Abstracts
Résumé
Cet article s’appuie sur la démarche des histoires de vie pour explorer le parcours d’une recherche de doctorat en éducation et formation relatives à l’environnement (EFrE), en référence aux trois mouvements du processus de formation, auto-éco-hétéro-formation, et ses deux temps, régimes diurne et nocturne, mis en évidence par Gaston Pineau. Cette démarche permet de faire émerger le rôle implicite initial du régime diurne, d’analyser l’implication du chercheur dans son objet de recherche, de retracer le cheminement de l’élaboration de l’idée principale de la thèse en question, et, d’expliciter un dispositif de récit de vie environnemental.
Mots-clés :
- histoire de vie,
- écoformation,
- complexité,
- dialectique vie / mort,
- Arkhe-pensée
Abstract
This article applies the life story approach to explore the methodologic path of a doctoral research in environmental education, taking into account the three movements of the process of self-eco-hetero-formation, and its diurnal and nocturnal regimes, as identified by Gaston Pineau. This approach allows to put in evidence the initial implicit role of the diurnal regime, the involvement of the researcher in his object of research, the development of the main idea of the thesis, and to explain the process I adopted to produce an environmental life story.
Keywords:
- life story,
- ecoformation,
- complexity,
- dialectic life / death,
- Arkhe-thinking
Article body
Pour élaborer cet article, j’ai mis en œuvre la démarche des histoires de vie en revenant sur les moments clés de ma recherche. L’objet de cet article est de faire émerger ce qui a orienté ma recherche doctorale sans que je m’en rende compte dans son moment de production. Je vais donc prêter attention à ce qui se passait de mon insu (Le Grand, 1990). Pour faire émerger maintenant ce qui m’échappait alors, j’ai analysé mon implication[1] dans une perspective formatrice et j’ai découvert ce que René Barbier qualifie de dimension pulsionnelle de la transversalité[2] et ce que Gaston Pineau dénomme transaction vitale[3].
Des paroles prononcées m’ont marqué à vie, m’ont surdéterminé au point de constituer une transversalité du cours de ma vie. Je les ai entendues dans ma petite enfance : « dans le ventre de ta mère, tu as dévoré ton jumeau ».
La théorie élaborée par Gaston Pineau permet d’en saisir le processus[4]. Une très grande part de ma formation expérientielle de mon enfance se passait en régime nocturne à imaginer la situation, les scénarios possibles et à donner vie à ce double incréé, mon jumeau qui n’est pas né. Soir après soir, avant l’endormissement, je cherchais à imaginer ce possible et à l’objectiver grâce au savoir formel que je pouvais acquérir en journée. Je n’ai eu de cesse d’objectiver cette réalité psychique en saisissant lors de mes formations formelles en régime diurne tout ce qui me permettait de faire sens. Depuis, ma plongée dans le rapport entre vie et mort est mon quotidien, transaction vitale oscillant entre déni et élaboration. C’est à la reconstitution de ce mouvement de recherche-action-formation (Galvani, 2005) et ses transactions écoformatrices que je vous convie.
Aux sources écoformatrices
Au marqueur initial surdéterminant d’une parole maternelle hétéroformatrice lors de mon enfance, s’est substituée, lors de mon adolescence, une ouverture au monde à partir de moments écoformateurs salvateurs, dont le contact direct avec l’eau.
Enfance : loin de la ville, une écoformation aquatique
Mes parents me demandaient d’éviter de jeter et de gaspiller, surtout la nourriture. Ils nous emmenaient, mon frère et moi, le temps d’un weekend ou des congés, à quitter la ville et vivre dans des milieux très variés : forêt, campagne, mer, montagne, fleuve. Mes promenades dominicales en pleine nature, en compagnie de chiens, me permettaient de retrouver un équilibre. Pendant les vacances, en juillet, je me rendais dans une ferme de montagne. J’étais au plus près des paysans : sur le tracteur à couper et moissonner le foin et la paille ; au plus près des animaux, émerveillé par la naissance de veaux ou peureux face au taureau. Des événements marquants me restent : l’effondrement de l’étable sur les vaches et leur sauvetage, les bus tombants dans le Drac, des alpinistes qui dévissaient, des jeunes se préparant à partir pour manifester à Creys-Malville contre la construction de la centrale nucléaire lors de l’été 1977. Ce qui reste de ce vécu juilletiste, c’est la tranquillité que me procuraient la vie à la ferme auprès de ses habitants, au milieu des animaux, et tous ces moments où je m’intéressais au travail de la ferme, où je parcourais les prés, je construisais des cabanes ; ce sont ma première marche en montagne, mes baignades quotidiennes dans le lac froid : c’est ainsi que je ressentais ma limite corporelle.
De mon vécu aoûtien en camping sans étoile, il me revient l’aventure ligérienne, la pêche de la friture que nous savourions, la marche dans le sable chaud, les jeux avec les autres enfants, les cabanes, la découverte des crevettes d’eau douce, les parties de pétanque, les baignades à volonté. J’aimais découvrir le monde et ses paysages, les animaux et la vie. Le cinéma, les reportages télé et les lectures me le permettaient également. La question du développement des sociétés émergeait.
Adulte, je suis retourné sur les lieux de mes vacances, ces milieux écoformateurs ; l’activité humaine n’avait pas eu de prise, seuls les bâtiments étaient en ruine.
Dans ce premier temps de ma vie, de ma naissance à 10 ans, j’étais habité par mon régime nocturne d’un imaginaire autour de l’absence de l’autre – mon jumeau qui aurait pu naître ; je découvrais la vie et le monde vivant, les autres et la société, la dureté du vivre. L’origine de mon désir de connaître la vie sur Terre est là. Les moments de loisir ont été salvateurs, m’ont toujours ressourcé, ont acquis une valeur rééducative (Cottereau, 1994) au regard de ma vie urbaine gouvernée par l’activité et le rythme scolaire. La valeur que j’accorde au monde vivant s’est développée dans ce premier moment de vie que la mort peut subitement interrompre. J’en eus d’autant plus conscience qu’en 1977, je subis un accident de circulation.
Adolescence 1 : l’éprouvé écoformateur
Un emménagement en banlieue d’une ville au cœur des Alpes me permit de vivre plus au contact des éléments naturels. Durant cinq années, ma vie suivait le rythme scolaire au collège et le rythme des saisons de handball. Je découvrais l’éducation populaire sans m’en rendre compte : éducation laïque à travers le sport et cultuelle auprès d’un prêtre ouvrier. De cette période, il me reste les cours, le sport, la construction de cabanes, grimper dans les arbres, marcher sur l’étang gelé, organiser des batailles de boules de neige ou de marrons entre deux cités, capturer des grenouilles, chiper des cerises dans les jardins et les champs, escalader des parois, les visites d’une grotte, les matchs de foot, mes déplacements journaliers à vélo. Les rituels de l’été de mon enfance avaient cessé. Je découvrais d’autres horizons : le golfe du Mor-Bihan que j’arpentais à vélo, les baignades, les pêches aux crabes que je relâchais, la planche à voile, la plongée sous-marine. Mon grand plaisir, lorsque le temps le permettait, était d’enfourcher mon vélo de course et de partir à l’assaut du col de la Porte : plus de vingt kilomètres de côtes. Une épreuve. Seul dans l’effort, avancer mètre après mètre, parfois zigzagant sur la route tant la pente était rude pour l’adolescent frêle que j’étais. Parfois, je ne parvenais pas au bout par manque de forces. Quelle délivrance lorsque je m’arrêtais ! Je regardais le paysage montagneux. Je cherchais les animaux. Je regardais les fermes. Je récupérais. Ensuite, c’était la descente grisante et la peur de tomber. Est-ce une métaphore de la manière dont a cheminé ma recherche ? Cette période de ma vie fut marquée en 1978, par une catastrophe écologique : l’accident de l’Amoco Cadiz. J’éprouvais mon impuissance. L’éducation populaire, j’en bénéficiais aussi grâce au ciné-débat, dont celui animé par Haroun Tazieff ; il expliquait l’importance des volcans dans la formation de la Terre et leur place pour le vivant. Ce deuxième moment de ma vie montre l’importance formatrice du savoir scolaire, de l’éducation populaire, du corps sportif, des libres activités ludiques de plein air.
