Abstracts
Résumé
Après le paradigme de la bipolarité et de l’étatisme, la coopération au développement est entrée dans une nouvelle ère depuis la fin de la guerre froide et l’échec des programmes d’ajustements structurels au Sud. Le modèle qui en résulte est celui de la multipolarité et de la « marchéisation » (le NPCD). En conséquence, cet article présente les grandes évolutions de la politique d’aide au développement, les résultats du nouveau paradigme en vigueur et les enjeux qui en résultent pour le développement des pays partenaires. L’auteur arrive à la conclusion que le NPCD gagnerait à restituer toute leur épaisseur historique aux pays partenaires.
Abstract
After the paradigm of bipolarity and state control, the cooperation on development entered in a new area since the end of the cold war and the failures of structural adjustment programs in the South. The new model is the paradigm of multi-polarity and the expansion of market mechanisms. Thus, this article presents the big evolutions of the aid development policy, the results of the new paradigm and the stakes for partners’ countries. The conclusion is that the NPCD must consider partners countries as autonomous historic entities.
Resumen
Tras el paradigma de la bipolaridad y del estatismo, la cooperación al desarrollo ha entrado en una nueva era desde el final de la Guerra Fría y el fracaso de los programas de ajuste estructural en el Sur. El modelo resultante es la multipolaridad y el liberalismo económico (NPCD). En este marco, el artículo da cuenta de los principales cambios en la política de ayuda al desarrollo, para mostrar los resultados del nuevo paradigma vigente y los desafíos resultantes para el desarrollo de los países socios. Se concluye que la NPCD debería considerar a los países socios como entidades históricas autónomas.
Article body
Introduction
La stratégie de développement et les objectifs de la coopération au développement ont changé en même temps que le contexte géopolitique. Ainsi, le paradigme de la bipolarité et de l’étatisme fut en vigueur des années 1950 aux années 1989. Durant cette période, le contexte était celui de la naissance de nouveaux États indépendants et de la guerre froide. La stratégie de développement se confinait au volontarisme d’État (industries lourdes, import-substitution, satisfaction des besoins de base, équilibre agriculture/industrie). Et l’objectif de l’aide devint alors la structuration du tiers-monde entre anticommunisme et anticapitalisme de guerre froide. Ces données se sont modifiées depuis 1989, le nouveau contexte géopolitique s’articulant autour de la multipolarité, de la mondialisation et des enjeux sécuritaires du système-monde[2]. La stratégie de développement s’est centrée sur les grands équilibres macroéconomiques, la stabilisation financière, la dérégulation, la privatisation et la promotion des exportations. L’objectif de l’aide a mué vers la réduction des risques globaux par la construction de la sécurité transnationale (sanitaire, financière, lutte contre le terrorisme et l’immigration clandestine), le soutien aux collapsed states et la promotion du marché comme moteur du développement. Le résultat est un modèle qu’on peut qualifier de paradigme de la multipolarité et de la « marchéisation ». Il s’agit du NPCD, dont l’objectif sociopolitique semble être d’atténuer les effets régressifs et déstabilisateurs de la mondialisation économique. Nous nous proposons d’en faire une analyse critique.
Notre analyse consiste non seulement à mettre en évidence l’impact du soubassement théorique, conceptuel et idéologique de ce modèle sur la conception du processus de développement des pays partenaires, mais aussi à montrer quelle est la nature de son discours par rapport à la trajectoire sociopolitique et économique des pays assistés. Le NPCD engage l’avenir des peuples et ne peut, de ce fait, être tenu à l’écart des grands débats scientifiques planétaires qui participent à la reconfiguration des liens entre la science et l’épanouissement des sociétés. Cette situation est-elle réellement prise en compte dans le NPCP? Autrement dit, le mode opératoire du nouveau paradigme s’applique-t-il dans la praxis ou reste-t-il seulement théorique, conceptuel? Et, dans ce cas, quelles en sont la nature et l’implication sur l’approche de la dynamique des pays partenaires? Cet article essaie de répondre à ces questions en trois parties. Dans la première partie, nous présentons l’historique de l’évolution du paradigme de la coopération au développement. Dans la deuxième, nous analysons les implications du soubassement conceptuel et idéologique du NPCD sur le processus de développement des pays partenaires. Dans la troisième, enfin, nous traitons d’un possible modèle alternatif de coopération au développement basé sur le soutien aux institutions historiques performantes. Nous insistons par ailleurs notamment sur la loi belge de coopération au développement et la politique de coopération de l’Union européenne (UE) pour deux raisons : nous maîtrisons mieux la loi belge sur la coopération au développement pour avoir été un de ses évaluateurs en juin-juillet 2008. Par ailleurs, l’UE contribue à hauteur de 60 % à l’aide mondiale. D’où la prise en compte dans l’analyse de son code de conduite de 2007. Cet article est un aperçu des pratiques dominantes des pays du G8, qui ne sont pas les seules sur le terrain. De même, ce que nous appelons le NPCD n’exclut pas que certaines logiques de l’ancien paradigme s’y trouvent encore. Il comprend cependant assez de nouveaux paramètres pour en faire un nouveau modèle malgré des éléments de filiation avec le paradigme de la bipolarité et de l’étatisme.
Historique de l’évolution du paradigme de la coopération au développement
Comprendre les motivations profondes du NPCD exige de planter le décor de la conjoncture politique, économique et géopolitique internationale dans laquelle il voit le jour.
