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INTRODUCTION

Le présent texte interroge l’évolution du rapport de l’État québécois aux territoires à la suite des réformes annoncées par le gouvernement libéral de Philippe Couillard à l’automne 2014. L’enjeu du rapport de l’État aux territoires, de même que le rôle qu’y tiennent les institutions territoriales, est essentiel dans les sciences sociales, parce que s’y joue rien de moins que la capacité des gouvernements à piloter leurs espaces (Thoenig, 2006). Dans un contexte turbulent (Badie, 1995) où les politiques traditionnelles de développement régional sont considérées comme dépassées (Hansen, Higgins et Savoie, 1990), les États continuent puissamment à organiser la répartition spatiale des opportunités sociales et économiques (Balme, 1994). Cet enjeu, tout comme celui de la décentralisation (Belley et Chiasson, 2006), revient donc périodiquement à l’ordre du jour politique, au Québec et ailleurs. Il a, par conséquent, régulièrement retenu l’attention des chercheurs (Jalbert, 1985; Côté, Klein et Proulx, 1997; Fontan et Klein, 2002; Cliche, 2009).

Or, plusieurs travaux ont mis en évidence le fait qu’il n’y a pas de convergence : au-delà d’une tendance globale à la néolibéralisation (Peck et Tickell, 2002), les États conservent des marges de manoeuvre importantes, ce qui se traduit par des trajectoires de politiques territoriales chaque fois particulières. Ainsi, pour le Québec, les textes regroupés dans un numéro de la Revue d’économie régionale et urbaine (Lacour et Proulx, 2012) avancent l’idée d’une approche scientifique proprement québécoise en matière de développement des territoires, c’est-à-dire adaptée à la spécificité de son contexte. Dans une autre série de travaux de recherche, on propose l’hypothèse d’un modèle québécois de développement selon lequel l’État québécois entretiendrait une relation partenariale avec les acteurs du territoire (Lévesque et Mager, 1995; Lévesque, 2005; Klein et al., 2012). De ce point de vue, la trajectoire et la politique territoriales québécoises seraient donc singulières par rapport à ce qui se fait ailleurs en Amérique du Nord, où le néolibéralisme et la compétition entre les territoires prédomineraient[1]. Souvent appliquées à d’autres échelles (grandes villes, province), ces analyses méritent d’être mises au travail dans une perspective multiscalaire dans la mesure où les politiques territoriales, c’est-à-dire à la fois municipales, régionales, nationales, etc., concourent dans leur ensemble à organiser le développement dans l’espace. La période actuelle est d’ailleurs fort propice pour observer la recomposition des échelles du pouvoir local.

La série de réformes du gouvernement Couillard, associée à un programme d’austérité (Gobin et Colombat, 2015; Fortin et Brassard, 2015), n’a en effet épargné ni la politique territoriale ni les mesures de soutien au développement des territoires. Annoncée au cours de l’automne 2014 et de l’hiver 2015, une réforme d’envergure a mis fin aux conférences régionales des élus (CRÉ), ouvert la possibilité pour les municipalités régionales de comté (MRC) d’absorber les centres locaux de développement (CLD) et enclenché la révision à la baisse du pacte fiscal avec les municipalités et les MRC. Ces mesures ont suscité de nombreuses critiques, notamment de la part des acteurs territoriaux touchés ou de scientifiques[2], mais il n’est pas sûr que tous les paramètres en aient été saisis. Diserts sur la disparition des institutions régionales, les auteurs de ces critiques ont en effet assez peu traité de la révision du pacte fiscal, une autre facette des réformes. Or, pour saisir l’ampleur de la transformation du rapport de l’État au territoire, il nous semble important d’élargir le regard pour englober à la fois les politiques strictement institutionnelles (Balme, 1994) et les instruments de politiques publiques de type fiscalité (Lascoumes et Le Galès, 2005). Dans cette double perspective, notre objectif ici n’est pas tant de revenir sur l’effet exercé par ces réformes territoriales sur les régions et leur développement que de mettre en lumière leur incidence sur le rapport que l’État entretient avec les territoires. Car il y a là une tentative de redéfinition du territorial politics par l’État québécois qui, bien qu’elle soit largement passée sous silence dans les critiques initiales et l’argumentaire du gouvernement lui-même[3], est pour le moins substantielle.

Plus précisément, nous nous attarderons aux conséquences potentielles de ces réformes sur deux aspects, qui peuvent être résumés en autant de questions. D’une part, ces réformes annoncent-elles un renouvellement fondamental du rapport de l’État au territoire? D’autre part, influent-elles sur la spécificité de l’approche québécoise en matière de politique territoriale? Nous répondrons à ces deux questions en centrant notre attention sur la politique territoriale québécoise dans son ensemble. Cette approche implique non seulement qu’on porte un regard sur les institutions locales (notamment la disparition programmée du palier régional et de ses instances de développement), mais également qu’on intègre la fonction plus discrète des instruments fiscaux pour modifier le rôle et les moyens des municipalités et des élus locaux. Le fait de porter ainsi notre regard sur les municipalités nous permettra d’observer comment s’exerce le pilotage territorial de l’État qui, par une gestion de l’ensemble des paramètres structurant son territoire, active un jeu de « vases communicants » en s’appuyant, selon les périodes, tantôt sur les institutions régionales, tantôt sur les municipalités locales (Simard et Leclerc, 2008). De plus, le pilotage territorial renforce ou fragilise, selon les périodes, certains types d’arrangements institutionnels et, en l’occurrence, les structures régionales de concertation qui constituent une spécificité québécoise dans le contexte canadien.

