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Introduction

En France, les dirigeants des associations d’aide à la personne se trouvent aujourd’hui devant un bouleversement de leur environnement réglementaire et territorial. Les plans de développement des services à la personne ont été un véritable choc exogène impliquant pour ces associations qu’elles se réorganisent selon de nouveaux impératifs de professionnalisation et de rationalisation de leurs activités (loi 2002.2, puis décrets 2005-1698, 2007-854 et plans 2006-2009)[1]. De plus, l’ouverture du marché à l’initiative privée et la raréfaction des subventions publiques conduisent à une situation concurrentielle tout à fait nouvelle avec laquelle les associations doivent désormais composer (Leroux et Pujol, 2007; Devetter et al., 2008; Marival, 2008; Haddad, 2009). Par ailleurs, les récentes lois de décentralisation ont redessiné le secteur de l’aide et de l’action sociales en plaçant le département au coeur du processus juridique et organisationnel de décision (Borgetto et Lafore, 2007).

Si certaines d’entre elles sont en mesure de s’adapter rapidement à cette nouvelle donne, une majorité d’associations connaissent des difficultés faute de compétences internes rationalisées, mais également faute de capacité d’influence suffisante auprès des pouvoirs publics locaux. Leur pérennité est donc remise en question, avec en toile de fond leur légitimité en matière de captation de fonds publics. Dès lors, comment construisent-elles un pouvoir de négociation vis-à-vis des acteurs publics, notamment départementaux, pour faire face à cette situation nouvelle?

Cet article rend compte d’une enquête qualitative menée en 2006 et 2007 (Leroux et Pujol, 2007), renforcée par deux vagues d’actualisation en 2008 et 2009. Cette enquête s’est déroulée dans trois départements français, caractérisés par des politiques publiques distinctes en matière d’aide à la personne : accompagnement du tissu associatif et volonté de le soutenir; volonté au contraire de voir émerger des structures privées lucratives en remplacement du tissu associatif ou bien encore regard neutre sur le secteur[2]. Les entretiens ont été réalisés auprès des dirigeants de 25 structures associatives, directeurs et présidents, et, lorsque cela était nécessaire, auprès des bénévoles assurant une fonction de représentation à l’extérieur de la structure. Ce choix se fait au regard des modalités de gouvernance internes propres aux associations et nécessitant un double regard : sur le volet technique, d’une part, et sur le volet démocratique, d’autre part. Cette enquête qualitative est doublée d’une recherche documentaire et bibliographique plus large sur l’évolution de ce secteur en France (Dussuet et Loiseau, 2007; Devetter et al., 2008; Artis et al., 2009; Vercamer, 2010…). L’originalité de cette recherche est qu’elle vise à faire une lecture des mutations organisationnelles du secteur par la mobilisation des outils de l’économie industrielle (Carlton et Perloff, 1998) : comportements stratégiques, jeux d’acteurs et asymétries de pouvoir.

Dans cette perspective, cet article met en évidence les stratégies organisationnelles innovantes mises en oeuvre actuellement par les acteurs associatifs pour assurer leur pérennité. Il s’agit pour ces derniers de construire et renforcer leur pouvoir de négociation vis-à-vis notamment des acteurs publics afin de rééquilibrer les rapports de force et faire face aux nouveaux entrants franchisés. On observe ainsi l’émergence de stratégies de réseaux fondées selon les cas sur des alliances formelles ou informelles, ainsi que de stratégies de croissance externe s’appuyant sur un subtil maillage du territoire. Derrière ces stratégies, l’enjeu récurrent est la construction d’un pouvoir de négociation qui se fonde sur des impératifs de taille critique, d’élargissement du portefeuille d’activités, de pénétration des marchés et de maîtrise de l’environnement.

Dans une première partie, nous revenons sur les mutations réglementaires et territoriales de ces dernières années conduisant les associations à devoir développer des capacités nouvelles de négociation. La deuxième partie est consacrée à la définition de ce que l’on entend par pouvoir de négociation, à la lumière d’une approche socioéconomique. La troisième partie met en évidence, sur la base de cette clé de lecture qu’est le pouvoir de négociation, les stratégies organisationnelles innovantes élaborées par les associations pour se faire entendre et peser dans la décision publique.

Nouveaux cadres réglementaires et impératifs de décentralisation : le pouvoir de négociation des associations en question

Si le secteur des services à la personne fait en France l’objet d’une régulation publique depuis le milieu des années 1980, il ne fait l’objet d’une structuration et d’une définition précises que depuis une période très récente (loi 2002.2 puis décrets 2005-1698, 2007-854; plans 1 et 2 de 2006 et 2009). Auparavant, comme le soulignent Bioteau et al. (2007), la frontière entre les activités du champ social et du champ médico-social ne faisait pas l’objet d’une définition stricte, le secteur de l’aide à la personne recouvrant de nombreuses activités allant du soutien scolaire au maintien à domicile des personnes dépendantes, en passant par le portage de repas ou l’assistance informatique. De plus, la généralisation des activités bénévoles, d’une part, et les objectifs complémentaires de formation et de réinsertion de certaines associations (les associations intermédiaires par exemple)[3], d’autre part, pouvaient être perçus par certains publics comme une limite à la qualité du service.

