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Une brève présentation de la sociologie dialectique de Michel Freitag[Record]

  • Manfred Bischoff

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Si j’ai choisi de citer aussi longuement Michel Freitag, et ce passage-là en particulier, c’est parce qu’il résume bien à la fois l’esprit critique et la visée théorique qui traversent toute son oeuvre sociologique depuis la parution de son oeuvre maîtresse Dialectique et société, parue en 1986, jusqu’au dernier ouvrage publié de son vivant, L’impasse de la globalisation. Une histoire sociologique et philosophique du capitalisme. Il s’agit d’une oeuvre animée d’un profond sentiment d’urgence devant ce qu’il perçoit comme étant ni plus ni moins qu’une crise de la civilisation. Et, dans le cas présent, il ne s’agit pas seulement de la civilisation occidentale – arrivée au stade de la postmodernité – mais de la civilisation dans son ensemble, dans la mesure où les autres civilisations empruntent volontairement ou se voient imposer les valeurs culturelles et modalités d’organisation sociopolitiques et économiques d’une modernisation dont le développement a finalement conduit à une impasse civilisationnelle : celle des « systèmes sociaux » postmodernes qui ont émergé depuis un demi-siècle et qui inaugurent une toute nouvelle forme sociétale, tendanciellement nihiliste, de ce que l’on appelle communément l’« être-ensemble » ou le « vivre-ensemble » Lorsque Freitag affirme que nous ne pouvons plus penser et agir comme si l’existence de notre être propre et de l’être du monde étaient assurés – dans leur séparation – et que nous (aurions) encore, ontologiquement, indéfiniment le « droit à l’erreur », il veut dire par là que nous ne pouvons plus (nous permettre de) penser séparément notre existence individuelle, de celle de la société (l’« être-ensemble ») de la nature, car elles forment maintenant un tout indissociable : l’« être du monde ». Ce que nous appelons crise écologique n’est pas seulement une crise de la nature – c’est-à-dire un déséquilibre croissant et potentiellement irréversible des paramètres biochimiques de l’écosystème terrestre qui menace la vie telle que nous la connaissons –, c’est avant tout une crise de notre rapport à la nature. Et si Freitag affirme que nous n’avons plus « le droit à l’erreur », c’est parce que pour la première fois dans l’histoire les sociétés dites développées ont acquis sur la nature une puissance technoscientifique telle que les risques d’une catastrophe d’ampleur planétaire relèvent désormais non plus seulement de l’ordre du possible, mais de celui du probable. Ce qui n’était encore qu’un souhait utopique et un programme vague au début des Temps modernes, la volonté de « se rendre maître et possesseur de la nature », est devenu réalité maintenant. Cependant, cette réalité n’a plus rien à voir avec l’idéal d’émancipation humaine des tenants modernes du Progrès et des Lumières. La prise de « possession » a bel et bien eu lieu à travers le développement du capitalisme, mais cela au prix d’une spoliation et d’un gaspillage sans précédent des ressources naturelles, provoquant ainsi un processus de détérioration de la biosphère. Elle a provoqué des effets tout aussi délétères sur les cultures et sur les sociétés : autant sur les diverses sociétés empiriques qui existent dans le monde que sur la société en sa constitution ontologique et anthropologique. Quant à l’idéal d’une « maîtrise de la nature » par l’humanité, il suffit de regarder l’état du monde aujourd’hui pour se rendre compte que c’est plutôt l’absence d’une telle maîtrise qui caractérise les temps postmodernes, non seulement en regard de la crise écologique qui se développe sous nos yeux, mais aussi en regard des crises de toutes sortes qui prolifèrent au sein des sociétés dites développées et en voie de développement. Je voudrais exposer dans les pages qui suivent quelques idées centrales de la théorie …

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