Le paradigme de la bipolarité et de l’étatisme : l’aide comme instrument de marquage géopolitique
L’implosion du bloc de l’Est, les ajustements de Maastricht et le triomphe du néolibéralisme économique
Après les Trente Glorieuses, où le haut niveau de croissance du régime d’accumulation fordiste a permis aux pays industriels d’augmenter progressivement leur contribution à l’aide publique au développement (APD), la plupart des pays donateurs entrent en crise dans les années 1970. En Europe, les ajustements budgétaires qui en résultent ont pour objectif une réduction des dépenses publiques qui, ajoutée aux critères de Maastricht, entraîne une contraction des montants versés aux pays en développement sous forme d’APD. Cette aide publique connaît ainsi une baisse constante en valeur agrégée depuis les années 1990[3] avant les Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD). À cette gestion rigoureuse des dépenses publiques s’ajoutent non seulement le désengagement des plus grands donateurs que furent le Japon et les États-Unis (Amougou, Lapeyre et Ngalamulume, 2007), mais aussi la découverte de nouveaux partenaires en Europe de l’Est. Dans ce contexte, les demandes de développement venues d’anciens pays satellites de l’URSS s’ajoutent à celles des pays du Sud et excèdent les offres de ressources des pays industriels. Des réorientations politiques s’imposent pour pouvoir approvisionner efficacement « un marché mondial de l’aide » (Ballet, Dubois et Mahieu, 2005)[4] en expansion physique, alors que le nombre de donateurs n’a pas changé. En conséquence, de nombreux donateurs commencent à dénoncer le manque de résultats positifs et tangibles de l’APD. Sont pointés du doigt : le gaspillage de ressources accordées sans contrepartie et la mauvaise gestion des élites et des bureaucraties des pays assistés. Les années 1980 révèlent aussi la faillite de nombreux États du Sud en mettant en évidence le haut niveau d’endettement international qu’ils connaissent malgré d’abondantes ressources engrangées en termes de coopération au développement depuis leurs indépendances. Deux conséquences s’ensuivent. D’abord, on observe une divergence dans le régime de coopération au développement entre les États-Unis qui privilégient la stratégie « commerce mais pas d’aide » et l’Europe qui s’oriente vers la modalité « commerce et aide » (Petiteville, 2002; Amougou, 2007). Ensuite, la Banque mondiale et le FMI exigent des critères d’évaluation de l’aide au développement : l’élaboration de programmes avec les demandeurs de développement naît. D’où l’amorce d’un processus de renoncement progressif à l’autonomie discrétionnaire des politiques de coopération au développement.
L’impact des bouleversements géopolitiques et des ajustements économiques
Le secteur de la coopération au développement va donc connaître une transfiguration globale tant dans le but de soutenir l’objectif d’aider les pays du Sud à s’organiser d’une manière compatible avec la nouvelle orthodoxie libérale en matière de développement qu’en vue de sortir des échecs du passé. En effet, la coopération au développement s’est jusque-là développée dans deux grands modèles sanctionnés par des banqueroutes. Le modèle de l’État-développeur (1960-1980), qui, pendant la guerre froide, a vu la coopération au développement plus comme un instrument de marquage géopolitique (au nom du « Bien », d’une responsabilité historique, de la charité internationale et des luttes d’influence) (Ballet, Dubois et Mahieu, 2005; Hours, 1998) que comme un soutien au développement des pays du Sud. Et le modèle des PAS (1980-2000), qui a mis en avant les contraintes de démocratie, de bonne gouvernance, de ciblage stratégique et d’accountability.
Ces modèles ont en outre mis l’expert au centre de la coopération au développement. Par conséquent, les sociétés civiles du Sud n’étaient pas considérées comme des acteurs à part entière d’un processus de développement dont l’aide internationale a longtemps emprunté les circuits publics (subventions et dons) et pris la forme de bien public. Les experts nationaux ou expatriés étaient les seuls capables d’évaluer la faisabilité et l’utilité des projets de développement qui prenaient la forme de programmations optimales et laissaient peu de place à la responsabilité mutuelle. Avec la crise de l’État-développeur au Sud et les effets sociaux désastreux des PAS qui lui ont succédé, la stratégie top-down et purement idéologique introduite par les PAS a vu sa crédibilité largement entamée. Les aspects culturels, historiques et sociaux sont reconnus centraux par les pays donateurs et les institutions financières internationales : les acteurs locaux non étatiques doivent désormais y participer afin que les projets de développement puissent augmenter leur acceptabilité et leur appropriation culturelles pour en renforcer les chances de réussite.
Le paradigme de la multipolarité et du libéralisme économique (NPCD) : à la recherche d’une plus grande rationalisation de l’APD
Les composantes du NPCD
La première composante du NPCD est issue de la crise de la dette du tiers-monde. Elle est principalement constituée des deux mécanismes de traitement de celle-ci que sont l’initiative pour les pays pauvres très endettés (PPTE), née en 1996, et l’initiative pour l’annulation de la dette multilatérale (IADM), adoptée en 2005. Une deuxième composante est constituée de nombreuses déclarations et de consensus sur la coopération multilatérale (la déclaration du millénaire de 2000 [OMD]; les accords de partenariat économique [APE] de 2000 entre l’UE et les ACP; le consensus de Monterrey de 2002; la déclaration de Johannesburg de 2002; la déclaration de Rome de 2003; le mémorandum conjoint de Marrakech de 2004; la déclaration de Paris de 2005; le consensus européen sur le développement de 2005; le plan d’action pour l’efficacité de l’aide de 2006; le code de conduite de l’UE de 2007; la déclaration de Copenhague de 2009). Une troisième composante est représentée par des lois nationales régissant la coopération bilatérale au développement (loi belge, loi suisse, loi néerlandaise…). Une quatrième est le rôle grandissant de nombreux donateurs privés, comme les fondations Bill et Melinda Gates et Conservation International, qui jouent un rôle de plus en plus important dans ce domaine (Michaïlof, 2006). Enfin, un cinquième aspect du NPCD est mis en évidence par l’arrivée de nouveaux pays donateurs comme la Chine, l’Inde, le Brésil, l’Égypte, l’Afrique du Sud et l’Argentine.
