Article body

Figure

-> See the list of figures

Qu’est-ce que la permaculture au féminin ? Pourquoi ce regard, jusque-là invisibilisé, était-il si nécessaire ? Lorsque Christelle Fournier, elle-même permacultrice, s’est rendue compte que la plupart des livres en permaculture étaient écrits par des hommes, elle se mit au défi de faire entendre des voix féminines venant de différents contextes. Et pourquoi la permaculture urbaine ? Comment peut-on entamer une transition socioécologique en ville de manière individuelle et collective ? Les villes, municipalités et citoyen.ne.s cherchent de plus en plus à développer une vision de la transition socioécologique sans forcément savoir où commencer. Ce livre est ainsi conçu pour répondre à ces enjeux en alliant conseils pratiques pour développer un projet collectif, et questions théoriques pour pousser à la réflexion.

Les autrices de cette œuvre collective présentent d’ailleurs une multitude de points de vue permettant au lectorat de s’identifier aux visions qui lui parlent le plus. Certaines sont cheffes d’entreprise (Christelle et Muriel Fournier, Stéfany Chevalier), de coopérative (Abrielle Sirois-Cournoyer), chercheuses (Laure Patouillard), coordonnatrices en organisation (Nadia Ponce Morales) ou conseillères (Leyla Lardja), d’autres sont impliquées dans des mouvements liés à la vie collective (Françoise Zoroddu, Grabrielle Anctil) et d’autres encore se concentrent sur les enjeux d’équité humains (Valérie Ayotte, Agathe Lehel), sans oublier bien sûr les illustratrices/graphistes du livre (Andréa Williamson, Sophie Pouille, Cynthia Saint-Gelais). Toutes ces autrices présentent des points de vue personnels, tirés de leurs propres expériences, en plus de leurs avis professionnels. Le livre réfute l’idée que seul.e.s les expert.e.s savent comment gérer la transition socioécologique, les citoyen.ne.s devant être au cœur de ce travail en développant de nouveaux savoirs et savoir-faire lors de discussions collaboratives. De manière générale, ce livre privilégie des perspectives situées et intersubjectives, non neutres. Ainsi, Christelle partage sa vision du monde et les expériences les plus significatives de son parcours académique et professionnel, dont nous pouvons souligner ici sa participation comme étudiante au programme court d’Éducation relative à l’environnement de l’UQAM.

Le premier chapitre introduit une vision sociale de la permaculture, avec le but d’établir un langage commun à travers les notions de permaculture urbaine et d’écocitoyenneté, centrales dans l’œuvre. Dans ce sens, l'écocitoyenneté est présentée comme une envie individuelle et collective « de contribuer à la vie politique, c’est-à-dire citoyenne, en adoptant une orientation socioécologique forte » (p. 20), en se responsabilisant par rapport à l’autogestion de leur milieu de vie, comme « une force politique locale décentralisée et ancrée dans l’action » (p. 20). L’approche permaculturelle est présentée à travers trois principes éthiques servant de boussole pour guider des projets et les adapter à la réalité locale.

Ces trois principes éthiques constituent le sujet des trois chapitres suivants : Prendre soin de la terre, dans ce cas en ville ; Prendre soin de l’humain, pour devenir ecocitoyen.ne ; et Partager équitablement, pour concrétiser les fondements permaculturels dans l’action collective. Fait remarquable, dans ces trois chapitres, ainsi que dans un prochain dédié à l’éducation, les voix de Christelle et des autres autrices s’alternent pour présenter des propositions qui amènent à la réflexion afin de mieux comprendre les sujets abordés.

Le chapitre Prendre soin de la terre en ville questionne la sécurité écologique de nos villes et propose des avenues de solutions concrètes basées sur la diversité et la santé des écosystèmes urbains, notamment les friches, qui peuvent être porteuses de richesse socioécologique alors qu’elles sont typiquement représentées comme étant désertiques et malfamées.