Un autre regard pourrait être posé sur ce premier temps de ma vie, mais ce retour montre les prémices d’une pensée : la place de la vie et de la mort, les événements catastrophiques, l’impact du développement des sociétés, le ressourcement au contact direct des éléments, la diversité des milieux de vie vécus, les gestes au quotidien en fonction des moments, la récréation dans le monde avec les autres lors des temps de loisir. Les moments écoformateurs de ce parcours rééquilibraient la plongée induite par le marqueur initial d’une parole maternelle hétéroformatrice ; ils seront réinvestis ensuite sous forme de transaction implicite au fil de mon parcours doctoral.
Absence de soi en hétéroformation
Cette phase de ma vie est marquée par la réalisation d’apprentissages hétéroformateurs permettant ma socialisation, sans pour autant réaliser un retour plein et entier à moi-même, sans m’engager dans un processus autoformateur authentique.
Adolescence 2 : aux limites du corps mécanique
Ensuite, ce furent quatre années sportives : Sport Étude Handball et trois saisons au niveau national. J’appris sans cesse à repousser mes limites corporelles - cardiovasculaires, musculaires, psychomotrices -, à répéter les gestes à l’infini pour les réaliser sans penser, pour savoir jouer ensemble, pour se dépasser. Ce furent mes premiers pas dans la pratique de la formation auprès de jeunes : réinvestissement de mes acquis de joueur et des valeurs de l’éducation populaire. À ces apprentissages corporels quasi-mécaniques, s’ajoutait le rythme scolaire avec ses 40 heures de cours de comptabilité et gestion par semaine. Je supportais ce rythme grâce à la pratique du sport et à un groupe d’amis. Dans ce moment de vie, j’appris à dissocier le temps scolaire où je passais le plus clair de mon temps et le temps sportif qui ponctuait mon quotidien. Les apprentissages scolaires et sportifs m’éloignaient de toute nature, éloignement renforcé par l’esprit compétitif tant au lycée qu’au club, ce qui m’engagea dans le processus de dissociation.
J’ai vécu cette période comme une forme d’abandon de soi. De surcroit, je la transmettais. Déformé, j’appris à déformer les autres en tant qu’entraineur. J’espérais alors vivre dans cette forme sociale d’insouciance déformatrice, mais la gravité me ramenait les pieds sur Terre. La fin de cette période fut marquée par l’accident de Tchernobyl avec tous ces mensonges et toute l’ampleur de l’impact sur la vie. Cette catastrophe industrielle m’a fait réfléchir à celles du passé et m’a déterminé dans mon désir de dresser une chronologie des catastrophes naturelles et humaines que je commencerai en 1989. Intérieurement, j’étais d’autant plus en révolte que mon père venait de contracter une méningite ; il échappa à la mort. Je passais le Bac. J’allais quitter ce milieu de vie et la rassurance des chaînes montagneuses avec regrets et tristesse même si mon hétéroformation ne correspondait pas à mon idéal personnel, trop éloigné de la nature. La puissance hétéroformatrice était telle que j’en oubliais toujours la nature, tant personnelle et autoformatrice qu’environnementale et écoformatrice.
Une tendance l’emporta : à la question endormie du comment l’autre incréé aurait-il pu mourir et vivre, s’est substituée celle du comment marche le monde. L’investissement libidinal ne faisait que se déplacer et s’opérait alors en moi un changement d’objet de connaissance sans pouvoir me défaire du marqueur initial hétéroformateur.
Jeune adulte : comment marche le monde ?
Je revins vivre en banlieue parisienne. À notre arrivée, il y avait encore une ferme avec ses cochons, une basse-cour et du maraîchage. Dix années plus tard, les champs ont laissé place à une zone pavillonnaire et un supermarché ; une vieille route de pavés fut recouverte d’un bitume flambant neuf. En 1986, je commençai mes études en Sciences économiques à l’Université de Paris 8 de Vincennes à Saint-Denis, au département Territoire, Économie, Société (TES). J’étudiais le développement économique des sociétés en profondeur : sociologie, géographie, écologie humaine, climatologie, démographie, histoire. Les rapports Nord-Sud étaient le point commun de mes enseignements et de mes lectures. Je me rendais compte du puissant antagonisme dans lequel les sociétés étaient prises. D’un côté l’histoire des sociétés montre que nous nous organisons pour perdurer dans le temps et pour faire face aux différentes formes de mort, d’un autre côté les organisations sociales déploient des capacités destructives toujours plus puissantes. Je découvrais l’état d’urgence planétaire et l’idée d’un développement durable pour y répondre. Le domaine de l’économie de l’environnement émergeait. Parmi les principales figures, je me souviens de Kenneth Boulding et son village planétaire, de René Passet avec sa bioéconomie, d’Ignacy Sachs et son implication pour un autre développement dès la fin des années 1960. Mes lectures m’entrainaient entre vie et mort au fil des siècles, des gens, des sociétés, des civilisations, des pensées. J’apprenais l’étendue des ravages naturels et humains, l’organisation de l’exploitation des gens, de la terre, des richesses. Ma vision mortifère du monde ne faisait que s’étoffer. Dans ce contexte, je commençai un travail de documentation pour connaître l’histoire des acteurs qui prirent part à la préparation de la première conférence mondiale dans le cadre du Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE) de 1972. Ce travail, je le continuai ensuite jusqu’au moment de commencer ma thèse de doctorat, car l’EFrE en est l’un des fruits. J’avais alors conscience de l’ambivalence du développement des sociétés, oscillant entre progrès et régression, création et destruction : un développement à la fois vivifiant et à la fois mortifère.
L’abandon de mon écoformation s’est fait au profit d’une réflexion en clair-obscur hétéroformatrice à partir de la pensée des autres, réflexion toujours ancrée dans sa transversalité, préformant des possibilités de transactions.
Un choix éco qui ne me quittera plus
L’accès au savoir ouvert à la connaissance du développement des sociétés en formation formelle m’a permis de substituer à l’objet de mes inquiétudes nocturnes, un objet d’inquiétude partagé par le plus grand nombre : le monde en devenir. L’analyse de mon implication dans mon objet de recherche permet de montrer que d’autres actions ont été nécessaires pour me permettre de m’engager dans un processus autoformateur authentique.