Nous insisterons cependant uniquement sur les OMD, les APE, le code de conduite de l’UE, la déclaration de Paris de 2005, le consensus de Monterrey et la loi belge sur la coopération du 25 mai 1999. La Déclaration de Paris sur l’efficacité de l’aide semble être le texte qui reprend les préoccupations globales tant des autres déclarations relatives à la coopération multilatérale que des lois nationales régissant la coopération bilatérale. Elle met l’accent sur l’appropriation, l’harmonisation, l’alignement, une gestion axée sur les résultats et une responsabilité mutuelle[5].
Les grands chantiers internationaux du NPCD
Le NPCD est aussi le résultat des politiques mises en place pour réguler les équilibres mondiaux en s’attaquant aux « grandes peurs du 21e siècle » : le développement non durable, l’épidémie du VIH-sida, le terrorisme et l’extrême pauvreté considérés comme des « risques systémiques » à combattre à l’aide de politiques globales (Kaul, Grunberg et Stern, 2002). Autant le développement des moyens de transport et le brassage des populations entraînés par la mondialisation ont mis en évidence le VIH-sida comme un problème global que le Sud et le Nord doivent affronter de façon solidaire, autant les interdépendances induites par le « village planétaire » entérinent le destin commun des bailleurs de fonds et des pays partenaires au sein d’un monde dont les équilibres écologiques et climatiques sont de plus en plus hypothéqués. La lutte contre le terrorisme, les OMD en 2000 et le sommet de Johannesburg en 2002 n’ont fait que renforcer ces constats. D’où un aggiornamento par des politiques globales particulières au sein desquelles le développement devient un instrument de régulation des grands problèmes mondiaux actuels.
Le renforcement des capacités institutionnelles des pays partenaires, autre objectif prioritaire du NPCD, entre donc en droite ligne de cette politique sécuritaire où les États faibles ou défaillants sont considérés comme des dangers pour l’ordre international (Senarclens, 2003; Fukuyama, 2005). En conséquence, la construction ou la reconstruction des États (state-building) est une forme de « guerre préventive» contre les futures menaces que l’instabilité et l’incapacité de tels États peuvent développer à l’encontre de la stabilité mondiale. Dans cette perspective, les politiques générales des pays donateurs insistent notamment sur l’immigration illégale, le terrorisme, l’emprise des cartels de drogue et les réseaux criminels comme des menaces pour le Nord.
Les résultats de la praxis du NPCD
Les résultats de la praxis du NPCD sont de deux ordres : les déclarations d’intention sans valeur juridique contraignante et les réalisations concrètes à parfaire.
On observe donc d’abord le voeu d’une aide au développement qui serait de moins en moins un instrument de marquage géopolitique, pour devenir un vrai soutien au développement des pays partenaires. Le caractère hautement politique de l’aide (Hugon, 1973; Jacquet et Naudet, 2006) explique pourquoi cet objectif est difficilement atteignable. Il est en effet très peu probable que le marquage géopolitique de l’aide puisse avoir cessé avec la fin de la guerre froide, étant donné que cette fin n’est en aucun cas celle des enjeux géostratégiques et des rapports hégémoniques entre pays : il y a donc toujours de l’ancien paradigme dans le nouveau, malgré la grande rupture contextuelle et opérationnelle. L’aide y sert toujours d’instrument avec l’avantage politique qu’a le NPCD de prétendre s’aligner sur les politiques de développement des pays partenaires. Or, ces derniers étant majoritairement sous ajustement structurel, l’alignement en question se fait sur les PAS au sein desquels les pays partenaires n’ont pas grand-chose à dire. Cette réalité entame l’appropriation réelle que promeut le NPCD étant donné qu’il préfère de plus en plus avoir recours à l’aide budgétaire en ce qui a trait aux modalités d’aide et à la prévisibilité de celle-ci, alors que les budgets des PPTE sont arrêtés par les experts du FMI.
La fin de l’aide liée se situe également dans ce même registre des déclarations qui n’engagent que ceux qui y croient. En effet, même si l’aide liée représente aujourd’hui moins de 8 % de l’aide bilatérale mondiale, comparativement à 55 % en 1980 (Michaïlof et Severino, 2006), la difficulté d’atteindre cet objectif découle du fait qu’on aide difficilement pour rien. La relation d’aide étant intrinsèquement asymétrique de type principal/agent, le donateur (principal) dicte toujours implicitement ou explicitement des orientations qu’exécute le pays partenaire (l’agent) qui reçoit des ressources techniques ou financières. Le donateur transmet donc inévitablement des valeurs par le canal de l’aide, étant donné que « la main qui reçoit est toujours en dessous de celle qui donne » (Gabas, 2002; Jacquet, 2006). Il aide soit pour promouvoir chez le récipiendaire un style de vie qu’il juge meilleur, soit pour entraîner l’actualisation d’un état du monde qui est rentable pour lui.
