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Métier en mutation, la diplomatie demeure une activité absconse et insondable. Quelle est la valeur ajoutée d’un diplomate ? Quel est le sens de son action au quotidien ? La diplomatie est d’abord un ensemble de pratiques. Son étude a longtemps été le parent pauvre de la théorie des relations internationales. Ancien directeur du Centre de recherches internationales (Ceri) à Sciences Po Paris, le professeur Christian Lequesne a effectué une partie de sa carrière professionnelle au sein d’une ambassade, à Prague, puis à la London School of Economics and Political Science. Son ouvrage est le témoignage d’un chercheur qui interprète une réalité en se basant sur les représentations discursives construites par les acteurs.
Il décrypte la fabrique de la politique étrangère en analysant le fonctionnement d’un univers aux pratiques ésotériques et codifiées. Sachant prendre du champ par rapport à l’analyse fonctionnaliste ou journalistique des différentes dimensions du métier, il se démarque de la littérature sur le sujet. Loin du manuel d’histoire, d’une monographie du ministère ou d’une suite d’anecdotes et de révélations sur des dysfonctionnements, l’auteur propose, tel un ethnographe, des clés pour déchiffrer les pratiques de ces acteurs de la politique étrangère française. En scientifique aguerri, ses analyses sont le résultat d’une enquête menée durant trois années au sein de l’institution et auprès de ses agents. Amplement inspirée par la sociologie et l’anthropologie, sa méthode de travail repose sur de nombreuses réunions au ministère et sur une centaine d’entretiens semi-directifs avec les représentants de la France à l’étranger. Les relations internationales sont abordées de l’intérieur, sans enjoliver la fonction, pour, au final, mieux comprendre la fabrication d’une politique publique et éclairer le sens de la politique étrangère de la France sous la Ve République.
Après avoir justifié ses choix méthodologiques et théoriques, mais aussi les obstacles auxquels tout travail d’observation se heurte, l’auteur commence par examiner son sujet à travers le prisme des motivations qui conduisent un impétrant à embrasser la carrière diplomatique et à se destiner à ce qui s’apparente, à bien des égards, à un sacerdoce. Issus des classes sociales moyennes et supérieures, les fonctionnaires du Quai d’Orsay sont diplômés soit de l’École nationale d’administration (Éna), soit de l’Inalco. L’auteur met en exergue la différence entre énarques et cadres d’Orient, afin de mieux montrer comment les diplomates appartenant à la carrière contrôlent l’intégration des profils extérieurs à l’administration – car ils représentent une concurrence directe pour les emplois d’encadrement – et fondent, ainsi, les bases d’un puissant corporatisme.
Tout diplomate doit, de surcroît, faire siennes un certain nombre de normes pour construire sa carrière. Ces experts de haut niveau maîtrisent les codes du travail diplomatique. En dépit d’une énorme diversité entre énarques et cadres d’Orient dans la formation et le recrutement du personnel diplomatique, pour faire carrière il faut se conformer à certaines normes communes, une sorte de « moule diplomatique » : le Quai n’est pas une administration où la marginalité et l’excentricité sont forcément valorisées. Le diplomate doit apprendre à gérer la concurrence de nombreux autres acteurs qui font la même chose que lui et sont parfois mieux informés : autres ministères, ong, experts, organisations internationales, agences de presse, etc.
Cela ne signifie pas que tous les diplomates pensent et agissent de la même manière. L’auteur poursuit en s’interrogeant sur la place des femmes, le rôle des syndicats et des associations internes, ainsi que la vie après la carrière et les liens qui unissent les diplomates retraités à leur ministère.
Nombreux sont les individus qui choisissent de devenir diplomates précisément parce qu’il ne s’agit pas d’un métier monofonctionnel. Une fois en poste, l’auteur distingue, à partir de la typologie d’Iver Neumann, trois identités professionnelles : le bureaucrate chargé du fonctionnement de la machine diplomatique, le médiateur de l’État français à l’étranger et le héros au service de l’intérêt général. Voilà trois rôles que le diplomate s’arroge simultanément, même si la première pratique reste prépondérante. Par la nature de ses missions, le diplomate interagit constamment avec le pouvoir politique. En relatant le quotidien des diplomates, au Quai d’Orsay comme en ambassade, l’auteur observe ce rapport au pouvoir à l’aune des représentations subjectives d’agents qui se heurtent aux demandes irréalistes et aux options contradictoires du « prince » (conseillers, ministre et président). Le livre dévoile ainsi deux représentations de la politique étrangère. De la sorte, l’interaction que les diplomates entretiennent assidûment avec le pouvoir qu’ils représentent est empreinte d’ambivalence.
Bien que fidèles et conciliants à l’endroit de l’autorité qu’ils servent, les agents du Quai d’Orsay ne pensent ni n’agissent de manière homogène. Deux cartes mentales structurent leur vision du monde : certains privilégient, dans la pure tradition gaullienne, l’indépendance et le rang de la France sur la scène internationale, tandis que d’autres, les occidentalistes, s’arriment à la politique étrangère des États-Unis. Par ailleurs, l’auteur donne à voir le rôle prépondérant de la parole dans la fabrique d’influence qu’occupe le ministère : le « dire », les notes, l’enjeu de la communication publique et de la représentation avec, notamment, le caractère très protocolaire des dîners. Enfin, le dernier chapitre traite du renouveau d’intérêt des diplomates pour une pratique consulaire porteuse d’une politisation accrue, car nourrie par les controverses dans l’espace public : le contrôle de l’immigration et les enjeux électoraux liés à la représentation des Français de l’étranger.
Bien documenté, ce livre s’adresse dans un premier temps aux néophytes qui aspirent à rejoindre, en toute connaissance de cause, le Quai d’Orsay. Il séduira, dans un second temps, les étudiants et chercheurs avides de démonter la boîte noire des relations internationales et de rompre avec l’image mondaine injustement attachée à l’étude de la diplomatie.