Abstracts
Résumé
Cet article retrace le déroulement quotidien d’une expérience d’éducation de base menée par Amadou Mahtar M’Bow dans le village de Badiana (Sénégal) au début des années 1950. Grâce à cette approche micro-historique, encore peu utilisée dans les travaux sur l’histoire du développement, il met en lumière comment des visions et des pratiques associées à une « modernité » idéalisée se sont cristallisées à l’échelle locale. L’article examine plus particulièrement les activités réalisées dans le cadre de ce projet – qui englobent des secteurs aussi variés que l’alphabétisation, l’agriculture, l’habitat et la santé – et souligne le rôle central joué par le personnel africain. Ce faisant, il permet de mieux comprendre la place de l’idéologie développementaliste dans la redéfinition de la politique coloniale en Afrique après la Seconde Guerre mondiale, tout en fournissant des pistes de recherches pour en évaluer les héritages après les indépendances.
Mots-clés :
- éducation,
- développement,
- Sénégal,
- africanisation,
- colonialisme
Abstract
This article explores the day-to-day operations of a fundamental education experiment led by Amadou Mahtar M’Bow in the village of Badiana, Senegal, in the early 1950s. This micro-historical approach, seldom employed in the field of development studies, allows to shed new light on how ideas and practices associated with an idealized vision of “modernity” manifested at a local level. Specifically, the article examines the wide range of activities undertaken as part of this project – encompassing areas such as literacy, agriculture, housing, and healthcare – and emphasizes the pivotal role played by African staff. By doing so, it contributes to a deeper comprehension of the impact of developmentalist ideology on the redefinition of colonial rule in Africa after the Second World War. Furthermore, the article also suggests research directions for evaluating its enduring legacies in post-independence contexts.
Keywords:
- education,
- development,
- Senegal,
- africanization,
- colonialism
Article body
Transformer notre monde : tel est l’objectif annoncé par le programme de développement durable des Nations Unies élaboré pour l’horizon 2030. Inauguré en 2015 et soutenu par 193 États membres, il vise à relancer « l’action pour éliminer la pauvreté, protéger la planète et améliorer le quotidien de toutes les personnes partout dans le monde » (Nations Unies 2023). Loin de constituer une nouveauté, ce programme n’est que le dernier volet d’une longue série d’initiatives qui, tout au long du 20e siècle, ont placé le développement au coeur des politiques publiques et privées (Macekura et Manela 2018). Ce qui frappe est sans doute la récurrence des registres discursifs qui y sont mobilisés : les notions de « bien-être », de « progrès » et de « modernité » reviennent en effet avec une régularité étonnante, tout comme les débats autour des moyens à mettre en oeuvre, sans nécessairement que les limites de ces projets soient véritablement prises en compte.
C’est dire à quel point retracer l’histoire du développement est important pour comprendre les enjeux contemporains et les défis que nos sociétés doivent affronter dans un futur plus ou moins proche. Cette exigence explique aussi le renouvellement récent qu’a connu ce champ de recherche (Hodge 2015, 2016). Au cours de ces dernières années, de nombreux travaux se sont en effet attelés à historiciser le développement, entendu ici au sens que lui donnent Joseph M. Hodge et Gerald Hödl, à savoir une « intervention intentionnelle et organisée dans les affaires collectives en fonction d’un standard d’amélioration générale (sinon universel) » (Hodge et Hödl 2014 : 3). Cette notion puise ses racines au 19e siècle : elle accompagne notamment l’expansion impériale européenne et marque profondément l’idéologie de la « mission civilisatrice » du colonialisme, impactant par là durablement la structuration des rapports Nord-Sud et les imaginaires qui en découlent (Matasci et Desgrandchamps 2020 ; Rist 2013 ; Duffield et Hewitt 2009 ; Cooper 1998). D’autres études ont mis en lumière le rôle joué par toute une série d’acteurs dans l’élaboration et l’implémentation de politiques développementalistes, qu’elles soient axées sur la santé, l’agriculture ou l’éducation. Outre les États, les missionnaires, les fondations philanthropiques américaines et les organismes intergouvernementaux et non gouvernementaux ont reçu une attention particulière (Maul 2012 ; Staples 2006). La focale a aussi été placée sur la circulation des idées et des pratiques entre les milieux coloniaux, nationaux et internationaux, ainsi que sur les continuités qui peuvent s’observer entre la période de l’entre-deux-guerres et celle de l’après-Seconde Guerre mondiale. Après 1945, en effet, l’essor du « développement international » (Unger 2018) repose sur des savoirs et des pratiques déjà mis en application dans différents contextes, mais qui se reconfigurent en fonction des nouveaux enjeux posés par la décolonisation et la guerre froide (Lorenzini 2019). L’émergence du « tiers-monde » (Escobar 1995) et la vague des indépendances africaines du début des années 1960 font ensuite du développement un véritable leitmotiv des politiques internationales (Muschik 2022), ouvrant la voie à d’innombrables campagnes et initiatives qui, encore de nos jours, scandent l’action des gouvernements, de la société civile et des organisations onusiennes.
Cet article propose d’aborder un épisode précis de cette histoire. Il retrace plus particulièrement le déroulement d’une expérience de développement social menée dans les années 1950 à Badiana, un village situé en Casamance, au Sénégal (subdivision de Bignona, cercle de Ziguinchor). Il s’agit d’un projet d’éducation de base dirigé par Amadou Mahtar M’Bow entre décembre 1953 et février 1954. Figure politique bien connue du Sénégal indépendant, plusieurs fois ministre de l’Éducation et par la suite directeur général de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) entre 1974 et 1987, M’Bow travaille à cette période pour l’administration coloniale française. À Badiana, son but est de mettre en oeuvre, à l’aide d’une équipe composée d’une douzaine de techniciens, en très grande majorité des Africains (une seule femme), une série d’activités censées élever très rapidement le niveau de vie des habitants du village. Celles-ci incluent l’alphabétisation, l’amélioration de l’habitat, de l’alimentation et de la santé humaine et animale, ainsi que la modernisation de l’agriculture.
Sur le plan historiographique, l’étude de cette expérience apporte une triple contribution. Tout d’abord, l’approche micro-historique adoptée dans cet article permet d’amener un regard moins surplombant sur « l’idée de développement » (Decker et McMahon 2021). L’enjeu est en effet de restituer les manières à travers lesquelles, au quotidien, des visions et des pratiques associées à une « modernité » idéalisée se sont cristallisées à une échelle très locale, ici un village. Ensuite, cette étude de cas offre un éclairage sur le rôle de l’idéologie développementaliste dans la reconfiguration des politiques coloniales en Afrique après la Seconde Guerre mondiale, notamment sur le plan éducatif (Fageol 2021 ; Matasci et al. 2020 ; Kallaway et Swartz 2016 ; Labrune-Badiane et al. 2012 ; Barthélémy 2010). Le projet de Badiana témoigne plus particulièrement de l’émergence d’un nouveau langage impérial, centré sur le welfare et le « bien-être social » des populations colonisées (Lewis 2012). Il offre ainsi un exemple concret et emblématique des tentatives qui ont été menées par la France, mais aussi par les autres puissances coloniales européennes, d’« utiliser la colonisation comme outil de transformation sociale » (Cooper : 72) afin de promouvoir l’image d’un « colonialisme éclairé » (Maggetti 2019 ; Michel 1983). Enfin, l’une des caractéristiques de cette expérience est la forte implication du personnel africain. Cette particularité mérite d’être étudiée dans les détails, car elle permet de souligner l’agentivité de toute une série d’acteurs intermédiaires, qui produisent un savoir « sous tutelle » mais aussi original et en partie réactivé dans la période postcoloniale. Dans le sillage d’autres travaux mettant en exergue ces processus (Labrune-Badiane et Smith 2018 ; Jézéquel 2011), cet article permet ainsi de montrer de manière originale que les Africains, tout en étant dans une situation de domination, ont bel et bien « coopté, contesté et réformé l’idée de développement » (Decker et McMahon 2021) et que les flux de savoirs, d’idées et de politiques à ce sujet n’ont pas suivi exclusivement un axe Nord-Sud.