Par ailleurs, certains résultats effectifs sont à parfaire. C’est le cas de la sortie de la crise de l’APD des années 1990 que certains voyaient comme un vestige du XXe siècle condamné à rejoindre « le cimetière des grandes illusions humanistes » (Severino, 1990). Le sommet de Monterrey fut pour beaucoup dans la sortie de cette « fatigue de l’aide » (Balleix, 2008) en réaffirmant solennellement l’engagement des pays donateurs à accroître significativement leurs aides, et celui des pays récipiendaires à améliorer leur gouvernance. Mais, comme le disent les Africains, « une aide n’a jamais réussi à labourer tout un champ ». En outre, le fait que l’appropriation réelle soit à la fois une condition de l’efficacité de l’aide (Johnson et Wasty, 1993; Lienert, 1998; FMI, 1998; Tripp, 2003) et une variable dépendante des capacités de financement et des moyens en capital humain et institutionnel des partenaires reste un problème difficile à surmonter, tant les pays assistés sont souvent en situation de carences dans ces domaines.
Dans le cas de la Belgique, le NPCD a permis d’arrêter la politique des « éléphants blancs » par l’adoption d’une loi qui déconnecte la politique de coopération au développement des intérêts mercantiles des milieux industriels, et intègre plus la coopération au ministère des Affaires étrangères. Cette loi a aussi entraîné non seulement une séparation entre les unités qui conçoivent la politique de coopération et celles qui l’exécutent sur le terrain, mais aussi une plus grande implication de la société civile par le biais de la coopération bilatérale indirecte assurée par les ONG. L’évaluation de cette loi en 2008 souligne cependant des conflits d’intérêts entre la vision diplomatique globale, la recherche du rayonnement commercial, les problématiques de développement des pays partenaires et les intérêts des techniciens.
Le soubassement conceptuel et idéologique du NPCD : ses effets sur la conception du développement des pays partenaires
Le NPCD se présente de façon déclamatoire, prescriptive et surtout fonctionnelle en fixant ce que doivent faire les cocontractants pour que la coopération au développement soit plus efficiente. Ses contours idéologiques, pourtant fondamentaux dans l’analyse et la conception du processus de développement des pays partenaires, ne sont pas discutés. C’est comme si le consensus autour des « objectifs nobles » que sont les OMD stérilisait les analyses et construisait un accord tacite sur ses orientations. L’analyse sera restreinte à certains des enjeux connexes au NPCD en essayant de démontrer que l’impossibilité de perpétuer un type de discours rendu non valide par une nouvelle conjoncture entraîne la production, par les acteurs historiques dominants (pays industriels), d’un nouveau type de discours qui ne perd pas pour autant la mémoire de dominance qui le lie à l’ancien.
Une permanence et une reproduction d’un discours classificatoire et de dominance
Foucault (1969) a, en effet, montré que les discours pouvaient être envisagés comme « des pratiques qui forment systématiquement les objets dont ils parlent ». Articulés aux autres pratiques sociales, ils ont la capacité de construire les catégories sociales et leurs rapports de places (Dufour, 2007). Il apparaît ainsi que le NPCD n’est qu’une simple rupture rhétorique dans la continuité de la dominance, au sens relationnel, des pays donateurs sur les pays partenaires. Le discours du NPCD se situe en effet en droite ligne de la nature classificatrice et évolutionniste qui constitua le soubassement idéologique de la traite négrière, de la colonisation et de la décolonisation. Si « la politique coloniale est fille de la politique industrielle » (Jules Ferry), la décolonisation et l’indépendance des colonies sont filles de la Deuxième Guerre mondiale, alors que le développement et l’aide y afférente sont enfants de l’idéologie du progrès qui, elle-même, a déjà été un argument de poids de « la mission civilisatrice » (Dufour, 2007). Par ailleurs, l’appropriation, la participation et la responsabilisation des pays partenaires que vise la déclaration de Paris ne sont pas des nouveautés. Elles sont déjà présentes dans les préoccupations des conférences de Brazzaville de 1944 et afro-asiatique de Bandung en 1955.
Donc, si nous tenons compte du fait que l’histoire de nombreux pays partenaires implique nécessairement la coexistence de durées multiples, de contemporanéités et d’écarts dus aux effets contradictoires des devenirs (Akoun, 2001), alors la traite négrière, la colonisation, la décolonisation, les indépendances, le développement et l’aide au développement semblent être des points nodaux successifs d’une même dynamique instaurée par des acteurs historiques dominants, et dont les pratiques de dominance changent avec les mutations des paradigmes désignationnels. Ceux-ci créent de nouveaux statuts (maître/esclave, colonisé/colonisateur, colonie/métropole, pays développés/pays sous-développés, pays donateurs/pays donataires) entre des acteurs en interaction. Hugon (2001) parle de la réapparition des trois M (marchands, militaires et missionnaires) de la période coloniale. En effet, autant l’anti-esclavagisme s’est révélé être une conception moderne et plus efficace de la colonisation, autant le NPCD semble plus une modernisation efficiente de la dominance des donateurs sur les pays partenaires qu’un nouveau partenariat où la participation et l’appropriation réelles seront effectives. Ceci est confirmé par les études du FMI qui montrent que la participation et l’appropriation des réformes ne peuvent être effectives que si le pays partenaire a une grande surface financière pour soutenir ses projets, qu’il possède un capital humain très performant pour les réaliser ou, alors, qu’il représente un grand poids stratégique à l’échelle mondiale (Kayizzi-Mugerwa, 2003).
