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Guillaume Devin a travaillé et enseigné au sein de plusieurs universités étrangères. Ses travaux ont été traduits en plusieurs langues. Par ailleurs, ses collègues savent à quel point il accorde une place fondamentale à la francophonie comme espace scientifique et non comme reliquat d’un monde passé. Ses missions d’enseignement à l’Institut de Relations Internationales du Cameroun (iric) ou à l’Académie diplomatique du Vietnam témoignent d’un attachement que l’on pourrait qualifier même de citoyen à l’égard de la langue française. Les responsables de ce numéro ont ainsi demandé à trois collègues internationalistes francophones de revenir sur ses approches afin d’aborder leur réception dans leurs propres itinéraires de recherche voire dans le pays où ils exercent : Valérie Rosoux (Université catholique de Louvain), Vincent Pouliot (McGill University) et Carlos R. S. Milani (Institut d’études sociales et politiques de l’Université d’État de Rio de Janeiro et coordonnateur du Laboratoire d’analyse politique mondiale labmundo-Rio de Janeiro et de l’Observatoire interdisciplinaire des changements climatiques [oimc]).

Valérie Rosoux : un « passeur » entre disciplines

  • Quel est l’apport des travaux de Guillaume Devin qui vous semble le plus important à l’étudedes relations internationales ? 

Les apports de Guillaume Devin dans l’étude des relations internationales sont nombreux et décisifs. Nombreux, car les champs de recherche qu’il a finement explorés sont étonnamment variés : méthodologie, sociologie des relations internationales, organisations internationales, construction européenne, négociations multilatérales, pensées développées par des auteurs aussi différents que Norbert Elias, David Mitrany, René Girard, etc. Les apports de Guillaume Devin ne sont pas seulement variés, ils sont aussi décisifs, car sa démarche comporte un aspect que j’ai envie de qualifier de « contagieux ». L’une des caractéristiques qui me frappent dans la posture même de Guillaume Devin est son caractère constructif. Il ne se positionne pas en s’opposant, mais en créant des ponts. Nombre de chercheurs cherchent à s’imposer en dénonçant les limites des recherches menées par d’autres. Ce n’est pas de cela qu’il s’agit ici. Guillaume Devin repère certes les limites des analyses et des interprétations proposées jusqu’ici, mais son objectif n’est ni de dénigrer, ni de dépasser. Il s’agit d’approfondir, de rectifier, de nuancer, en d’autres mots, de mieux comprendre. À cet égard, la lecture de ses travaux permet de grandir ou de « pousser droit » (pour reprendre une expression souvent formulée au Rwanda). S’il me faut préciser un apport particulièrement marquant au vu de mes propres « obsessions de recherche », je songe aux travaux réalisés par Guillaume Devin dans le domaine de la sociologie des relations internationales (Devin 2018). À son instar, je ne perçois pas le champ des relations internationales comme une discipline au sens strict, mais comme un objet de recherche à décortiquer à partir des éclairages donnés par les sciences sociales, la science politique, l’histoire ou encore la sociologie.

La sociologie des relations internationales se révèle particulièrement appropriée pour considérer les phénomènes observés dans la durée. Comme l’essentiel de mes travaux porte sur le poids et les usages politiques du passé, l’approche sociologique des relations internationales permet d’observer les dynamiques et éventuelles transformations en présence à partir d’un ancrage historique indispensable. Par ailleurs, cette approche se révèle particulièrement féconde lorsqu’il s’agit d’étudier les liens qui existent entre les acteurs et les ensembles qu’ils composent, que ces liens favorisent une forme de coopération, de domination ou de confrontation. Les travaux menés par Guillaume Devin dans cette perspective rappellent que dans l’expression « relations internationales », le terme relations mérite d’être pris au sérieux – que celles-ci soient violentes ou non.

  • Est-ce que vous utilisez dans vos programmes de recherche ou dans vos cours les travaux de Guillaume Devin et si oui lesquels ? Pour quelles discussions et quels prolongements ?