Par ailleurs, l’objectif social de ces activités au sein des territoires et l’absence de structuration territoriale administrée conduisaient à une couverture territoriale très variée d’une association à l’autre, avec des implantations soit d’origine historique, soit plus récentes et résultant d’arrangements de gré à gré (certaines associations intervenant en milieu urbain et d’autres en milieu rural). Les zones d’intervention des associations portaient sur des territoires en général restreints (échelle de la commune, d’une communauté de communes). Le secteur était ainsi entièrement organisé autour d’objectifs de régulation avant tout sociale, basée, d’une part, sur des relations informelles et de solidarité fortes entre les acteurs associatifs et, d’autre part, sur des liens avec les pouvoirs publics locaux (les mairies) et le secteur médical.

La nouvelle réglementation du secteur des services à la personne remet fondamentalement en question ce rapport entretenu par les associations avec leur environnement par l’établissement d’une véritable régulation « quasi concurrentielle » (Richez-Battesti, 2005) qui se cristallise en marché de la subvention. La nouvelle régulation engagée dans un premier temps en 2002 (loi 2002.2), puis rectifiée et approfondie (décrets 2005-1698 et 2007-854; plans 1 et 2, 2006-2009), vient ainsi totalement restructurer le secteur. Elle repose sur trois piliers :

  1. Un développement du secteur basé non plus sur des attentes uniquement sociales mais sur des impératifs de création d’emploi. Cela conduit à une refonte du secteur dans une perspective d’élargissement à l’initiative privée et d’instauration d’un marché concurrentiel.

  2. La mise en place d’un système plus incitatif avec une meilleure maîtrise des coûts et de la couverture territoriale dans les activités non solvables qui deviennent plus dépendantes des subventions publiques.

  3. L’adéquation de cette nouvelle organisation sectorielle avec le nouveau partage des responsabilités entre l’État et les départements dans le cadre de l’acte II de la décentralisation. Cela est conditionné par un nouveau rapport au territoire caractérisé par une « départementalisation » des systèmes de régulation.

Tout d’abord, les associations doivent faire face à la concurrence de nouveaux entrants : acteurs publics (communes et communautés de communes) qui peuvent désormais développer des services d’aide à la personne; acteurs privés qui se placent sur le créneau rentable de leurs activités et tendent à réduire leur rentabilité; l’emploi dit « direct » de type CESU[4]. Cela implique une nécessité d’innover et de trouver de nouvelles modalités d’organisation assurant la survie de la structure associative.

Ensuite, le contexte concurrentiel a pour conséquence que ces associations se retrouvent d’autant plus dépendantes des financements publics (aides, prestations financières aux usagers, financements d’équipements…). Cela les conduit à une recherche plus active de subventions. On voit ainsi émerger un véritable marché de la subvention avec d’un côté l’acteur public pourvoyeur de financements et de l’autre une pluralité d’acteurs associatifs désormais en concurrence pour la captation de ces sources de financement[5]. Le terme de gouvernance « quasi concurrentielle » (Richez-Battesti, 2005, p. 4) est utilisé pour désigner cette concurrence administrée, c’est-à-dire organisée par la réglementation dans le cadre d’une ressource financière raréfiée mais accessible en contrepartie d’exigences de performance. Les relations entre associations deviennent alors de plus en plus des relations de « coopétition », c’est-à-dire l’association entre compétition et coopération, rapport à la fois dialectique et paradoxal (Porter, 1986). Certains dirigeants d’associations vivent d’ailleurs très mal le passage de relations jusqu’alors « amicales et fraternelles » à des relations forcément modifiées par l’instauration d’un jeu concurrentiel (Leroux et Pujol, 2007).

Enfin, les associations doivent désormais composer avec de nouveaux référents territoriaux, notamment l’échelle départementale. L’acte II de la décentralisation engage le transfert de compétences de l’État français vers les services départementaux. Le département devient chargé des schémas départementaux d’organisation sociale et médico-sociale jusque-là arrêtés conjointement avec les services de l’État (les préfectures). La région se voit quant à elle confier la responsabilité de la formation sanitaire et sociale (Borgetto et Lafore, 2007). Seules les structures qui ont obtenu un agrément peuvent se voir allouer des financements publics. Les associations doivent donc désormais travailler en étroite collaboration avec les élus et les conseils généraux au pouvoir renforcé. Alors que les associations trouvaient auparavant des solutions auprès d’acteurs de proximité immédiate (très souvent les maires de communes), elles doivent composer désormais avec le niveau départemental mais également supra-départemental (politiques régionales, politiques nationales).

Toutefois, devant ces chocs exogènes que représentent la nouvelle régulation et ses implications territoriales, toutes les structures associatives ne sont pas en mesure de s’adapter. Une majorité d’entre elles, souvent celles dont la taille est petite, connaissent des difficultés majeures. Ces difficultés sont liées à différents phénomènes : un défaut de compétences internes avec un conseil d’administration peu enclin à développer des stratégies de structure en milieu concurrentiel (c’est souvent le cas des petites associations oeuvrant en milieu rural); une faiblesse de la capacité d’influence et de représentation stratégique visant à peser sur les décisions locales (Leroux, Pujol et Rigamonti, 2009). La pérennité des associations est donc en question aujourd’hui.