Notre analyse se décline en trois parties. Dans la première partie, nous circonscrivons les contours du modèle « traditionnel » municipal au Canada pour illustrer la spécificité des politiques territoriales québécoises par rapport aux autres provinces canadiennes. Dans la seconde partie, nous montrons quel effet certaines réformes menées depuis la fin des années 1990 ont pu avoir sur la politique territoriale et sur sa spécificité par rapport aux autres provinces. Finalement, dans la troisième partie, nous soutenons l’hypothèse voulant que les récentes réformes ferment en quelque sorte la parenthèse régionale ouverte par le gouvernement québécois il y a plusieurs décennies. Le Québec se rapproche ainsi du modèle canadien centré sur la municipalité comme relais privilégié – voire exclusif – de la politique territoriale.

QUAND LA RÉGIONALISATION QUÉBÉCOISE REVISITAIT LE MODÈLE MUNICIPAL CANADIEN « TRADITIONNEL »

Le modèle municipal canadien est sans doute moins l’héritier des modèles français et britannique que le produit d’une histoire proprement canadienne, créé à partir du modèle importé par les loyalistes des États-Unis après la guerre de l’Indépendance (Plunkett, 1968; Tindal et Nobes Tindal, 2009), et, surtout, le produit d’une lente affirmation de la capacité à fournir les services collectifs nécessaires à un ordre politique libéral et moderne (Dagenais, 2014). Selon la synthèse récente de Chiasson et Mévellec (2014), ce modèle canadien s’articule autour de deux traits spécifiques qui sont, d’une part, un type de relation entre province et municipalité marqué par la dépendance et, d’autre part, des formes ambiguës de la politique municipale.

Rappelons ici que les municipalités, par leur statut de créatures des gouvernements provinciaux, ne bénéficient d’aucune reconnaissance ou protection constitutionnelle. Ce statut fragile les place de facto dans une situation de dépendance vis-à-vis des provinces. La création des municipalités est le fruit d’une quête par les provinces d’une meilleure assise territoriale, par l’organisation décentralisée des services publics (Collin et Léveillée, 2003). Au Canada, le palier municipal puise donc ses racines plus dans une politique de déconcentration (du provincial au local) que dans l’expression politique de communautés locales. En concordance avec cette fonction initiale, les compétences municipales ont longtemps été limitées en grande partie à l’entretien des infrastructures de base (particulièrement la voirie, l’approvisionnement en eau et la gestion des eaux usées) et aux services à la propriété (services de police et d’incendie). Bien qu’une action municipale en faveur des plus démunis ait bel et bien existé dans le premier tiers du XXe siècle, cette action s’est peu à peu « provincialisée » (Linteau et al., 1989) avec la construction de l’État-providence. Par le rapatriement de certains services à l’échelon provincial, celui-ci a maintenu les municipalités dans le périmètre restreint de leurs rôles traditionnels en confisquant leur pouvoir d’agir sur les grandes questions de société, qui relevaient désormais du domaine exclusif des gouvernements supérieurs (Andrew, 1999; Magnusson, 2005). Si le principe du Dillon’s Rule (1872), qui cantonnait les municipalités dans une conception étroite et gestionnaire de leur rôle, persiste, ce n’est pas le cas dans toutes les provinces. Plusieurs, comme l’Alberta (LeSage et McMillan, 2009) ou l’Ontario (Siegel, 2009), ont reconnu aux municipalités une forme plus ou moins étendue de compétence générale et, dans bien des cas, les municipalités sont appelées à jouer des rôles qui dépassent largement leur mandat historique initial.

Cette ambiguïté des formes de la politique municipale explique, selon nous, le rapport problématique des municipalités avec la politique. L’expérience municipale canadienne a longtemps été comprise comme étant ou devant être de l’ordre de l’administratif plutôt que du politique. Cette conception apolitique du palier municipal canadien a en outre été renforcée par l’héritage des mouvements de réforme urbaine du premier tiers du XXe siècle (Graham, Philips et Maslove, 1998; Germain, 1985) qui avaient promu une technicisation de la gestion municipale au détriment d’une appropriation politique ou démocratique. Il en est résulté une sorte d’« aversion » pour la chose politique qui explique l’absence des partis politiques sur la scène municipale, à l’exception marquée du Québec et, dans une certaine mesure, de la Colombie-Britannique (Chiasson et Mévellec, 2014; Mévellec et Tremblay, 2013), ainsi que la prédominance d’une gestion par la technocratie et l’expertise plus que par le débat idéologique et démocratique sur des projets de société. Le poids de cette histoire explique pourquoi les municipalités canadiennes peinent encore à imposer une vision politique de leur rôle et de leur fonctionnement – en dépit de propositions ambitieuses récentes (comme le livre blanc de l’Union des municipalités du Québec [UMQ, 2013]).