Oui, je conseille l’ouvrage que je viens d’évoquer ainsi que des ouvrages dirigés par Guillaume Devin (et une fois encore, ils sont nombreux !). Dans le domaine de l’enseignement, je pense en particulier au livre collectif qu’il a consacré aux Méthodes de recherche en relations internationales (Paris, Presses de Sciences Po, 2016). Comme il l’écrit lui-même dans l’introduction, les chapitres rassemblés sous ses ailes aident tout chercheur à identifier l’énigme de la recherche que l’on veut résoudre et à se donner les moyens de mener l’enquête. Cette phase initiale est souvent une épreuve pour les étudiants placés devant une page blanche. Une forme d’élan se retrouve dans la démarche proposée par Guillaume Devin. Pour lui, la recherche est avant tout un « exercice de liberté » – ce que je partage entièrement. Pour exercer cette liberté de manière féconde, Guillaume Devin appelle à la « curiosité critique » et à « l’intuition imaginative », deux phénomènes qu’il a lui-même développés avec bonheur. Mais il plaide également sans relâche pour une enquête rigoureuse et ancrée dans des données empiriques. 

Dans les programmes de recherche auxquels je participe, je reviens souvent sur l’un des conseils de Guillaume Devin : ne pas se satisfaire des usages « paresseux » – l’expression est de lui et Michel Hastings (Dix concepts d’anthropologie en science politique, Paris, cnrs Éditions, 2018 : 10) – des emprunts disciplinaires. Ce souci de la précision permet d’éviter, ici encore, un survol superficiel des outils disponibles et des problématiques étudiées. 

  • Si vous deviez conseiller aux étudiants un ouvrage ou un article de Guillaume Devin, lequel aurait votre préférence ?

Ce serait l’ouvrage tout récent Les organisations internationales. Entre intégration et différenciation (2022), chez Armand Colin (c’est la nouvelle édition d’un ouvrage dont la première publication a été réalisée en 1995 avec Marie-Claude Smouts). Dans cet ouvrage, Guillaume Devin se positionne loin des esprits chagrins ou cyniques qui dédaignent toute forme de multilatéralisme au vu des violences ou des inégalités persistantes. Sans nier ces dernières, il continue de détecter les liens de coopération qui caractérisent aussi la scène internationale. 

L’ouvrage est clair et limpide. Typologies, distinctions, approches théoriques et descriptions empiriques constituent autant d’outils nécessaires pour mieux saisir l’évolution des organisations internationales dans le temps long. Cette réflexion s’inscrit dans le sillage des ouvrages Un seul monde. L’évolution de la coopération internationale (Devin 2014) et Faire la paix. La part des institutions internationales (Devin 2009). Dans chacune de ses publications, Guillaume Devin creuse le sillon d’une analyse au long cours. Sans relâche, il éclaire la portée, mais aussi les limites, des mécanismes de coopération internationale. Souvent méprisés, presque toujours négligés, ces mécanismes sont cependant cruciaux pour tenter de pacifier notre monde, dont Guillaume Devin a raison de rappeler qu’il est « le seul » qu’il nous soit donné de protéger.  

Enfin, presque par gourmandise, je voudrais partager une deuxième préférence. Je songe au chapitre « Paroles de diplomates. Comment les négociations multilatérales changent la diplomatie » (Devin 2013). J’évoque cette réflexion fondée sur des entretiens avec des diplomates expérimentés, car elle permet de saisir les traits spécifiques de la négociation multilatérale. Tensions, jeux de pouvoir et rapports de force ne sont pas éclipsés, mais ils n’empêchent pas complètement la recherche de l’intérêt commun et l’adoption d’une posture souvent plus collective. Une fois encore, cet angle d’approche ne peut que s’avérer éclairant pour l’internationaliste en herbe.

Comment conclure ? Dans plusieurs de ses ouvrages, Guillaume Devin rend hommage aux esprits « passeurs » entre disciplines. À force de les côtoyer, il est devenu l’un d’eux. 

Vincent Pouliot : une vision particulièrement lucide du métier d’internationaliste et de ses pratiques quotidiennes

  • Quel est l’apport des travaux de Guillaume Devin qui vous semble le plus important à l’étude des relations internationales ? 