Structuré en trois parties, l’article commence par inscrire l’expérience de Badiana dans le débat international qui émerge au cours des années 1940 au sujet des liens entre l’éducation et le développement, un débat porté notamment par les administrations coloniales et des organisations internationales comme l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (Unesco). La deuxième partie retrace dans le détail le déroulement quotidien de cette expérience, en se focalisant sur la vaste gamme d’activités qui y sont menées. Enfin, la troisième partie discute des visions de la modernité qui se dégagent de cette expérience, en insistant plus particulièrement sur le rôle des acteurs africains ainsi que sur les héritages que l’éducation de base a laissé dans les politiques développementalistes mises en place dans les décennies suivantes.
I – Repenser le colonialisme ? Éducation et développement colonial après la Seconde Guerre mondiale
L’expérience qui se déroule à Badiana en 1953-1954 est officiellement présentée comme un projet d’éducation de base. Cette notion est popularisée par l’Unesco qui, dès sa création en 1945, entame un vaste travail conceptuel censé déboucher sur un paradigme éducatif spécifiquement conçu pour les besoins des pays du Sud (Watras 2010). À cet effet, un ouvrage majeur est publié en 1947 : Fundamental Education : Common Ground for All Peoples. Grâce à la contribution de dizaines d’experts, dont un certain nombre sont issus du Sud, ce volume pose les bases d’une action internationale sur le terrain destinée à lutter contre l’analphabétisme et à élever les niveaux de vie partout dans le monde. Celle-ci se concrétise d’abord par la réalisation de projets-pilotes en Haïti, au Nyassaland et en Chine (Verna 2016 ; Laurière 2005). Après le lancement du Programme élargi d’assistance technique des Nations Unies en 1949, de nombreux autres programmes sont menés en Amérique latine et en Asie. Si le rôle de l’Unesco est central, c’est parce qu’il structure un agenda mondial centré sur la lutte contre les inégalités éducatives, appuyé par le discours naissant sur les droits de l’homme (Jensen 2016). Cet agenda se greffe aussi, non sans tensions, sur les réflexions que les administrations coloniales mènent sur ces mêmes sujets depuis l’entre- deux-guerres et qui prennent une nouvelle actualité vers le milieu des années 1940. La conférence de Brazzaville de 1944 incarne bien ce moment : « l’éducation des masses » y est en effet identifiée comme une priorité. Il en va de même dans l’Empire britannique : la même année, le Colonial Office publie un imposant rapport, Mass Education in African Society, qui définit les contours d’une politique censée favoriser l’expansion de l’éducation dans les colonies africaines, jusque-là relativement restreinte à une élite. Comme dans le cas français, cela doit notamment passer par une attention plus soutenue à l’alphabétisation des personnes exclues des systèmes éducatifs formels, à travers des campagnes ciblées sur le terrain et le recours à de nouvelles techniques, comme le cinéma et la radio (Wrong 1944).
L’historiographie a bien étudié ces débats et les dynamiques sociales et intellectuelles qui ont accompagné l’élaboration de la notion d’éducation de base ou de « masse », dans son acception britannique, un concept qui débouche ensuite sur le community development (Smyth 2004). La circulation de savoirs entre les milieux missionnaires, coloniaux, réformateurs et internationaux a été particulièrement bien examinée grâce à l’étude des trajectoires de certains acteurs clés comme Frank Laubach, Margaret Read ou Albert Charton (Matasci 2023a ; Cherewka et Prins 2022 ; Watras 2011). Plusieurs travaux ont aussi souligné les rivalités qui se sont rapidement dessinées autour du monopole des savoirs, en particulier entre l’Unesco et les administrations coloniales européennes (Matasci 2023b). La définition des « standards de vie », de la « pauvreté » ainsi que des niveaux éducatifs considérés comme « suffisants » est en effet une question hautement politique (Bonnecase 2011), de même que l’intervention potentielle d’experts internationaux dans les territoires dits « non autonomes », susceptible de fournir une caisse de résonance à la « propagande anticoloniale » (Ayangma Bonoho 2022 ; Havik et Monteiro 2021 ; Pearson 2018).
Ces enjeux témoignent du fait qu’après la Seconde Guerre mondiale l’extension de l’accès au savoir – envisagée comme un moyen de transformation économique et sociale – devient un véritable « phénomène global » (Jackson 2022 : 1). Comme souligné plus haut, cettequestion est placée au coeur des stratégies de relégitimation du colonialisme sur la scène nationale et internationale, un processus rendu indispensable pour « défendre l’empire » (Pearson 2017) à un moment où le bilan économique et social de la colonisation est fortement critiqué. En même temps, elle figure aussi parmi les principales revendications des élites africaines et des syndicats d’enseignants (Odugu 2016). C’est pourquoi le développement de l’éducation s’impose comme un enjeu majeur pour les administrations coloniales. L’une des priorités les plus urgentes est la lutte contre l’analphabétisme. Ainsi, des campagnes ciblées, circonscrites à des aires géographiques délimitées, sont lancées au Nigeria, en Rhodésie du Nord et sur la Côte-de-l’Or dès la fin des années 1940 (Omolewa 2008). Preuve de l’importance accordée à cette question par les acteurs africains, un Plan for Mass Literacy and Mass Education est mené dans ce dernier pays entre 1951 et 1957, suite à l’accession au pouvoir du Convention People’s Party. Les autorités locales présentent les objectifs en ces termes :
Prominent in a mass education campaign must be an attack on illiteracy, but mass education for community development is something more than this. It is an attack on ignorance, apathy and prejudice, on poverty, disease and isolation – on all the difficulties which hinder the progress of a community. It is an education which is designed to teach people, not merely how to read, but how to live. Passive reception of ideas or information is not enough ; every programme should be designed through the stimulation of initiative or the encouragement of local self-help to lead to action either by individuals or by the community or both.
Hagan 1975 : 19
Dans les colonies françaises aussi, des initiatives similaires sont prises dès la fin des années 1940. Un appareil administratif consacré à l’éducation de base est mis en place en métropole et dans les territoires africains, même si de manière inégale. Des circulaires ministérielles contribuent ensuite à définir davantage le contenu de cette doctrine, ainsi que les moyens à déployer. Les premières expériences démarrent au tournant des années 1950 (Matasci 2023b : 153-185). En quelques années, environ une vingtaine de projets sont entrepris en Afrique occidentale et équatoriale française (AOF et AEF), au Togo et au Cameroun (Unesco 1954).