Le poids de ce modèle traditionnel canadien est lourd de conséquences, en particulier pour les façons légitimes d’envisager et de participer au développement des territoires locaux. Les provinces ont longtemps considéré les municipalités comme des assemblées de propriétaires dont le rôle était de prendre en charge certains « services à la propriété » (Andrew, 1999; Magnusson, 2005). En cohérence avec cet esprit, le mode de financement municipal prévu par les provinces introduit une dépendance à l’égard des propriétaires locaux. En effet, en raison de la prépondérance de l’impôt foncier dans la fiscalité municipale ainsi que de l’absence d’autres sources de financement autonome, les municipalités canadiennes sont inévitablement portées à favoriser le développement immobilier pour attirer de nouveaux propriétaires fonciers et de nouvelles entreprises (Andrew, 1999; Kitchen et Slack, 2003; Sancton et Young, 2009) et ainsi accroître leurs revenus. Pour ce faire, elles ont fréquemment recours à une stratégie d’attraction consistant à utiliser un de leurs leviers principaux : les congés d’impôt foncier. Rationnelles, voire inévitables à l’échelle municipale, ces « stratégies » provoquent des effets de composition dévastateurs sur le tissu municipal dans son ensemble. Comme l’explique Fillion (1991), ces mesures fiscales ont tendance à s’annuler et à susciter une concurrence stérile entre les municipalités pour attirer les mêmes entreprises mobiles. Si la prise de conscience de ces effets pervers a provoqué une diversification récente des stratégies de développement local, le fait demeure : l’attraction des propriétaires fonciers reste souvent un objectif central.

À cet égard, le cas du Québec n’a rien d’original. De manière traditionnelle, les municipalités québécoises participent pleinement à ce modèle canadien, dont elles partagent les principaux traits. Ces caractéristiques sont une conception essentiellement gestionnaire, un apolitisme revendiqué ainsi qu’une dépendance vis-à-vis des ressources foncières menant à des modes d’intervention économique standardisés et fiscalement coûteux. À cette aune, les réformes, et en particulier la création des municipalités régionales de comté (MRC) au tournant des années 1980, doivent être relativisées. Respectant pleinement le principe de l’autonomie municipale, les MRC ne s’éloignent pas trop du modèle municipal traditionnel. Créées souvent dans un souci de rapprochement urbain-rural[4], elles ne disposent d’aucune ressource propre et dépendent pour leur financement des quotes-parts municipales et de certains transferts gouvernementaux. Les espoirs d’innovation soulevés par la réforme se sont d’ailleurs évanouis dans bien des cas au fil du temps. Si la loi ouvrait deux champs d’action possibles, l’aménagement du territoire et le développement économique local, les municipalités se sont surtout emparées du premier, faisant des schémas d’aménagement une courroie de transmission entre les objectifs du centre (Québec) et les plans d’urbanisme municipaux. C’est ce qui faisait dire à Divay et Léveillée (1982) que cette régionalisation municipale n’était en fait qu’une politique de centralisation offrant à l’État un levier d’action plus efficace pour orienter l’aménagement du territoire à la grandeur de la province. On pourrait certes nuancer ce constat en montrant, comme l’a fait Marc-Urbain Proulx (2001), que plusieurs MRC ont depuis débordé leur mandat initial pour prendre en charge d’autres responsabilités. On peut tout de même convenir que ce n’est pas au palier municipal qu’il faut chercher la distinction québécoise, car d’autres provinces, par exemple l’Ontario, disposent aussi de structures intermunicipales. Il existe par contre bel et bien une originalité du Québec, et celle-ci se situe au palier régional.

Le Québec s’est effectivement distingué du reste du Canada à partir des années 1960 en mettant en avant un modèle de déconcentration/décentralisation dont les municipalités n’étaient pas les seules ni même les principales bénéficiaires. Dans leurs travaux, Benoît Lévesque (2004) et Gilles Bourque (2000) ont soulevé l’hypothèse d’un « modèle québécois de développement » qui aurait connu deux phases distinctes. Dans une première phase (1960-1980), le modèle est dominé par l’omniprésence de l’État qui mobilise les grands leviers macroéconomiques pour piloter la croissance de la société québécoise. Le développement régional y est central, pensé en termes de rattrapage et organisé de manière standardisée pour l’ensemble du Québec. Lemieux (1996) souligne à cet égard le contrôle financier et organisationnel quasi total que le ministère de la Santé continue d’exercer sur les régies régionales de santé et de services sociaux. La remise en cause de ce modèle hiérarchique par différents groupes de la société (syndicats et groupes sociaux) ouvre une seconde phase dans les années 1980 (Lévesque, 2004). Si l’État reste présent, il opte pour une approche plus concertée du développement avec des partenaires de la société civile institutionnalisée. Juan-Luis Klein (1995) a montré l’ampleur de cette évolution dans le champ du développement régional qui, à la suite de la réforme Picotte[5] en 1992, entérine le passage de l’État planificateur à l’État accompagnateur. Selon Klein :

le gouvernement abolit la plupart des dispositifs gouvernementaux créés depuis les années 1960 dans le but d’administrer une politique volontariste d’intervention régionale et il les remplace par d’autres dispositifs, ancrés dans la société civile, dont la mission est d’assurer une planification régionale et partenariale du développement économique

