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Aujourd’hui encore, les Premières Nations du Canada ont une espérance de vie inférieure de cinq à huit ans de celle des populations du reste du Canada. Comment expliquer ce décalage? Que s’est-il passé pour en arriver à ce gouffre?
C’est à cette question que l’ouvrage de James Daschuk tente de répondre. L’auteur y retrace le fil chronologique de la diminution démographique des Indiens de l’Ouest du Canada, du Manitoba actuel jusqu’aux Rocheuses. L’ouvrage circonscrit cependant la recherche entre le fleuve Missouri (Nord des États-Unis) et la forêt boréale. L’objectif est clair : discerner les causes de l’écart sanitaire actuel entre les Autochtones et les Allochtones dans l’Ouest du Canada. L’ouvrage porte ainsi sur les actions, l’alimentation et l’habitat des Autochtones des plaines sur une période de 160 ans (soit entre le milieu du 18e siècle et la fin du 19e siècle), à l’époque où l’économie mondiale s’est graduellement implantée dans les Plaines canadiennes. Daschuk fait remarquer qu’aujourd’hui encore, l’état de santé des Premières Nations de l’Ouest du Canada est nettement inférieur à celui du reste de la population canadienne et que c’est dans ces années de soumission, de famines et de maladies qu’il faut en chercher l’origine. L’auteur affirme d’emblée que le déclin de santé des peuples autochtones tire son origine directe de leur appauvrissement économique et culturel, avec en trame de fond le racisme des décideurs politiques et de la société dominante.
L’ouvrage compte deux grandes parties. Dans la première, Daschuk se concentre sur l’évolution économique, démographique et territoriale des Premières Nations de l’Ouest avant l’acquisition de la région par le Canada en décembre 1869. Vers 1740, la maladie est le principal facteur de la réorganisation territoriale des Premières Nations de l’Ouest canadien. Au milieu du 18e siècle, la présence du cheval et l’ouverture au commerce mondial (notamment par l’entremise de la marchandisation du bison) entraînent des conséquences biologiques dans l’Est et l’Ouest des Prairies, créant les conditions idéales pour la pandémie variolique du début des années 1780, entre autres. Selon l’auteur, ces épidémies sont la conséquence du système économique mondial sur l’Ouest canadien, alors que les relations commerciales font voyager les pathogènes.
La deuxième partie porte quant à elle sur l’évolution sanitaire des populations de l’Ouest dans le contexte des nouvelles réalités économiques et politiques de la fin du 19e siècle, alors que se mettent en place les relations entre les Premières Nations et le Dominion du Canada. Daschuk note qu’avant même la fin du 19e siècle, l’équilibre des pouvoirs entre Autochtones et nouveaux arrivants est détruit de façon irrévocable, principalement par la disparition du bison sauvage. À l’aube des années 1870, les peaux de bison sont utilisées dans la fabrication des courroies industrielles nécessaires à l’essor de l’économie de l’Est des États-Unis, entrainant la quasi-extinction du bison. La disparition des hardes de bisons constitue la plus grande catastrophe environnementale dont les Prairies aient été frappées : ne pouvant plus compter sur la chasse, présente au coeur de la vie des peuples des Plaines depuis 10 000 ans, les collectivités autochtones furent contraintes de renoncer à leur liberté. À l’extermination des hardes de bisons s’ajoute le regroupement des communautés autochtones en réserves.
Daschuk souligne l’indifférence complète du Dominion à l’égard des conditions de vie déplorables des Indiens des Plaines. À titre d’exemple, alors que la famine ravage les populations autochtones de l’Ouest et augmente leurs besoins urgents en soins de santé, le premier ministre du Dominion et ministre des Affaires indiennes, John A. MacDonald, abandonne la politique médicale à l’égard des peuples autochtones, notamment pour des motifs d’ordre économique. Daschuk précise que le gouvernement du Dominion se sert alors des besoins en nourriture pour soumettre les populations autochtones, assumant totalement son recours à la famine pour achever le confinement des autochtones dans les terres « réservées ». Cette « politique de la famine » s’avère d’une grande efficacité : en 1883, la quasi-totalité des Autochtones vivent dans des réserves. L’auteur note que la population des réserves est à son paroxysme en 1884. Or, dans la décennie suivante, celle-ci s’effondre sous l’effet de différents facteurs telle la malnutrition, la surpopulation, le froid, l’insuffisance des systèmes sanitaires et les politiques gouvernementales oppressives. Par ailleurs, Daschuk précise que l’idée selon laquelle les problèmes de santé chroniques des Autochtones seraient attribuables à une faiblesse intrinsèque à leur race est fausse. En effet, c’est plutôt la malnutrition incessante conjuguée à la négligence et le refus du Dominion du Canada de porter une réelle assistance aux Premières Nations sur le plan alimentaire qui en sont les causes.
Cet ouvrage s’avère indispensable pour quiconque souhaite comprendre la situation actuelle des Premières Nations de l’Ouest du Canada. S’appuyant sur une recherche documentaire colossale et recourant à diverses sources archivistiques relatant la période antérieure à 1867 (notamment les Archives de la Compagnie de la Baie d’Hudson, et les archives provinciales du Manitoba et de la Saskatchewan), Daschuk présente un épisode sombre de l’histoire canadienne. La force principale de l’oeuvre réside dans sa capacité à dresser un pont entre le passé et le présent. En effet, la lecture de La destruction des Indiens des Plaines permet non seulement de connaître le fil des événements de la période circonscrite par l’auteur mais aussi de comprendre davantage la situation actuelle des Premières Nations de l’Ouest du Canada. Comme le souligne à juste titre la traductrice Catherine Ego, ce livre incite le lecteur à passer à l’action. Ne pouvant laisser indifférent, l’ouvrage invite à visiter une part du passé pour agir dans un présent duquel nous sommes tous responsables.