Remplir ces conditions reste plus une exception qu’une règle pour plusieurs pays partenaires. L’aide demeure donc liée à la volonté des donateurs qui fixent les modalités de sa gestion. Les conditionnalités ont tout simplement changé de nature. Elles se déclinent actuellement en démocratisation, respect des droits de l’homme, égalité hommes/femmes et construction de l’État de droit. Ce sont les nouveaux critères de « civilisation[6] » qui succèdent à ceux du discours colonial que remplace actuellement celui sur le développement. La conception du développement du NPCD est donc tributaire du même paradigme des Lumières qui croyaient en la perfectibilité des choses, de la nature et de l’homme et qui avaient la puritaine arrogance de considérer l’Occident comme fondateur de ce savoir, ayant donc la noble mission de l’apporter aux peuples et aux civilisations primitifs. L’idéal colonial, l’idéal missionnaire et l’idéal de la coopération au développement se rejoignent ainsi dans une sorte de solidarité des desseins fondée sur le consensus classificatoire : la supériorité du mode de vie dit civilisé/développé (riche et moderne), sur celui dit non civilisé/sous-développé (pauvre et traditionnel). Un tel raisonnement est pourtant contredit par les Development Studies, qui y décèlent un ethnocentrisme paradigmatique qui en entame la validité scientifique. Ensuite, alors que le modèle de développement dominant montre ses impasses en matière de stabilité des systèmes financiers, de protection de l’environnement et de sécurisation collective de la vie en société (Donzelot, 2006), le NPCD se fonde toujours sur une triple base « humanitaire », « politique » et « économique » qui cherche à le reproduire au Sud. Enfin, si l’ingérence change de forme, elle persiste dans le NPCD (voir le tableau 1).
D’où le constat que la structure du discours qui fait aujourd’hui du « bon pays partenaire » celui qui gère bien l’aide au développement est exactement la même que celle du discours qui, hier, fit du colonisé docile « un bon sauvage » et du colonisé indocile, « un mauvais sauvage » (Balandier, 2003 et 2004). Cette recomposition (inconsciente?) des thèmes anciens de l’imaginaire de l’ordre de la dominance est à remettre en question dans l’approche du développement des pays partenaires car, comme le disait Balandier en 1946 en partant du Sénégal : « Je laissais une société en décombres, des ruines paraissant justifier la condamnation d’une civilisation qui s’était pourtant voulue missionnaire. »
Le modèle de développement de « la machine à sous »
Le tableau 2 donne les concepts de base du NPCD. Fait capital, ce tableau représente une épistémè. C’est-à-dire le cadre général de la pensée et des savoirs à partir duquel le NPCD perçoit et analyse le développement des pays partenaires. Étant donné, d’une part, que les signifiants que représentent les tableaux 1 et 2 ne peuvent être neutres sur le signifié qu’est le développement des pays partenaires et, d’autre part, qu’il est impossible de séparer la théorie qu’ils construisent de la praxis (l’action des donateurs sur le réel), il est fondamental de mettre en évidence la logique sous-jacente. Confrontons cette épistémè à l’analyse de Fernand Braudel (1985) pour qui la longue durée ne met pas seulement en évidence l’évolution des phénomènes et de leurs acteurs suivant un axe de succession. Elle étudie aussi l’ordre de leur coexistence, c’est-à-dire leurs structures. L’analyse que propose Braudel permet donc de sortir du temps exogène et révèle toute la richesse de la longue durée dans laquelle le caractère dynamique et reproductible d’un ensemble de phénomènes socioéconomiques et politiques enfouis dans les multiples strates profondes de l’histoire matérielle et spirituelle des populations se démontre. Ainsi, même si le temps court de l’événement est aussi important que le temps moyen des cycles économiques, la supériorité de la longue durée tient en ceci qu’elle englobe toutes ces temporalités et permet de lier plus clairement présent, avenir et passé dans un mouvement où tout se tient et s’influence sur le plan national et international.
Le NPCD ne va pas dans ce sens. Il a pour objectif central une plus grande efficacité/efficience de l’APD et se caractérise par une approche du développement où la vitesse, les calculs arithmétiques et le court terme ont une place de choix (voir les tableaux 2, 3 et 4). En effet, la fréquence des évaluations et des contrôles de l’aide est en hausse. Entérinée en 2005, la déclaration de Paris a déjà par exemple été évaluée en 2006, 2008 et elle le sera encore en 2010 (OCDE, 2006). D’où la naissance d’une approche du développement où la vitesse et l’urgence des résultats l’emportent sur la maturation et la sérénité des institutions : c’est le modèle de développement de la machine à sous par analogie avec des automates où l’argent est mis dans un orifice et le produit voulu – une canette de coca-cola par exemple – instantanément récupéré dans un autre[10].
Il va sans dire que le tableau 2 montre un glissement conceptuel vers les méthodes de management d’inspiration anglo-saxonne. Les principes d’efficience, d’efficacité, de monitoring, d’accountability, d’évaluation et de gestion par les résultats en sont issus et ont été vulgarisés par les institutions financières internationales (Amougou, 2007). L’enjeu en matière de développement est moins au regard de leur origine anglo-saxonne et managériale que des conséquences sur la dynamique sociopolitique et économique des pays partenaires. Avec ces principes de gestion comptable accordant une importance capitale au ciblage et au chiffrage (voir le tableau 4), les résultats positifs d’un bilan ou d’une évaluation perdent généralement de vue qu’un bilan négatif ou un déficit public peuvent être compatibles avec une politique de relance qui entraîne un bien-être sociopolitique, alors qu’un équilibre budgétaire peut être obtenu au prix d’une hausse de la précarité et de la vulnérabilité à la suite d’une inféodation des objectifs sociaux aux objectifs comptables et financiers.