Badiana est l’un d’entre eux. Par rapport à d’autres entreprises analogues, il présente la particularité d’être dirigé et mis en oeuvre par une équipe presque entièrement africaine (Kusiak 2010). La mission est en effet confiée à Amadou Mahtar M’Bow. Son parcours est similaire à celui de nombreuses autres figures intellectuelles et politiques de son époque (Keese 2007). Né le 20 mars 1921 à Dakar, il entre en 1930 à l’école coloniale et passe en 1938 le concours pour être commis de l’administration coloniale. Engagé volontaire en février 1940, il est ensuite démobilisé et rentre au Sénégal à l’automne. Rappelé sous les drapeaux, il participe avec une unité de l’Armée de l’air au débarquement en Provence. Séjournant en France par la suite, il obtient son baccalauréat en 1948 et s’inscrit en licence d’histoire à la Sorbonne, où il fréquente les milieux estudiantins africains, très actifs à l’époque (Blum 2015). Il rentre au Sénégal en 1951, puis exerce comme professeur d’histoire-géographie à Rosso, en Mauritanie. En 1953, il est chargé de diriger le Bureau d’éducation de base pour le Sénégal et la Mauritanie, à Saint-Louis (Mourre 2016). Dans ce cadre, il mène plusieurs projets sur le terrain, dont celui de Badiana, du 15 décembre 1953 au 10 février 1954.
La décision de procéder à une telle expérimentation est prise lors de la réunion du 7 décembre 1953 de la Commission territoriale pour l’éducation de base du Sénégal, qui regroupe les représentants des principaux services techniques impliqués dans ces projets. La mission est précédée par une enquête préliminaire, effectuée par M’Bow lui-même : celle-ci est destinée à préparer le terrain et à rassembler des informations concernant « tous les éléments intéressant la vie de la collectivité – milieu physique, démographie, développement économique et production, état sanitaire, alimentation, habitat, etc. » (M’Bow 1953-1954 : 2)[1]. L’équipe est composée d’une douzaine de membres. Amadou Mahtar M’Bow et André Pignier, un technicien en matériel de cinéma et radio (unique Européen de la mission), sont les deux seules personnes affectées à temps plein aux questions d’éducation de base. Les autres travaillent au sein des services techniques de l’administration coloniale française en AOF : il s’agit, pour la santé, d’Alioune Seck, médecin principal en service à Bignona (remplacé ensuite par François Diatta, médecin en service à l’hôpital de Ziguinchor) et de Laurent Sagna, infirmier sanitaire en service à Bignona. Le moniteur agricole est Albert Coly, également en service à Bignona, et celui chargé des eaux et forêts, Abdoulaye Cissé. René Bocandé, infirmier vétérinaire en service à Velingara, et César Diatta, ouvrier spécialisé dans le travail du bois en service à Ziguinchor, sont respectivement responsables de l’élevage et des travaux publics. Enfin, l’enseignement est assuré par Charles-Bernard Jules, instituteur, et Cécile Richard, monitrice de l’enseignement, les deux étant en service à Ziguinchor (M’Bow : 3).
M’Bow et Pignier partent de Saint-Louis le 14 décembre pour arriver à Badiana le soir du 16. Le lendemain, ils commencent leur installation. La liste du matériel qu’ils ont acheminé témoigne des nouvelles pédagogies que la mission entend déployer : les moyens audiovisuels, dont l’usage est largement théorisé dès le milieu des années 1940, y occupent en effet une place de choix (appareil de projection cinématographique sonore Debrie (16 mm), amplificateur Teppaz avec tourne-disques, microphone, haut-parleurs, écran mobile, films fixes et animés, épidiascope). À cela s’ajoute l’outillage complet pour des ateliers de menuiserie et des moules à briques (M’Bow : 4-5). Mais quel est donc le programme de travail que M’Bow et son équipe restreinte de techniciens africains ont l’intention de mettre en oeuvre ? Et quelle est la vision du développement qui y est sous-jacente ? Le rapport de M’Bow que nous avons déjà mentionné, conservé aux archives nationales du Sénégal à Dakar, permet de répondre à ces questions. Il restitue en effet les contours d’un développement au quotidien encore insuffisamment étudié par l’historiographie, et illustre particulièrement bien comment la politique sociale et éducative qui émerge au sortir de la Seconde Guerre mondiale est censée accompagner une transformation rapide et générale des conditions de vie des populations locales.
II – Le développement au quotidien : l’expérience de Badiana
Ce qui mérite tout d’abord d’être souligné est l’approche holistique du développement que propose l’éducation de base. Si, sur le terrain, elle peut se décliner de manière extrêmement différente selon les contextes, cette notion présente en effet la particularité d’englober des champs d’interventions variés, couvrant tous les secteurs de la vie individuelle et collective, qui doivent donc faire l’objet d’une action d’ensemble, intensive et sur le court terme. L’enjeu central est de répondre aux besoins immédiats d’une communauté. Le programme de travail élaboré par M’Bow reflète bien cette ambition, ainsi qu’en témoignent les objectifs affichés :
M’Bow : 8
L’accroissement du revenu du cultivateur par l’amélioration de la production, l’introduction de nouvelles cultures de saison sèche.
La conservation de la nature et une meilleure utilisation des ressources forestières.
La revalorisation du cheptel.
L’amélioration du système des échanges (coopération).
L’amélioration de la santé par la médecine de soins, l’hygiène personnelle et collective, l’équilibre alimentaire, la lutte contre l’alcoolisme, les avortements et la mortalité infantile.
La lutte contre l’analphabétisme.
La formation professionnelle et l’amélioration du logement par l’apprentissage de la coupe, de la broderie pour les femmes ; la menuisière et les travaux du bâtiment pour les hommes.
Pour réaliser ce programme de travail, chaque membre de l’équipe se focalise sur un secteur précis. L’entreprise pédagogique passe par des activités de conseil, des démonstrations techniques, mais aussi et surtout par des « causeries », à savoir des conversations collectives effectuées en langue vernaculaire (le diola-fogny) dans le but de dispenser des informations et des recommandations à la population locale. Dans ce contexte, le recours à des appareils de projection fixes ou à des films est particulièrement utile, car ils permettent de visualiser et d’objectiver les nouvelles connaissances que l’auditoire est censé intégrer.
Trois grands axes d’interventions peuvent être dégagés, qui se rapportent tous à des domaines d’activité qu’il s’agit de transformer afin d’obtenir une amélioration rapide et visible des conditions d’existence. Le premier est l’alphabétisation. Enjeu crucial, l’apprentissage des rudiments de la lecture et de l’écriture est considéré comme une condition sine qua non pour toute élévation des niveaux de vie. Si la question n’est pas encore théorisée en termes de « capital humain » (Schultz 1961 ; Harbinson et Meyers 1964 ; Becker 1964), le lien avec la prospérité économique est, quant à lui, explicité de manière directe. Selon M’Bow, savoir lire et écrire constitue un « facteur essentiel de progrès ». En effet, poursuit-il, « l’homme qui parvient à déchiffrer et à connaître le sens d’un texte et qui peut, au moyen de l’écriture, communiquer avec d’autres hommes acquiert la possibilité d’accéder directement aux sources d’information », devenant de ce fait « l’artisan de son propre destin » (M’Bow : 32). Une campagne d’alphabétisation visant à la fois les hommes et les femmes est ainsi lancée, prise en charge par les instituteurs rattachés à la mission. Elle fait l’objet d’une « propagande minutieuse » et est précédée par une séance introductive dont le but est de montrer « à l’aide d’exemples concrets l’intérêt qu’il y a pour tout homme de la brousse à savoir lire et écrire » (M’Bow : 33). Les cours commencent le 21 décembre, en classes mixtes et en plein air, avec environ 250 auditeurs. En raison d’une certaine « gêne » (M’Bow : 35) ressentie par certains d’entre eux, des classes séparées en fonction du sexe sont mises en place dès le 27 décembre. Le programme de travail prévoit, de 9 h à 12 h, une leçon de lecture et d’écriture pour les femmes, dispensée par la monitrice. L’après-midi, de 16 h à 18 h 30, place à la leçon de lecture pour les hommes, donnée par l’instituteur. Le soir, enfin, de 21 h à 23 h 30, une « séance collective d’éducation » est organisée, au cours de laquelle ont lieu des leçons de lecture et de « français parlé » (M’Bow : 35). La pédagogie est assez rudimentaire : les leçons, une trentaine au total, commencent par l’apprentissage de l’alphabet, puis des noms et des prénoms, suivi par les noms de villages, de villes et de régions « connus des élèves » (M’Bow : 37). Au terme de la mission, le rapport de M’Bow signale que 203 hommes (dont certains provenant des villages avoisinants) et 104 femmes (toutes de Badiana) ont participé régulièrement, sans toutefois que des indications plus précises ne soient fournies sur leur niveau d’alphabétisation final, qui demeure sans doute très bas (M’Bow : 34).