Klein, 1995, p. 133

Suscitant autant d’inquiétude (Côté, 1993) que d’espoir (Lévesque et Mager, 1995), cette deuxième phase du modèle québécois de développement des territoires est marquée par deux caractéristiques majeures. D’une part, le mouvement de régionalisation entamé dans les années 1980 est confirmé pour la décennie nouvelle : les institutions actives au palier régional sont appelées à assurer des responsabilités de plus en plus importantes en matière de développement du territoire (ou développement régional). D’autre part, ces institutions accordent une large place à la société civile dans leur système de gouvernance. Si les élus municipaux restent présents dans les nouveaux conseils régionaux de développement (CRD), on y trouve aussi des représentants des syndicats, des organismes du tiers secteur et des ministères déconcentrés. Ces CRD ont ainsi une double mission : ils doivent agir comme interlocuteurs du gouvernement et formuler des recommandations en matière de développement des territoires, mais ils sont aussi conçus comme un lieu de concertation des acteurs régionaux. Même si les CRD ne constituent pas un véritable échelon de gouvernement régional (Masson, 2001), ils sont appelés à être le moteur d’une concertation aboutissant à une stratégie de développement pour la région et à sa traduction en ententes-cadres ou en ententes sectorielles, négociées avec divers ministères du palier provincial (voir Proulx, 1996). Dans cette perspective, cette deuxième vague de régionalisation a eu des effets discrets, mais majeurs, en entraînant un triple élargissement de l’horizon d’action des élus municipaux qui a contribué à l’affirmation d’un modèle québécois de développement régional original, très différent de ce qu’on observe dans le reste du Canada.

Le premier élargissement, de nature territoriale, suggère un horizon politique nouveau. On sait que le mode de scrutin municipal, essentiellement par district, tend à enfermer les élus dans leur circonscription territoriale et à orienter leur conception du mandat sur les fonctions de service (Graham et al., 1998). Or, l’ouverture à la région offrait l’occasion aux élus de replacer les enjeux municipaux (et ceux des MRC) dans un territoire plus vaste, où les traits de la gestion municipale traditionnelle (localisme, proximité, gestion technique et apolitique, etc.) laissent place à un développement territorial plus global, parce qu’organisé autour de problèmes communs plus généraux. Dans les années 2000, la Gaspésie en a donné un exemple fort avec le passage d’une posture défensive des élus locaux par rapport aux projets éoliens à une posture proactive. D’abord isolés et désarçonnés par les sollicitations des promoteurs de projets éoliens, les élus locaux mèneront par la suite une critique de la politique éolienne, dont les retombées locales sont jugées insuffisantes, et proposeront des partenariats rassembleurs et moins inégalitaires, grâce à l’action collective à l’échelle de la région (Fournis et al., 2013).

Alors que dans les autres provinces canadiennes la régionalisation se manifeste essentiellement sous forme de consolidation ou de coopération dans les régions métropolitaines (Brunet-Jailly et Martin, 2010), au Québec les réformes institutionnelles font émerger des intérêts collectifs et partagés, à la fois assez territorialisés pour représenter la diversité des espaces et assez globaux pour que chaque région soit pensée comme une composante du Québec.

Le second élargissement d’horizon concerne les domaines d’intervention des élus municipaux. Plus que les MRC, centrées sur certains enjeux précis comme les schémas d’aménagement et la gestion des déchets, la région est le lieu de réflexion sur des politiques de plus grande envergure, apte à organiser le développement économique et social de vastes territoires. La région devient ainsi un territoire « des solutions », où « les CRD se sont trouvés investis du mandat de l’orchestration de l’ensemble des activités ayant des répercussions sur le développement du territoire régional » (Gouvernement du Québec, cité dans Masson, 2001). Cette mission est rendue possible par un mode de financement spécifique : au contraire des municipalités, contraintes par la microgestion localisée de leurs contribuables, les régions s’appuient sur du financement provenant d’ententes-cadres conclues avec les ministères et qui autorisent, jusqu’à un certain point, les élus à « détacher » les dépenses publiques légitimes de leur seul ancrage local et de l’impôt foncier.