En hétéroformation : l’économie de l’environnement
Avant de m’engager sur la voie d’une initiation à la recherche en sciences économiques, je m’autoformais ; je lisais tout ce que je pouvais sur la thématique des problèmes d’environnement : couche d’ozone, effet de serre, pollutions de l’air, de la terre, des eaux, perte de la biodiversité, surexploitation des ressources, surpopulation, catastrophes industrielles, etc. Je me documentais sur diverses réalités : de l’importance des impacts des métaux lourds au niveau cellulaire à l’actualité de la connaissance de l’univers, en passant par les initiatives humaines pour faire face aux effets néfastes du développement économique. En 1990, je choisis de m’inscrire au programme de maitrise en sciences économiques et d’être initié à la démarche de recherche. Mon mémoire, dirigé par Michel Beaud, a porté sur la prise en compte de l’environnement, telle que recommandée par l’OCDE (Principe Pollueur-Payeur). Au début des années 1990, plus de cent définitions du développement durable avaient été proposées. Je me rendais compte de l’importance de cette perspective économique en assistant aux réunions du Groupement d'Intérêt Scientifique pour l'Étude de la Mondialisation et du Développement (GIS-GEMDEV) et aux conférences sur l’actualité de la recherche sur la couche d’ozone à l’École Polytechnique de Paris. Je collectais des informations sur l’émergence de l’économie de l’environnement, le rôle des institutions internationales, les impacts des activités humaines sur la biosphère.
J’infléchissais mon processus hétéroformateur en donnant un second sens au marqueur initial ; j’ai pu, sans m’en rendre compte, ne plus prendre au pied de la lettre les paroles maternelles et transposer son ancrage au développement des êtres humains sur Terre.
En autoformation : un début de retrouvailles
En 1991, au fil de ce travail de recherche en économie, la question de la formation au sens large - de soi, des groupes sociaux, des États-Nation, des milieux de vie, de la Terre, de l’Univers - prenait forme en moi. Transmettre redevenait une possibilité. Je choisis de préparer les épreuves du Certificat d’Aptitude au Professorat de l’Enseignement Secondaire (CAPES) en Sciences Économiques et Sociales. À l’Institut Universitaire de Formation des Maitres (IUFM), je bénéficiais de séminaires : Thanatologies planétaires et recherche-action. Dans cet élan, je m’inscrivis en Licence des sciences de l’éducation à l’Université Paris 8 et je découvris la démarche des histoires de vie en formation d’adultes grâce à Jean-Louis Le Grand. Je trouvais tant de sens à cette démarche que j’ai abandonné le CAPES.
Sur cette période, j’avais ingurgité du savoir en complète hétéroformation. Les histoires de vie m’ont permis de réaliser un premier pas vers des retrouvailles avec moi-même, en co-formation avec les personnes du groupe de travail constitué lors de cet enseignement. Dans le même temps, toujours passionné par l’écodéveloppement, je m’investis dans une expérience étudiante, celle du Réseau d’Échanges Multidisciplinaires pour l’Environnement et le Développement (REMED). Je pris part à l’organisation d’un colloque avec le soutien de la Fondation Charles Léopold Meyer pour le Progrès de l’Homme (FPH) et plusieurs rencontres et débats internationaux. Parmi les participants, certains créèrent la Dynamique d’Information et de Formation sur l’Environnement et le Développement Durable (DIFED) ; d’autres prirent part à la concrétisation de l’agriculture biologique dans une ferme du Parc Naturel du Vexin.
Même si l’hétéroformation dominait toujours mon quotidien, lors de cette socialisation, mon acceptation du rôle tenu par les autres montra une évolution du champ des possibles transactionnels.
Écoformation à vivre : militer
En 1993, déménageant à Chartres, où je deviendrai père, j’ai participé aux activités d’une association de protection de la nature et d’éducation à l’environnement : Action Nature, implantée dans le Parc Naturel Régional du Perche. Ses actions : organiser des promenades naturalistes et des activités d’observation de la faune et la flore, planter des haies, poser des nichoirs, sauver des crapauds et demander à la Direction Départementale de l’Équipement (DDE) de construire un crapauduc, boucher les poteaux téléphoniques métalliques creux pour protéger les oiseaux, concevoir et organiser des animations destinées aux enfants, conduire un projet pédagogique dans une école primaire sur plusieurs années en traitant des thèmes comme les déchets, l’eau et les jardins, animer le journal de l’association, apporter un soutien moral et financier aux actions de dépollution lors de la marée noire de 1999 due à l’échouage de l’Erika sur les côtes françaises par l’intermédiaire des campagnes de la Ligue de Protection des Oiseaux (LPO), soutenir un centre de soins pour les animaux sauvages, participer à deux groupes d’éducation à l’environnement, l’un régional – le GRAINE Centre - et l’autre national - le Réseau École et Nature -, manifester contre l’implantation du troisième aéroport de Paris en Beauce (mars, 1996) lors d’une marche à Chartres et d’un pique-nique en plein champ. Je choisis de manifester ma solidarité écologique en tentant de travailler comme assistant en écologie urbaine.
Je me formai au GRETA (Groupement d’Établissements, organisme de formation d’adultes) de Chartres : apprentissages en biologie dont entre autres, les bio-indicateurs qui m’ont passionné, observations sur le terrain, visites de sites de traitement des déchets, de potabilisation de l’eau, de traitement des eaux usées, sensibilisation au bruit en ville, à l’aménagement des espaces naturels en milieu urbain, stage à la chambre des métiers où j’ai travaillé à un projet pilote en France sur la gestion des déchets des artisans. La réussite de ce parcours me permit d’intégrer cet organisme de formation : organisation d’une session de formation aux métiers de l’environnement et intervention sur le thème du développement durable. Parmi les conférences auxquelles j’ai assisté, celle animée par François Terrasson sur son livre La peur de la nature, ouvrage que je lisais dans la foulée, m’a marqué. Je participai alors pour la première fois à une réunion de travail du Groupe de Recherche en ÉcoFormation (GREF), co-fondé par René Barbier et Gaston Pineau. L’écoformation entrait dans ma vie. À la logique d’ensemble des histoires de vie, celle de « faire de sa vie une œuvre », s’adjoignait celle de l’écoformation : de « transformer notre rapport d’usage en rapport de sage ».
Cette période est marquée par la concrétisation de transactions vitales au contact des éléments du fait de les vivre et de les connaître ; grâce à l’ensemble de ces actions sociales, je continuai à entretenir un potentiel transactionnel.
Vie / mort : une boussole en formation
Durant ce temps, je restais en contact avec le groupe d’étudiants des Ateliers d’Anthropologie Existentielle Critique (AAEC) animé par Jean-Louis Le Grand : j’avais pour projet de réaliser un mémoire de maitrise en Sciences de l’éducation pour comprendre les relations entre l’écriture et la formation de soi. Lors des cinq années que je mis pour réaliser ce travail, je relisais les livres de référence dans le champ des histoires de vie en formation et dans celui de la formation des adultes. Étudiant dans le détail les ouvrages Produire sa vie de Gaston Pineau et Marie-Michèle (2012 [1983]), et Entreprendre d’apprendre. D’une autobiographie raisonnée aux projets d’une recherche-action. Apprentissage 3 d’Henri Desroche (1992), j’élaborais mon appareillage d’analyse centré sur la pratique de l’écriture de soi et les processus formateurs possibles en fonction des actes que la personne réalise pour produire son autobiographie. Pour la partie pratique, j’ai rencontré à trois reprises une femme en train d’écrire son autobiographie pour prendre connaissance de sa démarche. Au fil des entretiens, j’ai constaté que la mort jouait un rôle essentiel dans son processus de formation : la mort de sa mère durant son enfance qui la conduisit à vivre un quasi-abandon paternel, et une opération à cœur ouvert que cette personne devait subir sous peu. Je lui présentai les résultats de mes analyses en cours de recherche de maitrise et j’intégrai ses commentaires. J’ai soutenu le fruit de ce travail en 1998 en présence de Jean-Louis Le Grand et de Gaston Pineau, un an après le décès de mon père. Ce travail a été présenté en 2007 lors d’un colloque à Tours en en hommage à Gaston Pineau ; il a également été publié dans un livre sur Les histoires de mort dans le cours de la vie (Pineau et coll., 2011).