Le deuxième grand axe concerne l’agriculture et l’élevage. Badiana est un village rural, avec une population qui se consacre à la culture du riz, du mil et de l’arachide. M’Bow part du principe que, à terme, il n’est pas possible de remplacer ces cultures, notamment celle de l’arachide (Pessis 2013) – dont l’introduction au Sénégal a entraîné selon lui un « bouleversement économique et une transformation dans les méthodes culturales » (M’Bow : 9-10) – ni d’étendre les surfaces cultivées ou de moderniser les instruments de travail, faute de ressources financières. C’est pourquoi l’action de la mission se focalise sur le maintien, voire le renforcement, de la fertilité des sols, ainsi que sur la mise en place de nouvelles cultures lors de la saison sèche et la revalorisation des produits de la cueillette. Pour ce faire, le moniteur d’agriculture, Albert Coly, s’attelle tout d’abord à améliorer la quantité et la qualité du fumier. Celui-ci provient des déjections animales ramassées à l’approche de l’hivernage sur les emplacements du village où les boeufs sont parqués la nuit. Normalement celles-ci ne sont pas conservées, et le fumier n’est récolté qu’au mois de juin. La solution consiste donc à creuser des fosses afin de stocker durablement le fumier, un modèle repris par quelques cultivateurs convaincus par les « causeries » à ce sujet. On conseille également l’utilisation d’engrais chimiques, dont le recours est déjà expérimenté dans des champs de démonstration mis en place par le service de l’Agriculture. Or, selon M’Bow, cette pratique se heurterait à « l’ignorance » des paysans quant aux modalités d’épandage, une lacune qu’il faudrait pallier par la distribution de dépliants informatifs rédigés en français et en dialecte local. Il s’agit aussi de faire adopter un système d’assolement équilibré des cultures afin d’accroître les rendements (M’Bow : 12). Sur ce même registre, il est intéressant de noter que les membres de la mission renouent avec d’anciennes traditions agricoles : en effet, les rendements des rizières ont diminué depuis l’abandon de l’enfouissement des tiges de riz et des herbes après la récolte, pratique qu’il s’agit donc de réactiver (M’Bow : 11). Ces tentatives de modifier le système de production s’articulent avec des interventions plus directes visant, par exemple, à étendre la culture fruitière. Ainsi, une centaine d’orangers, 67 mandariniers, 12 citronniers du pays, 28 citronniers d’Algérie et 100 bananiers, le tout acheté à la station fruitière de Djibélor, sont plantés aux alentours du village (M’Bow : 12). Une initiation aux méthodes de plantation et d’entretien est aussi proposée. Avec l’aide de quelques cultivateurs, un jardin potager de démonstration est enfin installé afin d’instruire les femmes à la culture maraîchère, par ailleurs déjà en place.
En ce qui concerne l’élevage, le principal enjeu est la « sauvegarde » et « l’amélioration du cheptel » (M’Bow : 8). Une campagne d’immunisation est lancée et 434 bêtes sont vaccinées, notamment contre la peste bovine (M’Bow : 15). Des causeries illustrées sur l’utilité de l’élevage sont aussi dispensées, complétées par des conseils sur l’hygiène animale, l’alimentation du bétail et la protection contre les maladies contagieuses. Toutefois, d’autres problèmes restent à résoudre : l’abreuvement des animaux se fait par exemple dans des mares, où l’eau croupit vers la fin de la saison sèche, créant ainsi un risque de parasitage. Un projet de construction d’un abreuvoir en ciment est alors envisagé, sans toutefois qu’il puisse être mené à bien (M’Bow : 16).
Enfin, la santé humaine constitue le troisième grand terrain d’intervention. Ici aussi, l’éducation de base est censée rompre avec une certaine « tradition » et promouvoir de nouveaux schémas de pensée et d’action. Selon M’Bow, les facteurs qui influencent le plus l’état sanitaire de la population de Badiana sont multiples : mauvaises conditions économiques, éloignement des postes médicaux, absence de moyens réguliers de transport. Mais c’est surtout « l’ignorance » qui constitue le problème auquel la mission doit s’attaquer. Celle-ci est le « fait d’une société matériellement peu développée, sans équipement scientifique et où les phénomènes inexpliqués de la nature sont attribués à des causes surnaturelles » (M’Bow : 17). Ce qu’il faut combattre, ce sont plus précisément les croyances qui voient dans les maladies l’oeuvre « d’esprits malfaisants ». Cette situation pose problème, car elle augmenterait les risques de contagion, notamment « chez des personnes physiquement diminuées par d’autres maladies, par les pénibles travaux d’hivernage, parfois par la sous-alimentation et les avitaminoses » (M’Bow : 17-18). Il est donc nécessaire de mettre en oeuvre un programme fondé sur trois piliers : la lutte contre les pathologies existantes à travers une médecine de soins ; des mesures pour protéger les femmes enceintes et contrer la mortalité infantile ; et enfin des activités pédagogiques destinées à expliquer la genèse et le développement des maladies les plus courantes et à promouvoir des mesures d’hygiène individuelle et collective.
Ainsi, le 19 décembre, quelques jours seulement après le début de la mission, un dispensaire composé de quatre pièces est construit avec l’appui des villageois. Les activités médicales commencent le 20 décembre, sous la responsabilité d’Alioune Seck et surtout de François Diatta : au total, 3 123 personnes sont examinées, dont 1 010 de Badiana, les autres étant issues des villages environnants (M’Bow : 19). Le résultat de ces consultations fait ressortir l’état sanitaire de la population. Les maladies des voies respiratoires (876 cas), surtout chez les enfants, sont les plus nombreuses. Elles sont suivies par des affections du tube digestif (499 cas), le paludisme (488 cas), les maladies des yeux (272 conjonctivites simples), la syphilis (75 cas) et les plaies des parties molles (389 cas), à savoir des traumatismes de la peau bénins ou infectés (M’Bow : 20). Il faut ajouter à cela les cas de trypanosomiase et de lèpre, mais qui sont déjà traités par des services à part. Par ailleurs, au cours de la mission, le médecin-colonel André Raoult est appelé par M’Bow à rejoindre Badiana avec une équipe de l’Organisme de recherches sur l’alimentation et la nutrition en Afrique afin de procéder à une campagne contre la bilharziose et l’ankylostomiase. Les tests, effectués chaque jour sur 100 à 200 personnes, révèlent un pourcentage élevé de personnes parasitées. Après enquête, on se rend compte que celles-ci vivent à côté de mares, qui sont par la suite assainies (M’Bow : 25).