Finalement, un troisième élargissement touche aux modalités concrètes, aux façons de faire découlant de l’institutionnalisation de la concertation. Imposée par le législateur, la composition tripartite (élus, secteur privé, secteur communautaire) des CRD constitue un puissant levier pour assurer la concertation régionale. Le palier régional, s’il fait une place importante aux acteurs politiques, est toutefois pensé sur le mode d’une « gouvernance partagée », où les orientations du développement territorial sont élaborées de façon collaborative[6]. S’il faut sans doute se garder d’un enthousiasme a posteriori, la réforme accouche bien d’une région – forum émergeant de la négociation des intérêts et des orientations des différentes forces vives territoriales vis-à-vis du gouvernement central –, bref, d’une forme de territoire « des imaginations » dont la somme doit nécessairement être plus grande que ses parties.

En définitive, il serait sans doute vain de parler de rupture dramatique ou magistrale liée à la concertation régionale. Il n’en reste pas moins qu’après les très décevants sommets régionaux des années 1980, le palier régional a pris corps dans les années 1990 autour d’un modèle un peu différent de celui qui est suivi dans le reste du Canada. Si les élus municipaux continuent de jouer un rôle central, ils participent néanmoins à un développement territorial dont l’originalité puise à l’élargissement du territoire de référence (l’espace des problèmes), des champs d’action (l’espace des solutions) ainsi que des modes de prise de décision. Par rapport au modèle canadien traditionnel, le Québec se distingue donc par sa gouvernance régionaliste.

L’EFFRITEMENT DU MODÈLE RÉGIONAL QUÉBÉCOIS

On aurait tort de voir dans la régionalisation une affaire de gestion technique et apolitique. En effet, l’enjeu est resté assez saillant pour que, bien avant d’être révisé en profondeur par le gouvernement Couillard en 2015, ce modèle québécois de concertation régionale fasse l’objet de certains changements impulsés par les gouvernements successifs et concernant tour à tour l’échelon territorial et la méthode de concertation privilégiée. Dans cette section, nous revenons d’abord sur la création des centres locaux de développement (CLD), qui ont favorisé l’échelon territorial supralocal, puis sur la transformation des CRD en conférences régionales des élus (CRÉ), une mesure qui a entamé le principe de la concertation tripartite des instances régionales.

La réforme Chevrette entraîne une première transformation du modèle en 1998 avec l’arrivée d’un nouvel acteur dans le paysage territorial québécois, les centres locaux de développement (CLD)[7], à qui le gouvernement confie le mandat d’assurer le développement local à l’échelle de la MRC. Au moment de leur création, les CLD reflètent bien l’esprit de la concertation à la québécoise. Avec un conseil d’administration indépendant de la MRC, même si celle-ci peut y déléguer un certain nombre d’élus, le CLD incarne le principe de l’instance de développement local regroupant diverses parties prenantes, y compris des élus qui y siègent au même titre que les autres acteurs de la société civile dont les représentants sont majoritaires. Comme dans les CRD, la concertation dans les CLD est mise en avant comme un principe central de l’action en faveur du développement, ainsi qu’en témoigne leur mandat relativement large, qui déborde le démarchage et l’attraction d’entreprises sur le territoire pour inclure d’autres responsabilités, notamment la préparation des plans locaux pour l’économie et l’emploi (PALÉE) et le soutien à l’entrepreneuriat, dont le soutien au développement de l’économie sociale. C’est d’ailleurs pour cette raison que les CLD ont parfois été contestés par certains acteurs, notamment les milieux d’affaires locaux, restés attachés au modèle plus classique du commissariat industriel local et réfractaires à l’implication d’autres acteurs de la société civile dans la gouvernance du développement local (Comeau et al., 2001). Ailleurs, ce sont les élus qui se sont opposés à la création des CLD, considérés comme des entraves aux politiques municipales de développement économique. C’est le cas notamment de certaines villes de taille moyenne qui finançaient jusque-là leurs propres structures de développement économique, généralement sous une forme organisationnelle limitée aux seuls élus et fonctionnaires (Mévellec, 2008). En somme, la réforme de 1998 est loin d’être anecdotique, puisqu’elle ajoute à la gouvernance locale une composante institutionnelle qui menace le pouvoir exclusif des élus municipaux sur le développement territorial, ce qui participe à une forme de dé-municipalisation des structures territoriales à l’échelon supralocal.

En 2003, le gouvernement Charest remet en cause le fonctionnement tripartite du modèle québécois à l’échelon régional. La transformation des CRD en conférences régionales des élus consacre d’abord la primauté des acteurs politiques : non seulement les élus municipaux sont désormais majoritaires, mais ils fixent les paramètres de la représentation des autres composantes de la société (Chiasson et Robitaille, 2004). Certes, la réforme n’exerce pas pleinement ses effets partout, car la concertation tient bon dans certaines régions où les élus continuent à faire une place importante aux autres représentants de la société. Elle signe néanmoins, symboliquement, un retour du pouvoir des élus au détriment de la concertation tripartite. Sur un plan plus local, la Loi sur le ministère du Développement économique et régional et de la Recherche (projet de loi 34) change les rapports de force, là encore au profit des seuls élus. Désormais, le CLD est soumis à l’autorité de la MRC, qui nomme les membres du conseil d’administration et est seule habilitée à signer les ententes de développement local (Simard et Leclerc, 2008).