L’apport le plus important de Guillaume Devin à l’étude des relations internationales me semble de nature ontologique, à savoir qu’il s’agit au fond de rapports sociaux « comme les autres ». La simplicité de ce point de départ, qui fonde après tout la sociologie politique internationale française, n’a d’égale que sa puissance analytique. Dans une discipline obsédée par l’unicité de son objet – souvent à travers des postulats douteux comme celui de l’anarchie – Devin (2018) part plutôt de « l’hypothèse selon laquelle les phénomènes internationaux doivent être appréhendés comme des faits sociaux ». Durkheimienne jusqu’au bout des doigts, cette méthodologie (au sens de philosophie mise en pratique) permet de s’approprier le vaste coffre à outil de la sociologie (et plus largement, de la théorie sociale) dans l’étude des relations internationales. Peut-être « trop banale pour qu’on retienne la leçon » (2018), elle aura surtout manqué au tournant constructiviste américain, dont les ténors ont souvent péché par excès d’abstraction. Par contraste, la démarche sociologique aura permis à Devin, par exemple, de rapprocher les dynamiques de « civilisation » observées par Elias à l’intérieur des sociétés européennes de celles de la coopération internationale, participant toutes deux au même processus d’intégration sociale (1995). Il ne s’agit pas, bien sûr, de nier toute spécificité à l’international, mais plutôt de dépasser sa particularité pour plutôt embrasser les similitudes : « Si l’objet est “complexe” (au sens où il est constitué de multiples liens et de plusieurs niveaux d’action qu’il s’agit de relier et de penser ensemble), il ne diffère pas de la plupart des faits sociaux » (2016 : 13).

Faire de la sociologie politique internationale « sans fioritures », c’est aussi pour Devin partir d’une « démarche empirico-inductive » (2018 : 5). Avant d’y voir une résistance à l’entreprise théorique en général (mais notamment américaine), il faut prendre le temps de comprendre où s’inscrit cette préférence – typiquement française, admettons-le : pensons aux monumentales études de cas d’un Bourdieu ou d’un Foucault –, c’est-à-dire dans l’intuition épistémologique que le travail de terrain et d’enquête prime sur, et précède systématiquement tout effort d’abstraction, aussi nécessaire soit-il. Dans l’introduction d’un véritable petit bijou de livre concernant les Méthodes de recherche en relations internationales (2016 : 12), Devin écrit que « plaider pour plus d’empirie ne constitue pas une proposition antithéorique, mais un programme de recherche préalable à l’élaboration théorique ou, tout du moins, à certaines généralisations. Ici, l’enquête précède la conceptualisation ». 

De ce point de départ découle aussi une vision particulièrement lucide du métier d’internationaliste et de ses pratiques quotidiennes. Comment fait-on des relations internationales en partant de la cueillette des données jusqu’à leur mise en boîte conceptuelle ? Écoutons encore Devin dans sa sagesse accumulée au fil de sa carrière : « Il n’y a pas de recette générale. On ne s’engage pas dans une recherche avec des plans d’ingénieur. L’aventure débute par le tâtonnement […]. Tout commence donc par ce qui ressemble d’abord à une expérience. […] Il faut savoir se perdre pour découvrir un chemin » (Devin 2016 : 13). Voilà une façon de voir et de faire notre travail qui, aussi déstabilisante qu’elle puisse paraître de prime abord, s’avère surtout profondément libératrice, à la fois face aux inévitables essais-erreurs empiriques et devant l’incessante quête de la mystérieuse créativité théorique.

  • Est-ce que vous utilisez dans vos programmes de recherche ou dans vos cours les travaux de Guillaume Devin et si oui lesquels ? Pour quelles discussions et quels prolongements ? 

Les travaux de Guillaume Devin qui ont le plus directement influencé les miens sont sans contredit ceux concernant le multilatéralisme et les organisations internationales. Ma première rencontre avec sa pensée s’est faite, pendant mon doctorat à l’Université de Toronto, via son ouvrage codirigé avec Bertrand Badie, Le multilatéralisme : nouvelles formes de l’action internationale (2007). Dans son chapitre, Devin explique que « l’engagement multilatéral est toujours ambivalent » puisqu’il s’agit au fond d’une « entreprise intéressée » (2007 : 151-152). Bien qu’optimiste face à la coopération internationale, l’auteur met aussi en garde contre « le prix payé à la règle de l’unanimité dans de nombreuses enceintes multilatérales : une sorte de repli sur le plus petit dénominateur commun. […] Au plan universel, c’est le consensus mou qui menace » (2007 : 159). Je dirais que ce curieux mélange d’espoir et de lucidité face aux mérites et limites du multilatéralisme, qui traverse tous les travaux de Devin, a certainement coloré ma propre analyse du phénomène, par exemple dans L’ordre hiérarchique international. Les luttes de rang dans la diplomatie multilatérale (2017). Un peu comme la démocratie, la coopération internationale est souvent la moins mauvaise des solutions, mais on en comprend d’autant mieux le potentiel qu’on en reconnaît aussi les difficultés, à commencer par les rapports de force qui la fondent inévitablement.