Dans ce moment de vie, j’ai repris un travail de réflexion sur le rôle de la mort, non plus seulement dans le processus de formation des sociétés, mais en plus dans les processus de formation de la personne ; je m’appropriai mon marqueur initial et je fis alors mienne la transversalité qui me demeurait insue à ce moment-là. Je relisais les travaux de Gaston Pineau et je me suis arrêté sur l’une de ses propositions faisant de la mort la valeur ultime de tout processus de formation (2012 [1983]). Je reprenais la lecture de certains passages des livres d’Edgar Morin : selon cet auteur, nous avons déployé un imaginaire qui empêche de penser l’« improbabilité inouïe » de la vie, de chacune des entités vivantes, de chacune de nos vies, de chaque conscience d’être en vie. Considérant la vie par rapport à la mort, il nous convie à voir le « caractère étonnant, paradoxal et scandaleux de la vie » (Morin, 1970, p. 11) et l’« improbabilité inouïe » de « chacune des vies constituant la vie » (Morin, 1980, p. 395). Auparavant, il insistait sur un point essentiel : dans l’introduction de L’homme et la mort, publié en 1950, on peut lire ceci : « Je partirais surtout, non du caractère étonnant, paradoxal et scandaleux de la mort par rapport à l’ordre du vivant, mais du caractère étonnant, paradoxal et scandaleux de la vie par rapport à l’ordre physique » (Morin, 1970, p. 11). Ouverture cosmique à ce qui nous entoure. Ce rapport à la mort est omniprésent face aux problèmes d’environnement qui réactualisent cet enjeu qui traverse l’histoire de l’humanité. Pour moi, vie et mort sont des notions terriennes, qui ne peuvent s’appliquer au-delà de notre planète du fait des conditions nécessaires pour qu’elles existent. Ce n’est pas nier qu’un phénomène similaire se déploie ailleurs, mais il faut se demander si les conditions sont similaires aux nôtres ? Est-ce le vivant tel que nous l’éprouvons sur Terre ?
Le fait d’ériger en dialectique les rapports entre vie et mort montre mon appropriation du processus hétéroformateur engagé dans mon enfance au point d’en faire un référent hétéro-éco-auto-formateur.
Histoire de vie et formation de soi
À partir de 1999, je mis en œuvre la démarche des histoires de vie au service de personnes d’horizons divers en quête ou en mal d’orientation personnelle, sociale et professionnelle. Au sein d’un organisme de formation chartrain, j’accompagnais des jeunes vivant des difficultés, des personnes sans travail inscrites à l’Agence Nationale Pour l’Emploi (ANPE), des salariés souhaitant réaliser leur bilan de compétences. Pour parfaire ma formation à l’écoute, je me suis alors formé à la psychothérapie au Centre Interdisciplinaire de Formation à la Psychothérapie Relationnelle (CIFPR). J’ai acquis des repères pratiques et théoriques en psychanalyse, gestalt, psychologie corporelle, psychopathologie, dynamique de groupe, philosophie. Lors de plusieurs stages résidentiels, les éléments naturels étaient présents : l’eau en piscine d’eau chaude, l’air en dynamique de souffle, la terre en dynamique de grands groupes. Ils me permirent de mettre au travail une part inconsciente de mon être, celle que je portais sans le savoir, refoulement retentissant sur mes relations aux autres. Dans ce contexte, le contact direct aux éléments naturels me permit de mettre à jour l’inconscient des événements, organisateurs ou désorganisateurs, de ma vie. Je faisais l’expérience de la manifestation de l’inconscient écologique, idée que Gaston Pineau développe depuis 1992 et la publication de De l’air (2015 [1992]).
Cette réappropriation corporelle, au plus profond de mon être, après les transactions successives qui m’ont été vitales, m’ouvrit au vécu d’une liberté de penser et d’agir ; j’ai fait mienne la dimension pulsionnelle de la transversalité induite par une parole maternelle initiale. Dorénavant, elle joue non plus seulement comme un marqueur, mais comme un ancrage terrien, un processus auto-éco-hétéro-formateur.
Recherche doctorale
S’ouvre alors un temps de recherche qui se déploiera de 1999 à 2009, me conduisant au cœur de la production de connaissances (thèse) et à transmettre mes acquis aux étudiants en assurant deux enseignements : l’un en EFrE et l’autre sur les récits de vie environnementaux.
Représenter la Terre
En cette même année 1999, je m’engage dans une recherche dans le champ de l’EFrE dirigée par Jean-Louis Le Grand. Je la débute en portant mon intérêt sur les représentations de la T(t)erre dans le cadre d’un Diplôme d’Étude Approfondie (DEA) formant aux « approches plurielles de la complexité des situations éducatives » à l’Université de Paris 8. Mon travail me plonge dans la pensée de pédagogues, de géographes, d’historiens. Je dévore le premier numéro de la revue Autrement sur « La terre outragée : les experts sont formels » (1992). Les livres de Morin sont mes livres de chevet. J’approfondis mes lectures des ouvrages sur l’écoformation. Je documente la notion de représentation et leurs processus de formation. Jean Piaget en propose une vision dans son travail commencé en 1926 (1947), La représentation du monde chez l’enfant. Il ouvre une voie pour penser leur plasticité. Dans le champ de l’EFrE, des chercheurs affirment que le terme de milieu est abandonné quasiment par la francophonie à la faveur de celui d’environnement après son passage dans la culture anglo-saxonne. L’étude des représentations de l’environnement par Lucie Sauvé (1992, 1997), rapportée entre autres par Pierre Giolitto et Maryse Clary (1994), permet de dresser une typologie à des fins éducatives. L’environnement mythique, naturel et originel, dont nous serions coupés, et dont il nous faut retrouver nos racines, prend la forme d’un environnement Cathédrale à admirer et à préserver, et celle d’une nature-utérus où nous devrions renaître en étant débarrassés des miasmes de la société. L’environnement affectif, intime, subjectif est propre à chacun. L’environnement du quotidien, de proximité, d’appartenance, est notre milieu de vie où nous réalisons nos activités ; à nous d’y améliorer, individuellement et collectivement, les qualités de vie. L’environnement ressource est constitué d’un patrimoine naturel limité d’où nous tirons notre subsistance et que nous devons gérer durablement. L’environnement global est celui de la biosphère, du monde fini tel que constaté par Albert Jacquard (1993), qui implique une éthique et une gestion planétaire. Quant à l’environnement problème, biophysique, il s’agit soit d’en limiter la désorganisation due aux activités humaines, soit de restaurer l’environnement dans sa forme originelle.
Pierre Astolfi et Anne-Marie Drouin (1986) étudient pour leur part, la notion de milieu à des fins pédagogiques en didactique des sciences. Le milieu peut être défini de diverses manières : un point au centre d’un segment ; un objet, une chose, un lieu, insécable ; une harmonie où chaque chose a et est à sa place ; des ressources pour chaque vivant ; composant, car composé de sous-ensembles constitués de parties juxtaposées ; facteurs, car les relations, une à une, entre les éléments présents sont considérées ; facteurs interdépendants où les interactions sont prises en compte ; l’environnement biorelatif car biocentré comme dans l’identification d’un écosystème.
Loin de s’opposer ou de former une simple collection, ces recherches sur la formation des représentations de l’environnement et du milieu permettent d’envisager un processus à l’œuvre, un cheminement formatif de l’enfance à l’âge adulte, et de surcroit, dynamique, car aucune représentation n’est figée une fois pour toutes ; les représentations émergent tour à tour en fonction des moments de la journée et de la nuit, de l’année et des saisons, de l’âge et des temps de la vie.