En présence de ces problématiques, c’est donc bien la question du pouvoir de négociation qui est en jeu dans le milieu associatif de l’aide à la personne. Faire face aux nouveaux entrants, capter des subventions publiques en montrant l’apport économique, la plus-value sociale et la légitimité de ses activités, être représenté dans les organes de pouvoir aussi bien à l’échelle locale que départementale, voire supra-départementale, suppose de développer des sources de pouvoir de négociation nouvelles. Dès lors, quelles stratégies mettre en place? Qu’est-ce que le pouvoir de négociation? Que cherche-t-on à négocier? Ce sont autant de questions auxquelles les associations tentent aujourd’hui d’apporter des réponses organisationnelles tout en restant garantes des principes de solidarité fondateurs.

Le pouvoir de négociation : l’importance des dimensions arbitrale et autocumulative

Le pouvoir de négociation est une question complexe à plusieurs égards qui mérite d’être préalablement circonscrite. Ce pouvoir n’est en effet pas réductible à une caractéristique intrinsèque de l’acteur qui en est porteur. Il est bien plus que cela, à la fois dans la manière dont on exerce ce pouvoir, dans ses finalités et dans les moyens organisationnels que se donne l’association pour y parvenir. Ainsi, le pouvoir de négociation est à la fois pouvoir et manière de l’exercer dans la relation (Leroux, 2006). Il interroge le lecteur sur la finalité de ce qui est négocié, à savoir les objets mais également les règles, c’est-à-dire les principes institués collectivement.

Pouvoir « de » négociation et pouvoir « dans » la négociation

En économie, le pouvoir « de » négociation fait souvent référence à une acception du pouvoir « attribut » de l’individu. C’est un attribut en ce sens qu’il est donné comme caractéristique de la fonction de préférence, définie à partir des fonctions d’utilité des individus et à partir de leurs taux d’intérêt psychologiques. Il ne s’agit alors pas d’une conception relationnelle, mais d’une conception univoque entendue comme vecteur d’asymétrie dans la prise de décision (Leroux, 2006).

Dès lors, la taille de la structure associative, ses capacités à développer une stratégie de portefeuille d’activités sur un territoire donné, ses réseaux, son organisation en fédérations et le management des différents niveaux d’action sont des caractéristiques intrinsèques qui peuvent lui conférer un pouvoir de négociation au sens univoque du terme. Certaines de ces caractéristiques sont banales et peuvent être reproduites par n’importe quelle autre association, alors que d’autres sont idiosyncratiques (Williamson, 1985). Dans ce dernier cas, elles sont propres à l’historique de l’association, à la composition de son conseil d’administration, à la personnalité des dirigeants et ne peuvent être reproduites ailleurs de manière strictement identique. Ainsi, un réseau de partenaires est idiosyncratique au sens où il résulte des liens personnels entretenus par exemple par le président du conseil d’administration avec son environnement, de son histoire personnelle et des différentes fonctions de représentation qui sont les siennes. Dans ce cas, si le président quitte l’association, cette dernière se trouve amputée d’une partie de son réseau, qu’elle ne pourra reconstituer qu’avec le temps et beaucoup d’effort, mais sous une forme forcément différente. Ce sont donc bien toutes ces caractéristiques, banales ou idiosyncratiques, qui fondent le pouvoir « de » négociation de l’association.

À ce titre, certaines structures de taille importante (plus de cent salariés), dans les trois départements étudiés (Leroux et Pujol, 2007), ont bâti de véritables stratégies de compétence collective par la constitution de conseils d’administration rationalisés, chaque administrateur apportant une compétence spécifique : avocat, expert comptable, gestionnaire de structures médico-sociales, mutualiste, élu local. Technicité et représentation politique dans les réseaux locaux sont croisées au service de la survie et de la professionnalisation de la structure. Mais ce phénomène reste encore très marginal, eu égard à la difficulté de plus en plus grande de recruter des administrateurs[6].

Le pouvoir « dans » la négociation renvoie pour sa part à une tout autre chose. Il s’agit des modalités d’exercice du pouvoir dans le déroulement du processus de négociation. Cette fois-ci, il se définit dans la relation, dans une optique bilatérale, voire multilatérale, comme un rapport de force et de domination.

  • Le pouvoir de négociation de nature incitative, dissuasive ou coercitive. Le pouvoir est incitatif lorsqu’il pousse un acteur à se conformer à ce que l’on attend de lui. Par exemple, la généralisation de la procédure d’agrément est pour l’État une manière de conformer les associations à des règles de maîtrise des coûts, de couverture territoriale et de démarche de certification. Le pouvoir dissuasif est assimilable, comme le montre Dockès (1999), au volume de menace crédible. Il s’agit d’un pouvoir discrétionnaire dont l’exercice est conditionné par la crédibilité de la mise à exécution de cette menace. La suspension d’une subvention en cas de non-conformité à des règles de certification est un exemple de menace crédible qui conduit l’association à opter pour le comportement attendu par l’acteur public. Quant au pouvoir de type coercitif, il est vu comme la possibilité d’imposer l’arrêt de la négociation à tout moment. Il est ainsi appréhendé comme la capacité d’un acteur à imposer un accord en sa faveur.