La lutte contre la mortinatalité et la mortalité infantile représente le dernier volet de l’action sanitaire. Un sondage est effectué auprès de 222 femmes mariées du village, dans le but de recenser le nombre de grossesses, d’avortements, d’enfants mort-nés ou nés vivants et, parmi ces derniers, les morts et les vivants. Ces renseignements font ressortir un nombre non négligeable de fausses couches (59 sur 1 009 grossesses recensées, la plupart avant cinq mois) et d’enfants morts en bas âge (36 sur 950 grossesses parvenues à terme), auxquels s’ajoutent 166 enfants décédés à moins d’un an et 141 entre un et cinq ans (M’Bow : 28-29). Face à cela, la mission se lance dans une entreprise pédagogique visant les mères (visites à domicile, « causeries » sur l’alimentation, l’hygiène, l’allaitement et le sevrage) et procède à la formation des « accoucheuses » du village. Celles-ci sont initiées aux notions élémentaires d’asepsie et à la stérilisation des instruments (pinces, ciseaux). On leur déconseille aussi de procéder à des accouchements à même le sol, tout en reconnaissant que dans l’ensemble, les techniques qu’elles utilisent ne « sont pas [toutes] condamnables » (M’Bow : 31).
D’apparence massive et méthodique, cette activité médicale produit des résultats ambivalents : d’une part, comme le souligne M’Bow, les guérisons et les améliorations constatées chez la plupart des malades ont donné « confiance à la population », qui a pu se convaincre que les « affections ont pour origine des causes décelables et qu’elles [peuvent] être traitées avec efficacité » (M’Bow : 23). D’autre part, ces initiatives, bien qu’accompagnées par des causeries et des séances d’informations variées, ne sont pas suffisantes. Selon M’Bow, en effet, pour lutter contre certaines maladies, « un plan d’éradication semblable à celui appliqué pour la lèpre et la maladie du sommeil devrait être envisagé » (M’Bow : 25). Il pointe ainsi du doigt les limites d’un modèle d’intervention relativement improvisé et, surtout, conçu sur le très court terme. Inscrire ces activités dans la durée pour les pérenniser constitue par ailleurs un problème classique de l’éducation de base, que les acteurs de l’époque n’arrivent pas véritablement à résoudre. Certes, l’un des enjeux est de « conscientiser » les populations, afin qu’elles prennent elles-mêmes les mesures nécessaires à l’élévation de leur niveau de vie. C’est le but, par exemple, des cours de couture organisés pour les femmes ayant suivi ceux consacrés à l’alphabétisation, où elles apprennent à raccommoder les vêtements et à confectionner des chemises pour les enfants. Ou encore de l’atelier de menuiserie dirigé par César Diatta, fréquenté par une dizaine de jeunes entre 20 et 35 ans. Ceux-ci sont formés à la fabrication de tabourets, de bancs, de chaises et de portes, ce qui permet de doter le village de « travailleurs du bois capables d’exécuter des ouvrages simples susceptibles d’améliorer la construction et l’habitat » (M’Bow : 50). Mais le problème demeure d’inscrire tout cela dans le long terme : c’est la raison qui pousse M’Bow à entamer la construction d’une « maison de l’éducation de base », composée d’un local servant d’infirmerie, d’un autre destiné aux accouchements, d’une grande salle de travail et d’exposition et, enfin, d’un magasin coopératif. Une réalisation qu’il estime essentielle pour « perpétuer l’oeuvre de la mission » (M’Bow : 18).
III – Du colonial au postcolonial : des visions africaines de la modernité ?
Toutefois, force est de constater que cette expérience, comme les autres menées au Sénégal et ailleurs en Afrique coloniale française, demeure un épisode ponctuel faute d’inscription dans une politique éducative plus large et articulée (et en dépit du suivi que M’Bow assure au cours des mois suivants). Les raisons sont surtout d’ordre financier : les ressources allouées à ce type d’initiatives, mais aussi de manière plus générale aux programmes de développement colonial, demeurent en effet très modestes. Dans le cas de l’éducation de base, elles sont réduites drastiquement avec la promulgation de la loi-cadre de 1956, qui en attribue la responsabilité à chaque territoire. Cette situation entrave donc toute possibilité de systématisation et d’élargissement ultérieur de ces expériences, qui sont abandonnées au milieu des années 1950 (Matasci 2023b : 186-198).
La courte histoire de l’éducation de base offre néanmoins un terrain d’observation intéressant pour saisir la « part africaine » dans la production de visions et de pratiques développementalistes pendant la période coloniale tardive. Elle montre bien, d’une part, l’agentivité des acteurs africains, qui disposent de larges marges de manoeuvre quant aux choix des contenus et au déroulement quotidien des projets. D’autre part, elle permet d’examiner comment les thèmes et les techniques qui leur sont associés impactent durablement l’imaginaire modernisateur en Afrique postcoloniale, dans la mesure où certains de ses principes et de ses méthodes sont repris dans les années 1960 et 1970.
En ce qui concerne le premier point, il faut tout d’abord souligner la place centrale accordée à la communauté locale. Dès son enquête préparatoire, M’Bow prend contact avec le conseil du village de Badiana, qui est immédiatement impliqué dans l’élaboration du programme de la mission (M’Bow : 8). Régulièrement, il s’entretient avec les notables et les chefs de famille « pour évaluer les problèmes se rapportant à la vie de la collectivité » (M’Bow : 2). La population, aussi consultée, aurait quant à elle promis « son aide pour faciliter l’installation » (M’Bow : 2), sans toutefois qu’il soit possible de véritablement savoir si des négociations ou des conflits ont pu avoir lieu. Le choix des emplacements pour la construction du dispensaire évoqué plus haut et d’une cabine de projection cinématographique se fait également en accord avec les délégués de la communauté.
Ce souci d’adaptation aux réalités locales, qui n’est pas sans rappeler le débat sur « l’éducation adaptée » des premières décennies du 20e siècle (Küster 2007 ; Omolewa 2006), explique la nature ciblée de l’éducation de base : il n’est pas question de campagnes d’alphabétisation à grande échelle, mais de projets localisés, centrés sur des aires précises et bien délimitées. L’ensemble des activités sont tournées vers les supposés besoins de la population, à l’image des cours d’alphabétisation qui sont conçus « en rapport avec la vie et l’expérience des élèves » (M’Bow : 37). Être au plus proche du terrain est un élément essentiel, l’enjeu étant de faire comprendre aux habitants des régions en question qu’ils peuvent eux-mêmes être le moteur d’une transformation économique et sociale. Pour ce faire, il est nécessaire d’adopter une vision moins verticale du développement afin de mieux s’adapter aux conditions locales. Le recours à un personnel africain maîtrisant les langues vernaculaires est ainsi crucial. À Badiana comme ailleurs, l’éducation de base repose en grande partie sur l’implication de techniciens censés connaître la culture et les langues locales, une condition indispensable pour mener à bien une action dans des régions rurales parfois très isolées. De ce fait, la grande majorité des activités, surtout les causeries, sont effectuées en diola-fogny. Seule exception : les cours d’alphabétisation, qui sont en français, mais avec des explications en dialecte. Ce choix se justifie pour des raisons pragmatiques : la diversité des langues vernaculaires en Afrique et l’absence d’alphabet écrit rendent difficile l’adoption d’une seule méthode. Au contraire, cela entraînerait une « dispersion des efforts » (M’Bow : 47). Un enseignement en français demeure donc la meilleure option possible, même si « reste l’impossibilité que l’on dit de rendre dans une langue étrangère les éléments d’une pensée africaine » (M’Bow : 48).