Je soutins ce travail de DEA sur La Terre : expériences, relation d’objet et formation des représentations en éducation relative à l’environnement en présence de Jean-Louis Le Grand qui l’a dirigé, de Gaston Pineau et de Rémy Hess (Beaudout, 2001).
Quelques semaines plus tard, j’ai pu valoriser ce début de recherche, à l’issue du DEA, grâce à Dominique Cottereau, qui animait un enseignement sur la formation à l’environnement ; elle m’a invité à réaliser une intervention d’une journée au sein du Diplôme Universitaire de Formateurs d’Adultes (DUFA) de l’Université de Paris 8. J’ai proposé un travail sur les représentations de la Terre à partir des énonciations des stagiaires. Je tentais de réaliser une carte mentale sur un tableau blanc que je noircissais de la diversité d’idées partagées.
Après ce travail, pour approfondir ma connaissance du rapport à la mort, je repris l’élaboration d’une grille d’appréhension des problèmes d’environnement. Je complétais mes acquis par de nouvelles lectures de livres traitant d’écologie et de l’état de la planète. Je pensais à ces problèmes en fonction de leur origine, naturelle / humaine, et de leur échelle de pouvoir de destruction/création, allant de la planète Terre aux transformations de la biosphère planétaire. Une ligne directrice reprenait forme et commençait à s’élaborer : le rapport entre vie et mort participe des représentations de l’environnement et du milieu ; il s’inscrit au cœur processus de formation.
De l’identification-projection à l’arkhe-pensée
En 2001, je commence mon doctorat à partir de l’hypothèse suivante : chacun est porteur, dans ses relations avec l’environnement, d’une instance que je nommais « bio-thano-sphère individuée et terrienne », à partir de laquelle les représentations se forment, peuvent être verbalisées et la vie personnelle, gouvernée. C’est en documentant cette hypothèse que celle-ci tomba.
L’abandon de cette hypothèse commença avec la remémoration de mes expériences sur le terrain avec des naturalistes dans le cadre associatif. J’ai appris à leur côté leur manière de procéder pour observer le milieu. Ils prenaient appui sur leurs savoirs théoriques : écosystème spécifique au terrain qui sera arpenté, biotope et biocénose incluant la faune et la flore qui seront probablement observées. Ensuite, ils se rendaient sur le terrain ; ils mettaient ainsi à l’épreuve de l’observation du milieu leur représentation, ce qui leur permettait d’adapter leurs savoirs théoriques et leur connaissance du terrain. Lors des sorties naturalistes, ils partageaient ces acquis. Parfois, il survenait un biais et je ne savais plus alors s’ils parlaient de ce qui les entourait ou d’eux-mêmes : le contenu de leurs paroles laissait entrevoir une indifférenciation entre soi et l’environnement.
Ce début de doute sur l’hypothèse initiale de ma recherche a été renforcé par des observations, plus précises et inattendues que j’ai présentées lors d’un séminaire de recherche animé par Florence Giust-Déprairie.
La première observation a été réalisé lors de la tempête de 1999 :
Je me trouvais entre Rochefort et La Rochelle, sur la presqu'île de Fourras, sur la côte Atlantique pour être avec ma famille. Pendant la nuit du 27 au 28 décembre 1999, j'étais pris dans la tempête. [Le lendemain matin], deux enfants de cinq et six ans m'accompagnaient dans le silence. Arrivant sur ces bords de plage, ils posaient d'un coup moult questions » relevant d’une pensée rationnelle. « Décontenancé par ma perception de ce paysage bouleversé, du désastre, de ma tristesse et de mon émotion, répondre à ces questions m'était déjà difficile. À la rationalité de leurs questions centrées sur le pourquoi et le comment des faits observables qui impliquait des réponses faisant appel à un mode de pensée rationnel et empirique, j'opposais une écoute sensible sous-tendue par un mode de compréhension de la nature et de ma nature humaine. C'est alors qu'une femme d'âge de sagesse nous accosta et déclara : « Dieu nous punit et c'est la fin du monde ». Quelle surprise pour les enfants ! Un adulte capable de pensées imaginaires et de les exprimer tout comme eux. Ce fut aussi pour eux une véritable découverte. Celle d'un imaginaire étranger. Ils renouvellent alors leur questionnement. Pourquoi est-ce que quelqu'un veut nous punir ? Avons-nous fait quelque chose de mal ? C'est quoi la fin du monde ? Tant le questionnement des enfants que les déclarations de cette femme, c’est-à-dire l’esprit scientifique d'une part, et l'esprit religieux monothéiste, d'autre part, se sont constitués en obstacles par rapport à la prise de conscience de l'impact vital de cette catastrophe en étant attentif à soi, aux autres et au milieu de vie. (Beaudout, 2003).
La seconde observation se déroula lors du festival pour la vie en 2000.
Je portais au-dessus de mes vêtements des branches de thuya qui me dissimulaient lorsque j'étais à genoux. J'attendais immobile les participants. Lorsqu'ils étaient suffisamment proches de moi, à quelques mètres, je me mouvais lentement pour aller à leur rencontre. A cette vision, un enfant s'est immobilisé, bouche ouverte, sans voix. Son attitude et son regard avaient la marque de l'étonnement. Ce fut comme s'il avait été sidéré. Une première personne m'a dit après coup qu'il ne me manquait plus qu'une massue pour ressembler à un homme préhistorique. Un homme m'a dit combien ma tenue devait être idéale pour aller chasser à l'affût. Un autre homme encore, originaire du Tchad, est venu me déclarer que dans sa culture, se vêtir ainsi, cela participait d'un rite funéraire. Un dernier homme, coutumier des lieux, m'a tout de suite repéré parce qu'il savait qu'aucun arbuste ne poussait à cet endroit. J'ai fait une expérience choc, forte, en devenant un lieu de projections multiples, plurielles, riches. Les personnes en me voyant ont attribué à ce qu'elles percevaient dans leur environnement ce qui leur appartenait en remplaçant la réalité par leur imaginaire. Par cette expérience, je me suis aperçu que l'environnement est un matériau à forte valence imaginaire ». (Beaudout, 2003).
La même année, j’animai une séquence éducative en école primaire, sous l’arbre du jardin de l’école ; les dires et le geste d’un enfant me conduisirent à confirmer qu’une d’identification-projection participait de ces actes. Il me permit de la préciser, car pour lui donner sens lors de l’analyse, je me suis rendu compte qu’elle mobilisait un ensemble de savoirs et de fait qu’elle le condensait (Beaudout, 2003).
En ce début de recherche, en 2001, j’ai réalisé un entretien avec un homme de presque 80 ans ; il me raconta sa vie au contact de la nature, essentiellement en tant que maraîcher, et son constat de la nécessité accrue d’amender de plus en plus la terre de façon proportionnelle au développement de l’urbanisation. Lors de cet entretien, d’un seul coup, il me confia qu’il était surnommé par les gens « Monsieur Binette » ; en se levant, il demanda à sa femme, qui ne faisait qu’écouter jusqu’à présent, d’aller chercher avec lui cet outil qui le caractérisait tant. La dimension identificatoire et mobilisatrice des identifications-projections était observable et prenait appui sur les trois pôles de formation : auto, éco, hétéro.