À titre d’exemple, les PAS se sont traduits au Sud par une hausse de la précarité et de la pauvreté massive, alors que les pays partenaires avaient de nouveau rééquilibré leurs budgets et privatisé les entreprises publiques. Le développement des pays partenaires connaît donc une hypertrophie des contrôles comptables et financiers au service d’une efficience mécanique dont la logique individualiste et froide issue de la contrainte avantages/coûts évince la construction du lien social et la dimension holiste du développement au sein d’un État. Ce qui met entre parenthèses le politique, l’histoire et la culture en tant que paramètres qui tiennent les hommes ensemble dans un rapport de verticalité (dirigeants/populations) et d’horizontalité (populations entre elles) : au lieu que ce soit la dynamique sociopolitique des pays partenaires qui produise et oriente les chiffres, ce sont ces derniers qui structurent et orientent leurs projets de société au point d’entraîner un enfermement comptable du processus de développement. Qui plus est, ces systèmes de gestion et de comptabilité financière ne sont pas simplement des outils neutres de gestion technique au service de l’efficience. Dès lors que ce sont les méthodes comptables qui déterminent les projets de société, les chiffres induisent non seulement un appauvrissement ontologique de ceux-ci, mais aussi des pratiques qui modulent et formatent toute une société au point de détruire les modes sociaux d’entrer en rapport (Burchell, Clubb, Hoopwood, Hughes et Nahapiet, 1980; Appadurai, 2005).
Contrairement à ce que montrent les études du développement, l’orientation conceptuelle et temporelle du NPCD entraîne une contradiction : au lieu que les ajustements financiers de court terme soient contraints par le développement, comme le montre la dynamique passée de nombreux pays occidentaux, c’est le processus de développement des pays partenaires, phénomène de long terme, qui est contraint par des objectifs de court terme (voir le tableau 3). Le temps, largement conçu comme un flux dans de nombreux pays partenaires – africains notamment –, devient ainsi un stock de ressources à maximiser dans un objectif de rattrapage. Il apparaît ainsi comme une approche particulière du développement où le temps court des événements (projets, élections organisées par les bailleurs de fonds, programmes, évaluations) et le temps moyen de la conjoncture (NPCD) l’emportent sur le temps long de l’histoire, qui est celui du développement. Sans possibilité de s’implanter durablement, les formes de vies existantes ou esquissées ne peuvent plus servir de cadre de référence aux actions humaines et aux stratégies à long terme en raison de leurs faibles espérances de vie : elles durent moins de temps qu’il n’en faut pour élaborer une stratégie de développement commune et cohérente (Bauman, 2004).
Le nouveau marketing de l’aide publique au développement
Le tableau 2 montre aussi l’intrusion, dans le NPCD, des concepts de marketing commercial et du commerce international. C’est respectivement le cas du concept qualité-prix de l’APD et des avantages comparatifs du code de conduite de l’UE. S’agissant du meilleur rapport qualité-prix de l’APD que vise la loi belge, il faut noter que le développement des pays partenaires ne peut être soutenu à bon escient par une coopération où les rapports entre donateurs et partenaires se réduisent à la facticité d’une approche mercantile où le pays partenaire est assimilé à un produit commercial dont le pays donateur n’accepte de payer le prix (aide au développement) que si sa qualité en vaut la peine (capacité institutionnelle, résultats de l’aide reçue). Le concept qualité-prix de l’aide peut être pernicieux en matière de coopération au développement.
Contrairement à un produit commercial où le rapport qualité-prix a toute sa pertinence, celui-ci n’a aucun sens lorsqu’il s’agit d’un pays en développement. Les plans d’investissement des pays du Sud sont structurellement si élevés que ce qu’un pays donateur considère comme le meilleur rapport qualité-prix de son aide est difficilement synonyme de développement pour eux. D’où deux problèmes. D’abord, l’absence de contraste dans l’analyse afin de montrer que le rapport qualité-prix en France, par exemple, n’est pas identique au rapport qualité-prix dans un pays partenaire, parce que les territoires, les acteurs, les problèmes auxquels ils doivent faire face et les niveaux de développement ne sont pas les mêmes. Ensuite, le problème de la conceptualisation unilatérale du NPCD entraîne « une vision erronée du réel des autres » (De Sardan, 1989). Les pays partenaires sont ainsi considérés soit comme l’envers des sociétés industrielles, soit comme une version simplifiée et élémentaire de celles-ci. Le développement se confond dès lors avec le cycle de vie d’un produit commercial dont toutes les phases de perfectionnement et leurs rapports qualité-prix sont déjà programmés à l’aide de simulations censées prévoir tous les états possibles du monde.
Le code de conduite de l’UE introduit la spécialisation et les avantages comparatifs. En conséquence, le NPCD annonce que chaque pays donateur doit se spécialiser dans le secteur, le thème et la zone géographique où son avantage comparatif par rapport aux autres pays donateurs est le plus élevé, et son désavantage comparatif le plus faible (Code de conduite de l’UE, 2007). La division du travail qui résulterait de cette stratégie vise exactement les mêmes effets que le consensus de Washington : une allocation efficace des ressources profitable à tous à travers le monde. Les choses ne sont pourtant pas si simples. L’avantage comparatif historique détenu par une ancienne puissance coloniale (la Belgique par exemple) sur une postcolonie (la RDC) peut entraîner le renforcement des « chasses gardées » et la construction de monopoles dans de nombreux secteurs d’activité, alors que d’autres pays donateurs peuvent y avoir une meilleure spécialisation. En outre, transférer la spécialisation et les avantages comparatifs dans la coopération au développement entérine l’idée d’un marché du développement (Ballet, Dubois et Mahieu, 2005) où les offreurs de développement se spécialisent dans les domaines où ils sont le plus doués afin de se partager efficacement des parts de marché par la construction des demandes solvables grâce à l’APD. Il en découle non seulement que l’appropriation devient inopérante, car ce sont finalement les avantages comparatifs des donateurs qui orientent l’APD, mais aussi que les dynamiques contradictoires et la diversité des modèles de développement disparaissent au profit d’une pensée et d’un modèle uniques soutenus par les donateurs organisés en cartels d’offreurs de développement grâce à l’harmonisation de leurs stratégies. D’où le danger que le développement des pays partenaires entre dans un schéma où il est prédéterminé par les avantages comparatifs des pays donateurs, et non par la construction d’avantages comparatifs locaux suivant une logique et des capacités historiques singulières qui définissent un rapport au monde particulier.