Bon nombre des ambitions initiales associées au projet de Badiana – qui reposent sur des préceptes théoriques largement diffusés dans les publications des administrations coloniales européennes depuis les années 1940 – se heurtent toutefois aux réalités du terrain. Par exemple, M’Bow note que les services techniques qui avaient été appelés à envoyer des agents supposément expérimentés n’ont pas rempli pleinement leur tâche. Il constate que plusieurs d’entre eux ne connaissent pas la notion d’éducation de base ni ses techniques. Il doit donc procéder à une formation improvisée sur le tas, en s’appuyant sur les brochures publiées les années précédentes par le Service fédéral de l’éducation de base et les rapports des expériences déjà effectuées. Ensuite, il se trouve que certains membres de la mission ne parlent pas la langue locale (diola-fogny). Le contrôleur des eaux et forêts doit par exemple travailler par l’intermédiaire du garde forestier. Le médecin est également aidé par un interprète, puis remplacé par un autre médecin parlant le diola-cassa, mais qui ne parvient pas à se faire comprendre et ne peut pas effectuer lui-même les « causeries » nécessaires. De même, l’infirmier sanitaire sert d’interprète à l’infirmier vétérinaire. De ce fait, l’instituteur, qui maîtrise le diola- fogny, assure une grande partie des causeries et des explications. Outre le manque de coordination et la formation du personnel, ce qui ressort aussi du rapport de M’Bow est le caractère improvisé de l’expérience ainsi que ses nombreux aléas, parfois difficiles à prévoir. Les problèmes liés aux transports et aux voies de communication, par exemple, font que certains membres de l’équipe arrivent sur place avec plusieurs jours de retard, à l’image du moniteur d’agriculture.
Au final, il n’est pas aisé d’évaluer l’emprise et les résultats de cette mission. La réception de la population est particulièrement difficile à restituer, car on ne dispose que de rapports administratifs qui tendent à en souligner les aspects positifs, même si M’Bow peut se montrer parfois critique. Plus que son impact, il convient plutôt de remarquer la volonté de transformation sociale qui est associée à cette entreprise. Avec l’éducation de base, il s’agit de connecter l’Afrique rurale au monde, une vision que M’Bow résume en ces termes :
Ignorant le processus de développement des sociétés humaines, [l’homme de la brousse] croit volontiers que sa situation propre découle d’une fatalité et qu’il est inutile d’oeuvrer à sa transformation. De là proviennent deux complexes intimement liés, celui d’impuissance et celui de dépendance. En apportant à la collectivité villageoise une information objective d’où sont bannies les simplifications arbitraires et les affirmations incontrôlables, on contribue a supprimer ses complexes et à lui donner le désir de transformation sans lequel il n’y a pas de progrès possible. L’homme de la brousse doit se rendre compte que si certaines collectivités humaines ne sont parvenues à un haut degré de développement matériel qu’à la suite d’une longue évolution, la science et la technique moderne permettent désormais de franchir les étapes plus rapidement. Il peut aussi acquérir la conviction qu’en dépit de son arriération, s’il sait vouloir et entreprendre au lieu de tourner le dos à la vie moderne, des horizons moins sombres lui sont promis.
M’Bow : 51
Cette vision du développement et de la modernité reflète bien les ambitions de la politique coloniale après la Seconde Guerre mondiale, à un moment où la métropole essaie de repenser les relations entre les colonisateurs et les colonisés et de répondre tant bien que mal aux revendications sociales et politiques de ces derniers. Il n’empêche que le paradigme de l’éducation de base est abandonné au milieu des années 1950, en raison surtout de contraintes budgétaires, perdant aussi son importance au sein de l’Unesco, qui préfère adopter des notions comme le community development. Toutefois, son esprit et ses soubassements ne disparaissent pas pour autant. La volonté de dispenser une éducation minimale en mesure d’exercer une influence sur la vie économique et sociale d’une collectivité demeure en effet un élément central des programmes de développement entrepris dans les années 1960 et 1970. Après les indépendances, en effet, la notion d’éducation de base est réactivée et articulée à de nouveaux enjeux, politiques aussi. Plusieurs exemples peuvent être évoqués. Mis en place au Cameroun en 1973, le « Service civique national de participation au développement », axé sur le secteur agricole, est censé fournir aux « masses populaires, pour la plupart analphabètes, une éducation de base solide, ramifiée et très approfondie » (Atheck 1973 : vi). Comme le souligne Gabriel Atheck, ce programme est conçu comme une solution endogène aux limites des politiques menées au cours des années 1960, le développement supposant une « prise de conscience » et une « auto-sensibilisation de chacun » (Atheck 1973 : vi). Au Bénin, une « opération éducation de base » est lancée à la suite de la promulgation de la loi d’orientation de l’éducation nationale du 25 juin 1975. Selon la directrice de l’Institut national de formation et de recherche en éducation, Colette Sonami Houéto, elle doit contribuer à la promotion d’un « développement autocentré », en stimulant « la participation maximale des populations à l’édification de leur devenir » (Houéto 1978 : iv). On retrouve ici la dimension holistique de l’éducation de base qui caractérise l’expérience de M’Bow, dans la mesure où il s’agit de mettre en oeuvre, à des échelles locales (villages, communes), des « actions concertées entre les différentes structures de développement en vue de toucher l’ensemble des domaines de la vie quotidienne : politique, économique, santé, nutrition, hygiène, habitat, coopérative, alphabétisation, sports, arts et culture » (Houéto 1978 : viii). Enfin, en Haute-Volta, le gouvernement met sur pied à partir de 1961 un système parallèle « d’éducation rurale », afin de pallier les carences de l’enseignement primaire. Ce système, implanté dans 600 localités, vise à offrir une « scolarité de compensation [ainsi qu’]un moyen d’alphabétisation fonctionnelle et d’apprentissage des techniques élémentaires de la vie en milieu rural » (Crespin 1969 : 1).
Décliné sous différentes formes et dénominations, le concept d’éducation de base fait donc l’objet d’usages et de mises en application diverses de la part des acteurs africains. Si, dans certains cas, il répond à la nécessité de pallier les lacunes des systèmes éducatifs officiels – un argument qui dans les années 1950 est contesté par plusieurs intellectuels africains qui s’opposent à une « éducation au rabais » (Sengat-Kuo 1956) –, dans d’autres contextes, il participe plutôt à un processus qui s’apparente à ce que le pédagogue brésilien Paulo Freire définit comme la « conscientisation des populations » (Freire 1974). De ce point de vue, l’accès au savoir, ne serait-ce que minimal, agirait en quelque sorte comme un instrument « d’auto-libération » (Guezodje 1977 : 494), fournissant par-là, comme le note le ministre béninois de l’Enseignement du premier degré, Vincent Guézodjè, de nouvelles ressources pour le développement économique.