Lorsque j’étais Attaché Temporaire d’Enseignement et de Recherche (ATER), un étudiant, au fil du développement de ses idées, est allé jusqu’à écrire : « Malheureusement, aujourd’hui, nous pouvons constater que notre nature est bafouée, envahie, exploitée ; elle s’épuise. Nous sommes en train de la tuer ». Ici, la nature humaine et la nature apparaissent comme indifférenciées, comme dans la première expérience relatée. Mais à la différence d’une logique psychique fondée uniquement sur une attitude fusionnelle et confuse, cette expression confère une profondeur relevant de ce qu’Edgar Morin qualifie d’identification-projection, comme dans les autres expériences rapportées ici.
Que faire de ces observations et analyses : concomitance des modes de pensée imaginaire et scientifique, valence imaginaire, condensation de sens, auto-éco-hétéro-identification, indifférenciation soi / environnement ? Mes idées se sont précisées à la suite de la relecture d’une note de bas page dans La méthode 3 d’Edgar Morin (1986, p. 148), à propos des « projections-identifications psychiques » :
[Elles ont eu...] une aire d'extension universelle dans les civilisations « animistes » où au mode rationnel / empirique de connaissance se surimprimait une vision anthropo-zoomorphique des choses naturelles. Dans une telle vision, soit les éléments naturels étaient identifiés à des esprits ou à des dieux, et les événements étaient dus à leur intervention, soit les esprits et les dieux se tenaient derrière toutes choses naturelles et les faisaient fonctionner selon leur gré. Ce mode de compréhension de la nature s'est aujourd'hui désintégré, refoulé, d'abord par la connaissance de la théologie monothéiste puis par la connaissance scientifique. Il demeure toutefois vivant dans notre poésie, et sommeille, éventuellement prêt à s'éveiller ».
Edgar Morin propose donc que sommeillerait dans les tréfonds archaïques de nos esprits une relation aux choses naturelles fondée sur des projections-identifications. Cette idée permet d’expliciter en quoi celles-ci prennent part au processus de formation des représentations. L’auteur ajoute en effet que ces projections-identifications s’inscrivent dans un processus psychique plus large qu’il nomme Arkhe-Esprit. Ma proposition est que les expériences rapportées ici en sont une manifestation.
Pour Edgar Morin (1991, p. 216), Arkhe « signifie à la fois l’Antérieur et le Fondateur, le Souterrain et le Souverain, le Sous-conscient et le Sur-conscient » ; « est Arkhe ce qui est antérieur, préalable, fondateur, modélisateur, générateur » (p. 230). D’après lui, « une Arkhe-Pensée toujours vivante » procède d’un « Arkhe-Esprit, qui est, [...] [comme] un Arrière-Esprit qui, conformément au sens fort du terme Arkhe, correspond aux forces et formes originelles, principielles et fondamentales de l’activité cérébro-spirituelle, là où les deux pensées [mode rationnel / empirique, vision anthropo-zoomorphique] ne sont pas encore séparées » (Morin, 1986, p. 169). Cette conceptualisation de l’Arkhe-Esprit permet d’éclairer l’idée d’inconscient écologique (Pineau, 1998). J’ai mis du temps à prendre conscience de la nécessité, par souci de véracité, d’authenticité, d’abandonner mon hypothèse initiale d’une instance « bio-thanato-sphère individuée et terrienne » dans le cadre de ma recherche doctorale.
De l’enseignement de l’EFrE et du récit de vie environnemental au retour de l’arkhe-pensée
De 2004 à 2006, en tant qu’ATER, à l’Université de Paris 8, j’ai offert deux formations. Lors du premier semestre, le cours portait sur l’EFrE. Je continuais mon travail de compréhension de l’émergence de ce domaine de recherche. Dès la seconde moitié du XIXe siècle, des mouvements écologiques très divers voient le jour. Leur point commun : lutter contre les dégradations générées par l’accélération du rythme d’expansion des activités industrielles. Mais deux guerres mondiales mettent à mal cette dynamique, car l’urgent était de sortir des logiques de survie. Puis, dans la tourmente contestataire des années 60, s’impose une tentative de conciliation entre les acteurs de l’environnement. Entrent en scène les relations humaines : implication personnelle, rapport au savoir, relation de pouvoir, enjeu de domination, figure d’autorité, vision du monde divergente, représentation de la nature hétéroclite, etc. Les acteurs sociaux désirant transformer la société établie en perdent leur force initiale de radicalisation, tandis que les représentants de la société établie n’y perdent pas leur force de gouvernance mondialisante. Je pense que l’EFrE est l’un des fruits de ce moment d’institutionnalisation qui peine en France à avoir de l’influence.
Au second semestre, j’initiais des étudiants au récit de vie environnemental en Licence 3 des sciences de l’éducation. Je prenais des appuis sur les travaux de Gaston Pineau dont la formation en deux temps (régimes diurne et nocturne, formation expérientielle et formation formelle) trois mouvements (auto-éco-hétéro-formation), l’imaginaire des éléments et le récit de vie. Le cours s’intitulait : « S’éduquer en permanence à l’environnement : s’écoformer » (Beaudout, 2009, p. 574 - 575).
Au fil de ces enseignements, j’abandonnais définitivement mon hypothèse initiale de recherche de l’existence d’une instance « bio-thanato-sphère individuée et terrienne », car j’estimais qu’il s’agissait de la manifestation de mon arkhe-pensée. Cet abandon en cours de recherche m’a poussé là où je ne pensais pas aller. Je me suis engouffré dans des lectures interminables pour concevoir cette seconde hypothèse. J’explorais une nouvelle fois la proposition de Dominique Cottereau (1999, p. 11 - 12) : « L’environnement nous forme, nous déforme et nous transforme, au moins autant que nous le formons, le déformons, le transformons. Dans cette latitude de réciprocité acceptée ou refusée se joue notre rapport au monde ». Ce travail de lecture et relecture des publications du GREF et de reconsidération de mon expérience m’a donc amené à abandonner l’idée de formation de nos représentations de notre environnement à la faveur de celle de la formation personnelle d’une arkhe-pensée
Pour développer cette idée, je suis reparti du travail de Dominique Cottereau (1994) qui prend appui sur les recherches de George Lerbet et de Jacob von Uexküll pour explorer la relation à la nature d’une enfant en classe de mer : Océane ; ses analyses lui permettent d’avancer l’idée que de nos relations au monde, nous nous formons un milieu intérieur. Les travaux du GREF montrent que se forgent, entre une personne et ce qui l’entoure, dans le cours de la vie personnelle, quelques singularisations conscientisables, explicitables et sues, d’une part, et d’autres singularisations non-conscientisables, demeurant implicites et insues (Le Grand, 1990), =d’autre part. Ces singularisations expriment le pouvoir, à intégrer, à posséder et à imager / verbaliser, qu’une personne exerce sur l’environnement. Celle-ci régule ainsi ses relations, résout des problèmes, envisage des actions curatives et préventives, se projette dans l’avenir pour demeurer en vie dans les meilleures conditions. Ce faisant, chaque être vivant s’assimile des matières du monde extérieur en leur donnant une forme utile à sa vie et ainsi, se conserve en vie en puisant dans le monde extérieur les moyens de sa reproduction. Cette relation au monde génère un monde qualifié qui est métabolisé par la personne, c’est-à-dire que la personne détermine ce qui est de l’information pour elle, ce qui a une forme pour elle, et l’investit de pertinence, de poids, de valeur, de signification (Castoriadis, Fait et à Faire, p. 204). Ainsi, des relations entre une personne et ce qui l’entoure, non seulement est constitué un monde qualifié, mais aussi est créé un monde propre. La thèse que je défends est que le résultat de ce processus est observable lorsque se manifeste un acte qui nécessite pour le comprendre de mobiliser de larges pans de notre connaissance et qu’un tel résultat surgit en une totalité : arkhe-pensée. C’est un analyseur[5] de la formation du rapport au monde. Pour moi, l’idée d’arkhe-pensée représente un mode vital et relationnel spécifique à chacun, et compose ce qui relie une personne à ce qui l’entoure, ce qui organise sa manière d’être, de vivre, d’agir, de penser, de nouer des relations, etc., c’est-à-dire en fin de compte, sa condition de vie sur Terre et la manière dont elle se forme.