  • Le pouvoir de négociation de nature rétributive ou persuasive. Le pouvoir rétributif renvoie à l’idée d’une promesse. Pour Schelling (1960), « la promesse se présente comme un engagement bilatéral auquel il est fait appel lorsque les actions de l’une des parties échappent au contrôle de l’autre » (p. 66). La promesse engagée est très souvent assortie d’une menace. Une association qui met en oeuvre de manière stricte toutes les mesures et actions de certification lui permettant d’acquérir un agrément le fait contre la promesse de reconnaissance de la part de l’acteur public. Le fait de se conformer à la règle constitue ultérieurement un argument de poids dans les discussions et négociations auprès de cet acteur public. La menace est donc celle de se voir exclue du jeu des participants à la négociation si l’association ne fait pas les efforts attendus. Quant au pouvoir persuasif, il témoigne d’une volonté d’orientation de l’action d’autrui vers une issue « gagnante ». Dans l’un des départements concernés par notre enquête, au sein duquel les associations sont très menacées par un président de conseil général favorable à l’entreprise privée lucrative, les structures se sont coalisées de manière implicite. Lorsqu’elles ont besoin de négocier auprès des pouvoirs publics, elles se rencontrent avant afin de mettre en place une stratégie de négociation commune. L’objectif est de construire ensemble un pouvoir de négociation visant à obtenir des tarifs plus rémunérateurs et permettant leur survie. Il s’agit bien dans ce cas d’un mouvement fort de persuasion, toutes les associations du département étant liguées pour faire pression auprès des services publics concernés.

  • Le pouvoir de négociation du « faible » au sens de Schelling (1960). La faculté de contraindre l’adversaire peut être liée à la faculté de se contraindre soi-même (« brûler ses vaisseaux »). Ou bien, même si le pouvoir n’est pas dans son camp, un acteur peut être incontournable dans une négociation pour des raisons de neutralité, de diplomatie ou de représentation. Le pouvoir du faible est très souvent mobilisé dans le secteur associatif. En effet, les membres des conseils d’administration ont souvent plusieurs « casquettes », c’est-à-dire qu’ils représentent les intérêts de différentes structures ou différents groupes au sein d’une multiplicité d’associations ou de comités consultatifs publics. Dès lors, le président du conseil d’administration d’une petite structure peut être un acteur incontournable (très influent) dans le paysage départemental en raison de ses relations sociales, souvent historiques, avec d’autres acteurs publics et associatifs. Certaines associations de très petite taille sont parfois des acteurs clés des négociations, leur médiation pouvant être requise lors de négociations délicates.

Le pouvoir de négocier des objets versus des règles du jeu

Si la négociation tend objectivement à l’échange ou au partage de ressources physiques ou financières, elle porte finalement, comme le montre Reynaud (2005), sur les règles du jeu que l’on souhaite se donner collectivement. En cela, elle revêt une forte composante arbitrale et instituante (Grosjean et al., 2004). La dualité entre la négociation à visée de règles d’échange et la négociation à visée de règles de partage est tout particulièrement mise en évidence par les juristes (Frydman, 1996).

La négociation « échange » a pour finalité l’échange de ressources tangibles ou intangibles et le transfert des droits associés. Les règles qui régissent le marchandage sont des règles allocatives portant sur la détermination des variables prix-quantités. Le pouvoir de négociation est donc perçu comme le pouvoir d’orienter les prix et les quantités dans un sens qui maximise les profits espérés. L’obtention de tarifs rémunérateurs est par exemple l’une des négociations dont l’importance est la plus fondamentale dans l’aide à la personne. La négociation « partage » a quant à elle une finalité un peu différente, celle de partager des ressources tangibles ou intangibles et des droits associés. Elle est pour les associations une nouvelle modalité de gestion d’une ressource devenue rare, la subvention.

Au-delà de cela, la négociation porte également sur les règles du jeu de la négociation elle-même, à savoir le principe commun de la négociation. On parlera dans ce cas de négociation « règlement ». Ces règles, formelles ou informelles, sont coproduites par les acteurs de manière délibérée. La négociation est donc instituante (Grosjean et al., 2004). Les règles, dès lors qu’elles sont consenties par tous les négociateurs, deviennent légitimes (Reynaud, 1999). Dans un contexte concurrentiel, les associations d’aide à la personne sont ainsi de plus en plus conduites à fixer des règles du jeu communes de type chartes ou ententes. Légitimer des règles du jeu communes contribue à légitimer les acteurs qui en sont porteurs et à légitimer le champ des rapports de force (De Munck et Lenoble, 1996).