En ce qui concerne le chapitre consacré à Prendre soin de l’humain, l’approche écocitoyenne est approfondie à travers la perspective « care », visant à la fois soi-même et les autres. Valérie Ayotte souligne que la permaculture permet de mettre en valeur la richesse de la diversité humaine, en adoptant un regard critique sur les inégalités intersectionnelles qui persistent, même dans le monde de la permaculture. L’autrice compare également la pertinence et la capacité de transformation des solutions individuelles (écocivisme) par rapport à celles collectives (écocitoyenneté). Dans ce but, elle propose des formes concrètes pour prendre soin des besoins et des aspirations individuels et collectifs en équilibrant le je et le nous.

Partager équitablement aborde des sujets comme l'intelligence collective dans une optique de co-création fondamentale pour entamer la transition. À cet égard, Leyla Lardja suggère de regarder les individus faisant partie du groupe plutôt que seulement le sujet collectif. Plusieurs orientations sont offertes pour gérer les dynamiques de groupe, bien que les processus de gouvernance puissent se faire de manière organique. Ce chapitre intègre aussi une section sur la décroissance low-tech, où Abrielle Sirois-Cournoyer propose d’organiser notre société avec des technologies plus simples afin de respecter les limites de la planète dans une optique de mitigation des buts lucratifs en privilégiant le bien commun.

Enfin, l’accent est mis sur l’approche éducative associée à la proposition permaculturelle et écocitoyenne de ce livre. Malgré une certaine confusion conceptuelle, en mélangeant la notion d’éducation comme educare (transmettre) ou comme educere (accompagner), ce chapitre explore « comment éduquer à la permaculture en prenant soin de l’incarner » (p. 190). Au-delà des aspects formels, une perspective clairement écocitoyenne y est présentée, en soulignant des aspects tels que le rôle de la facilitatrice dans le processus d’accompagnement avec des collectifs ou l’importance des récits ontologiques. Une telle perspective favorise les apprentissages par l’action collective, la mise en pratique du dialogue et de la mobilisation de savoirs à travers la co-construction de récits et des réflexions éthiques et critique-créatives dans la conception et déroulement des projets, ou le souci constant de préserver et de promouvoir l’autonomie individuelle et collective, toujours au but de développer le savoir- et le pouvoir-agir pour dévernir ensemble des agents de transformation sociale. Ainsi, la permaculture se présente comme un moteur de changement de paradigme pour la co-construction de réalités sociales alternatives.

En conclusion, ce livre ne porte pas sur les techniques permacoles dans un sens de production agricole, mais sur une approche globale de la permaculture qui privilégie sa dimension sociale dans un contexte urbain et apporte un regard collectif féminin et féministe, aussi incontournable que jusqu’ici invisibilisé. C’est une approche profondément fertile, comme le nom de la maison d’édition créée ad hoc, fondamentale pour affronter ensemble la transition socioécologique. Du point de vue de l’éducation relative à l’environnement, ce livre contribue au développement de l’approche écocitoyenne, à travers de multiples propositions d’apprentissage collectif dans l’action. Enfin, il est important de souligner la cohérence de l’œuvre, autant à l’interne, avec les différents chapitres et idées mobilisées, comme à l’externe, avec la vision, la co-écriture, l’autoédition appuyée pour le sociofinancement et la commercialisation du livre qui a été faite aussi selon les principes permaculturaux.

À cet égard, bien que le livre soit disponible en format papier[1], les personnes intéressées peuvent choisir quel montant payer pour l'acquisition de la version numérique, sous la forme d’un tarif équitable (ou prix libre) afin que le livre soit abordable au plus grand nombre. Cependant, certaines personnes mélangent tarif équitable et gratuit. Même si en théorie la version numérique pourrait être achetée à bas prix, cela ne veut pas dire que le livre et le travail fournit par les créatrices est sans valeur[2]. L’argent ici peut servir comme moyen de reconnaissance sociale au même titre qu’un remerciement. Nous avons donc ce beau défi d’investir dans le processus de valorisation du livre, qui s’inscrit totalement dans sa philosophie écocitoyenne et de la permaculture sociale.