Les réformes de 2003 constituent en quelque sorte une première remise au pas du pouvoir local. La « municipalisation du développement » (Simard et Leclerc, 2008) vise dès lors explicitement à replacer le développement et ses structures (régionales et locales) sous l’autorité des élus locaux, à rebours des politiques territoriales qui, depuis la fin des années 1990, avaient élargi le cercle des décideurs pour mieux mettre à distance le pouvoir politique municipal. Avec les réformes de 2014, cette « municipalisation » va redevenir d’actualité et prendre désormais un double sens : le pouvoir local revient aux élus municipaux plutôt qu’à la société civile, et c’est à leur échelle (locale et mercéenne) – et non plus à l’échelle de la région – que se conçoit le développement territorial. Cette remunicipalisation se matérialise à travers deux mesures significatives, voire spectaculaires, qui bousculent les structures territoriales : 1) la disparition des institutions régionales achève le mouvement de relocalisation du développement dans le giron municipal; 2) la révision du financement, dans le cadre du pacte fiscal, consacre les municipalités comme seuls acteurs puissants.

QUAND LE MODÈLE MUNICIPAL « TRADITIONNEL » REVISITE LA RÉGIONALISATION QUÉBÉCOISE

Les réformes territoriales de 2014-2015 ont suscité beaucoup d’attention sur la place publique, mais seulement par certains aspects. Or, la mesure de ces réformes demande une lecture globale, que nous résumerons en deux volets essentiels. En premier lieu, la réforme lourde des institutions occupe une place de choix dans l’agenda public et soulève d’importantes critiques. Plusieurs mesures convergent pour déplacer le centre de gravité du pouvoir territorial vers les élus locaux, en particulier la suppression des CRÉ et le transfert de leurs responsabilités vers les MRC ou l’intégration plus poussée des CLD dans les MRC[8]. La rupture avec le modèle territorial québécois est pour le moins évidente : pour le gouvernement, les élus locaux sont les acteurs exclusifs du développement des territoires et, comme s’ils devaient trouver chaussure à leur pied, leur territoire de développement est désormais celui des MRC – au prix d’un sabordage pur et simple de l’échelon régional. C’est du moins le sens conféré à ces réformes par certaines voix qui, comme celle du président de la CRÉ de l’Abitibi-Témiscamingue, estiment que :

[l]a fermeture annoncée des CRÉ balaie du revers de la main un modèle de gouvernance partenariale qui s’est construit à partir d’une vision partagée entre élus et acteurs socioéconomiques. Pire encore, la notion même de région, à laquelle la population s’identifie profondément, est disparue aux yeux du ministre

Gaudreau, 2014

En ce sens, on peut dire que le virage en faveur d’une municipalisation du développement n’a été qu’amorcé en 2003 parce que les élus ont continué à privilégier les processus de concertation mis en place quelques années auparavant. La situation est tout autre depuis les réformes de 2015, car l’abolition des CRÉ et le changement de statut des CLD ont laissé bien peu de choses à conserver du modèle territorial québécois.

En second lieu, le volet financier des réformes, qui a moins retenu l’attention, ne doit pas être négligé pour autant. Les changements au pacte fiscal et plus largement aux moyens des pouvoirs territoriaux traduisent, sous l’angle des instruments, le nouveau rôle des municipalités en matière de développement des territoires. Belley et Lavigne (2017) rappellent l’importance du pacte fiscal, qui correspond aux transferts consentis par le gouvernement aux municipalités locales ainsi qu’aux MRC et qui est généralement négocié avec les deux associations municipales (la Fédération québécoise des municipalités et l’Union des municipalités du Québec). Or le pacte de 2015, qualifié de « transitoire » (MAMOT, 2015), est tombé comme un véritable coup de tonnerre. Le gouvernement libéral y annonce en effet une réduction de ses transferts vers les municipalités de l’ordre de 300 millions de dollars (environ 10 %), une division par deux des fonds normalement consentis aux CRÉ pour les mandats de développement régional, ainsi qu’une diminution d’une quarantaine de millions de dollars dans les fonds alloués pour les mandats des CLD que de nombreuses MRC avaient pris en charge, soit environ 55 % du financement total (Joyal, 2015). Quant au statut provisoire, il semble vouloir durer, car le gouvernement ne prévoit pas de nouveaux modes de financement à court terme, entrouvrant seulement une possibilité d’accès à une part des redevances provenant de l’exploitation des ressources naturelles. Les deux associations municipales ainsi que les villes de Montréal et de Québec ont finalement signé ce pacte en 2015 sans que leurs raisons pour le faire soient claires.