Conclusion
Qu’est-ce que l’expérience de M’Bow peut finalement apporter à l’histoire du développement et de sa dimension sociale ? Tout d’abord, elle met en lumière le caractère ambivalent de l’éducation en contexte colonial. Si celle-ci est traditionnellement l’une des pierres angulaires de la « mission civilisatrice », elle a aussi constitué un instrument d’émancipation sociale et politique. Cette ambiguïté, on la retrouve à Badiana. Aux yeux de l’administration coloniale, ce projet était censé certifier l’engagement renouvelé de la métropole vis-à-vis du « bien-être » des populations colonisées, un engagement fonctionnel au maintien de la domination coloniale. Mais en même temps, par ses caractéristiques bien particulières (rôle du personnel africain, valorisation des langues vernaculaires, adaptation au terrain), l’éducation de base a également fourni un espace d’expérimentation de nouvelles pratiques et d’imaginaires pensés et mis en oeuvre par les Africains eux-mêmes. Ensuite, le projet de Badiana offre un aperçu de la façon dont l’idée de développement a pu se manifester au jour le jour à une échelle très locale, même si le vécu et les attentes des populations locales à ce sujet restent difficiles à restituer. Il faut notamment souligner les nombreux problèmes rencontrés ainsi que les capacités d’initiative et d’improvisation dont M’Bow a dû faire preuve : on est ici bien loin des schémas théoriques présentés dans les publications officielles de l’époque, un décalage qui n’est pas sans rappeler celui qui caractérise les politiques contemporaines. Il reste enfin à savoir dans quelle mesure cette expérience est représentative d’une « africanisation » (Tella et Motala 2020) des savoirs et des pratiques développementalistes. En effet, il n’est pas possible de déceler de différences notables entre les expériences d’éducation de base menées avec une relative autonomie par des Africains et celles menées par des Européens. Il n’empêche que les premiers participent bel et bien à la production de savoirs sur le développement, de la même manière qu’ils nourrissent la réflexion sur les contenus de l’enseignement colonial à cette même époque (Labrune-Badiane et Smith 2018). Aussi, le concept d’éducation de base est réactivé après les indépendances, mais cette fois-ci pour soutenir souvent des ambitions nettement plus politiques, qui s’imbriquent avec les processus de construction nationale, la consolidation des systèmes éducatifs postcoloniaux et l’expérimentation des modèles socialistes. Un examen plus attentif des projets menés dans ce domaine au cours des années 1960 et 1970 pourrait alors mieux éclairer les transactions qui s’opèrent entre la période coloniale et postcoloniale, ainsi que les manières dont les voies africaines du développement ont pu influencer en retour les paradigmes occidentaux.
Appendices
Note biographique
Damiano Matasci est docteur ès lettres de l’Université de Genève et docteur en histoire de l’EHESS. Il a été assistant, chargé de cours et maître assistant au Département d’histoire générale de l’Université de Genève, puis maître assistant à l’Institut d’études politiques de l’Université de Lausanne (subside FNS Ambizione), où il a co-dirigé le Centre d’histoire internationale et d’études politiques de la mondialisation.
Note
-
[1]
Cet article se réfère à plusieurs reprises au « Rapport sur la mission d’éducation de base de Badiana (Casamance), 1953-1954 », rédigé par Amadou Mahtar M’Bow, manuscrit conservé aux Archives nationales du Sénégal ; les mentions ultérieures dans le texte ne mentionneront que le nom de l’auteur et le numéro de page du rapport.
Références
- Atheck Gabriel, 1973, L’éducation de base. Une expérience camerounaise : le Service civique national de participation au développement, unesco, ed.78/ws/103.
- Ayangma Bonoho Simplice, 2022, L’oms en Afrique centrale. Histoire d’un colonialisme sanitaire international, Paris, Karthala.
- Barthélémy Pascale, 2010, « L’enseignement dans l’empire colonial français : une vieille histoire ? », Histoire de l’éducation, no 128 : 5-28.
- Becker Gary S., 1964, Human Capital: A Theoretical and Empirical Analysis, with Special Reference to Education, New York, National Bureau of Economic Research.
- Blum Françoise, 2015, « L’indépendance sera révolutionnaire ou ne sera pas. Étudiants africains en France contre l’ordre colonial », Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique, no 126 : 119-138.
- Bonnecase Vincent, 2011, La pauvreté au Sahel: du savoir colonial à la mesure internationale, Paris, Karthala.
- Cherewka Alexis et Esther Prins, 2022, « “You Can’t Win a Cold War with Hot Weapons”: Frank C. Laubach’s Educational Project, Adult Literacy Campaigns, and us Foreign Policy (1945-1961) », Comparative Education Review, vol. 66, no 1 : 19-40.
- Cooper Frederick, 1998, « Modernizing Bureaucrats, Backward Africans, and the Development Concept », dans F. Cooper et R. Packard (dir.), International Development and the Social Sciences: Essays on the History and Politics of Knowledge, Berkeley, University of California Press : 64-92.
- Cooper Frederick, 2010, « La modernisation du colonialisme et les limites de l’empire », Labyrinthe, no 35 : 69-86.
- Crespin, M., 1969, République de Haute-Volta. Perspectives d’évolution de l’éducation de base, juin 1967-décembre 1968, unesco, rm/at/voltaed 6.
- Decker Corrie et Elisabeth McMahon, 2021, The Idea of Development in Africa: A History, Cambridge, Cambridge University Press.
- Duffield Mark et Vernon Hewitt (dir.), 2009, Empire, Development and Colonialism: The Past in the Present, Oxford et Rochester (ny), James Currey.
- Escobar Arturo, 1995, Encountering Development: The Making and Unmaking of the Third World, Princeton (nj), Princeton University Press.
- Fageol Pierre-Éric (dir.), 2021, « L’enseignement en situation coloniale et postcoloniale. Perspectives croisées », Tsingy, no 24.
- Freire Paulo, 1974, Pédagogie des opprimés, suivi de Conscientisation et révolution, Paris, Maspero.
- Guézodjè Vincent, 1977, « Réforme de l’enseignement au Bénin », Perspectives, vol. vii, no 4 : 493-508.
- Hagan Kwa O., 1975, Mass Education and Community Development in Ghana – A Study in Retrospect, 1943-1968, Legon (Accra), Institut d’éducation des adultes, Université du Ghana.
- Harbinson Frederick et Charles A. Meyers, 1964, Education, Manpower, and Economic Growth:Strategies of Human Resource Development, New York, McGraw-Hill Book Co.
- Havik Philip J. et José Pedro Monteiro, 2021, « Portugal, the World Health Organization and the Regional Office for Africa: From Founding Member to Outcast (1948-1966) », Journal of Imperial and Commonwealth History, vol. 49, no 4 : 712-741.
- Hodge Joseph M. et Gerald Hödl, 2014, « Introduction », dans J.M. Hodge, G. Hödl et M. Kopf (dir.), Developing Africa: Concepts and Practices in Twentieth-Century Colonialism, Manchester, Manchester University Press : 1-34.
- Hodge Joseph M., 2015, « Writing the History of Development, Part 1: The First Wave », Humanity: An International Journal of Human Rights, Humanitarianism and Development, vol. 6, no 3 : 429-463.
- Hodge Joseph M., 2016, « Writing the History of Development, Part 2: Longer, Deeper, Wider », Humanity: An International Journal of Human Rights, Humanitarianism and Development, vol. 7, no 1 : 125-174.
- Houéto Colette Sonami, 1978, Expérience d’éducation de base en République populaire du Bénin, Unesdoc. Consulté sur Internet (https://unesdoc.unesco.org/ark:/48223/pf0000037050?posInSet=1&queryId=953a5c5f-d9cb-4b69-a406-e97a0cb47f91) le 19 juin 2023.
- Jackson Stephen, 2022, « Mass Education and the British Empire », History Compass, vol. 20, no 1 : 1-12. Consulté sur Internet (https://doi.org/10.1111/hic3.12709) le 19 juin 2023.
- Jensen Steven L.B., 2016, The Making of International Human Rights – The 1960s: Decolonization, and the Reconstruction of Global Values, Cambridge, Cambridge University Press.
- Jézéquel Jean-Hervé, 2011, « Les professionnels africains de la recherche dans l’État colonial tardif. Le personnel local de l’Institut français d’Afrique noire entre 1938 et 1960 », Revue d’Histoire des Sciences humaines, vol. 1, n° 24 : 35-60.