Les objectifs ciblés du NPCD : la fin de l’histoire du développement des pays partenaires?
L’URSS disparue, les processus de développement originaux ne sont plus à chercher. La seule voie à suivre est celle que tracent les deux piliers de la modernisation politique et économique : la démocratie et l’économie de marché (Fukuyama, 1992). Les études du développement ont réfuté cette théorie en montrant non seulement la différence entre développement et modernisation (Hermet, 2000; Peemans, 2002), mais aussi le caractère imprévisible des orientations et des formes que peut prendre une dynamique sociétale (Giddens, 1979; Archer, 1995).
Force est cependant de constater qu’en fixant un ensemble d’objectifs à atteindre (voir le tableau 5), le NPCD planifie ex ante et dans une dynamique top-down ce que doit être l’état ex post des pays partenaires. Nous ne mettons pas en doute l’importance de ces objectifs, mais relevons le fait qu’ils deviennent de plus en plus une fin en soi, au point de fixer la seule route et l’apogée de la dynamique sociétale des pays partenaires. Une fois qu’on prétend savoir de manière absolue ce qu’est le développement, le dialogue n’a plus de place et n’importe quelle action peut être justifiée en son nom. « Le développement, Kari? Je ne sais pas ce que c’est[12] », répondit Karl Polanyi à sa fille Kari Polanyi Levitt qui s’était hâtée de partager avec lui le recueil d’essais édité par Agarwala et Singh en 1958.
Une des caractéristiques du processus de développement est justement de pouvoir prendre des bifurcations idiosyncrasiques et imprévisibles. Il semble important de relever que, selon les prévisions présentées dans le tableau 5, les pays donateurs ont déjà, à travers ces objectifs, décrété et fixé vers où doivent aller les pays partenaires – qui, eux-mêmes, semblent ainsi parvenus au terme de leur histoire en matière de développement. Le sens, la substance et l’horizon de cette histoire du développement sont désormais fixés à 0,7 % du PNB, à la réalisation des OMD, à l’intégration au commerce international, à la rationalisation de l’APD, à la construction des systèmes financiers libéralisés, à la lutte contre le VIH-sida et aux évaluations de l’APD : « ils ne se développent plus, ils sont développés » (Ki-Zerbo, 1992). Ce confinement dans une dynamique quantitative d’objectifs ciblés dont l’état chiffré est fixé en 2015 donne des informations considérées comme des vérités ultimes sur la dynamique complexe des sociétés des pays partenaires. Il en résulte le choix du développement à particules (Latouche, 2004) qu’entérinent les différents OMD. Que vont devenir les dynamiques sociales et institutionnelles des pays partenaires qui ne font pas partie des OMD? Quel est le sort réservé aux pratiques sociales où aucun pays donateur ne possède un avantage comparatif, et où l’accounting moderne entre en conflit avec les modes populaires et culturels d’évaluation et de validation? Ces questions mettent en évidence les jeux de pouvoir qui persistent dans l’approche du développement et sa planification. Les objectifs sécuritaires que vise le NPCD par la régulation des « grandes peurs du 21e siècle » (voir le tableau 5) ne sont donc pas à déconnecter de ces rapports de pouvoir où se mondialisent les instruments de sécurisation des acteurs dominants.
Les institutions historiques de base : une valeur ajoutée pour la coopération au développement?
Restituer toute leur épaisseur historique aux pays partenaires
Sans fondations sociohistoriques solides permettant d’avoir une emprise franche sur le réel, les programmes et les projets de développement s’arrêtent généralement aussitôt que ceux qui les promeuvent et les financent quittent le pays partenaire. Le NPCD n’échappe pas à cette caractéristique. Il ne présente aucune jonction conceptuelle et pratique entre sa politique orientée exclusivement vers l’avenir et les dynamiques historiques qui ont permis aux pays partenaires de se reproduire de façon autonome et durable à travers le temps et l’espace. Les études du développement montrent pourtant qu’on ne peut construire une société moderne de toutes pièces en faisant table rase du passé, sans courir le risque d’arriver en une incompatibilité symbolique et fonctionnelle dirimante entre les valeurs modernes et les valeurs traditionnelles : « On bâtit sur ce que l’on trouve – qu’il s’agisse de langue, de religions ou de modes de vie caractéristiques » (Wallerstein, 1980). Avec la méthode prospective du NPCD, les pays partenaires perdent leur mémoire historique et deviennent captifs d’un monde imaginé par d’autres (Ki-Zerbo, 1992).