Ces deux volets des réformes de 2015 contribuent ensemble à fragiliser de manière substantielle l’encadrement institutionnel du territoire québécois. D’un point de vue strictement institutionnel, les nombreux défauts des instances de concertation (régionales ou locales) créées à la fin des années 1990 ne doivent pas faire oublier que celles-ci ont contribué, en période difficile financièrement, à élargir le cercle des acteurs légitimes du développement (élus locaux, acteurs sociaux, etc.) et à accroître leur capacité de pilotage des territoires. Les réformes territoriales de la fin des années 1990 ont donc fait oeuvre d’élargissement et d’approfondissement du développement, revêtant ainsi une importance cruciale dans ces vastes territoires périphériques où la distance, la dispersion (Dugas, 1981) et le manque de moyens nuisent traditionnellement à l’action collective. Or, toutes les mesures institutionnelles mises en place depuis 2003 ont visé, malgré une certaine résistance tranquille des acteurs locaux, à resserrer le cercle des acteurs et des mesures légitimes aux seules stratégies des élus municipaux. Mécaniquement, cela favorise bien entendu les élus des grandes villes, qui disposent de moyens (politiques, institutionnels, techniques, administratifs, etc.) sans commune mesure avec ceux des petites municipalités rurales et périphériques.

Pour les élus des grandes villes, le développement sera certainement plus rapide, plus imputable et plus politique. Il sera sans doute aussi plus conjoncturel, plus exclusif et moins encastré dans la société civile, mais qui l’entendra, puisque les régions n’ont plus de voix? D’un point de vue financier, il apparaît que l’austérité budgétaire implique une politique territoriale dont les effets sont raisonnablement prévisibles. D’une part, la réforme fiscale présente un intérêt majeur en ce qu’elle confirme l’incidence des transferts consentis par le gouvernement dans le cadre du pacte fiscal sur la diminution de la dépendance municipale à l’impôt foncier, car ces transferts offrent des marges de manoeuvre intéressantes. D’autre part, la coupure annoncée dans le pacte fiscal est importante et risque de provoquer un resserrement chez les municipalités de leurs responsabilités de base, soit le coeur du modèle municipal traditionnel canadien. Or, l’application d’une mesure homogène dans un territoire différencié se traduira mécaniquement par des effets divergents selon les municipalités et les MRC.

Cette diminution des moyens rendus disponibles par le gouvernement dans le cadre du pacte fiscal doit également être mise en rapport avec l’élimination d’autres mesures par lesquelles le gouvernement soutenait les municipalités dans leur vocation de développement local. En réalité, le gouvernement a tellement affaibli la Politique nationale de la ruralité (PNR) que la réforme la confine à une liquidation, y compris celle des pactes ruraux conclus avec les MRC depuis 2001 et qui avaient pourtant donné satisfaction (Allie, 2009).

CONCLUSION

Ce bref retour sur l’histoire de la politique institutionnelle du territoire au Québec permet de replacer les réformes du gouvernement de Philippe Couillard dans la tension entre le temps long du modèle canadien des municipalités et le temps plus court des réformes régionales qui ont donné à la politique territoriale de cette province toute sa spécificité. Cette perspective permet notamment de montrer que les réformes constituent à ce jour le dernier épisode d’une remise en cause du modèle régional et concerté qui avait, un temps, caractérisé le Québec. Pour ce faire, le gouvernement a usé à la fois des politiques institutionnelles, mais aussi d’instruments fiscaux plus discrets, afin de déplacer le centre de gravité du pouvoir local au bénéfice des élus locaux et, en particulier, des plus puissants d’entre eux, c’est-à-dire les élus urbains. Il a fallu pour cela saborder l’échelle régionale et miner l’autonomie des organismes de concertation — bref, opérer une rapide et efficace désinstitutionnalisation du modèle québécois de développement régional et local. Il en résulte un « nouvel » équilibre du pouvoir dont la nouveauté est un trompe-l’oeil, car l’effet premier des réformes des gouvernements libéraux de Jean Charest et Philippe Couillard est de fermer la parenthèse régionale ouverte à la fin des années 1990 pour rabattre le système territorial provincial sur le modèle municipal traditionnel canadien.

Toutes ces mesures récentes sont d’autant plus intéressantes qu’elles appellent les chercheurs à refaire leurs devoirs. Attachés depuis trente ans à documenter les politiques constitutives (Duran et Thoenig, 1996), l’empowerment (Ninacs, 2002) ou encore les succès substantiels de la PNR (Joyal et El Batal, 2007), ceux-ci n’ont pas vu venir des mesures qui découragent l’encastrement de l’action municipale dans la société civile territoriale et considèrent que la politique rurale distrait des vrais enjeux municipaux (lire urbains). L’aspect le plus significatif réside peut-être dans le calibrage de ces réformes. Un peu marginalisés dans les réformes de la fin des années 1990 (qui avaient fait porter le poids de l’austérité budgétaire sur l’ensemble de la société locale, y compris la société civile), les élus locaux se trouvent être désormais les seuls acteurs à la barre au coeur d’une tempête parfaite, où toutes les mesures de concertation et de financement sont fragilisées.