- Kallaway Peter et Rebecca Swartz (dir.), 2016, Empire and Education in Africa: The Shaping of a Comparative Perspective, New York, Peter Lang.
- Keese Alexander, 2007, Living with Ambiguity: integrating an African Elite in French and Portuguese Africa (1930-1961), Stuttgart, Steiner.
- Kusiak Pauline, 2010, « Instrumentalized Rationality, Cross-Cultural Mediators, and Civil Epistemologies of Late Colonialism », Social Studies of Science, vol. 40, no 6 : 871-902.
- Küster Sybille, 2007, « “Book Learning” versus “Adapted Education”: The Impact of Phelps-Stokesism on Colonial Education Systems in Central Africa in the Interwar Period », Paedagogica Historica, vol. 43, no 1 : 79-97.
- Labrune-Badiane Céline et Étienne Smith, 2018, Les Hussards noirs de la colonie. Instituteurs africains et « petites patries » en aof (1913-1960), Paris, Karthala.
- Labrune-Badiane Céline, Marie-Albane de Suremain et Pascal Bianchini (dir.), 2012, L’école en situation postcoloniale, Paris, L’Harmattan.
- Laurière Christine, 2005, « D’une île à l’autre. Alfred Métraux en Haïti », Gradhiva. Revue d’anthropologie et d’histoire des arts, no 1 : 181-207.
- Lewis Joanna, 2012, « The British Empire and World History: Welfare Imperialism and “Soft” Power in the Rise and Fall of Colonial Rule », dans J. Midgley et D. Piachaud (dir.), Colonialism and Welfare: Social Policy and the British Imperial Legacy, Cheltenham, Edward Elgar : 17-35.
- Lorenzini Sara, 2019, Global Development: A Cold War History, Princeton (nj), Princeton University Press.
- Macekura Stephen J. et Erez Manela (dir.), 2018, The Development Century: A Global History, Cambridge, Cambridge University Press.
- Maggetti Naïma, 2019, « La Grande-Bretagne à l’onu dans les années 1940 et 1950 : sa défense d’un colonialisme “libéral et éclairé” », Relations internationales, no 177 : 31-44.
- Matasci Damiano et Marie-Luce Desgrandchamps (dir.), 2020, « De la “mission civilisatrice” à l’aide internationale dans les pays du Sud : acteurs, pratiques et reconfigurations au xxe siècle », Histoire@Politique. Politique, culture, société, no 41. Consulté sur Internet (https://journals.openedition.org/histoirepolitique/278) le 19 juin 2023.
- Matasci Damiano, 2023a, « Colonial Education Goes International: A Micro-History of Knowledge Production and Circulation in an Age of Imperial Crisis », Itinerario. Journal of Imperial and Global Interactions, vol. 47, no 1 : 76-90.
- Matasci Damiano, 2023b, Internationaliser l’éducation. La France, l’unesco et la fin des empires coloniaux en Afrique (1945-1961), Villeneuve-d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion.
- Matasci Damiano, Miguel Bandeira Jerónimo et Hugo Gonçalves Dores (dir.), 2020, Repenser la « mission civilisatrice ». L’éducation dans le monde colonial et postcolonial au xxe siècle, Rennes, Presses universitaires de Rennes.
- Maul Daniel R., 2012, Human Rights, Development, and Decolonization: The International Labour Organization, 1940-1970, New York, Palgrave Macmillan.
- M’Bow Amadou Mahtar, 1953-1954, « Rapport sur la mission d’éducation de base de Badiana (Casamance) », Archives nationales du Sénégal, H 116 (163).
- Michel Marc, 1983, « La coopération intercoloniale en Afrique noire, 1942-1950 : un néocolonialisme éclairé ? », Relations internationales, no 34 : 155-171.
- Mourre Martin, 2016, « M’Bow Amadou Mahtar », Le Maitron. Consulté sur Internet (https://maitron.fr/spip.php?article184541) le 19 juin 2023.
- Muschik Eva-Maria, 2022, Building States: The United Nations, Development, and Decolonization, 1945-1965, New York, Columbia University Press.
- Nations Unies, 2023, « Le programme de développement durable ». Consulté sur Internet (https://www.un.org/sustainabledevelopment/fr/development-agenda/) le 19 juin 2023.
- Odugu Desmond Ikenna, 2016, « Historiographic Reconsideration of Colonial Education in Africa: Domestic Forces in the Early Expansion of English Schooling in Northern Igboland, 1890-1930 », History of Education Quarterly, vol. 56, no 2 : 241-272.
- Omolewa Michael, 2006, « Educating the “Native”: A Study of the Education Adaptation Strategy in British Colonial Africa, 1910-1936 », The Journal of African American History, vol. 91, no 3 : 267-287.
- Omolewa Michael, 2008, « Programmed for Failure? The Colonial Factor in the Mass Literacy Campaign in Nigeria, 1946-1956 », Paedagogica Historica, vol. 44, no 1-2 : 107-121.
- Pearson Jessica L., 2017, « Defending Empire at the United Nations: The Politics of International Colonial Oversight in the Era of Decolonisation », The Journal of Imperial and Commonwealth History, vol. 45, no 3 : 525-549.
- Pearson Jessica L., 2018, The Colonial Politics of Global Health: France and the United Nations in Postwar Africa, Harvard, Harvard University Press.
- Pessis Céline, 2013, « Les sols sénégalais malades de l’arachide, 1944-1952 », Monde(s), vol. 2, no 4 : 127-144
- Rist Gilbert, 2013, Le développement. Histoire d’une croyance occidentale, Paris, Presses de Sciences Po.
- Schultz Theodore W., 1961, « Investment in Human Capital », The American Economic Review, vol. 51, no 1 : 1-17.
- Sengat-Kuo François, 1956, « À propos de l’éducation de base au Cameroun », Présence africaine, vol. 2, no 7 : 74-84.
- Smyth Rosaleen, 2004, « The Roots of Community Development in Colonial Office Policy and Practice in Africa », Social Policy & Administration, vol. 38, no 4 : 418-436.
- Staples Amy L.S., 2006, The Birth of Development. How the World Bank, Food and Agriculture Organization, and World Health Organization changed the World, 1945-1965, Kent, Kent State University Press.
- Tella Oluwaseun et Shireen Motala, 2020, From Ivory Towers to Ebony Towers: Transforming Humanities and Curricula in South Africa, Africa and African-American Studies, Auckland Park, Fanele.
- Unesco, 1947, Fundamental Education: Common Ground for All Peoples, New York, The Macmillan Company.
- Unesco, 1954, Expériences françaises d’éducation de base en Afrique noire. Étude préparée par les soins du Centre français d’information sur l’éducation de base, Paris.
- Unger Corinna R., 2018, International Development: A Postwar History, Londres, Bloomsbury Academic.
- Verna Chantalle F., 2016, « Haiti, the Rockefeller Foundation, and Unesco’s Pilot Project in Fundamental Education, 1948-1953 », Diplomatic History, vol. 40, no 2 : 269-295.
- Watras Joseph, 2010, « Unesco’s Programme of Fundamental Education, 1946-1959 », History of Education, vol. 39, no 2 : 219-237.
- Watras Joseph, 2011, « The New Education Fellowship and Unesco’s Programme of Fundamental Education », Paedagogica Historica, vol. 47, no 1-2 : 191-205.
- Wrong Margaret, 1944, « Mass Education in Africa », African Affairs, vol. 43, no 172 : 105-111.