Je tiens aussi à reconnaître des avancées plus sectorielles, mais néanmoins significatives dans l’étude des organisations internationales. L’analyse de Devin des négociations multilatérales (2013b) est certainement l’une des plus fines qu’il m’ait été donné de rencontrer au fil de deux décennies de recherche sur le sujet. Nous nous rencontrons joyeusement autour du constat goffmanien que « dans une négociation multilatérale, les États se mettent en scène » (2013b : 90). J’ai aussi grandement apprécié sa recherche (avec Simon Tordjman) sur les « bonnes pratiques » dans les organisations internationales – un objet aussi hétérodoxe pour la discipline qu’essentiel à notre compréhension des dynamiques bureaucratiques mondiales. À la fois vecteur et révélateur du changement organisationnel, ce discours mobilisateur s’impose de plus en plus au zeitgeist du 21e siècle, suggérant des mécanismes politiques incrémentaux et subtils dont la nouveauté gagne à être réfléchie à tête reposée. Comme l’écrivent les auteurs à propos des bonnes pratiques, « c’est en effet l’ambiguïté et la plasticité de leurs usages qui permettent de comprendre leur multiplication et leur diffusion » (2015 : 53). La sociologie des relations internationales inspirée par Devin excelle à recouvrer ces processus microscopiques aux effets macroscopiques.

  • Si vous deviez conseiller aux étudiants un ouvrage ou un article de Guillaume Devin, lequel aurait votre préférence ?

Le choix n’est pas simple à faire, mais ultimement je pencherais pour Les organisations internationales (2016b). Il s’agit d’un ouvrage à la fois didactique dans sa présentation et profond de par sa démarche sociohistorique. En jouant un peu sur les ambiguïtés du singulier et du pluriel, Devin utilise les organisations internationales pour parler en fait de l’organisation internationale (au sens de gouvernance mondiale, un terme au sujet duquel il est sceptique) comme d’un « mouvement de longue durée ». Si l’histoire n’est ni téléologique, ni unidirectionnelle, elle a tout de même une structure et une dynamique cumulative qu’il s’agit de déchiffrer. Comme Devin le remarque dans Un seul monde. L’évolution de la coopération internationale (2014), les internationalistes ont l’habitude de remarquer les conflits même au risque de perdre de vue les coopérations.

Plus spécifiquement, Les organisations internationales repose sur ce qui forme probablement la signature théorique de Devin dans notre champ : d’une part, la reconnaissance de la double fonctionnalité du multilatéralisme (« il sert, et on s’en sert ») ; et de l’autre, la coopération internationale comme processus historique d’intégration sociale. Cette étonnante, mais redoutable combinaison d’idées, où se trouvent réunis le jeu quotidien des acteurs et la perspective évolutionnaire d’Elias, a le mérite considérable de combler l’écart trop souvent creusé entre les dynamiques agentives et structurelles des relations internationales. 

Par exemple, Devin comprend le phénomène du droit international à travers ce double prisme. Pourquoi, en l’absence d’autorité supérieure, les États suivent-ils les règles formalisées au fil du temps ? Devin rejette à la fois l’hypothèse constructiviste de l’internalisation, qui fait des acteurs de simples porteurs de structure (« cultural dopes ») ; de même que celle, rationaliste, d’une instrumentalité pure et dure aux allures de crétinisme social (« social morons »). La voie la plus porteuse se situe plutôt entre les deux, explique-t-il : « les États (et d’autres acteurs avec eux) se soumettent au droit parce qu’ils espèrent pouvoir s’en servir. [Le] respect de la règle du droit emporte souvent des effets de légitimité. Une conduite légale y gagne ainsi en autorité parce qu’elle offre une justification à l’action » (2013 : 101). 

À mon sens, c’est en multipliant de telles analyses des phénomènes internationaux, où finesse et limpidité se conjuguent avec une efficacité désarmante, que Guillaume Devin a le mieux contribué à l’avancement des connaissances en relations internationales.

Carlos R. S. Milani : l’apport de Guillaume Devin à la compréhension des relations internationales au Brésil

À travers les différents concepts des sciences sociales, tels que configuration, conflit, interdépendance, réciprocité ou solidarité, Guillaume Devin a énormément contribué au renouvellement des Relations internationales en France et, en ce qui me concerne plus particulièrement, au Brésil, où ses travaux ont été diffusés et où ils ont montré leur utilité afin de comprendre, et de faire comprendre, les dynamiques de la mondialisation et la complexité des phénomènes internationaux. 