À la suite de négociations successives, le pouvoir de négociation peut alors devenir cumulatif. Il permet à celui qui en bénéficie de s’approprier à chaque étape une partie relative toujours plus importante des gains, des informations et des connaissances (Dockès, 1999). L’acteur renforce ainsi son pouvoir de négociation à chaque tour de négociation. Le pouvoir « de la règle » se transcrit en pouvoir « de faire la règle » et en pouvoir « que sert la règle » (Friedberg, 1997).

Les associations face au pouvoir de négociation : croissance externe et stratégies de réseaux

L’enjeu pour les associations d’aide à la personne française réside dans la transition d’un régime de gouvernance « quasi concurrentielle » à un régime « partenarial » ou « de faible rivalité » visant à réduire l’intensité concurrentielle impulsée par la libéralisation du secteur. Comme le souligne Richez-Battesti (2005), les pouvoirs publics ont profité de la faible capacité de mobilisation collective des associations et des éventuelles rivalités que celles-ci rencontrent notamment dans la division spatiale de leur portefeuille d’activités. Le régime « partenarial » renvoie à l’idée de co-construire un pouvoir de négociation, entre autres face à l’acteur public qui est devenu l’émetteur des règles du jeu et l’évaluateur. Ce dernier, en effet, est porteur d’un pouvoir incitatif (définition des conditions d’agrément) et d’un pouvoir coercitif (suspension des subventions) forts. Par ailleurs, le climat de coopétition fait que, si les associations se trouvent en concurrence les unes avec les autres pour capter des subventions, elles n’en sont pas moins liées par des interdépendances : partage des territoires de services aux usagers; échange de personnels durant la saison estivale, etc. On observe ainsi l’émergence de stratégies organisationnelles innovantes inédites dans ce secteur.

Les stratégies de réseaux : l’alliance comme source de pouvoir de négociation

Le réseau se définit ici comme un ensemble fini d’acteurs (associations, firmes ou autres organisations) dont les relations sont caractérisées par des interdépendances techniques ou sociales (Kogut, 2000; Gulati, Nohria et Zaheer, 2000). L’information détenue par un partenaire sur un autre partenaire ne résulte pas forcément d’un échange direct entre eux, mais peut être obtenue par des échanges indirects avec d’autres partenaires du même réseau. Le réseau, entendu au sens stratégique comme construit social intentionnel, est donc un moyen d’acquérir du pouvoir de négociation. C’est le pouvoir détenu par chaque partenaire sur les ressources et les règles du jeu qui conditionne les chances d’accès aux ressources financières inégalement distribuées.

Des réseaux stratégiques fondés sur des stratégies d’alliances informelles

Le premier exemple de réponse relevé dans l’un des trois départements est la structuration d’un réseau informel de partenariats fondé sur des alliances liant toutes les associations. Ces dernières ont convenu de ne pas fusionner malgré les incitations du conseil général. Il faut noter que ce département est caractérisé par une forte aversion du président du conseil général vis-à-vis des structures associatives. Le développement d’entreprises privées lucratives y est vivement encouragé. Cela explique pourquoi l’alliance rassemble l’ensemble des associations d’aide à la personne du département, qu’elles soient d’origine laïque ou chrétienne, c’est-à-dire bien au-delà des conflits historiques récurrents dans cette zone géographique. Leur pouvoir de persuasion est renforcé par le fait que ce sont des structures légitimes au regard des usagers, et que l’une d’elles, très ramifiée dans tout le département (aide à la personne, centres de formation...), constitue un réseau social très dense que le conseil général ne peut se mettre à dos pour des raisons électorales. L’enjeu de l’alliance tient aussi à la restructuration qu’imposerait une fusion de ces structures. Nécessairement, elle conduirait à une remise en question des pouvoirs : « Qu’en adviendrait-il des différents directeurs puisqu’il n’en faudrait plus qu’un à la fin? », s’interroge l’un des directeurs d’association interviewés (Leroux et Pujol, 2007). Ces associations se structurent donc en un réseau informel afin de créer collectivement un pouvoir de négociation vis-à-vis de l’environnement qui exerce une menace. L’alliance peut dans ce cas être interprétée comme une alliance « de sécurité » (Rigamonti, 2006) visant pour chaque partenaire à réduire l’incertitude régnant sur sa propre survie.

Le pouvoir de négociation créé par l’alliance prend sa source tout d’abord dans l’information partagée qui va conditionner les chances d’accès aux ressources (Rigamonti, 2006). S’allier suppose qu’on échange des informations privatives sur le portefeuille d’activités, les tarifs, les espaces de services aux usagers, les membres du conseil d’administration, etc. C’est ce qui permet ensuite aux associations de développer une capacité de lecture commune du territoire pertinent, à savoir des lieux clés, des acteurs clés de la négociation selon les différents niveaux de gouvernance territoriale, et de s’organiser en conséquence. À titre d’exemple, l’une des associations dont il était question dans le paragraphe précédent développe des réseaux « délégués » pour renforcer son influence auprès des acteurs locaux. Elle délègue certaines fonctions de représentation à des acteurs de confiance, porteurs d’une expertise dans un domaine considéré, et qui vont pouvoir défendre ses intérêts. Étant l’un des acteurs clés du transport scolaire départemental, elle fait par exemple appel à une personne (non adhérente mais cooptée par un adhérent) qui travaille dans le transport public pour négocier les nouvelles règles d’accès à la mobilité au niveau régional. Ainsi, s’allier revient à adhérer à un groupe, à des règles du jeu communes qui sont constitutives d’un capital social (Degenne et Forsé, 2004) mobilisable selon les besoins. Ces réseaux peuvent être apparentés à des réseaux dits de circonstance ou latent organizations (Starkey, Barnatt et Tempest, 2000). L’objectif est de faciliter l’accès aux ressources et de constituer un pouvoir persuasif sans pour autant cristalliser ou institutionnaliser l’alliance, ce qui supposerait une plus grande dépendance mutuelle.

