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Le constat de l’implication croissante des villes sur le thème du climat n’est pas nouveau. De nombreuses métropoles se sont engagées à limiter leurs émissions de gaz à effet de serre ou ont développé des plans d’adaptation face aux changements climatiques. En outre, les villes ont formé des réseaux transnationaux tels que C40, ou l’International Council for Local Environmental Initiatives (iclei) qui agissent pour voir leur rôle mieux reconnu dans la gouvernance du climat. Jusqu’à récemment, la majorité de la littérature consacrée à ce phénomène saluait cette émergence des villes comme la bienvenue, dans un contexte où la capacité des États à respecter leurs engagements a montré ses limites et où la gouvernance internationale du climat, sous l’égide de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (ccnucc), ne progresse que lentement.
De manière salutaire, cet ouvrage de Craig A. Johnson dépasse cet enthousiasme pour se questionner sur les capacités réelles des villes et de leurs réseaux à faire avancer les politiques du climat. Au coeur de ce travail se trouve en réalité posée la question du pouvoir. Comment l’émergence des villes et de leurs réseaux nous amène-t-elle à repenser la question du pouvoir dans la gouvernance du climat ? Pour répondre à cette question, l’auteur a construit une grille d’analyse fondée sur une déclinaison de l’idée de pouvoir en quatre catégories : pouvoir westphalien, pouvoir des réseaux, pouvoir entrepreneurial et pouvoir performatif. Johnson examine l’action des villes à l’aune de ces quatre dimensions du pouvoir dans deux domaines : l’atténuation et l’adaptation aux changements climatiques.
La première catégorie, celle du pouvoir westphalien, renvoie au régime international du climat qui relève principalement de la ccnucc. Dans cette première ligne d’analyse, le pouvoir des villes et de leurs réseaux dépend principalement de leur capacité à s’insérer dans la gouvernance du climat façonnée par les États-nations et les institutions internationales. L’intégration des initiatives des villes au sein du portail nazca (Non-State Actor Zone for Climate Action) sous l’égide de la ccnucc en est un exemple. Se pose alors la question des marges de manoeuvre des villes vis-à-vis de règles du jeu principalement définies par les États.
La deuxième catégorie renvoie à la manière dont la participation des villes à des réseaux transnationaux comme l’iclei ou C40 a renforcé leur capacité d’action. Ces réseaux facilitent la mise en commun et la diffusion de l’expertise et de ressources entre leurs membres. Les réseaux de villes souffrent néanmoins de certaines limites. D’une part, ils ont tendance à s’agréger autour de grandes métropoles, souvent riches, ayant un accès privilégié aux sources de financement, à l’expertise, à la main-d’oeuvre qualifiée. D’autre part, des questions se posent sur la capacité des réseaux de villes à s’assurer du suivi de la mise en oeuvre des projets et politiques climatiques de leurs membres.
La troisième catégorie renvoie à l’importance du secteur privé. Ici, le pouvoir des villes dépend de leur capacité à attirer la main-d’oeuvre, les ressources et le capital qui leur permettent d’agir sur la scène internationale. Johnson s’intéresse aux effets de la mondialisation et des réformes néolibérales, qui ont entraîné une dépendance croissante des villes envers les marchés, les entreprises et les investisseurs privés pour fournir des services à leurs habitants et innover, au moment précis où on attend d’elles qu’elles jouent un rôle accru dans le domaine du climat. L’auteur examine par exemple le rôle important des cabinets de conseil dans la planification des politiques climatiques des villes et dans les outils proposés par les réseaux de villes. Cela soulève la question de l’autonomie des villes ainsi que celle des intérêts véritablement défendus dans l’élaboration de ces politiques urbaines.
Enfin, la dernière catégorie d’analyse renvoie à la dimension performative du pouvoir. Ici, l’auteur s’interroge sur les effets des normes, indicateurs et méthodologies auxquels les villes acceptent de se soumettre pour intégrer leurs initiatives aux plateformes internationales, participer aux programmes des réseaux de villes, ou être éligibles à certains financements. Or, ces instruments, loin d’être neutres, constituent eux-mêmes des formes de pouvoir qui permettent la comparaison entre les villes. Mesurer les émissions d’une ville, par exemple, implique de trancher une série de questions sur les limites de la ville et la prise en compte des flux entre les zones urbaines et les zones rurales. L’adoption de ces instruments participe en réalité à la définition même de ce qu’est la ville.
On pourra regretter que l’auteur ait parfois tendance à traiter les villes comme un ensemble homogène et n’ait pas consacré plus d’efforts à distinguer plus précisément les défis qui sont posés aux villes en fonction de leur taille, de leur richesse, de leur intégration dans l’économie mondiale. Mais en définitive, l’apport principal de l’ouvrage de Craig A. Johnson est qu’il contribue à nuancer l’idée que les villes constituent une alternative au régime climatique défini par les États et incarné par la ccnucc. Les villes et leurs réseaux sont de plus en plus impliqués dans l’établissement de règles, normes et indicateurs dans le domaine climatique. Mais elles sont aussi prises dans des systèmes politiques et sociaux qui contraignent leur capacité d’agir à l’international. La portée de leur action sur le climat, amplifiée par les réseaux transnationaux qu’elles ont construits, dépendra aussi de leur aptitude à naviguer entre ces pressions parfois contradictoires.