Guillaume Devin est connu au Brésil notamment grâce à son livre Sociologia das relações internacionais, traduit du français et publié en 2009, dans le cadre de l’Année de la France au Brésil. Devin nous enseigne qu’il y a beaucoup à découvrir dans les différents mondes des Relations internationales, principalement à travers des perspectives critiques qui ne relèvent pas des canons traditionnels des théories rationalistes et positivistes qui dominent la discipline. Dans le sillage de la tradition sociologique française (Raymond Aron, Marcel Merle, Bertrand Badie), la publication en portugais de Sociologie des relations internationales a porté la marque d’une contribution singulière qui associe une analyse sociopolitique et une profonde connaissance du droit et de l’histoire, n’apportant pas de réponses aux problèmes rencontrés dans la politique mondiale contemporaine, mais plutôt aidant le lecteur intéressé à construire et analyser les problèmes (c’est-à-dire, l’aidant à « problématiser ») à travers des catégories sociales et des instruments méthodologiques propres à la sociologie à laquelle se rattache Devin.

En fait, comme il nous le rappelle, l’évolution des Relations internationales suit, presque toujours avec un certain retard, les débats dans le domaine de la philosophie, de la théorie sociologique et de la théorie politique (Devin 2015). Il existe un conservatisme épistémologique qui peut être considéré comme un trait caractéristique de la discipline des Relations internationales, bien qu’il ait été moins flagrant au cours des trois dernières décennies. Autrement dit, à partir de l’implosion de la politique internationale dans la perspective théorique, pratique et historique qui marque la transition entre les années 1980 et 1990, on commence à parler d’insurrections philosophiques et de contestations sociologiques qui interrogent leurs fondements et tentent favoriser des dialogues fructueux avec d’autres champs et d’autres ontologies des sciences sociales, réflexives, critiques, néo-marxistes, constructivistes, toutes des ontologies « problématisantes » du sens de l’international. 

Fred Halliday, par exemple, affirmait que le développement des Relations internationales peut être pensé en « cercles concentriques » : un cercle au sein de la discipline elle-même, un autre constitué des impacts des événements mondiaux, en plus d’un tiers des relations avec les autres sciences sociales. Le travail de Guillaume Devin que nous avons eu l’honneur de présenter et d’aider à diffuser au Brésil a énormément contribué à l’élargissement de ce troisième cercle, tant d’un point de vue épistémologique que méthodologique.

Contribuant à la construction d’un champ renouvelé des Relations internationales, Devin nous rappelle que ses racines philosophiques (explicites ou implicites) constituent déjà des instruments « disciplinaires » pour la compréhension de l’international. Ces racines philosophiques conditionnent ce qui se dit et ce qui se pense, par exemple, sur les processus de mondialisation, le rôle des États, le rôle des organisations internationales et la pertinence des réseaux transnationaux et des mouvements sociaux dans l’espace mondial contemporain. Ces racines participent même à l’élaboration d’une représentation partielle de l’expression des acteurs et des agendas de la politique mondiale contemporaine. 

Néanmoins, comme nous le rappelle Devin, prendre au sérieux l’idée que les faits internationaux sont des faits sociaux, c’est surtout admettre que les relations internationales doivent être appréhendées par les sciences sociales et non pas seulement par le corpus convenu des « théories des Relations internationales », principalement d’origine anglo-américaine. Voilà la démarche originale que Guillaume Devin a entreprise, laquelle nous a permis d’enrichir l’étude de l’international en encourageant un réflexe d’ouverture vers la sociologie et, plus généralement, vers d’autres sciences sociales. 

Guillaume Devin a su renouveler l’analyse des relations internationales. Il a mis en relief le rôle des acteurs non étatiques dans les espaces de négociation du multilatéralisme. En outre, il a promu l’analyse de l’État comme agent qui construit ses stratégies en dialogue (souvent en tension) avec les sociétés. C’est avec cet esprit, par ailleurs, que nous avons pu organiser des séminaires au Brésil, des enseignements au Brésil et en France, mais également codiriger des thèses de doctorat. Guillaume Devin a encouragé ses doctorantes et doctorants à penser le Sud dans les relations internationales. Au Brésil, les travaux de Guillaume Devin ont représenté une contribution fondamentale dans la circulation des savoirs en Relations internationales de l’école sociopolitique française, utilisés dans les programmes de recherche et les enseignements.