Dès lors, dans une situation de quasi-concurrence, ce réseau fondé sur une alliance informelle maintient une distance nécessaire entre les associations, leur permettant de conserver leur indépendance décisionnelle. En même temps, l’alliance leur confère un pouvoir de négociation qu’elles n’obtiendraient jamais seules. Au final, elles font structurellement et politiquement « front » face à l’acteur public. La menace que fait planer ce dernier est suffisamment forte pour réduire à néant le risque d’opportunisme de l’un des membres de l’alliance, ce qui lui confère sa solidité remarquable dans le temps.

Des réseaux stratégiques fondés sur des stratégies d’alliances formelles

Le deuxième type de réponse identifié dans un deuxième département est la structuration d’alliances formelles de type inter-réseaux et plates-formes communes visant à renforcer la légitimité des acteurs de l’économie sociale auprès des acteurs publics locaux. Dans ce département, le contexte est fondamentalement différent, car le conseil général soutient les structures associatives. Ces réseaux sont ici le résultat d’une volonté « politique » d’ensemble des associations, portée par le conseil général. L’objectif est très clairement de créer une plus-value sociale interne (fidélisation des membres du CA, climat social…) et externe (participation à la démocratie locale, maintien du lien social, création d’emplois en milieu rural…). Cette plus-value, dans la mesure où elle fait l’objet d’une reconnaissance de la part des acteurs publics locaux, contribue à asseoir la légitimité des structures associatives et donc à favoriser leur pérennité (accès plus facile aux fonds publics…) tout en réduisant les risques d’opportunisme de l’un des participants. Derrière la question de la légitimité, on constate bien que l’enjeu est aussi communicationnel : se faire connaître, élaborer une stratégie d’image permettant de pallier l’absence de capacité d’investissement marketing.

Le pouvoir de négociation s’appuie en conséquence sur l’influence et la persuasion : il s’agit de « s’afficher » comme un réseau soudé de partenaires malgré la redondance des prestations sur un même territoire et malgré les rivalités. À la base, il s’agit de s’entendre collectivement sur les règles du jeu communes, c’est-à-dire mettre en oeuvre une négociation-règlement portant sur l’espace du projet collectif, la mutualisation des ressources, la veille stratégique sur les besoins de la demande sociale, le message qui sera véhiculé, la transparence et le partage des informations. En définissant ces règles du jeu, les associations sont conduites à établir des règles de discrimination, c’est-à-dire à délimiter une frontière : ceux qui appartiennent et ceux qui n’appartiennent pas au groupe. En cela, c’est un moyen de faire bloc devant, par exemple, la concurrence des franchisés en devenant l’interlocuteur légitime des pouvoirs publics. Ainsi, les associations ont intérêt à communiquer sur leurs capacités à s’entendre et à développer ensemble des services mutualisés, tout en mettant en sourdine leurs rivalités. Toutefois, en l’absence de menace politique extérieure forte (le conseil général étant conciliant), la question est de savoir combien de temps perdurera cette bonne entente affichée.

Les stratégies de croissance externe : l’internalisation et le contrôle comme source de pouvoir de négociation

Dans deux des départements étudiés, on observe également l’émergence de processus de croissance externe de type fusion-absorption ou fusion-création. Dans le premier cas, une ou plusieurs associations sont dissoutes et absorbées par une association. Dans le deuxième cas, plusieurs associations sont regroupées en une seule à travers la création d’une nouvelle entité.

Exemple illustratif, l’une des associations étudiées développe une stratégie de fusion-absorption comme mesure de rétorsion à la suite de la pénétration de sa zone d’intervention par une association concurrente. Alors que les deux associations se partageaient jusqu’à présent le territoire, l’une couvrant le territoire urbain et l’autre les zones plus rurales, l’arrivée de la deuxième en territoire urbain a marqué le début d’une contre-offensive stratégique. L’association « agressée » a décidé de s’appuyer sur des associations existantes pour pénétrer le marché rural, c’est-à-dire pour pénétrer le territoire de « l’agresseur ». Très rapidement, elle a absorbé des structures, souvent de petite taille, qui éprouvaient des difficultés de gestion en milieu rural. On a ainsi assisté à la rupture du pacte implicite antérieur de partage des territoires entre les deux structures (urbain contre rural). Cela a permis à la structure « agressée » d’accéder à de nouvelles opportunités de développement tout en utilisant le « pouvoir du faible » des associations absorbées. Au final, ce processus a contribué à la sauvegarde de nombreux emplois ruraux en 2007 et 2008.