En 2009, et non 2008 du fait de l’AVC de ma mère, je soutenais ma thèse (Beaudout, 2009). N’ayant que peu d’éléments de terrain, ma thèse fut contestée. C’est la raison pour laquelle, j’ai ensuite pris part à différents colloques et j’ai partagé ma pratique du récit de vie environnemental.
En 2007, je participais à une réunion de travail du GREF portant sur le récit de vie environnemental. Entre 2008 et 2012, toujours à l’Université de Paris 8, j’ai remanié mon dispositif de formation pour un enseignement à distance et en ligne au sein de l’Institut d’Enseignement à Distance (IED). Cette formation s’intitulait « Éducation et écologie : une approche anthropologique ». En septembre 2012, à Lille, j’ai présenté une analyse de cette pratique éducative à un colloque (Beaudout, 2012). Je reprends ici les principaux éléments de cette analyse.
Les objectifs principaux de cet enseignement étaient d’initier des étudiants à la démarche des histoires de vie en formation d’adultes et à l’EFrE. Pour réaliser cette initiation, la démarche pédagogique adoptée se référait à l’automaïeutique généralisée (Desroche, 1990) ; c’est une base pour entreprendre d’apprendre dans une perspective de formation à partir des sujets. L’entrée dans ce dispositif se fait en prenant connaissance de la présentation de l’enseignement. J’y conseille de tenir un journal de formation qui reste personnel. Puis, les étudiants ont à exprimer leurs attentes dans un forum et écrire un récit de vie environnemental de trois pages portant sur leurs expériences environnementales. Au terme de la production de ce premier récit, où l’expression se déploie à l’interface de l’extimité et de l’intimité, je demande aux les étudiants de conserver leur dynamique personnelle afin de ne pas perdre leur logique de réminiscence et d’écriture, de conserver la singularité de leur expression et de leurs souvenirs. Lors du déroulement de l’enseignement, plusieurs forums de discussion sont proposés. Les étudiants y partagent leurs commentaires. Ils échangent sur le moment d’entrée dans l’écriture du récit, sur la manière dont ils vivent cette écriture, sur la lecture des récits des autres. Certains informent sur l’organisation de leur écriture. Des forums sont ouverts, dont l’un pour questionner leur compréhension des connaissances transmises qui servent à développer leur récit. Les questions d’actualité écologique sont abordées et lors de la catastrophe de Fukushima en 2011, les messages sur le forum se sont multipliés. D’autres décident de développer leurs réflexions et leurs questionnements sur un autre forum en fonction de leur intérêt pour des objets contenus dans leur récit. Enfin, ils produisent un dossier final contenant la première et la seconde version de leur récit, leur analyse réflexive critique sur leur processus de formation et une expérience éducative future à mettre en œuvre.
J’ai traité des données de 67 dossiers d’évaluation, ceux de 52 femmes et 15 hommes qui ont répondu à une série de questions (en 2010 et 2011) ou dressé le bilan de leur prise de conscience (en 2012). Pour les étudiants, cette écriture relève de l’intimité et non de l’extimité ; ce qui peut apparaitre comme une indifférenciation entre soi et l’environnement et la création d’un espace entre les deux, car l’expression de son monde propre resté intime jusqu’à présent, est extériorisé, expression à partir de laquelle un travail peut prendre forme. Loin d’être un travail solitaire, la seconde version des récits des étudiants est enrichie à partir de leur dynamique de réminiscence et d’écriture, des dialogues avec les membres de leur famille, des proches, des professionnels, de la lecture des récits des autres qui donnent leur accord pour le diffuser sur le site du cours, des visites sur les lieux de vie mentionnés dans le récit, le choix de lieux d’écriture différents, les liens entre les éléments du cours et leur expérience, et les recherches d’informations sur les objets traités dans leur récit. Ces trajets pour développer leur récit tissent des liens avec soi-même, les groupes d’appartenances éphémères ou permanents, les milieux de vie et la connaissance.
Au fil de l’enseignement, les participants et participantes reconnaissent l’importance vitale des éléments traités par les écoformateurs (air, eau, terre, feu), en relation avec leurs besoins (soif, faim, fatigue, souffrance). Leurs souvenirs et les éléments théoriques du cours montrent la place du contact direct avec les éléments dans le processus de formation. Ils l’associent avec la diversité de la vie, les entités vivantes, les éléments, les états de l’environnement, et l’importance des rapports et mouvements corporels qui parfois sont antérieurs aux activités intellectuelles (vivre/penser). Ainsi, faire des expériences permet de se sentir et d’accorder une valeur positive (aimer) ou négative (haïr) à ces moments vécus, aux lieux d’origine et aux voyages réalisés. Par exemple, les voyages contribuent à entretenir un sentiment d’appartenance au monde, permettent de se rendre compte de la diversité des paysages et des cultures, et de l’accepter. Cela n’évite pas de craindre de changer de mode de vie, surtout lorsqu’il faut quitter sa famille d’origine, et que ce changement occasionne un déménagement. Mais, même s’ils estiment ces expériences de contact direct comme nécessaires, elles ne leur sont pas suffisantes. Ils conviennent de la nécessité d’acquérir des connaissances concernant tous les domaines de l’EFrE : régimes alimentaires, plantes médicinales, gestes au quotidien, activités humaines, état de l’environnement, solutions mises en pratiques, supports pédagogiques et actions éducatives, méditation, etc. Leur objectif est de se forger dans ce domaine une vue d’ensemble sans nier sa complexité en accédant aux disciplines scientifiques et à certains discours. Ils souhaitent comprendre, estimer les conséquences de leurs gestes et des organisations qui les sous-tendent, conduire leurs réflexions pour se forger leur opinion, surtout en ce qui concerne la part de responsabilité de l’être humain (activités industrielles, modes de vie).
Au fil de ce cheminement entre expérience et connaissance, cette formation expérientielle leur permet d’accéder à la réflexivité, à la réflexion, à la critique. Ils constatent que l’invisibilité de l’état de l’environnement serait un facteur explicatif de leur manque d’implication, sauf en cas de danger. Pour certains, le primat de la consommation et de la société capitaliste entraine la perte d’autres valeurs, ce qui les conduit à débattre du phénomène de la croissance économique, de sa logique du « toujours plus », de la problématique du développement. Certains pensent aussi que des activités d’immersion dans la nature émergent la contemplation, le sentiment d’appartenance, la sensation d’apaisement et de ressourcement. Ce sentiment d’être relié et bienveillant provoque une ouverture au poétique, à la spiritualité, à l’imaginaire de la sacralisation de la nature, à la méditation.
Des étudiants, à partir du cours, pointent l’importance de recevoir des autres, d’apprendre à être, à respecter, à vivre ensemble sur Terre (cohabiter, coopérer, agir ensemble). Ils réinvestissent ces acquis de formation dans des projets de vie et professionnels. Ceux-là souhaitent tenir un engagement (professionnel, associatif, politique) humaniste et écologiste au quotidien à la mesure de leurs moyens. Pour les réaliser, ils savent qu’il est nécessaire de prendre le temps, celui de la prise conscience de l’être-au-monde au sens de Dominique Cottereau ; ils affirment que se forger une représentation consciente de son être, de ses relations aux autres, de ses rapports avec l’environnement, d’une part, et avoir conscience de sa présence au monde et de l’historicité qui la permet, d’autre part, ne se décrète pas, mais se travaille au quotidien dans le temps de leur vie, car ils ont conscience de leur finitude. Les étudiants reconnaissent que cette formation participe de leur prise de conscience. Ils rejoignent les conclusions des pionniers : apprendre à apprendre pour entreprendre d’apprendre, puis engager des recherches-actions-formation existentielles et expérientielles. Il serait intéressant d’évaluer la mise en acte des déclarations d’intention.
