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Les guerres et les conflits au Moyen-Orient sont majoritairement abordés par les chercheurs sous l’angle de la géopolitique. En ce qui concerne plus particulièrement la guerre contre la terreur initiée par les États-Unis sous l’administration Bush consécutivement aux évènements du 11 septembre 2001, les critiques portent majoritairement sur les questions morales relatives à Guantanamo et à la torture. De plus, le manque d’efficacité et d’efficience des stratégies employées, telles que les frappes préventives et les méthodes d’intervention de la CIA, ont grandement été remises en cause. Ancien directeur général de la sécurité et du renseignement au ministère des Affaires étrangères et du Commerce international du Canada, Daniel Livermore, dans cet ouvrage de style pédagogique, apporte une vision de l’intérieur qui permet de comprendre les erreurs majeures commises par les agences canadiennes en matière de sécurité, de renseignements et de droits humains durant cette guerre contre la terreur.
Avant les évènements de 2001, les États-Unis éprouvaient des difficultés à évaluer les risques d’attaques terroristes sur leur territoire. L’un des buts de la guerre contre le terrorisme était de répondre prioritairement au besoin d’obtenir de meilleurs renseignements concernant Al-Qaïda, à l’intérieur ainsi qu’à l’extérieur des États-Unis, afin de contrecarrer d’éventuelles attaques. Cette approche a mené à un nombre massif de détentions et d’interrogatoires. Pour y parvenir, les États-Unis ont contourné les règles internationales de base de la Convention de Genève. De plus, une série de « black sites » gérés par la CIA et autorisés par les États-Unis ainsi que des prisons de pays coopérants tels que l’Égypte, la Jordanie et la Syrie ont servi à la détention de personnes à l’étranger. Guantanamo Bay a aussi été utilisée comme prison, au motif que les lois américaines ne s’y appliquaient pas. Largement critiquée depuis 2001, la guerre contre la terreur compte toutefois quelques succès, tels que la détention ou l’assassinat de la plupart des principaux dirigeants d’Al-Qaïda impliqués dans les évènements du 11 Septembre, ainsi que l’évitement de certaines attaques dans les pays occidentaux. Malgré tout, de nouvelles populations et de nouveaux mouvements ont émergé pour remplacer les morts, les prisonniers et les vaincus.
En ce qui concerne plus particulièrement le Canada, les agences américaines ont utilisé des renseignements canadiens pour interroger des citoyens et résidents canadiens dans des prisons étrangères ou à Guantanamo Bay. La CIA et le FBI ont aussi utilisé des renseignements canadiens lors d’opérations de détention en Syrie, en Égypte, en Tunisie, en Lybie, etc. Dans certains cas, des agences canadiennes ont aidé la CIA et le FBI à éluder les droits consulaires des Canadiens incarcérés ou bien à les maintenir en détention sans inculpation ou jugement. Plus particulièrement, Daniel Livermore analyse le cas de quatre Canadiens, à savoir Ahmad Abou-Elmaati, Abdullah Almalki, Maher Arar, Abdullah Khad et Abousfian Abdelrazik .
En somme, les agences canadiennes ont fait une confiance aveugle aux États-Unis en ce qui concerne le respect des lois internationales et américaines en matière de torture, ce qui a occasionné de nombreuses détentions illégales ainsi que la torture ou les mauvais traitements envers des citoyens et des résidents canadiens.
Les organismes canadiens comme le Service de sécurité intérieure (CSSI) et la GRC auraient dû se concentrer sur les questions de sécurité intérieure pour lesquelles ils avaient les capacités d’agir. En cherchant à obtenir une position privilégiée aux côtés des États-Unis, tout en visant à contrecarrer des actes terroristes en sol canadien, les agences ont dépassé leurs limites de compétences et de connaissances concernant des questions internationales complexes. De plus, elles étaient mal préparées et structurées en matière de renseignement et de sécurité.
Les agences canadiennes ont aussi mis du temps à reconnaître leur implication dans les emprisonnements illégaux et la torture. Au niveau opérationnel, il était difficile pour le Canada de garder une certaine distance puisque les agences dépendaient des renseignements que seuls les États-Unis pouvaient obtenir afin de contrecarrer des menaces sérieuses. Toutefois, les erreurs et les faux pas du Canada présentent des similitudes avec le Royaume-Uni, l’Allemagne, l’Australie, l’Italie et la Suède, puisqu’aucun de ces pays n’a tenté de discuter ou d’arriver à une entente avec les États-Unis pour limiter leurs dérives.
Livermore conclut que l’absence d’une approche pangouvernementale permettant l’intervention du Canada en cas de détention de ses ressortissants à l’étranger, ainsi que l’inexistence d’une politique en matière d’interrogatoires à l’étranger, sont des exemples de lacunes majeure qui auraient engendré les dérives du Canada dans la guerre contre la terreur. L’auteur propose donc la création d’une Commission parlementaire sur la sécurité et les renseignements ayant pour mandat d’examiner les questions classées secret défense à huis clos, ainsi qu’une stratégie permettant de prévenir la radicalisation.
L’ouvrage de Livermore est clair et concis. Il regorge d’informations pertinentes qui permettent de comprendre les erreurs des agences canadiennes dans la foulée du 11 Septembre. Par contre, l’analyse de Livermore concernant la responsabilité du Canada est influencée par la vision de l’intérieur de ce dernier. Le cadre d’analyse est subjectif et teinté de l’expérience de l’auteur. Plus précisément, la responsabilité du Canada paraît minimisée par l’auteur lorsqu’il mentionne que c’était un luxe inabordable de réagir aux dérives des États-Unis, étant donné que le Canada dépendait de leurs renseignements pour contrecarrer d’éventuelles menaces sur son territoire. De plus, bien que Livermore aborde les éléments en matière de renseignements et de sécurité pour analyser le terrorisme, il ne considère que partiellement les éléments structurels. Pourtant, les victimes collatérales de la guerre contre la terreur, les personnes de confession musulmane, sont aussi à considérer. Le discours promu lors de la guerre contre la terreur, qui se prolonge dans la montée du populisme, favorise la peur de l’autre. Cette peur de l’autre encourage la stigmatisation et l’exclusion de certaines populations, ce qui peut contribuer à des problèmes sociaux et de sécurité majeurs, tels que la radicalisation.