En effet, une association, même fragilisée, revêt une importance stratégique en matière de gestion interne des ressources et d’accès à la clientèle. En absorbant une autre structure, l’association trouve une organisation avec des salariés résidant sur place, ce qui permet de réduire les coûts de recherche de personnels et les coûts de déplacement. Par ailleurs, cela contribue à réduire les investissements de prospection d’une clientèle nouvelle, puisque l’absorption permet d’accéder à une clientèle déjà existante et souvent acquise à l’ancienne association. De plus, quand tout se passe bien, il est possible d’exploiter les réseaux et les relations établies historiquement entre l’ancienne association et son environnement local, notamment politique. C’est la raison pour laquelle, même fragilisée, l’ancienne structure bénéficie du « pouvoir du faible » qui pourra être repris à son compte par la nouvelle entité et qui viendra renforcer son pouvoir de négociation dans une zone de services aux usagers nouvelle. Or, plus le pouvoir de négociation sera important, plus il permettra d’obtenir de décisions à l’avantage de l’association dans une perspective autocumulative. Il s’agit donc bien là de renforcer le pouvoir de « faire la règle » et le pouvoir que « sert la règle » (Friedberg, 1997) au fil du temps.

Il s’agit par ailleurs de s’assurer un pouvoir de négociation par l’acquisition d’une taille critique suffisante au regard du marché. L’effet de taille est double : réaliser des économies d’échelle, développer des activités nouvelles et ainsi acquérir un pouvoir de négociation plus fort, garant de l’indépendance de la structure. La question de l’indépendance revient assez systématiquement dans le discours des dirigeants : « être indépendant, c’est pouvoir choisir les modalités de gestion de l’association, avoir la maîtrise de l’environnement plutôt qu’être contraint et contrôlé par ce même environnement » (Leroux et Pujol, 2007; Marival, 2008).

Le contrôle de l’environnement passe également par un meilleur maillage du territoire et par un redéploiement stratégique des activités en milieu urbain et rural. L’association dont il était question dans le paragraphe précédent a non seulement pénétré de nouveaux marchés, développé une stratégie de taille critique, mais, en absorbant d’autres associations fragilisées, elle a élargi son « territoire de services » en supportant des coûts d’entrée relativement faibles. La conquête de marchés se double d’une conquête territoriale. Le pouvoir de négociation passe donc par l’endogénéisation du territoire dans la stratégie de l’association, ce qui n’est pas toujours facile étant donné la multiplicité des niveaux et des espaces de gouvernance. L’appropriation des réseaux développés par les membres des conseils d’administration de l’ancienne association est alors nécessaire et la fusion, pour être réussie, doit se faire avec l’aval de l’ancienne structure. Cette dernière dispose bien ici « du pouvoir du faible ».

Ainsi, les fusions répondent au souci des associations de croître et d’assurer leur survie tout en composant avec les contraintes techniques et territoriales liées à leur activité. L’internalisation des ressources, notamment salariales, permet un effet de taille, et le contrôle des espaces de services aux usagers pour un élargissement des parts de marché est le fondement de leur pouvoir de négociation aujourd’hui. Ce pouvoir est augmenté en raison de l’émergence d’un risque politique. La formation d’associations de très grande taille peut poser un problème aigu de continuité de service, nécessaire dans ce secteur, en cas de cessation d’activité par l’une d’entre elles.

Au terme de cette partie, la question posée est la suivante : les stratégies élaborées par les associations de ces trois départements face à la nouvelle régulation sont-elles originales? En soi, pas fondamentalement, car elles correspondent à des comportements concurrentiels souvent analysés dans la littérature (Penrose, 1952; Durand et Quélin, 1997; Bensebaa, 2003; Leroux, Pujol et Rigamonti, 2009). Plus l’incertitude sur l’environnement et, par conséquent, sur la pérennité de la structure est élevée, plus on observe des comportements d’alliances stratégiques visant à réduire l’intensité concurrentielle, c’est-à-dire à déboucher sur des comportements moins rivaux (David et Han, 2004; Rigamonti, 2006). En revanche, ce qui est plus original est de constater la mise en oeuvre de ces pratiques anticoncurrentielles par des associations d’une manière très semblable à celle qu’utilisent les entreprises privées lucratives. Cela traduit bien à notre sens une évolution au sein de laquelle le modèle économique et social dont étaient porteuses les associations ne suffit plus à légitimer leur nécessaire présence dans ce secteur. La question est alors celle de l’identification de ce nouveau modèle hybride.

Une autre particularité des stratégies déployées par les associations tient à leur inscription territoriale forte. En effet, chaque stratégie de fusion ou de réseau renvoie à une nouvelle appréhension du rapport au territoire : fusionner avec une autre structure revient à développer son territoire « légitime » au sens où il faut trouver l’adhésion non seulement des usagers, mais des prescripteurs locaux que sont les médecins, infirmiers, pharmaciens, maires, etc. Une stratégie ne peut donc être mise en place sans l’adhésion implicite des acteurs du territoire. En cela, toute stratégie ne peut être que « partagée » entre une structure associative et un territoire. Le respect des valeurs et principes associatifs est alors un fondement important du rapport à l’usager et au territoire. Forcément, c’est un facteur distinctif par rapport au modèle classique d’entreprise privée lucrative.