Affecter une partie importante des ressources au renforcement d’institutions historiques performantes dans la sécurisation collective et individuelle des populations des pays partenaires
Les études ci-dessous mettent en évidence des institutions dont la continuité historique permet aux populations des pays partenaires de résoudre les problèmes concrets posés par « la modernité insécurisée » qu’elles vivent. Ces institutions ne sont pas soutenues par le NPCD, dont l’alignement se fait sur les PAS orientés exclusivement vers la modernisation économique par le marché. Ce sont entre autres :
Le développement de l’économie populaire en Amérique latine et en Afrique subsaharienne (Peemans, 2002; Nyssens, 2004; Amougou, 2005). Liée à l’économie formelle au sens où elles utilisent la même monnaie et parfois les mêmes espaces, elle permet aux populations des pays partenaires de développer un ensemble de pratiques de production, de consommation et de circulation de biens et de services qui créent des activités génératrices de revenus et plus d’emplois que le secteur économique formel.
La construction des ordres financiers populaires (tontines) en marge des systèmes financiers officiels (banques) (Bekolo-Ebe, 1993; Monga, 1997; Lelart, 2005; Kakule Kaparay, 2006). Les populations développent des pratiques d’épargne et échappent au rationnement du crédit du système bancaire classique grâce aux mécanismes historiques de centralisation des ressources (épargne), de réciprocité (accès équitable au crédit) et de redistribution (tontine comme unité centralisatrice qui redistribue sous forme de crédit l’épargne collectée).
La création de micro-entreprises exclusivement financées par les ordres financiers populaires. Les méthodes de management de ces micro-entreprises sortent du cadre classique pour se réinventer en introduisant de nombreux éléments de la culture locale, comme le soutien communautaire aux entrepreneurs et la confiance interpersonnelle dans les transactions (Monga, 1997; Kamdem, 2002) : il se développe ici des méthodes interculturelles de financement et de gestion d’entreprises.
Un système agricole et agropastoral « traditionnel-recomposé » (De Sardan, 2008). Ce système comprend (dans les pays du Sahel) les cultures d’autoconsommation et de vente associées à une épargne en bovins. C’est ce système qui, d’après De Sardan, permet à un pays comme le Niger de ne pas dépendre complètement de l’aide alimentaire des ONG.
L’ancrage historique des ces institutions n’empêcherait pas le NPCD de garder son cap prospectif. Il lui permettrait plutôt d’avoir de bonnes racines culturelles et historiques qui le rendraient plus efficace en ce sens qu’elles y introduiraient une dynamique de développement « rétro-prospective » (Coquery-Vidrovitch, Hémery et Piel, 2007).
Conclusion
Cet article montre les enjeux du NPCD en matière de développement des pays partenaires. Nous avons non seulement présenté le NPCD, ses engagements sans valeur juridique contraignante et les raisons explicatives de sa naissance, mais aussi ses différentes composantes et ses grands chantiers actuels. L’analyse de la structure du discours et d’autres instruments du NPCD, comme le chiffrage touts azimuts, la rapidité exigée des résultats, l’usage du court terme et l’évaluation, nous a permis de montrer les contradictions entre les études du développement et l’approche du développement selon le NPCD. Nous avons enfin souligné tant la nécessité d’un ancrage culturel et historique réel des projets et des programmes de développement que le caractère crucial du soutien aux institutions historiques locales qui font leurs preuves dans la construction des autonomies sociales.
Appendices
Notes
-
[1]
Il serait peut-être plus exact de parler du nouveau paradigme occidental de la coopération au développement, car celui de la Chine et d’autres pays émergents est complètement différent. Nous insistons en outre dans cet article sur les partenaires PPTE.
-
[2]
Au sens d’Immanuel WALLERSTEIN.
-
[3]
« L’effort de solidarité » de l’OCDE a été remplacé dans les années 1990 par une batterie de politiques bilatérales et multilatérales favorisant l’expansion sans précédent des marchés mondiaux.
-
[4]
La coopération au développement est une des composantes de ce que ces auteurs appellent « le marché du développement » où se rencontrent des offreurs de développement (généralement les pays du Nord et les institutions financières internationales) et les demandeurs de développement (généralement les pays du Sud).
-
[5]
Pour plus de détails sur ces principes, voir Aid Effectiveness. 2006 Survey on Monitoring the Paris Declaration. Overview of the Results. Document en ligne sur www.oecd.org/dac/effectiveness/monitoring.
-
[6]
La civilisation comme représentation d’un état de perfectionnement absolu, un apogée suprême vers lequel l’humanité progresse. Selon cette logique, le sauvage ou le sous-développé est susceptible d’être apprivoisé ou dressé pour être mis au service du civilisé ou du développé. Il peut ainsi changer de catégorie.
-
[7]
Construit à partir de nos lectures.
-
[8]
DRSP = Documents de stratégie pour la réduction de la pauvreté.
-
[9]
Le contrat OMD est un mode de mise en oeuvre particulier de l’appui budgétaire général au travers duquel un niveau maximum, quasiment garanti, d’appui budgétaire peut être fourni pour une durée minimale de six ans par l’UE à un pays partenaire.
-
[10]
Il faut noter qu’en matière de développement le temps des projets, des programmes et de leurs évaluations est un temps très court par rapport au temps long braudélien nécessaire à l’analyse des multiples interactions entre acteurs et territoire au sein d’une société.
-
[11]
Élaboré à partir notamment des travaux du groupe de pilotage à haut niveau constitué à l’initiative du Secrétaire général des Nations Unies pour les OMD en Afrique.
-
[12]
La problématique du développement durable montre aujourd’hui le caractère judicieux de cette réponse prudente de Karl POLANYI sur ce qu’est le développement.
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