Ce faisant, le gouvernement prend parti pour une redéfinition significative de la politique territoriale, appelée à rester localisée, politisée et uniformisée. Le développement sera d’abord localisé, parce que l’abolition des régions (phénomène assez rare dans un fédéralisme qui fonctionne sur un mode incrémentaliste) transfère la responsabilité du développement aux seules municipalités, désormais promues au rang de maillon fort des territoires. Il reste cependant à voir si le partenariat province/MRC compensera les anciennes ententes-cadres conclues avec les régions, notamment dans un contexte de sous-développement récurrent des ressources financières et humaines des municipalités, comme en témoignent les revendications de l’Union des municipalités du Québec (2013). Le développement sera ensuite politisé, en ce sens que l’évincement des acteurs non politiques renforce bien entendu la centralité des élus locaux. Il reste à saisir quel sera l’effet concret d’une imputabilité qui, même vertueuse en soi, devient plus ambiguë en période de vaches maigres, de crise de légitimité du politique et de contestations citoyennes croissantes. Enfin, le développement se fera de manière uniforme sur l’ensemble du territoire provincial, conséquence d’une politique mur à mur pour l’urbain et le rural qui est d’autant plus audacieuse qu’aucune mesure de transition ou de différenciation n’est envisagée à l’échelle régionale.

Cette analyse nous amène à poser un regard désenchanté sur la politique territoriale de l’État québécois et sur sa difficulté à combler le décalage entre dynamiques urbaines et rurales, manifeste en période d’austérité budgétaire. Répétons-le : l’austérité budgétaire est une politique territoriale, parce qu’elle s’accompagne de mesures politiques qui visent à en répartir les coûts et les bénéfices dans l’espace et qui peuvent prendre des formes très différentes. Or, la comparaison entre la présente politique territoriale d’austérité et celle de la fin des années 1990 est précieuse pour souligner deux modalités d’institutionnalisation du territoire national. Dans un esprit de géométrie institutionnelle abrupt, le gouvernement avait instauré en 1998 un cadre solide, mais pesant, pour favoriser l’intégration des acteurs territoriaux et leur capacité à faire face collectivement aux impacts des mesures d’austérité. Pariant sur l’esprit de finesse des paramètres financiers, le présent gouvernement privilégie la désinstitutionnalisation pour impulser un mouvement d’agrégation des dynamiques territoriales autour des seuls acteurs qui disposent d’une légitimité politique et à qui l’on demande de dépasser par leur leadership les contraintes de l’austérité. Ce sont là deux politiques institutionnelles d’austérité qui choisissent leurs territoires : la politique d’intégration de 1998 avait mal reconnu les zones urbaines sur le mode de l’intégration obligatoire, alors que celle de 2015 sacrifie les zones rurales sur le mode de l’agrégation contrainte. Est-il vraiment impensable de mettre en place une politique nationale de développement qui offrirait des politiques territoriales différenciées pour tenir compte à la fois de la densité des zones centrales et des distances marquant les zones périphériques, afin de négocier des logiques mixtes entre intégration et agrégation?

Le scénario du pire ne va toutefois pas nécessairement se concrétiser. Car, s’il est vrai que le gouvernement actuel a une grande part de responsabilité dans le problème auquel sont confrontées les zones rurales, la solution pourrait aussi venir des élus locaux, qui sont désormais le pivot essentiel du développement territorial. Une fois la lune de miel terminée, il sera intéressant d’observer le processus de recomposition du rôle des élus, particulièrement en milieu rural, maintenant que ces derniers sont dégagés des lourdeurs du modèle québécois. Alors qu’ils devront se focaliser à court terme sur leur rôle traditionnel (essentiellement les services aux contribuables), les élus pourraient perdre progressivement de leur pertinence dans les grands enjeux sociétaux de la gestion des territoires – sauf, qui sait, s’ils sont rappelés à l’ordre par ces contribuables qui sont aussi des citoyens et qui n’hésitent plus à faire valoir leurs revendications face aux grands projets. Dans un contexte de plus en plus marqué par les tensions territoriales, on ne peut qu’être perplexe par rapport à la disparition des institutions régionales, laquelle abolit un lieu de rencontre avec la société civile, mais aussi d’action collective par laquelle les élus exerçaient des responsabilités qui sortaient de la gamme de leurs missions traditionnelles. Une autre voie est cependant possible, parce que les élus ne sont pas complètement déterminés par les choix politiques faits par l’État. Dans certaines régions, l’idée d’une concertation régionale reste bien ancrée et amène les acteurs à chercher des espaces institutionnels qui permettent de maintenir les façons de faire du passé (Fortin et Brassard, 2015). L’uniformisation portée par la réforme ne supprime donc pas toute la pluralité des formes de prise en charge du développement territorial qui semble vouloir se manifester à l’échelle des diverses régions. Autrement dit, nul besoin d’avoir une conception optimiste de l’empowerment pour imaginer son impact majeur sur le devenir des territoires, quant au marché global, aux distances géographiques et aux politiques défavorables de l’État. Fais ce que dois...