Conclusion

L’approche par le pouvoir de négociation et par les dynamiques organisationnelles qui en sont constitutives contribue à une lecture originale des mutations à l’oeuvre dans le secteur de l’aide à la personne en France. Cette reconfiguration sectorielle visant à déployer un pouvoir de négociation dans un contexte concurrentiel montre finalement la très grande capacité d’adaptation stratégique des associations d’aide à la personne vis-à-vis des menaces environnementales, même si leur stratégie n’a pas évolué dans le sens souhaité par le législateur.

Un premier enseignement tient à la capacité qu’ont les associations d’exploiter les réseaux sociaux existants qui fondent naturellement leur lien à l’usager et au territoire. Les stratégies de coalition et de réseaux renvoient au contenu instituant de la construction d’un pouvoir de marché : l’association ne négocie pas seulement des ressources financières publiques, elle négocie des règles du jeu, notamment les règles du jeu concurrentiel, dont elle peut espérer qu’elles contribueront à renforcer son pouvoir de négociation de manière autocumulative. Dès lors, la composition du conseil d’administration, le capital social construit par chaque administrateur, par chaque agent technique, est une source de pouvoir de négociation. Les associations qui semblent le mieux tirer leur épingle du jeu sont à cet égard celles qui ont mis en place une rationalisation de leur appareil politique bien avant la nouvelle régulation.

Le deuxième enseignement réside dans le fait que le pouvoir de négociation peut s’appuyer sur des pratiques organisationnelles peu usuelles, comme les latent organizations (Starkey, Barnatt et Tempest, 2000), réseaux aux frontières évolutives. C’est une stratégie que l’on retrouve assez fréquemment dans d’autres domaines de l’économie sociale (Leroux et Muller, 2010) mais qui est assez peu étudiée. De toutes les associations interviewées dans cette enquête qualitative, c’est celle qui développe des réseaux délégués par la cooptation d’experts qui parvient le mieux à déployer un pouvoir de négociation vis-à-vis des acteurs politiques locaux. Cette structure réticulaire, dont de nombreuses ramifications sont en latence, lui permet de construire une compétence collective mobilisable à tout moment en fonction des besoins de l’association. C’est donc ici la plasticité de l’organisation en réseaux qui fait la pérennité de la structure.

Du point de vue de la culture associative et de ses principes, ces mutations sont vécues comme perturbantes. Les dirigeants d’associations reviennent très souvent sur ce thème. En effet, la nouvelle régulation implique non seulement des règles de rationalisation et de professionnalisation de leur activité qu’il faut prendre le temps d’acquérir, mais elle suppose aussi un changement du rapport aux autres associations. Ces nouveaux rapports, caractérisés par une plus grande rivalité et une plus grande méfiance, supposent aussi d’aborder différemment le management associatif. Les structures qui ont fait l’objet d’une adaptation rapide, dans les trois départements étudiés, étaient caractérisées soit par la présence d’un directeur issu du monde de l’entreprise privée lucrative, soit par une composition d’administrateurs triés sur le volet pour leurs compétences et leur réseau personnel dans le monde politique, mutualiste et de la santé. Bien sûr, on s’éloigne là du conseil d’administration classique composé d’administrateurs dont la vocation est principalement solidaire. La vocation reste toutefois sociale. Une question est donc soulevée ici, celle de la rationalisation des compétences au sein des conseils d’administration. Comment ces derniers évoluent-ils? Quelles sont les compétences requises? Comment sont-elles constitutives de la structuration d’une stratégie d’ensemble?

Les acteurs sont aujourd’hui plus que jamais conduits à composer avec de nouveaux impératifs stratégiques tout en restant garants des principes et valeurs qui font la spécificité du secteur associatif. Les exemples que nous venons de présenter révèlent la capacité des associations à se coordonner pour défendre ces principes et ces valeurs. Néanmoins, plusieurs interrogations demeurent. En effet, on peut tout d’abord se demander s’il n’y a pas un dilemme pour ces associations entre chercher à se développer pour mieux assurer leur survie à moyen terme et en même temps poursuivre une coordination de court terme indispensable. Ensuite, la nouvelle loi relative à la réforme des collectivités territoriales françaises, actuellement en cours d’élaboration, est susceptible de transférer le pouvoir de régulation à une entité plus vaste que le département, à savoir la région. Les associations de ce vaste territoire parviendront-elles à se coordonner à l’échelle régionale pour peser sur les choix politiques? Les réseaux mis en place seront-ils suffisants, alors que le territoire politique s’éloigne du territoire d’action de chaque association?

La mutation du secteur de l’aide à la personne dans le sens d’une régulation fondée sur la concurrence nécessite donc de la part des associations qu’elles réfléchissent à leurs modes de coordination horizontaux « inter-associations », mais également verticaux « locaux, départementaux, régionaux, voire nationaux ». C’est ce qui leur permettra d’acquérir ou de renforcer leur légitimité sur un territoire donné.