L’un des récits produit par les étudiants a fait l’objet d’une publication dans la revue Présence (Beaudout, 2014). En réalisant l’analyse du potentiel formateur de l’écriture du récit de vie environnemental de cette étudiante, Marie Gervais avec qui j’ai co-écrit l’article, l’idée d’arkhe-pensée a ressurgi. Après avoir mis en avant les objets, les états de conscience, les rapports institutionnels de ce récit, une collection d’actions de formation est apparue. Pour dépasser ce phénomène de juxtaposition d’informations auquel ce premier niveau d’examen conduit, d’autres pistes ont été explorées. Dans cette perspective, une double analyse du récit a été menée : le « noyau de représentations » et les « produits génériques / référents ». En prenant appui sur la définition du concept d’arkhe-pensée, cette analyse a permis de dégager la dynamique qui a structuré ce récit qui faisait référence à la symbolique de Mythra.
Depuis 2017, après le décès de ma mère, j’ai repris une charge de cours à Paris 8 à l’IED, en Master première année. Je tente de transmettre une connaissance à l’interface de l’éducation populaire et des pratiques écologiques dans une perspective écoformatrice. Face à l’accentuation de la crise écologique, j’ai repris l’organisation des idées du cours. Ce qui surprend les étudiants, c’est le traitement de la question du sens et de l’épistémologie qui en découle. Faire de la dialectique vie / mort un repère en formation surprend. Or, en éducation, au moins depuis les travaux de Jean-Jacques Rousseau et la publication de L’Émile ou De l’éducation en 1761, apprendre à se conserver en vie et accepter sa destinée mortelle est l’une des visées principales des cheminements éducatifs. D’après cet auteur, cet apprentissage se réalise en permanence, car ni la seule éducation de la nature qui perdure ni la seule éducation des hommes qui demeure ne sont suffisantes ; l’éducation des choses est nécessaire et à reprendre sans cesse du fait de son incomplétude. Les étudiants découvrent aussi que depuis longtemps, face à la dégradation de notre environnement, des personnes se mobilisent pour défendre leur milieu de vie, luttent contre l’in-écologisme des humains. Ce qui est très rarement évoqué dans leurs retours, c’est l’idée d’arkhe-pensée portée à leur connaissance et l’affirmation d’une écoformation à vivre sous peine de mort collective.
Mettre en lumière un processus de formation d’une personne qui s’ancre dans la dynamique des régimes nocturne et diurne engage dans un processus où formation expérientielle et formation formelle s’enrichissent mutuellement au point de culminer vers une formation existentielle.
De l’analyse de ce parcours, il ressort que la parole maternelle initiale hétéroformatrice a joué comme un marqueur indélébile, un point d’ancrage qui a été supportable grâce aux contacts directs avec les éléments sources d’écoformation, et à une élaboration hétéroformatrice, oscillant entre réflexivité imaginative et réflexion enrichie dans le cours de la vie de savoirs formels. Ce cheminement a permis, en proposant l’idée qu’existe une arkhe-pensée personnelle, un bouclage personnel, qui n’est pas un éternel retour, car il s’est produit un retour à soi vital d’autorisation à transmettre.
Au niveau personnel, l’arkhe-pensée est observable lorsqu’il y a concomitance des modes de pensée imaginaire et scientifique, prédominance de la valence imaginaire, condensation de sens dans l’interprétation, l’indifférenciation soi / environnement. Elle se manifeste à l’interstice des trois pôles de formation (soi, les autres, les choses), principalement sous la forme d’identification-projection. C’est un analyseur du processus de formation considéré à l’interface de la personne et de son environnement. Il révèle le mode vital et relationnel spécifique à chacun, ce qui relie une personne à ce qui l’entoure, ce qui organise sa manière d’être, de vivre, d’agir, de penser, de nouer des relations, etc., c’est-à-dire en fin de compte, sa condition de vie terrienne.
Appendices
Notes
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[1]
Selon René Barbier (1997, p. 261), l’implication est « le système de valeurs ultimes (celle qui le [le chercheur] rattache à la vie) mises en jeu en dernière instance d’une manière consciente ou inconsciente, par un sujet en interaction au monde, et sans laquelle il ne saurait y avoir de communication ».
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[2]
Dans cet article, en référence à l’approche transversale conçue par René Barbier, la transversalité est le produit qui se forme à l’interface de trois imaginaires. « L’imaginaire personnel-pulsionnel, avec la question non tranchée de la nature des pulsions (quid de la pulsion de mort, par rapport à Eros ?) qui se réfère théoriquement à la question de la libido analysée par l’école freudienne et la psychologie des profondeurs jungienne. L’imaginaire social-institutionnel, avec son magma de « significations imaginaires sociales (Cornélius Castoriadis), produit psychique collectif, au niveau de la société, d’une capacité radicale de créer des formes, figures, images, plus ou moins étayées au développement de la base matérielle, technologique et économique, de la société. […]. L’imaginaire social s’impose durablement par le biais des institutions et des organisations (familiales, professionnelles, syndicales, politiques, de loisirs, de culture, etc.). […]. Mais nous devons également faire une place à un autre type d’imaginaire, que je nomme l’imaginaire sacral du fait de l’impact des forces et d’énergies qui nous traversent sans que nous puissions la contrôler (forces telluriques, bouleversements écologiques, énergies cosmiques, ou plus modestement notre rapport à la mort et au non-être). L’être humain est « jeté » dans la nature et doit y trouver un sens. Il développe un trait essentiel de son identité » (Barbier, 1997, p. 312).
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[3]
Selon Gaston Pineau (2012, p. 259), « une transaction indique une dynamique autoformatrice possible, mais il reste à l’analyser pour la dégager. De plus, la transaction, de par justement sa mise en relation entre deux ou plusieurs éléments, n’est pas enfermable dans un découpage catégoriel unidimensionnel. Elle chevauche souvent plusieurs catégories. Elle en chevauche d’autant plus qu’elle est riche. Les plus riches sont justement transversales, c’est-à-dire qu’elles mettent en relation des éléments qui, extérieurement, sont très éloignés dans l’espace ou dans le temps ».)
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[4]
Selon Gaston Pineau, formation expérientielle et formation formelle composent les deux temps de la formation. « Cette dichotomie, formation expérientielle/formation formelle, applique à la compréhension de la formation permanente l’alternance enveloppante jour/nuit, prise comme synchroniseur majeur, à la fois cosmique, socioculturel et psycho-physiologique, du devenir humain » (Pineau, 2003, 38). « Le régime nocturne, avec ses symbolismes d’inversion des valeurs du jour, d’intimité et de temporalités, semble bien être son régime dominant » (Ibid. p. 39)
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[5]
« L’analyseur naturel est un événement qui survient de manière inopportune et qui permet l’énonciation et la compréhension des contradictions de l’institution en dehors de tout dispositif construit, et souvent contre la parole analytique instituée. Souvent l’analyseur est synonyme de déviance, de marginalité, de dissidence, de délire, de lapsus, d’incohérence significatifs » (Hess, 1981, p. 73).
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