelles présente une dimension normative en ce sens qu’il permet d’éviter les justifications à l’infini de nos choix et façons d’agir. François Dubet (2008) illustre cette idée : ni les élèves ni les professeurs ne croient vraiment qu’il suffit de travailler pour réussir, et leur expérience quotidienne fourmille de cas d’élèves qui échouent tout en faisant beaucoup d’efforts, et d’élèves qui semblent réussir sans rien faire. Mais il s’agit là d’une fiction nécessaire, non seulement parce qu’elle est parfois un moyen de soutenir la motivation des élèves, mais aussi parce qu’elle préserve l’image d’un espace de compétition où se forment des inégalités justes.

Les éducateurs sont donc confrontés à l’aporie créée par le fait que les réactions de l’élève sont à la fois le produit et la cause des conditions de l’éducation. Agir malgré tout nécessite une reformulation paradoxale voulant que les valeurs morales scolaires ne prennent sens qu’au regard de ce qui risque de les rendre vaines : la réussite de l’élève (puisque cette dernière dépend très directement des conditions de l’apprentissage). Depuis au moins les travaux de Pierre Bourdieu, il existe en effet une somme considérable de recherches montrant que la réussite scolaire ne dépend pas seulement de la volonté de chaque individu, mais également assez largement de ses caractéristiques sociales. En d’autres termes, l’appel à la mobilisation personnelle, à l’effort comme condition unique de la réussite, passe notamment par pertes et profits la tendance scolaire à faire échouer les publics défavorisés économiquement, culturellement ou socialement.

L’implication de l’élève est non seulement une condition de l’apprentissage, mais également un résultat (du rapport à l’école et des conditions générales d’existence…). La primauté donnée aux signes de bonne volonté des élèves pour les évaluer et juger de la portée des dispositifs a confirmé que, en dernier ressort, la bonne « moralité » des élèves se traduisant en particulier par leur autonomie au sens d’une adhésion aux normes scolaires (Durler, 2015) apparaît comme un critère acceptable pour juger avec justice de la réussite scolaire. On aurait pu envisager, à l’inverse, de tenir compte d’abord des conditions concrètes du confinement (accès aux outils numériques, à des espaces de travail personnel, à des possibilités d’aides familiales…). On aurait alors vu la mobilisation de l’élève comme un objectif et non un préalable, au lieu de simplement brandir des valeurs comme l’égalité des chances. Ce sont bien là les conclusions explicites que tire Ogien dans le seul ouvrage qu’il a consacré à l’école (Ogien, 2013a).

Conclusion : Passer des apories aux paradoxes éducatifs : intérêt du minimalisme moral

La thèse défendue ici consistait à prétendre 1) que des apories auxquelles sont confrontés les éducateurs scolaires peuvent tendre vers des paradoxes qui rendent possibles l’action et 2) que les travaux de Ruwen Ogien sont pour cela d’une aide précieuse. J’ai tenté d’apporter des arguments en faveur de l’idée selon laquelle ces apports sont de deux ordres. D’abord méthodologiques : la faiblesse de la volonté, les distinctions droits/valeurs et normatif/évaluatif sont, par exemple, essentiels pour reprendre les contradictions éducatives qui peuvent entraver les pratiques. Ils sont ensuite substantiels, c’est-à-dire suffisamment précis et robustes pour étayer des pratiques : les mêmes contradictions sont moins inhibantes lorsque l’on établit un rapport prudent aux conceptions maximalistes du rapport moral des élèves à eux-mêmes, des conditions de prise en compte de leur point de vue ou de la suprématie des valeurs scolaires sur les droits.

Tout ceci nous conduit apparemment à des conclusions embarrassantes. Nous ne pouvons pas être assurés de la légitimité ni de l’efficacité des principes moraux pour penser les sanctions. Les prises en charge scolaires sont parfois plus un problème qu’une solution lorsqu’elles envisagent l’avenir scolaire selon des conceptions étriquées de l’avenir, et l’objectif de justice scolaire semble être à la charge des élèves plus que de l’institution. Il se pourrait bien que ne pas prendre en compte ces éléments revienne à céder à la panique morale dénoncée par Ogien, c’est-à-dire refuser de « payer le coût » intellectuel (Ogien, 2004, p. 46) et moral de certains droits que l’on affiche pourtant comme essentiels (le droit à l’émancipation par l’école, à une prise en charge scolaire adaptée…).

Pourtant, reprendre le fil de nos activités sur ces bases me paraît finalement assez simple. Il s’agit « seulement » d’être plus vigilant à l’ordre des buts et des moyens que nous mobilisons, par exemple, en n’attendant pas que les élèves s’adaptent aux dispositifs scolaires en montrant leur acceptation d’attendus moraux (comme la transparence à soi-même, une certaine vision de l’avenir, le goût de l’effort) et comportementaux (comme la capacité à l’attention) pour commencer réellement de les éduquer. Il s’agit au contraire de faire en sorte que les modes d’accueil scolaires ne soient pas conditionnés par ce qui doit rester des objectifs et ne pas devenir des préalables. Cette rupture chronologique est contemporaine d’une rupture éthique, puisqu’elle revient à avoir le courage de mettre en rapport le souci d’éducation des plus jeunes, avec le fonctionnement réel de l’institution scolaire. Pour cela, peut-être est-il nécessaire que nous ayons foi en nos savoirs sur ce que génère véritablement l’école, et sachions que nos croyances communes susceptibles de nous guider ont à voir avec la justice[6].

C’est pour permettre à cette combinatoire de croyances[7] et de savoirs d’irriguer les pratiques éducatives scolaires que les travaux Ogien sont utiles. Ils le sont d’autant plus que, en plus d’être robustes sur le plan théorique, ils sont compatibles avec l’action institutionnelle. En effet, l’éthique défendue par Ogien n’est en rien une éthique de la transgression (Savidan, 2017, p. 245). Elle vise plutôt une sanctuarisation du permis comme facteur de progrès vers l’accès aux droits et le refus de confondre l’illégal, l’illégitime et l’immoral, une préoccupation qui devrait constituer une part importante de l’action institutionnelle. Ogien vient donc heureusement équilibrer les positions morales largement maximalistes de son temps (comme le rappellent Merril et Savidan dans l’avant-propos de l’ouvrage qu’ils ont coordonné, « le combat est inégal et les rangs du minimalisme plus que clairsemés » (2017, p. 13)). Son salutaire travail de remise en cause des évidences morales permet à la fois de penser de façon plus assurée la pratique éducative tout en augmentant le nombre de questions ouvertes à la discussion. C’est bien parce que c’est souvent le cas lorsque l’on s’appuie sur les travaux de ce philosophe qu’ils sont précieux. Ogien nous rappelle à cet (ultime?) paradoxe : nous ne devons pas avoir d’avis définitif sur la définition de ce qui est préférable en éducation, car la question est trop importante pour cela.